Nefolwyrth
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Chapitre 37 – Démon contre démons
Chapitre 36 – Face-à-face divers Menu Chapitre 38 – En quête d’Haven Gleymt

-1-

Les participants du tournois montaient dans la pénombre les marches de l’arène, jusqu’à baigner dans la lumière. Tous reconnurent avec stupéfaction que le bouche-à-oreille avait fait son effet. Les gradins, à l’exception de la partie réservée à la noblesse, étaient pleins.

Parmi cette foule impatiente, j’identifiais le visage de certains des spectateurs de ce matin.

L’heure des demi-finales était venue, ce qui signifiait que j’allais enfin faire mon deuxième combat.

Luaine : « On accueille tout d’abord l’un des deux grands favoris de ce tournoi : Lucéard ! »

Je m’avançais sous les acclamations de la foule. La plupart d’entre eux ne m’avaient pas encore vu me battre. Néanmoins, l’annonce me faisait passer pour un surhomme.

J’étais particulièrement serein. J’avais plus confiance en mes actions qu’en mes mots, et j’avais plus appréhendé les discussions que j’avais eu pendant la pause que le combat qui m’attendait. À présent, je n’avais qu’à laisser parler les armes.

Luaine : « Il affrontera le challenger de ce tournoi dans un des matchs les plus attendus de cette compétition, le prince qui vient d’éveiller sa magie : Efflam ! »

Kana : « Allez Lucéard ! Allez Efflam ! Donnez-tout ! »

Tous les participants nous encourageaient. Certains Vespère soutenaient exclusivement Efflam, espérant voir leur héros en finale.

Efflam se rendit à son tour sur le terrain, et me fit face. Son entrée avait été beaucoup moins dramatique. Il semblait toujours aussi résolu, mais le calme qui émanait de lui était plutôt inquiétant de mon point de vue.

Lucéard : « Ça fait quelque chose quand même tout ce monde qui hurle autour de nous. Je sens quelque chose de différent de mon premier combat. Ce n’est pas désagréable. »

Efflam : « Tu l’as dit, rien que l’idée qu’ils soient tous là pour notre duel, ça me donne des frissons ! »

Luaine : « Combattants, choisissez vos armes ! »

Pratiquement tout le monde autour de nous scandait le nom de la flamberge.

Ellébore : « Le cimeterre ! Le cimeterre ! »

Pour que je ne me sente pas trop lésé, quelques participants suivirent le mouvement de mon amie.

Efflam : « Cette fois-ci, ce ne sera pas une simple flamberge ! Ce sera le réceptacle de ma volonté de vaincre, le réceptacle de mes forces magiques ! J’invoque la flamberge ! »

Il ne put s’empêcher de rendre ce moment dramatique.

J’entendis ensuite Léonce m’interpeller au milieu de la cohue. Je me tournais vers lui.

Léonce : « Fais nous rêver, Roodbruin ! »

Je souris en coin.

Celui-là…

Lucéard : « Pour moi, ce sera le cimeterre ! »

L’arme apparut dans ma main instantanément.

Je vais te montrer plus têtu que toi, Efflam.

D’un regard, mon cousin comprit mes intentions, et y répondit en s’avançant.

Efflam : « Je suis content. J’ai l’impression que toi et moi allons enfin devenir amis. »

Je m’étonnais qu’il pense à pareille chose quelques instants avant notre duel.

Efflam : « Je ne voudrais pas tout gâcher en me montrant impitoyable dans ce combat comme ça a été le cas dans le précédent. J’espère que je réussirai à ne pas trop m’emballer. »

Alors c’était pour ça…

Lucéard : « Ce n’est pas la peine. Je t’en voudrais que si tu ne te donnes pas à fond, Efflam. …Et puis, peut-être que le moment est mal choisi, mais… Je suis désolé du comportement que j’ai eu toute notre enfance. »

Tante Luaine qui avait aussi entendu ces paroles murmurées eut l’air plus surprise encore qu’Efflam.

Efflam : « Bah, c’est déjà plus qu’oublié, allez, en garde, maintenant ! T’as pas intérêt à te retenir non plus ! »

J’avais l’air malin. Je pensais avoir de quoi culpabiliser pour le restant de mes jours, mais ses paroles me donnèrent l’impression que ce n’était pas grand-chose. Je me retrouvais troublé par sa magnanimité.

J’accrochais ma flûte-double à ma ceinture en préparation du combat. Efflam reconnut immédiatement ce que symbolisait cette seconde arme.

Lucéard : « Ne t’en fais pas, je compte bien gagner ce tournoi… Pour Nojù ! »

Malgré sa concentration, le jeune homme se retrouva ébranlé par mes mots.

Certains participants m’avaient entendus depuis leur place.

Kana : « Lucéard… »

Ma cousine était enchantée.

Brynn : « Décidément, il grandit à une vitesse… »

La sérénité de Brynn inspira celui à côté de lui.

Talwin : « Les choses devraient aller pour le mieux à partir de maintenant ! »

Aenor, en retrait, fronçait les sourcils, mécontente.

Luaine : « Commencez ! »

S’écria l’arbitre, le sourire aux lèvres.

Efflam : « Je n’ai que trop attendu ce combat, Lucéard ! »

Lucéard : « Eh bien, tu vas être servi ! »

M’exclamai-je en attrapant dès le début la flûte-double.

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

La lame de lumière partit à pleine vitesse sur mon adversaire, qui me surprit en l’esquivant, même si ce fut de justesse. Le sort se heurta contre les gradins, attisant l’enthousiasme du public.

