L’enseignant, qui s’appelait Kelko, ne laissa transparaître aucune émotion lorsqu’il retourna vers le terrain d’entraînement. Son habitude avait toujours été de traiter avec égalité et impartialité tous les élèves de l’Académie, de leur apprendre la dure réalité de la vie sans les bercer d’illusions.
Il avait failli intervenir quelques minutes plus tôt, mais Romuald avait su se contrôler, et il n’avait pas dépassé la limite que tous s’imposaient aux cours de Forgeciel.
L’étranger ne connaissait pas ces coutumes, mais il apprendrait vite. Kelko savait qu’il ne pourrait se défendre contre le jeune Apprenti, pas avec le niveau dont il avait fait étalage le matin même. Mais il avait du potentiel. S’il arrivait à contrôler cette colère qui semblait l’animer, il pourrait peut-être même progresser avec efficacité.
Il avait déjà vu des dizaines de combattants comme lui, se laissant consumer par la rage et perdant toute réflexion lors d’un combat. Ils étaient aujourd’hui tous morts.
Le temps lui dirait s’il avait eu raison d’accepter la demande de Than ou non. Il interpella tous les élèves et ils se présentèrent devant lui, la tête haute et les lèvres pincées, prêts à subir l’entraînement intense que Forgeciel avait préparé tout spécialement pour eux.
Marlon, lui, avait la tête froide, et sa respiration était régulière, tous les débordements émotionnels disparus pour avoir laissé place à une motivation défiant tout obstacle se dressant devant lui. Il remarqua le regard froid de l’homme vêtu de blanc et il se blinda, prêt à souffrir pour progresser.
Il avait retenu sa leçon. Il lui restait énormément de choses à apprendre, et la route qui l’attendait serait longue et ardue, réservée à ceux qui ne faibliraient pas. Ses poings se serrèrent alors que son esprit semblait reforgé après les souvenirs qui l’avaient envahi. Il était toujours là, après tout ce qu’il avait vécu, et toutes les épreuves qu’on lui avait faites traverser n’avaient fait que le renforcer, le rendre plus malléable face à la souffrance.
Son esprit s’était même divisé pour mieux accepter la dure réalité, et il était prêt à aller toujours plus loin pour accomplir son objectif.
« Bien. Maintenant que tout le monde s’est restauré, nous allons revoir les bases des Runes Astrales à l’intention de Revenge ici présent. Cela vous permettra de rafraîchir votre vision vis-à-vis de ce sujet, également. Et nous plongerons un peu plus dans l’explication théorique de ce que sont les Runes Astrales et pourquoi nous les utilisons dans notre art du combat. »
Il fit un geste de la main à la fois rapide et précis, et une forme s’illumina dans l’air au-dessus de sa paume maintenant ouverte. Marlon reconnut les contours d’une Rune, mais il ne sut dire à quoi elle correspondait. C’était l’une des fameuses runes conceptuelles dont il n’avait pas encore abordé le contenu.
Les courbes concentriques s’entremêlaient entre elles et donnaient une impression de continuité, un sentiment de stabilité que le runiste ne put expliquer autrement que par ce qu’il ressentait en la voyant. L’on avait la sensation dérangeante que la Rune était vivante, ses contours en mouvement constant, comme le lit d’une rivière ou bien les rapides tumultueux précédant la chute de la cascade.
Tout cela semblait concentré dans ce dessin, et plus encore, mais le jeune homme n’arrivait pas à mettre son doigt dessus, quelque soient les efforts qu’il faisait avec son esprit.
Son attention se focalisa, certain que ce qui allait suivre était de la plus haute importance pour l’aider à appréhender la profondeur des arts martiaux de Forgeciel.
« Vous reconnaissez tous la ‘Forme de l’Eau’. C’est sur cette rune que se base la posture de combat de Romuald que nous avons pu apercevoir plus tôt. Que représente ce concept, quelqu’un peut-il me le dire ? »
L’un des apprentis prit la parole, son ton suffisant indiquant qu’il pensait le sujet bien trop simple pour qu’on pose une telle question.
« L’eau représente le détournement, tout simplement. Un nouveau-né sait cela. »
Quelques regards rieurs brillèrent lorsque Kelko, l’enseignant, frappa d’un coup sec et précis le jeune homme dans l’estomac, le faisant se plier en deux alors qu’il tombait à genoux, cherchant son souffle désespérément.
