Marlon était accroupi près du Maître des Familiers qui n’en menait pas large pour le moment. Evanoui lorsqu’il avait découvert la nature de Loki, il ne s’était pas encore réveillé de sa syncope et l’un des gardes le ventilait avec une large feuille de papier, secouant la tête à l’intention du client qu’était Marlon comme pour s’excuser.
« Il s’excite beaucoup trop quand quelque chose d’intéressant lui tombe dessus. Ne vous inquiétez pas, il devrait se réveiller d’ici quelques minutes. »
« Si jamais il veut te couper la tête et l’encadrer quand il se réveille, n’oublies pas de courir s’il te plaît ! »
L’aventurier réprima un sourire en entendant la réplique de Loki et il prit son mal en patience, comprenant que la mention « Dieu » puisse secouer quelqu’un. C’était un peu comme s’il avait récupéré une arme légendaire dans un jeu vidéo et la montrait à des noobs venant de se connecter pour la première fois.
En attendant que Kelnos ouvre les yeux, Marlon jeta un coup d’œil aux diverses gemmes disposées dans les encadrements muraux, et bien qu’elles soient toutes brillantes et précieuses, il ne vit pas ce qu’elles faisaient dans une échoppe semblable.
Peut-être avaient-elles une utilité qu’il ne soupçonnait pas ? N’en ayant aucune idée, il se contenta de faire le tour de la pièce lorsqu’il entendit un gémissement sourd, signe que le gérant de la boutique se remettait enfin de ses émotions et sortait de sa syncope.
Se tournant vers lui, il attendit patiemment que les deux gardes du corps l’aide à se relever, la première chose que fit Kelnos étant de chercher frénétiquement Marlon du regard.
Quand il l’eut sous les yeux, ses pupilles se dilatèrent et il se figea tel une statue avant de lever sa main gauche et de…se frapper violemment la joue, son monocle volant à terre sous l’impact et une belle trace rouge de main commençant à apparaître sur sa peau malmenée.
« Ho…je…je pensais être en plein rêve, et je n’ai pas d’alcool, ni fumé quoi que ce soit pouvant provoquer cela… »
Il regarda les deux hommes qui se tenaient prêt à le soutenir s’il défaillait encore une fois et leur demanda d’un ton désespéré :
« Drian, Talki, il y a bien un jeune homme et une chimère dans ma boutique ? Je ne suis pas devenu fou ou mort, n’est-ce pas ? »
Les deux hommes se regardèrent, une lueur d’incrédulité dans les yeux, avant de confirmer à leur employeur qu’il était bien vivant et que oui, son client était bien réel.
Aussitôt, Kelnos alla s’asseoir à son bureau et sortit d’un tiroir une bouteille en verre contenant un liquide jaune ainsi qu’un verre en cristal, avant de le remplir copieusement et de le vider d’une seule traite. La grimace qui s’ensuivit et le gémissement plaintif firent penser à Marlon que ce n’était pas du jus de pomme qu’il venait d’ingérer.
« Veuillez m’excuser, jeune homme. Ce que vous m’avez montré m’a secoué, et j’ai bien cru être devenu fou pendant un instant. Asseyez-vous, s’il vous plaît. »
Lorsqu’il fut assis en face de Kelnos, Luna venant se lover à ses pieds, il se permit une réflexion au Maître.
« Désolé de vous avoir…choqué comme cela, mais vous comprendrez pourquoi je suis venu vous voir, vous et non un autre. »
Il avait enclenché son mode flatterie, celui qui avait été si efficace à Akranio, sentant qu’il pouvait tirer beaucoup d’informations de cet homme s’il la jouait finement.
D’ailleurs, Kelnos se mit tout de suite à hocher la tête frénétiquement, se resservant un autre verre qu’il but tout aussi vite avant d’en proposer un à son client, qui refusa poliment d’un signe de tête.