Moi qui comptais épargner au maximum mon mana pour le combat contre Léonce… Mais maintenant qu’il m’a sommé de tout donner, ce serait déplorable de ne pas mettre tous mes moyens en jeu.

Sans se laisser intimider, il fonça de plus belle dans ma direction.

Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »

Pour tenir ma parole, je devrais même essayer d’en finir avec toi d’un seul coup !

Il devina presque d’instinct que je visais ses jambes, et bondit pour ne pas se faire attraper. Il exécuta lors de ce saut une pirouette, lui permettant de se retourner pour apercevoir la bande magique revenir à la charge, qu’il trancha avec sa flamberge.

Lucéard : « C-comment ?! »

Comment a-t-il pu deviner que je ferai ça ?

Néanmoins, il allait atterrir dos à moi après cette magnifique démonstration d’agilité, et j’allais pouvoir le cueillir par surprise.

Au moment où ses pieds touchèrent le sol, j’étais derrière lui, et je brandis mon arme.

Mon adversaire envoya soudainement sa jambe en arrière, et son pied heurta directement mon abdomen, me projetant au loin.

U-un effet diogellois ?!

Lucéard : « AUXILIA EIUS »

D’un claquement de doigt, je fis apparaître un bouclier qui amortit ma chute. Je n’allais pas sortir du terrain, mais ce réflexe aurait pu me sauver la mise.

Efflam : « J’ai bien fait de rendre cet hommage à Talwin. »

Son frère dans les gradins était ému. Efflam revêtait ces étranges bottes en matière diogelloise.

Je ne le sous-estimais pas, mais il y a vraiment quelque chose de louche. Il est trop perspicace.

Une idée me vint en tête.

…Je ne vois pas beaucoup d’autres explications.

Lucéard : « Je vais déjà devoir utiliser mon sort ultime, on dirait. Prépare-toi ! »

Efflam sursauta, mais répondit vaillamment.

Efflam : « Approche ! »

Lucéard : « CROCHENWAITH EIUS ! »

Efflam : « Qu’est-ce que ?! Je ne le connais pas celui-là ! »

Alors c’était bien ça…

Lucéard : « Il faut croire qu’il ne t’a pas tout expliqué. »

Le sort qu’attendait Efflam ne vint pas.

Efflam : « Heu ? »

Il connaît les sorts que j’utilise, et si j’ai raté le moment où il annonçait ses cestes de pieds, c’est à cause de lui.

Léonce souriait d’un air railleur. Je ne l’imaginais pas du genre à faire des coups bas. Peut-être avait-il fait ça uniquement pour me titiller ? Je savais mieux que quiconque qu’il mourrait tout autant d’envie que moi que nous nous retrouvions en finale.

Lucéard : « Ça t’amuse, Gartner ?! »

Le garçon souriait, fier de lui. Sa voisine venait de reconnaître la référence dans le nom de mon attaque factice, et faisait la tête.

Efflam : « Heu, on m’explique ? »

Lucéard : « Léonce t’a briefé sur mes attaques magiques ? »

Efflam : « Oui, il m’a dit que ça te tenait à cœur que le combat soit le plus équilibré possible, donc j’ai fini par céder. Mais honnêtement, je comptais faire sans. »

Je soupirai.

Léonce : « Haha, sans rancune ! »

Quel vaurien, celui-là !

Je me remis en garde, nullement inquiété.

Léonce est loin de connaître toutes mes combines, de toute façon.

Efflam : « À mon tour cette fois-ci ! »

Même si ce qui venait de se passer l’avait un peu confus, il reprit aussitôt son sérieux.

Lucéard : « Oh non, ton tour ne viendra pas, Efflam ! »

Tandis qu’il avançait, je jetais directement mon cimeterre dans sa direction, comme un couteau de lancer.

C’était du déjà vu dans ce tournoi, et Efflam n’eut aucun mal à éviter malgré le minime effet de surprise.

Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »

Le ruban qui se matérialisa était légèrement plus sombre que le précédent, ce que je remarquais pour la première fois.

Au grand étonnement des gradins le sort dévia avec aisance de sa trajectoire, agrippa le cimeterre encore en l’air, et le ramena avec la violence d’un fouet, qui frappa Efflam au flanc sans qu’il n’ait pu se défendre, et l’éjecta quelques mètres plus loin.

Talwin soufflait de soulagement, constatant que ça n’avait pas suffit à faire sortir le garçon du terrain.

Seul Léonce n’était plus focalisé sur l’action en cours.

Léonce : « Ellébore ? Tout va bien ? »

La demoiselle à côté de lui était pâle, et respirait difficilement.

La vision de ce cimeterre au bout de ce sort avait rappelé fugacement un atroce souvenir à mon amie. Elle cachait ses mains tremblantes entre ses cuisses.

Ellébore : « P-pas de problème… »

Elle surjoua quelque peu, et attira autant qu’elle le pouvait l’attention sur le combat. Néanmoins, Aenor, quelques rangs derrière, la fixait intensément.

Efflam : « C’est vrai que la magie, ça rend les combats encore plus intéressants ! »

Sur cette déclaration, il leva sa flamberge vers les cieux.

Efflam : « Cette fois-ci, je reprends le contrôle de ce match ! »

Je me mettais en garde. Je comptais l’acculer jusqu’à ce qu’il échoue, mais ses pouvoirs étaient une inconnue pour moi, et je devais autant que possible m’en méfier.

Efflam: « WAAAAAAAAAAAAAAAARRRHHH ! »

Il abattit devant lui sa flamberge.