« L’ignorance n’est pas un défaut, Jerlan, car elle peut être corrigée, mais n’en fais jamais étalage. La Forme de l’Eau représente bien plus que cela. D’autres réponses, peut -être ? »
Une jeune femme à l’air guerrier répondit à Kelko, et son ton était bien moins arrogant que celui de son prédécesseur, soit parce que subir le même sort ne l’intéressait guère, soit parce que le professeur avait réussi en même temps à leur donner une leçon d’humilité.
C’était probablement le second choix, car Marlon avait plus ou moins cerné les caractères de ceux qui combattaient dans la cité, et tous avaient l’air d’être profondément arrogants. Vladimir, excepté, peut-être, mais l’aura que dégageait le jeune homme n’en restait pas moins menaçante.
« Il s’agit de la dualité, monsieur ? »
Les yeux de l’enseignant s’illuminèrent et un sourire fugace comme un clin d’œil fit son apparition sur son visage.
« Bien répondu, Aldena. »
Il fit un geste du poignet et la rune qui flottait devant lui grandit jusqu’à atteindre une taille d’à peu près un mètre, aussi bien en largeur qu’en hauteur.
Sous ce format, Marlon apercevait bien plus de détails, et la richesse de la rune lui sauta au visage. L’on aurait dit la représentation géante de dizaines de fleuves et rivières, se jetant dans les affluents et plongeant dans des sources souterraines, ressortant plus loin et faisant des circonvolutions alambiquées pour parfois devenir des impasses.
La complexité du dessin qui lévitait était impressionnante, et si toutes les runes conceptuelles de Forgeciel étaient semblables à celles-ci, il lui faudrait des décennies pour toutes les apprendre. Kelko eut un geste rassurant envers tous les Apprentis, d’autres que Marlon ayant le regard légèrement effrayé devant ce qu’ils semblaient voir pour la première fois, bien que ce ne fusse pas le cas.
« La Forme de l’eau est en effet un symbole de dualité, mais pas uniquement. Pour comprendre ce concept, il faut vous projeter, comprendre ce qu’est réellement l’eau. Elle est source de vie, arrose nos vergers, nous hydrate et cours dans nos veines. Elle est la pluie, les lacs, la neige, toutes ces réserves cumulées nous permettant de nous étendre et de nous reproduire. »
Il fit une pause, regardant tour à tour chacun des apprentis lui faisant face avec intensité et sévérité.
« Mais elle est également la tempête. La catastrophe nous submergeant et nous noyant. Elle est la grêle, l’ouragan, le tsunami. Elle ne fait aucune distinction dans sa course meurtrière, tuant femmes, enfant, animaux, et presque toute vie en ce bas-monde. Elle peut nous submerger tout autant qu’elle nous rafraîchit. L’eau est donc dualité. Elle peut se terrer à des milliers de mètres sous terre, comme elle peut rugir dans des rapides aux yeux du monde. L’eau limpide du lac et la cascade écrasante crachant sa puissance sont toutes deux composées de la même chose, mais leurs formes divergent. Elle absorbe les chocs comme elle peut éroder les montagnes les plus hautes. Ses mille formes et usages sont parfaitement illustrés par cette rune. »
Marlon était absorbé par le discours de Kelko, et il sentait en lui une résonnance particulière alors qu’il comprenait parfaitement son explication et qu’il percevait au travers de la rune flottante toute la puissance et le potentiel de l’eau au travers des diverses courbes et reliefs du dessin. C’était presque comme si un fleuve rugissait dans ses veines et qu’il éprouvait la puissance de ce colosse immuable au fond de son être.
Il comprit également pourquoi il n’avait pas pu toucher Romuald, lors du combat précédent, et la suite de l’exposé de l’enseignant confirma l’instinct révélateur qu’il venait d’avoir.
« Le style de combat que Romuald nous a montré plus tôt utilise une partie de cette rune. Se mouvoir comme l’eau et absorber la puissance des coups de son adversaire afin que leur force devienne nôtre. Il maitrise bien cette partie, nous l’avons d’ailleurs vu en action contre la colère de Revenge, et la puissance des coups a été entièrement absorbée, sans qu’il ne soit frappé. »
Le jeune homme gonfla le torse à l’évocation de sa maitrise, mais il déchanta vite lorsque Kelko continua sa tirade, sur un ton bien plus sec.