« Bien sûr, bien sûr, et soyez certains que j’en suis flatté ! J’ai cru comprendre que vous ne saviez pas grand-chose des familiers, peut-être puis-je vous aider ? Drian, peux-tu fermer la porte ? Je ne désire pas être dérangé. »
L’homme s’exécuta, verrouillant la porte du magasin, et Marlon ferra tel un poisson le maître familier.
« J’ai traversé des épreuves singulières qui m’ont permis d’acquérir ces Familiers, et j’ai failli y laisser la vie à de nombreuses reprises. Seulement, je n’y connais rien, vous allez devoir m’expliquer tout du début. Comment fonctionne les familiers ? Comment évoluent-ils ? Pourquoi avez-vous réagi de cette manière ? Mes informations sont trop lacunaires, et cela pourrait m’être préjudiciable… »
L’éloquence de Marlon fit briller les yeux de son interlocuteur qui hocha la tête à chaque question comme si cela semblait être la plus grande évidence du monde. Il continuait de la hocher même après qu’il se soit tu et attende une réponse.
« Bien…bien…le sujet est vaste et cela nous prendrait des heures pour en faire le tour. Je vais essayer de vous expliquer les grands principes d’une manière simple. Si je ne suis pas assez précis ou au contraire un peu trop pointu et que vous ne me comprenez pas, n’hésitez pas à me le dire, d’accord ? »
Ce fut au tour du jeune homme d’hocher la tête, et Kelnos prit une grande inspiration avant de se lancer dans son explication.
« Tout d’abord, sachez que les Familiers sont divisés en trois grandes familles. Il y a bien sûr des cas particuliers, mais ce sont des exceptions. Ces trois grandes familles sont les Familiers Chimériques, les Familiers Spirituels, et les Spirituels Invoqués. Votre Familier Chimérique a été invoqué, bien entendu, mais il restera toujours dans ce plan d’existence. Un sacrifice a été offert afin que sa vie soit entremêlée à cette réalité, et il en restera toujours ainsi, même s’il meurt. Vous ne pourrez le ramener à la vie. Et je ne parle pas des animaux que certaines personnes ont à leur coté et appellent Familiers. Ceux-là sont des compagnons, non de vrais familiers ! »
Kelnos reprit son souffle, rassemblant son énergie pour continuer l’explication longue mais très intéressante qu’il était en train de donner à Marlon.
« Les Familiers Spirituels, eux, sont des consciences pouvant communiquer avec nous. Ils proviennent d’une réalité différente, même si nous ne savons plus trop comment ils apparaissent depuis la Guerre des Mages. Souvent on croyait des gens fous, jusqu’à ce que l’on comprenne qu’ils étaient habités par un de ces familiers. Ce sont les plus nombreux et ceux que l’on rencontre le plus souvent. Nous plaçons ces familiers dans des gemmes spécifiques, ce qui permet de dissocier les deux entités physiquement, et bien souvent, le possesseur reçoit des compétences liées au Familier. »
Les yeux de Marlon s’écarquillèrent à la mention des gemmes. Il comprenait déjà beaucoup mieux la décoration murale de l’échoppe, et surtout il pouvait gagner des compétences grâce à Loki !
« J’ai toujours su que tu étais quelqu’un de vénal ! »
L’IA plaisantait, mais il sentait bien qu’elle était aussi intéressée que lui dans ce qu’ils étaient en train de découvrir. Kelnos continuait son discours sans s’interrompre, passionné par son sujet.
« Les Familiers Invoqués, eux, passent un contrat avec leur maître, étant invoqués pour une période de temps limité avant de retourner dans leur plan d’existence. S’ils sont tués, ils peuvent être réinvoqués à volonté. Mais tant qu’ils sont présents dans notre réalité, le maître doit dépenser son mana pour les maintenir ici. Il y a donc beaucoup d’inconvénients à les garder sur le long terme dans notre plan. Surtout que le contrat est généralement dissuasif de ce côté-là…mais nous n’en voyons quasiment plus. Les cercles d’invocations n’ont jamais été la spécialité de la race humaine et même les Nessos, qui étaient les maîtres de ce genre de magie, ont perdus les sorts adéquats. Les émigrés, tout du moins. Pour les natifs, nous n’en avons pas vu depuis des centaines d’années…mais je m’égare. »
Marlon leva une main, interrompant le vieil homme au bon moment, celui-ci reprenant son souffle dans un grand râle, le teint rouge d’avoir parlé autant sans prendre de pause, et à peine deux ou trois respirations. Bel exercice oratoire, s’il en était.