Efflam : « GOLDEN BURNING SLASH ! »

Hein ?

Je crus voir pendant une seconde une flamme émaner de son arme, mais rien n’était moins sûr.

Efflam : « Je ne comprends pas ! J’ai pourtant mis tout mon cœur dans cette attaque ! Et puis je lui ai trouvé un nom classe ! »

Je ne suis pas sûr que le nom fasse la différence…

Lucéard : « Pas toutes les magies ne fonctionnent de la même façon. Pour la magie musicale, ça marche principalement avec le “cœur” comme tu dis, mais rien ne dit que ça vaut pour la tienne. »

Même si ça lui conviendrait bien ce type de magie.

Lucéard : « Et puis, tu sais ce qu’on dit, on déploie une force supérieure à ce qu’on peut réaliser en temps normal pendant l’éveil magique. Tu ne dois pas t’attendre à faire quelque chose comme tout à l’heure, mais tu pourrais faire une attaque décente en très peu de temps si tu t’y entraînes. »

Efflam avait l’air ravi à l’idée d’avoir autre chose à entraîner que ses muscles et sa technique.

Luaine : « Eh bien, jusqu’à la fin de ce tournoi, tu es interdit de magie, Efflam. »

Le jugement implacable de sa mère venait de tomber. Pas de magie.

Efflam : « Mais ! »

Luaine : « Oui, je sais bien ce que j’ai dit. Mais c’est dangereux de te laisser utiliser de la magie que tu ne maîtrises pas. Tu aurais dû te douter qu’il ne fallait pas y compter. Tu imagines si ton attaque de tout à l’heure avait touché Ceilio ? »

Le garçon savait évidemment tout ça, après tout, il avait dévié son coup à la dernière seconde, en réalisant qu’il risquait de blesser son cousin.

Efflam : « Mais la magie royale a pour affinité la lumière, non ? Elle doit donc être quasi-indolore… ? »

Je soutenais le choix de ma tante et m’immisçai dans la discussion.

Lucéard : « Pas toutes les magies de lumière sont inoffensives, et puis, on n’est même pas sûr que la tienne soit vraiment de cet élément. Il y a autant de chances qu’elle soit de feu, et inutile de te dire que le feu est la magie élémentaire de destruction par excellence. Il est vraiment trop tôt pour que tu utilises tes pouvoirs, Efflam. »

Dit celui qui a lancé des sorts à tour de bras sur des bandits dès qu’il a éveillé la sienne.

Après y avoir réfléchi une seconde, Efflam passa à autre chose.

Efflam : « Tant pis ! »

Il se remit en garde, et je fis de même. Et quand il fut certain que j’étais concentré sur notre combat, il revint à la charge.

Hélas pour lui, je ne comptais pas ferrailler avec lui. Sa flamberge avait le dessus en portée comme en puissance.

J’aurais aimé continuer ce combat plus longtemps…

Il feinta son coup, et passa sur ma droite, tentant de me prendre à revers.

Lucéard : « AUXILIA EIUS. »

Il remarqua le sourire discret qui venait de prononcer ces mots, et entendit le claquement de doigt qui s’en suivit.

Le bouclier apparut juste à côté de moi, plus petit que d’habitude. Son attaque s’y heurta et rebondit légèrement. J’avais tout le loisir d’agir, étant à l’extérieur du sort, et d’une estocade décisive, j’expédiai directement Efflam dans la zone de chute.

Léonce : « Quand est-ce qu’il est devenu aussi fort… ? »

Le public était médusé. Nombre d’entre eux avaient vu les prouesses d’Efflam pendant les quarts-de-finale, et pensaient que sa rage de vaincre le mènerait jusqu’à la victoire. Mais le prince qu’ils n’avaient pas vu se battre l’avait dominé tout le long, et battu sans effort.

Talwin : « J’ai la rage qu’il ait perdu comme ça après tout ce qu’il a donné… Mais quand même… Quelle classe, Lucéard ! »

Luaine : « La victoire revient à Lucéard ! Il est le premier qualifié pour la finale ! »

Une ovation se fit entendre, à la fois pour le gagnant, mais aussi pour remercier Efflam de tout ce qu’il avait apporté à ce tournoi.

Lucéard : « Éveiller ta magie a dû te fatiguer, et ce nouveau pouvoir doit te préoccuper. Mais si nous n’avions pas eu le droit à la magie, je suis sûr que ce combat aurait été palpitant. »

Efflam se relevait péniblement.

Efflam : « Je pensais que ça serait plus rageant que ça… Mais tu n’as pas à minimiser ta victoire. J’ai senti au seul coup que tu m’as porté que tu étais bien au-dessus du niveau de Ceilio et du mien. Même si on met la magie de côté, j’ai encore du chemin à faire… »

Malgré son esprit de compétition exacerbé, dans la victoire comme dans la défaite, Efflam était un adversaire admirable, et j’étais fier d’avoir pu l’affronter.

Efflam : « Bravo ! »

S’ensuivit une ferme poignée de main qui raviva l’enthousiasme du public.

Ce moment de complicité fit réaliser quelque chose à l’arbitre.

Luaine : « Oh, c’est ça ! J’avais complètement oublié de vous faire vous serrer la main à la fin des combats ! »

On sourit tous les deux à la duchesse.

Je suis sûr que ça aurait été amusant avec certains…

Efflam : « Lucéard. »

Le garçon en face de moi attira mon attention.