« Seulement, la partie offensive est des plus ridicules. Un tsunami ne vous laisse pas d’échappatoire. Une tempête de grêle ne vous donne pas l’occasion de vous relever. La tempête n’est pas une caresse mais une destruction absolue, empêchant toute riposte, toute fuite. Elle éteint l’espoir et rase les villes. »
Kelko prit la même posture que celle de Romuald plus tôt, et quelque chose dans l’air ambiant changea. Comme si une force immuable venait de s’incarner en lui et que rien ne pouvait passer à travers. L’enseignant commença à démontrer à ses apprentis un enchaînement de postures et de frappes, et bien qu’il les fasse à vitesse ralentie, toutes transpiraient de maîtrise, et surtout d’un danger qui fit hérisser les poils sur la nuque de chacun d’entre eux.
Le spectacle était hypnotisant, et un silence parfait s’instaura dans le terrain d’entraînement, alors que Kelko augmentait doucement la vitesse des combos qui dégageaient de plus en plus de puissance, crescendo parfait évoquant la crue progressive mais inarrêtable d’une rivière sortant de son lit.
Il ne fallut que quelques secondes pour que l’air ne se mette à luire là où les poings et les pieds de l’enseignant frappaient, chaque mouvement évoquant maintenant les vagues d’une mer déchainée vous submergeant.
Chaque frappe évoquait le fracas des rouleaux s’écrasant avec violence sur le sable d’une plage tourmentée par la tempête, et l’odeur de l’air salin parvint jusqu’aux narines du jeune runiste alors qu’il se sentait totalement happé par ce dont il était témoin. Il éprouvait une synergie incroyable avec cet art du combat, sans comprendre pourquoi.
Marlon sentait presque l’eau éclabousser son visage alors que Kelko s’arrêtait sur un dernier coup qui sembla résonner avec la force d’un éclair qui s’abat en plein tempête, flash de lumière au milieu de la pénombre. Son front était en sueur, et sa respiration hachurée comme après un exercice intensif.
Non pas comme cela. Comme après s’être battu pour rester en surface alors que la mer voulait vous entraîner par le fond. C’est exactement l’image que Marlon se fit de la danse meurtrière que Kelko venait de leur montrer.
Il prit quelques secondes pour reprendre son souffle et profita de l’effet qu’eut sa démonstration pour retrouver un visage impassible.
« Ceci…est exactement ce à quoi doit ressembler vos coups si vous voulez leur donner la forme de l’eau. Cela demande de vous battre contre cet élément et en même temps de l’intégrer à votre compréhension, de ne faire qu’un avec vous. Pour cela il n’y a pas de solutions miracles. Seul l’entraînement et une abnégation à toute épreuve vous permettront d’y parvenir. »
Romuald se fit tout petit sur le terrain d’entraînement, mais sa fierté venait d’être rabaissée au plus bas niveau, et Marlon sut intérieurement qu’il allait s’en prendre de nouveau à lui.
« Maintenant, nous allons commencer l’entraînement physique nécessaire pour atteindre cette complétion. »
Le reste de l’après-midi ne fut plus que douleur et souffrance pour la totalité du groupe d’étudiants, certains endurant mieux que d’autres les dizaines d’exercices que Kelko leur imposa pour renforcer leur corps, leur mental, leur équilibre. Tous les aspects du combat étaient abordés, et l’enseignant passait dans les rangs en frappant les points faibles des postures prises, soulignant systématiquement les erreurs faîtes par ses élèves.
Desfois ils devaient se cambrer et étendre les bras de façon très peu naturelle, d’autre fois être accroupi et garder leur posture alors que Kelko passait et frappait violemment dans leurs tibias pour les faire tomber. Tous transpiraient à grosses gouttes et de nombreux grognements de douleur et d’efforts pouvaient être entendus sur le terrain.
Pour tenir le choc, le Runiste continuait à se remémorer la forme de la Rune Astrale qu’ils venaient de voir, la gravant dans son esprit et comprenant à chaque visualisation un peu plus certains aspects de sa signification.
Marlon fut quelque peu rassuré en voyant qu’il n’était pas le seul à souffrir le martyr. Bien qu’originaires de Forgeciel, le reste de la troupe semblait prête à rendre l’âme alors que l’Appel de fin de journée résonnait dans la caverne gigantesque abritant l’Académie.