« Quand vous dîtes qu’un sacrifice doit être fait pour obtenir un Familier Chimérique, de quoi parle-t-on ? »
L’homme se frotta le menton et réfléchit quelques instants avant de répondre.
« Et bien, votre familier ressemble fortement à un Mantis, des félins très dangereux résidant dans les profondeurs des Monts d’Argent. Pour invoquer un spécimen de cette espèce, il faudrait avoir capturé l’essence d’un Mantis adulte, qui plus est dans un grand état de rage pour que l’empreinte d’âme soit encore plus forte. Et cela ne garantit pas la réussite du rituel. Mais c’est une étape obligatoire, et l’une des raisons pour lesquelles nous voyons très peu ce genre de bestio…de familier. Les gens ne risquent plus la vie de trente personnes juste pour une chance sur quatre d’avoir un familier. «
Drevos, ce sacré cachottier. Il avait dû capturer l’essence du Mantis après que Marlon l’ait abattu. Non qu’il s’en plaigne, mais il devait reconnaître le génie du savant loufoque qu’il avait rencontré à Akranio. Il lui en toucherait un mot s’il retournait dans la région un de ces jours.
« Et…un Familier peut-il évoluer ? »
Les yeux de Kelnos s’embrasèrent, son souffle se fit court, Marlon redoutant presque un nouvel épisode de syncope. Drian et Talki durent penser la même chose car ils se rapprochèrent subtilement de leur employeur, le regard inquiet.
« Oui, bien sûr ! Mais c’est assez rare pour ne pas être rencontré tous les jours ! Et je pense que le terme évolution est mal choisi, il s’agit plutôt d’une spécialisation. Imaginons que votre chimère évolue, ce qui m’étonnerait vu le potentiel déjà existant, alors elle ne changerait pas drastiquement. Elle gagnerait peut-être une affinité avec un élément, comme la foudre ou le feu, ce qui pourrait débloquer des capacités incroyablement puissantes, et de légères modifications physiques telles que la couleur du pelage ou bien sa taille. »
Vu le commentaire de Kelnos sur l’évolution, son monocle magique ne devait pas lui permettre de voir les mêmes informations que Marlon, qui évita de mentionner l’évolution possible non seulement de Luna, mais également de Loki. Il pourrait le tuer avec cette information. Un arrêt cardiaque ou quelque chose du genre.
« J’en reviens donc à ma dernière question…que veulent dire les qualités Dieu et Transcendantal de mon Familier Spirituel ? Bien que je comprenne le sens littéral de la première, qu’est-ce que cela implique techniquement parlant ? »
« Enormément de choses ! C’est comme…comme comparer le soleil et une flamme de bougie ! Je n’en ai jamais vu personnellement, mais de nombreuses histoires circulent dans ma famille depuis des générations, des histoires que je prenais jusque-là pour des mythes, des affabulations qui convainquaient les plus jeunes de continuer dans la même branche…mes aïeux, pardonnez-moi ! »
« Et…que disaient exactement ces histoires ? » insista Marlon gentiment.