Efflam : « Si Nojùcénie regarde ce tournoi en ce moment, sois sûr qu’elle ne veut voir gagner que toi ! Mais rien ne pouvait la rendre plus fière que te voir participer avec autant de bonne volonté ! Je suis sûr qu’elle en rêvait. Donc surtout, n’oublie pas que ta priorité numéro 1 c’est de t’amuser. Et la seconde, c’est de gagner cette finale, Lucéard ! »

Décidément, ça faisait beaucoup en une journée. Je me retrouvais un peu déboussolé par ses paroles. Même avec cette nouvelle résolution en tête, quelque chose me pinçait toujours le cœur.

Elle aurait aimé y participer avec moi, sans doute…

Efflam : « Ça alors ! »

Mon cousin inspectait une entaille sur son bras, un peu de sang en coulait.

Efflam : « Comment j’ai pu me faire ça, moi ? »

Il repartit, décidant de ne pas y accorder plus d’importance, et se fit charrier par Talwin à son retour dans les gradins.

Je repartais moi aussi à pas lents, et sentais un lourd regard peser sur moi.

-2-

Luaine : « Et nous voici à la seconde demi-finale, qui opposera l’autre favori de ce tournoi, j’ai nommé Léonce ! »

La foule était en délire. Je croisais le favori en question dans l’escalier.

Léonce : « Rendez-vous sur ce terrain dans quelques minutes. »

Lucéard : « Profite bien, tu riras moins tout à l’heure ! »

J’ignorais pourquoi, mais depuis que nous étions au courant de ce tournoi, nous mourrions tous les deux d’envie de nous affronter. Le grand moment approchait.

Luaine : « J’appelle ensuite le plus inattendu des demi-finalistes, Goulwen ! »

Le jeune homme se leva, et je le croisai aussi sur mon chemin.

Il dégageait quelque chose de terriblement inquiétant. Son regard était fixe, et il n’avait pas répondu au mien.

Qu’est-ce qui lui arrive… ?

Aenor le rattrapa rapidement, et me lança un rapide et féroce coup d’œil avant de repartir.

Aenor : « Goulwen ! »

Avant que celui-ci ne monte sur le terrain, elle l’interrompit d’une voix sévère.

Aenor : « Je sais à quoi tu penses, mais n’essaye pas de gagner à tout prix. Suis mes indications et tout se passera bien. »

Quelque chose clochait dans le ton de la fillette, elle semblait prendre les choses beaucoup plus au sérieux que jusqu’ici. Mais dans son état, Goulwen ne l’écouta pas, et monta la marche pour se retrouver face à Léonce.

L’arbitre était plongée dans ses pensées et projetait déjà ses activités d’après-tournoi.

Luaine : « Il me reste pas mal de pommes à cidre de Corbrume… Je pourrais aussi faire un crumble… »

À ce moment de la journée, ma tante avait pris l’habitude de faire une sieste, ce qui expliquait une certaine baisse d’intérêt pour le tournoi qu’elle arbitrait.

Léonce se sentait mieux aussitôt qu’il eut son hachoir géant en mains.

Léonce : « Allez Goulwen, prends ta masse et amène-toi ! Je n’ai pas eu un seul combat digne de ce nom depuis le dé- »

Léonce venait de se rendre compte que l’expression sur le visage de Goulwen n’avait rien de naturel. C’était quelque chose que seule sa famille avait déjà eu le malheur de voir.

Aenor, elle, avait deviné qu’il était sous l’emprise de sa vorace gourmandise, et qu’il n’y avait déjà plus rien à faire.

Aenor : « Goulwen, ne fais pas ça ! Je me fiche que tu gagnes ou non ! Fais juste un combat qui te rende fier ! Pas la peine de recourir à de telles bassesses ! À part Meloar, tous les nôtres se sont battus avec leurs tripes ! Goulwen ! »

Goulwen : « Je vais prendre deux arbalètes de Mis’reyndr.. »

Un sourire inhumain s’étirait sur le visage autrefois doux de mon cousin.

Aucune règle ne pouvait l’empêcher d’agir à sa guise, et ses deux armes apparurent. Il s’agissait d’une arme légendaire pouvant tirer six carreaux à la fois.

Talwin : « Oh non, mais quel crétin quand il s’y met… »

Léonce était incrédule, comme nombre d’entre nous.

Léonce : « Dis-moi que tu blagues… »

Ma tante n’avait rien dit, et regardait sévèrement son fils. Elle avait manifestement quelque chose en tête.

Luaine : Désolé Léonce, mais l’éducation passe avant les jeux.

Aenor : « Maman, dis quelque chose… ! »

La colère d’Aenor était compréhensible, mais quelque chose de plus grave encore semblait attiser ce sentiment. C’était presque comme si elle ne voulait pas voir son frère gagner.

Luaine : « Si vous êtes prêts, alors que le combat commence ! »

Léonce bougonnait dans son coin du terrain.

Léonce : « Manquerait plus que Lucéard me fasse le même coup en finale. »

Le public critiquait unanimement le choix de Goulwen, à l’exception de Meloar et Dilys qui firent mine de ne pas entendre.

En désespoir de cause, Léonce se fit conciliant.

Léonce : « Tu vois bien qu’on ne peut pas se battre comme ça ! Allez, c’est pas trop tard pour changer d’arme et faire un duel digne de ce nom ! »

Le regard froid et cruel, Goulwen lui cracha une simple réponse.