Ses muscles étaient douloureux, son corps entier réclamait du repos, mais le runiste ne voulait pas encore arrêter. Il sentait un appel provenant de ces runes, il percevait au fond de lui une réponse à une question qu’il ne s’était pas encore posée.
Kelko les libéra, mais il demanda à rester, ce à quoi l’enseignant acquiesça avant de s’éclipser en même temps que le reste des étudiants.
Romuald jeta un regard mauvais à Marlon, mais il était tellement éreinté par l’entraînement qu’il se contenta de secouer la tête avant de se diriger vers la sortie.
Le runiste continua à frapper dans l’air devant lui, reproduisant maladroitement un quart des postures et combos de l’enchaînement que Kelko voulait leur inculquer, mais la forme de la rune Astrale était gravée dans son esprit Il en visualisait chaque courbe, chaque point, chaque brisure.
Elle parlait avec lui, et il ressentait cette fameuse dualité dont l’enseignant avait parlé jusqu’au fond de son être. Par contre, il n’arrivait pas à faire ressortir cette puissance, cette malléabilité dont il avait été témoin et qui paraissait pouvoir soulever des montagnes. Il savait qu’i lui faudrait du temps et se contenta donc de répéter encore et encore les mouvements enseignés par Kelko.
Au bout d’une heure supplémentaire, il n’en pouvait plus. Il s’écroula contre le sol du terrain, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine et son crâne menaçant d’exploser alors qu’une violente migraine l’envahissait, conséquence de l’effort continu de visualisation qu’il avait fait avec la rune. Il mit plusieurs minutes à retrouver son souffle, vidé physiquement et mentalement par son entraînement.
Il finit donc par stopper l’entraînement, ne voulant pas confondre vitesse et précipitation, mais tout en sachant qu’il venait de mettre le doigt sur quelque chose d’important, sans savoir quoi.
Il prit quelques instants pour regagner sa composition, puis finit par se lever, grimaçant alors que chaque muscle de son corps semblait hurler de douleur au moindre mouvement qu’il faisait. Alors qu’il boitait vers la sortie, il ne remarqua nullement l’homme vêtu de blanc qui l’observait depuis une heure, habilement dissimulé derrière une fenêtre d’un édifice voisin.
Ce dernier poussa un grognement appréciateur avant de disparaître, le bruit de ses pas inexistants alors qu’il s’éloignait du terrain d’entraînement, les lumières de la caverne changeant de ton alors qu’à l’extérieur de Forgeciel, la nuit tombait doucement.
Marlon mit presque trente minutes à rentrer jusqu’à la résidence qu’il partageait avec Palkor, chauqe mouvement douloureux, et quand il franchit la porte d’entrée, il s’écroula dans la chaise, incapable de fournir un effort de plus.
L’apprenti sortit de son atelier, l’air visiblement épuisé aussi, et il jeta un regard curieux à Marlon.
« Bonsoir Revenge. Tu viens de rentrer ? J’ai fini pour ce soir, on peut manger ensemble si le cœur t’en dit ? »
Marlon trouva la force de hocher la tête, et un gémissement de douleur sortit de sa bouche alors que les muscles de ses jambes grinçaient sous l’effort fourni pour se lever. Cette vision arracha un ricanement à l’Apprenti qui se revit quelques années plus tôt, lorsqu’il avait commencé les cours de combat.
« On dirait que tu es passé sous un rouleau compresseur. Ne t’inquiète pas, ça devrait aller. Les premières journées sont souvent difficiles. »
« Difficiles, oui. Intéressante au possible, ça c’est sûr. »
Palkor fut intrigué par la réponse du runiste, et après avoir sorti des restes de nourriture amenée par Vladimir et servit deux assiettes, l’une pour lui et la seconde pour Marlon, il tira les vers du nez au jeune homme pour connaitre les moindres détails de sa journée.
Quand Marlon évoqua Kelko et son interprétation de la rune de ‘La Forme de l’eau’, un sifflement admiratif sortit des lèvres de l’Apprenti.