« Eu…comprenez que ce sont des mythes qui ont surement été déformés au fil des siècles. Mais quand un Familier possède cette qualité, il n’a pas de limite. Il peut influer directement sur son possesseur, outrepasser les limitations de potentiel que possèdent habituellement les familiers, posséder des évolutions infinies alors que normalement la limite est de deux. Elles parlent également de capacités qui outrepassent celles des meilleurs mages, et même de Familiers Divins qui arrivent à créer la matière ! Mais c’est impossible, c’est contre le principe même des Familiers…quant à l’autre… »
« L’autre ? Vous parlez du côté Transcendantal ? »
« Oui…cette qualité est rarissime, bien que documentée dans les archives, contrairement au côté divin. Chaque familier possède un élément de prédilection, que ce soit les ténèbres, la foudre, l’eau, et cætera. Mais un compagnon possédant la qualité Transcendantale est à l’aise avec tous les éléments, absolument tous. C’est…dangereux, et aussi incroyablement versatile… »
Kelnos réfléchit intensément en se prenant la tête entre les mains pendant quelques secondes et quand il regarda à nouveau Marlon, c’était avec une intensité que le jeune homme ne lui avait pas encore vu.
« Je suis un passionné, et je n’ai aucun intérêt à vous nuire, mais je vous en conjure, ne parlez à personne de votre familier. Certaines personnes vous égorgeraient sans hésitation pour posséder ce que vous avez, ils brûleraient la ville s’il le fallait, et tout ses habitants avec. Un Maître de niveau Diamant n’hésiterait pas à sacrifier cette partie du continent s’il avait ne serait-ce qu’un soupçon ! »
Marlon était bien conscient de la dangerosité de diffuser une telle information. Il s’était même préparé mentalement à se battre pour réussir à sortir de la boutique quand il avait compris l’intérêt que cela pouvait avoir chez certaines personnes. Heureusement, Kelnos n’en faisait pas partie et ses gardes du corps avaient l’air de se dévouer uniquement à leur travail.
« Je n’en parlerais pas, soyez rassuré. Une question qui me turlupine encore. Comment débloquer des qualités chez nos familiers ? »
Kelnos secoua la tête avec incrédulité.
« Vous n’en aurez aucune de plus avec le familier spirituel. Pour votre chimère par contre…il faut la laisser grandir. Je ne sais pas si vous avez vu un Mantis, mais elle est encore loin de sa taille adulte, et c’est en général quand ils atteignent leur maturité que les qualités apparaissent. Quand elles arriveront, vous le saurez. Les chimères aiment manifester leur croissance de manière assez exubérante en général. »
« Et en parlant de croissance…Luna n’a que trois mois et la majeure partie de la sienne s’est faite lorsque j’étais en quête… »
Kelnos hocha la tête d’un air entendu et expliqua au jeune homme la raison de cette croissance soudaine.
« Les Familiers chimériques ont une croissance gémellaire à celle de leur maître. Ils grandissent donc quand vous tuez des créatures ou bien gagnez de l’expérience. Si elle a grandi autant…et bien vous avez dû tuer un sacré paquet de monstres ! »
Ne répondant à cette affirmation que par un hochement de tête, Marlon vit les deux gardes du corps se tendre légèrement. Ils ne l’avaient perçu que comme un client, pas comme quelqu’un pouvant menacer leur patron, mais cela venait de changer. Non qu’il veuille faire du mal à Kelnos, bien au contraire, mais il en avait la capacité.
« Et vous me parliez des gemmes, tout à l’heure. Pouvez-vous m’expliquer le principe ? »
« C’est très simple. Notre esprit ne permet pas au familier incrusté dedans de développer son plein potentiel. Un cerveau, c’est très bien, mais pas du tout adapté à la manipulation de mana que peut effectuer un Familier Spirituel. Il y a des siècles, voir plus longtemps, nous avons découvert que les gemmes leur permettaient de manipuler librement le mana et donc d’exploiter pleinement leurs capacités ainsi que leur plein potentiel. »
« Et pourriez-vous faire cela pour L…mon familier ? »
Une lueur enflammée passa dans le regard de Kelnos et il hocha de nouveau la tête avec frénésie, l’inquiétude envolée et la passion brûlant à nouveau, ses doigts battant une mesure frénétique sur son bureau.