Goulwen : « Et toi alors ? Tu penses que l’arme dans ton dos n’est pas déloyale ? »

Léonce : « Hein ? »

Le jeune homme n’avait demandé que son hachoir, et tourna la tête rapidement pour tenter de comprendre de quoi parlait Goulwen.

Ce n’est que trop tard qu’il comprit.

Il para aussi vite qu’il ne le put, mais deux des six projectiles avaient réussi à l’atteindre, et le déséquilibrèrent gravement.

Le deuxième coup de l’arbalète ne lui laissa aucune chance, et il fut projeté hors de la zone de combat.

Ellébore : « Non… »

Jusque là, le public avait pris un certain plaisir à voir Léonce lutter contre une arbalète, mais tant qu’il gagnait, ils ne s’en plaignaient pas. À présent, une huée générale se fit entendre dans les gradins.

Goulwen : « … »

Le vainqueur fixait son adversaire au sol. Il ne semblait pas totalement indifférent. Il s’était monté la tête par rapport au prix qu’on lui avait promis, et ne se focalisait plus que sur les choix qui lui permettaient d’obtenir cette récompense tant convoitée. Et pourtant, une partie de lui pouvait encore être déstabilisée par l’indignation des spectateurs, et la cruauté de ce qu’il venait d’infliger à Léonce.

Luaine : « Voilà ce que tu as gagné, Goulwen. »

Annonça-t-elle, froidement.

Léonce se releva et partit sans demander son reste. Il avait toutes les raisons du monde d’être contrarié. Plutôt que de ne pas l’affronter, j’étais surtout déçu pour lui, qui n’avait pas pu se battre du tout.

Léonce : « Tch, quelle mouche l’a piqué… ? »

Le visage fermé, Léonce revint vers nous. Kana, Klervi et Ellébore se mirent autour de lui, et s’employaient activement à le consoler.

Goulwen : « Nous pouvons commencer la finale dès maintenant. »

Toujours méconnaissable, le garçon ne semblait pas encore avoir compris quoi que ce soit, jusqu’à ce que…

Aenor : « Non, prenons une pause, je dois d’abord parler à Lucéard. »

Ce n’était pas dans les plans du garçon, qui comptait abréger le tournoi, et repartir avec son dû. Il reprit son visage normal pour lui répondre, presque affectueusement.

Goulwen : « Ne tardez pas trop. Je vous attends ici. »

Aenor : « Non. »

La fillette lui faisait dos. Les épaules contractées et les poings serrés de frustration, Aenor s’était adressée à lui avec une voix faible et sanglotante.

Aenor : « …Je n’assisterai pas à votre combat… ! »

Sur ces mots, elle quitta l’arène d’un pas furieux.

Luaine se rapprocha du garçon, qui demeurait immobile.

Goulwen : « Mais… Qu’est-ce qui lui prend ? »

Luaine : « Tu ne peux pas deviner par toi-même ? »

Son ton était légèrement sentencieux, mais elle n’insista pas trop lourdement. Après tout, elle avait vu dans ses yeux que Goulwen avait réalisé avoir fait pleurer sa petite sœur.

Goulwen : « C-ce n’est pas si grave que ça… J’ai gagné sans tricher, non ? J’ai respecté toutes les règles, je me suis battu en exploitant les armes que j’ai choisies… C’était bien ce qu’on était censés faire, non ? »

Sa mère secoua la tête, elle aussi déçue.

Luaine : « Est-ce comme ça que je t’ai élevé Goulwen ? Je sais bien qu’exploiter ingénieusement les situations à ton avantage est ta spécialité, et c’est une très bonne chose. Mais est-ce que la fin justifie les moyens, mon garçon ? »

Goulwen était perdu. Ce qui l’avait poussé à agir ainsi ne l’animait déjà plus. Les mots d’Aenor s’étaient avérés assez douloureux pour qu’il revienne à ses esprits.

Luaine : « Pourquoi participes-tu à ce tournoi, Goulwen ? »

Le réprimandé baissait la tête, acculé par la culpabilité.

Goulwen : « Pas pour les tartes… ? »

Luaine : « Pour quoi alors ? »

Goulwen : « Pour passer un bon moment en famille… Pour montrer tout ce que j’ai appris avec le maître d’arme… »

Luaine : « Et ? »

La dernière réponse s’avérait plus complexe. Quand le garçon réalisa, il baissa encore la tête plus bas.

Goulwen : « P-pour qu’Aenor soit fière de moi… Qu’on gagne ou qu’on perde… »

Luaine finit enfin par sourire.

Luaine : « Tu vois quand tu veux. »

-3-

L’accès à l’intérieur de l’arène par l’entrée réservée aux nobles était un tunnel de quelques mètres, plongé dans la pénombre.

Néanmoins, l’entrée qui donnait sur la rue était plus haute et large que celle du côté de l’arène et des gradins. À cette époque de l’année, le soleil commençait à s’y engouffrer doucement.

C’était ici, à l’abri des regards indiscrets qu’Aenor m’avait conduit. Après ce combat décevant, elle était venue sans détour me demander de la suivre. Elle n’avait pas caché les forts sentiments qui la poussaient à agir ainsi. Et sous les regards perdus des autres, nous étions descendus, et sous cette longue voûte de pierre, ma cousine me fit face.

Lucéard : « Qu’est-ce qu’il y a de si urgent, Aenor ? »

Constatant qu’elle était de mauvaise humeur, je tentais de la ménager en me montrant délicat, mais mon attitude eut le résultat inverse.

Aenor : « Ne prends pas cet air là avec moi, cela ne marche pas ! Je sais qui tu es ! »

Ses mots étaient terriblement blessants. Elle parlait à un ennemi.