« J’aurais donné cher pour voir ça. Kelko est reconnu pour être un génie quand il s’agit du combat Astral. Froid et dur, mais un génie quand même. Quand j’ai commencé, on n’a eu le droit qu’à des exercices de posture interminables qui nous avaient presque paralysés à la fin de la journée. »
« Je t’invites quand tu veux pour une séance, tu sais. Et on a eu ces fameux exercices aussi, rien que d’y repenser je souffre… »
« J’ai dit voir, pas participer. Je ne suis pas masochiste, merci bien. Mon domaine, ce sont les Sangsues, pas les arts du combat. J’ai quelques bases, mais cela ne m’intéresse pas. Et crois-moi, si Vladimir n’a pas pu me convaincre, tu ne pourras rien y faire non plus. »
La soirée se termina tôt et Marlon monta dans sa chambre, heureux de la journée qu’il venait de passer malgré les corrections sévères qu’il avait récoltés. Mais c’était un prix bien dérisoire à payer pour la révélation qu’il avait eu et les visions qu’avaient déclenché la Rune Astrale et son application.
Il révisa ses bases de l’alphabet Runique, cherchant dans le manuel qu’il possédait la rune de l’eau, finissant par la trouver au bout de quelques minutes. Elle était identique à celle qu’il avait vue plus tôt, et maintenant qu’il en comprenait le sens, sa perfection lui sauta aux yeux comme une évidence. Il suivit du doigt chaque ligne, chaque contour, retrouvant cette sensation incroyable d’être comme projeté ailleurs par la puissance de suggestion de la rune.
Il sentait l’iode, le sable, puis la terre trempée, tour à tour, son esprit projetant à ses divers organes sensoriels toutes les sensations associées à cette rune particulière.
Il tenta de faire la même chose avec les autres mais cela fut inefficace, aucun autre stimulus ne se déclenchant, et il comprit qu’il devait d’abord saisir le sens profond d’une rune avant de pouvoir en comprendre le concept et projeter ses sens dans sa visualisation.
Il ferma les yeux, repassant dans sa tête la scène de Kelko en train de faire sa démonstration, encore et encore, et il ne lui fallut que quelques minutes pour s’endormir et dormir d’un sommeil profond, réparateur et surtout paisible. Un ronflement sonore s’éleva bientôt de derrière la porte, et il ne fut pas interrompu de la nuit.
Dans l’Académie, plus précisément dans le bâtiment administratif où se trouvait le bureau de Than, le Forgeciel, le professeur Kelko était assis et faisait face au colosse, l’air sérieux et grave.
« Ce jeune homme risque de nous attirer des ennuis Than. Je comprends que tu veuilles l’intégrer, mais es-tu sûr de ce que tu fais ? »
Le géant grogna et tira une bouffée sur la pipe en roche qu’il tenait entre ses doigts massifs avant de relâcher un nuage compact de fumée, les yeux regardant dans le lointain.
« Il en vaut la peine, Kelko. Ce gosse a survécu sur l’écluse, il n’a pas eu peur de se battre contre des gardes maltraitant son familier, et il s’investit dans l’enseignement qu’on lui donne. Qui maitrise l’alphabet runique en trois jours, dis-le-moi ? »
L’enseignant parut réfléchir pendant quelques secondes avant de répondre au Forgeciel.
« Il y a plus que ça, Than. Il a compris la ‘Forme de l’Eau’, dès qu’il l’a vue. Je n’en suis pas encore certain, mais je crois que la Rune lui a parlé. Il n’y a en général que ceux qui se plongent dans la compréhension des runes pendant des années qui peuvent atteindre ce niveau. Mais tu l’aurais vu…il tremblait lorsque l’éclair était exprimé dans mes coups, et il semblait suivre le rythme des vagues que j’invoquais par mes frappes. S’il n’est pas totalement loyal envers Forgeciel, il est un danger extrême que nous devons éliminer coûte que coûte. Et cette rage qui semble le posséder… »
« Observe-le, cadre-le, dresse-le. Tu as mon entière permission. Comme l’ont les autres professeurs de l’Académie. Je maintiens mon opinion et veut que ce gamin soit traité comme les autres. Il fera partie de l’élite de Forgeciel d’ici quelques années. Et ne t’inquiètes pas pour sa vision des Runes. Je pense qu’un runiste Draconique a forcément plus d’affinités avec ce domaine d’expertise. Mais je doute qu’il comprenne aussi profondément notre force que ce à quoi tu penses. Personne ne le peut, après tout… »
Ils discutèrent encore pendant de longues minutes, et finalement les lumières dansant à la fenêtre du troisième étage finirent par s’éteindre, l’obscurité plongeant sur l’étage de l’académie.