« Ça serait un véritable honneur que de pouvoir vous rendre ce service. Par contre, il vous faut une gemme particulière, solide et pouvant faire circuler une grande quantité de mana et pouvant également cacher son statut à quiconque tenterait de le déchiffrer. Il serait dommageable de ne pas exploiter totalement votre Familier. »
Il leva un doigt en signe d’avertissement envers Marlon.
« Je vous offre la gemme, mais un Amecareth d’or sera demandé pour le transfert. Comprenez bien, vous m’offrez l’occasion d’une vie, mais je ne peux brader mon savoir-faire. Si cela venait à se savoir, je serais la risée de Delia. »
Marlon fit un signe de tête et sortit une pièce d’or de sa bourse, la posant sur le bureau et la faisant glisser vers Kelnos.
« Parfait ! Je vais aller chercher la gemme ! »
Kelnos se leva et se précipita dans une pièce attenante, Marlon l’entendant fouiller avec fracas et jurer à de nombreuses reprises. L’un des gardes se pencha vers Marlon et lui parla avec respect.
« Merci. Il commençait à s’ennuyer fermement, et même si vous l’avez presque achevé, ça fait plaisir de le revoir aussi passionné. Evitez juste de lui révéler un autre secret, il a eu suffisamment d’émotions pour l’année à venir. »
C’était Talki qui venait de parler, il lui semblait, et l’autre homme, Drian, hocha la tête avec un visage rieur. Ces deux-là semblaient être plus que de simples gardes du corps pour Kelnos, et Marlon fut content d’avoir pu rendre un service, aussi petit soit-il. Et il fallait dire que cela servait pleinement ses intérêts.
Kelnos revint quelques minutes plus tard, tenant entre ses mains un petit coffret en bois à l’air poussiéreux qui semblait ne pas avoir été ouvert depuis de nombreuses années.
Il le posa délicatement sur le bureau et l’ouvrit avec tout autant d’attention, dévoilant un joyau sombre comme un trou noir, semblant aspirer la lumière extérieure tel un vortex affamé.
« Ceci est un Sombrelune légué de génération en génération dans ma famille pour un ouvrage qui mériterait un tel joyau. Cela ne s’est jamais présenté jusqu’à aujourd’hui. Vous avez payé pour mon œuvre, aussi vais-je faire de mon mieux… »
Un sourire fiévreux s’était emparé du visage de Kelnos et Marlon eut presque l’impression de se voir dans un miroir lorsqu’il était pris de soif meurtrière. C’était le visage de la passion dévorante, quelque chose qui bousculait jusqu’à votre âme.
Kelnos jeta un coup d’œil à ses gardes et leur demanda de préparer le bureau. Sans protester, ils débarrassèrent le meuble de tous les petits gadgets et parchemins qui y siégeaient, faisant place nette avant que le joaillier ne place la gemme noire au centre du bureau avec des gestes délicats et mesurés.
Marlon ne dit rien et le regarda faire alors qu’il commençait à tracer des cercles ornés de runes tout autour du joyau. C’était d’une précision incroyable, certains motifs ne faisant que quelques millimètres de circonférence, d’autres plus larges et intriqués les uns dans les autres. Cela dura un long moment, peut-être une heure, mais la concentration de Kelnos était telle qu’elle en était contagieuse. Le jeune homme ne vit pas le temps s’écouler et se surpris à trouver des similitudes entre les runes dessinées et certaines qu’il avait vu sur les artefacts croisés jusque-là.
Les runes seraient-elles un langage magique universel, utiles dans d’autres domaines que l’invocation de sorts comme le pensait jusque maintenant Marlon ? Pourrait-il lui aussi arriver à faire ce que faisait l’homme en face de lui avec suffisamment d’expérience et une connaissance plus poussée ?
Il chassa ses pensées alors que Kelnos posait la plume magique dont il s’était servi pour les tracés et lui demandait de poser sa main sur la gemme, sans toucher au motif.
Marlon fit attention et suivit les consignes de l’homme sans hésitation. Après tout, si ce dernier avait voulu le flouer, il l’aurait déjà fait et ne se serait certainement pas donné toute cette peine pour simplement le tromper par la suite.