Lucéard : « C-comment ça, Aenor ? Je ne comprends pas… »

Aenor : « Tu es un démon. »

Le plus sérieusement du monde, elle porta cette accusation surréaliste. Ne comprenant pas ce qui l’avait menée à cette conclusion, je bafouillai ma réponse.

Lucéard : « M-mais bien sûr que non. Qu’est-ce qui te fait dire ça ? »

Aenor : « J’ai écouté votre discussion avec Ellébore, figure-toi ! Je sais tout ! »

Je me retrouvais presque pétrifié face à ce regard haineux.

Aenor : « Tu n’avais pas l’air très inquiet d’avoir un démon en toi. Tu es bien trop serein pour être honnête ! Et la raison derrière ça est toute trouvée ! »

Mon cœur battait comme si je venais d’être démasqué.

Lucéard : « Comment pourrais-je être un démon, enfin ? J’en ai juste parlé le plus calmement possible pour ne pas l’inquiéter. Je veux dire, je ne me comporte pas bizarrement, si ? »

Aenor : « Tu ne te comportes pas bizarrement ? Ne me fais pas rire ! Tu es totalement à l’opposé du Lucéard que je connais ! Et tout le monde semble avoir docilement accepté que tu te sois adouci ! Mais moi, je ne te fais pas confiance. Je ne t’ai jamais fait confiance ! »

La défiance dans sa voix me fit perdre mes mots. Le tunnel autour de nous semblait de plus en plus sombre. Comment en étions-nous arrivés là si vite ? Jusque là, tout se passait pourtant bien…

Aenor : « Tu as blessé Efflam, il y a quelques minutes. Et tu ne lui as rien dit. C’est ton sort qui l’a blessé, et tu le sais très bien ! Si tu t’es tu, c’est parce que ça t’arrangeait bien ! »

…Non…

Aenor : « Et pourtant, il devait bien s’en douter. Il se doutait que c’était toi, mais il n’a rien dit pour ne pas te faire de peine ! »

Elle semblait prendre à cœur cet incident. Je n’arrivais pas à démentir ses propos.

Aenor : « N’étais-tu pas censé protéger ta famille ? C’est ce que tout le monde a compris ! Tout le monde a pensé que tu avais fui ta maison, et laissé mon oncle seul pour devenir plus fort, pour nous ! Mais qui est-ce que tu protèges au juste ? Qui est-ce que tu protèges en nous cachant ce monstre que tu as en toi ?! »

Chacun de ses cris s’abattait comme un poignard me pourfendant le cœur.

Aenor : « …Je ne t’ai pas entendu une seule fois jouer de la musique depuis que tu es ici… Tu penses que le véritable Lucéard serait capable d’une telle chose ?! Bien sûr que non ! »

Je ne savais pas si c’était de la peur, mais la jeune fille tremblait. La simple force qu’elle insufflait à sa voix la faisait trembler.

…Tu ne comprends pas…

Un froid mordant m’enveloppait lentement.

Et si… Et si elle avait raison… ? Ce qu’elle dit tient la route, après tout…

Sa rage avait fini par m’atteindre, me faisant douter de ma propre personne.

Mon cœur ralentit lentement en constatant que dans ses yeux, la peine dominait la haine. Ses larmes ne demandaient qu’à déborder.

Aenor : « Si tu blesses Goulwen pendant ce combat… Je ne te le pardonnerais jamais !! »

Je n’avais jamais ressenti toute l’étendue de la force morale de cette fillette jusqu’à ce jour. C’était finalement de ça dont elle voulait me parler, et j’avais plus que senti le message passer.

Lucéard : « …C’est pour ça que tu t’es énervée contre lui ? »

Aenor : « Je fais tout ce que je peux pour leur éviter des ennuis, mais ces idiots n’en font toujours qu’à leur tête ! Et en particulier Goulwen… Pourquoi est-il aussi bête… ? Il a beau s’excuser à chaque fois, il finit toujours par ne plus m’écouter une fois qu’il pense avoir trouvé le moyen de s’en sortir sans mon aide. C’est toujours la même chose. »

Les yeux humides, Aenor me fit part de ce qu’elle pensait pourtant garder pour elle. La voir ainsi m’aida quelque peu à me calmer.

Lucéard : « Ce ne doit pas être facile… Après tout, la plupart des gens ont déjà suffisamment confiance en eux pour prendre leurs propres décisions par eux-mêmes. Ce serait étrange qu’ils ne se fient qu’à toi systématiquement. Mais même si tu n’as que 12 ans, je pense qu’on gagne tous à au moins écouter tes conseils. »

Aenor : « Tais-toi ! »

Toujours à fleur de peau, la princesse était presque essoufflée d’avoir tant crié.

Aenor : « Je n’ai que faire de ton réconfort ! C’est toi le problème pour le moment ! Le Lucéard que j’ai connu n’a jamais dit de telles choses ! »

Malgré la froideur de ses propos, je poursuivais.

Lucéard : « C’est vrai… Mais quelqu’un avait déjà compris tout ce que j’essaye de t’exprimer. »

Aenor : « Qu’est-ce que tu me chantes ? M’exprimer quoi ? »

Toujours sur la défensive, Aenor ne m’avait pas quitté des yeux une seconde depuis le début de cette conversation. Elle n’attendait qu’un seul mouvement suspect de ma part pour réagir.