« Je vais maintenant activer le cercle de séparation et de transfusion. Ça ne va pas être agréable du tout, vous aurez presque l’impression d’être déchiré en deux, mais tenez bon. Ça ne durera que quelques secondes. »
Le jeune homme hocha la tête et indiqua à Kelnos qu’il était prêt. Sans attendre, ce dernier se mit à incanter dans une langue que Marlon ne reconnut pas, et il n’eut pas le temps de l’étudier, une douleur abominable prenant possession de chaque centimètre carré de son corps.
Une tornade noire se forma au-dessus de sa main posée sur la gemme et il sentit son âme se faire aspirer à l’intérieur, ou du moins une partie de son âme. Il ne put retenir un cri qui résonna dans la pièce dénuée de meubles excepté le bureau, le joaillier continuant à incanter pendant encore quelques secondes.
Puis tout fut terminé. Aussi rapidement et violemment que ça avait commencé, les volutes de vent noir disparurent et la douleur s’estompa totalement, laissant un Marlon pantois.
Kelnos, lui, était à bout de souffle, et son teint avait considérablement pali. Il tendit une chasse de gemme à Marlon ainsi qu’un collier pour attacher l’ensemble.
« Allez-y, assemblez le tout. Normalement votre familier devrait pouvoir converser avec vous comme à son habitude. Les améliorations se feront progressivement, le temps qu’il s’adapte au flux de mana continu et à l’environnement de la gemme. La Sombrelune est mystérieuse, même pour moi, mais elle n’apportera que des avantages, c’est certain. »
Marlon se dépêcha donc d’assembler le collier et la gemme, passant le tout autour de son cou avant de l’attacher et de le camoufler sous ses vêtements pour plus de discrétion.
« Est-ce que…tu es toujours là ? »
Une voix résonna dans toute la pièce, comme amplifié par un haut-parleur camouflé dans les murs, puissante, autoritaire, tordue, exactement celle à laquelle il s’était habitué.
« OUI, JE SUIS…je suis toujours là ! et c’est incroyable ! Je n’aurais jamais cru pouvoir récupérer ce niveau de conscience…merci à vous, Kelnos, je vous suis infiniment redevable ! »
« C’est un honneur ! Et si cela ne vous embête pas », dit-il à Marlon, « j’aimerais que vous passiez me voir d’ici quelques semaines pour constater l’évolution des capacités de vôtre familier ainsi que l’influence que cela aura sur vous ? «
« Bien entendu, ce sera avec plaisir, Kelnos. Mille fois merci. »
Marlon n’avait pas forcément l’intention de tenir sa promesse, mais il ne voulait pas braquer le joaillier si jamais il avait besoin de lui dans l’avenir.
Le joaillier paraissait épuisé, aussi le jeune homme ne s’éternisa pas, le laissant se reposer et surtout se remettre des nombreuses émotions par lesquelles il était passé.
Ils s’échangèrent encore quelques paroles de remerciement et des promesses de visite, Marlon disant à l’homme de venir assister au tournoi de l’Arène s’il voulait voir ses compétences en action. Il remercia également les deux gardes qui lui serrèrent chaleureusement la main et finalement il s’éclipsa de la boutique, sortant dans la rue.
Le soleil avait fini de se coucher, à la grande surprise du jeune homme, et les rues s’étaient vidées, seules quelques carioles et passants défilant encore sur l’avenue commerçante.
« Alors tu ressens vraiment une si grande différence ? »
La voix résonna cette fois-ci dans la tête de Marlon, espiègle et empreinte d’une joie perceptible.
« Tu n’imagines pas à quel point. Cher Marlon, tu vas littéralement ADORER ce que je suis maintenant capable de faire ! »
Le rire de Loki résonna dans sa tête alors qu’il se dirigeait vers son auberge, impatient de se remplir la panse et de découvrir les nouvelles capacités de Loki.