Lucéard : « Nojù… Je me souviens encore comme si c’était hier de la fois où elle m’a dit être prête à se défenestrer sans hésitation si c’était toi qui lui demandais. »

Aenor : « Ne t’avise même pas de- »

Alors que la mention de ma sœur semblait l’avoir outrée davantage, la fin de ma phrase lui coupa le sifflet.

Aenor : « Elle… Elle a vraiment dit ça… ? »

Ses sourcils se levèrent légèrement, mais l’émotion n’avait toujours pas quitté ses yeux. Et cette expression sur son visage me rendait moi-même triste, sans que je ne sache pourquoi.

Je hochais la tête, faiblement.

La fillette s’adossa aux sombres pierres derrière elle, troublée, comme si une blessure venait de se rouvrir, la paralysant totalement de douleur.

Aenor : « Tu sais ce que j’ai reçu le jour de mes douze ans… ? »

Presque absente, ma cousine me posa cette étrange question.

Aenor : « Quand j’ai vu cette lettre de Lucécie, j’étais sûre que c’était elle. Mais il n’y avait que la plume de ton père, et tu sais très bien ce qu’il y était écrit. »

Je n’y avais encore jamais songé jusqu’à aujourd’hui. Le jour où ma sœur était morte était aussi celui de l’anniversaire d’Aenor.

J’ignorai pourquoi elle me parlait de ça, mais cette réminiscence que je lui avais infligée semblait l’avoir faite craquer. Tout comme Kana, ma présence, et à fortiori mon étrange attitude, avait de quoi les faire plonger dans quelque chose qui leur avait été lointain, presque irréel jusque là.

Aenor : « Je ne l’ai jamais dit à qui que ce soit, alors garde ça pour toi, s’il te plaît. »

Elle semblait toujours énervée contre moi, mais ses mots portaient à confusion. La fillette était en pleine tourmente.

Aenor : « D’une certaine façon, beaucoup d’entre nous ont un modèle dans cette famille. Ceilio a Brynn, Jagu a Efflam, et maintenant Klervi a Meloar… Quant à moi, depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, bien avant m’en être rendue compte, ça a toujours été Nojùcénie… »

Se confesser ainsi lui avait demandé beaucoup d’efforts. Malgré sa personnalité de meneur, son charisme indéniable, la princesse était discrète sur ses sentiments et tout ce qui la concernait. Certains avaient déjà dû deviner ce qu’elle venait de m’avouer, mais dans mon cas, même si ça me parut aussitôt une évidence, je ne m’en étais jamais douté.

Aenor : « Alors… Je t’interdis d’essayer de m’amadouer avec son nom… ! »

Tout était à présent clair. La fermeté dont elle faisait preuve à mon égard se heurtait à la faiblesse qu’elle avait tenté de dissimuler. La simple mention de sa regrettée cousine, et infatigable amie, avait fait perdre tous ses moyens à Aenor.

Lucéard : « Crois-moi, Aenor… Nojù t’a toujours trouvé extraordinaire. Tu n’as pas idée du nombre de fois où elle est venue me vanter tes mérites. Je ne sais pas si elle savait que tu la considérais comme son modèle, mais je suis sûr d’une chose : elle t’admirait tout autant que tu ne l’admires. »

Tous mes souvenirs n’allaient que dans cette seule direction. Et même si ces mots pouvaient être anodins, ils ne l’étaient pas pour elle. Elle semblait aussitôt libérée d’un poids. Son armure s’était brisée, mais la fillette tentait encore de conserver son calme. Pourtant, sa voix ne faisait que faiblir, et montait dans les aigus.

Aenor : « C’est… Vrai… ? »

De fil en aiguille, je venais moi aussi de comprendre quelque chose. Ses efforts pour protéger les siens m’avaient fait réaliser ce que je m’étais toujours refusé à voir.

Lucéard : « Je viens de penser à quelque chose… »

Patiemment, et sans me quitter de ses grands yeux noyés, Aenor me laissa continuer.

Lucéard : « Quand je tentais de m’isoler, et d’échapper à vos activités, tu faisais toujours en sorte que je puisse y parvenir. Je ne le remarquais pas systématiquement, mais à l’époque, je me disais que tu étais moins hypocrite que les autres, puisque tu étais la seule à vouloir, sans te cacher, te débarrasser de moi. J’appréciais au moins le fait que tu me détestais honnêtement. »

La princesse savait où je voulais en venir, mais restait silencieuse.

Lucéard : « J’avais tout faux. Tu faisais ça pour moi, n’est-ce pas ? »

Aenor était passablement embarrassée par ma découverte.

Lucéard : « Maintenant que j’y réfléchis, tu faisais avec moi ce que tu faisais avec tout le monde : tu me venais en aide sans que je puisse me douter de tes intentions. Il y a bien d’autres fois où sans même que je m’en aperçoive, tu as cherché à m’éviter de sacrés ennuis. »

Toujours la tête haute, quoi qu’il arrive, Aenor trouva la force de me répondre avec sa franchise habituelle.

Aenor : « Je ne t’ai jamais aimé. Tout comme j’en veux à Meloar de se comporter comme il le fait, j’ai toujours trouvé ta façon d’être agaçante. J’ai toujours pensé que tu tirais les autres vers le bas. »

La fillette avait encore des mots pour me poignarder, et ne prit pas de gant.

Aenor : « …Mais j’ai fini par me faire une raison. Vous êtes tous ma famille, que je le veuille ou non, et je ferai toujours tout pour vous. À chaque fois qu’il le faudra. »

Aenor…

Malgré son hostilité, elle n’avait jamais eu l’intention de m’abandonner à mon sort, j’en étais à présent convaincu.

Aenor : « Nojùcénie pensait qu’un jour nous serions tous unis. Qu’on jouerait tous ensemble avec le même entrain, quel que soit notre âge, quelle que soit notre personnalité. Elle… Elle croyait même dur comme fer que tu finirais par être un cousin exemplaire. C’était grotesque. Mais… »

Ses lèvres tremblaient, toutes ces émotions étaient trop dures à contenir pour une enfant.

Aenor : « Mais venant d’elle… Venant d’elle, j’étais prête à y croire… ! »

Me voir sourire à un tel moment l’étonna.

Lucéard : « La voilà ta raison… »

Aenor : « Heu… ? »

Lucéard : « Un simple démon n’expliquera pas tout ce qui a changé chez moi. Au fond, toi plus que quiconque peut deviner quel événement a fait de moi celui que je suis aujourd’hui. »

Elle me dévorait du regard, dans un silence complet, essayant de retenir ses larmes jusqu’au bout.

Lucéard : « Il y a des choses dont je me suis rendu compte que bien trop tard, et je n’y pourrais jamais rien… Mais je peux au moins devenir celui qu’elle pensait que j’étais, celui qu’elle voyait en moi. Et sans que je ne m’en rende compte, elle est aussi devenue un modèle pour moi. »

Cette révélation la laissa pantoise.

Lucéard : « Pourtant, je suis encore loin d’être le cousin qu’elle t’a décrit… Mais je ne laisserai pas ses paroles être vaines, tu peux me croire ! Et ce que j’ai en moi, je t’en fais la promesse, je m’en débarrasserai ! Je rattraperai tout le temps que j’ai perdu avec vous, et je traînerai Meloar s’il le faut ! Je réaliserai… Je réaliserai tous les rêves de ma sœur ! »

Mon dernier cri la fit sursauter. J’avais probablement été crédible, mais mon intention n’était pas de m’emballer autant. Quand je me rendis compte de la stupéfaction sur son visage, je baissai d’un ton.

Lucéard : « …Enfin… J’espère que tu voudras bien de moi pour vos jeux… »

Elle fermait enfin les yeux, me faisant comprendre qu’elle ne se méfiait plus. Une goutte perla bien assez tôt le long de sa joue.

Aenor : « Si tu règles ton problème de démon, je n’ai pas de raison de refuser. …Mais ça ne veut pas dire que je t’apprécie pour autant. »

M’asséna t-elle en rouvrant ses paupières.

Lucéard : « Ça veut dire que… Tu ne penses plus que je suis un démon… ? »

Elle haussa les épaules, d’un air un peu hautain.

Aenor : « Utilise ta tête, Lucéard. Tu penses que je me serais isolée avec toi ici si je pensais que tu étais vraiment un démon ? Je voulais juste mettre certaines choses au clair. »

Je n’étais pas convaincu de son explication, même si celle-ci paraissait logique, est-ce que ses actions l’avaient aussi été ?

Lucéard : « Ou plutôt… Tu voulais me mettre à l’épreuve. »

Elle refermait aussitôt les yeux, l’air satisfait.

Aenor : « Confiance ou non, je pense avoir aperçu ce que tu ne peux pas cacher. Ce serait absurde de douter encore après ce que je viens d’entendre. Et puis, je ne sens plus que notre famille sera brisée par un éventuel incident. Du moins, ce tournoi ne connaîtra pas une fin aussi tragique que ce que j’imaginais. »

Je peinais à croire que la situation eût pu dégénérer autant qu’elle semblait le dire. Néanmoins, la façon dont elle annonçait la chose me fit presque entrevoir le futur alternatif dont elle parlait.

Soudain, je pouvais presque apercevoir ce futur dont je venais de me détourner. Je pouvais imaginer les ténèbres s’immiscer dans chacun des mes membres, je pouvais voir la blessure sanglante sur mon adversaire gisant au sol. Sentir la méfiance dans ma propre famille devenir de l’hostilité chez certains. Si une telle chose était arrivée, j’étais certain de sombrer dans quelque chose dont plus personne ne pourrait m’extraire. Pire encore, j’aurais emporté chacun d’eux dans ces ténèbres.

M’aurait-on tendu la main si une telle chose s’était produite ? Sans doute. Et pourtant…

Ma respiration s’était accélérée. Ce que j’avais perçu était si réel, comme si c’était arrivé dans un monde si proche, bien qu’inaccessible.

Aenor a anticipé quelque chose de crucial, c’est indéniable. J’ai beau trouver ça surréaliste, je ne peux pas m’empêcher de penser que ça a été évité grâce à elle. Après tout, c’est peut-être grâce à ça qu’elle arrive à juger les situations avec autant de brio.

Je retrouvais peu à peu mon calme.

Lucéard : « Merci, Aenor. »

Elle n’avait pourtant pas prévu cet élan de gratitude.

Aenor : « A-attends ? Tu ne dis pas ça pour me faire plaisir… ? Tu me crois vraiment ? »

À l’entendre, les autres devaient penser qu’elle avait tendance à trop extrapoler, et ne prenait certainement pas ses mises en garde au sérieux. Je me mis à rire, paisiblement.

Lucéard : « Il faut croire que j’ai moi aussi une confiance aveugle en toi, en fin de compte. »

La lumière perçait enfin dans ce tunnel, derrière moi, et fit étinceler le regard constellé de ma cousine. Son sourire était entier, sincère, et sur son visage comme dans sa voix, elle laissa transparaître ce qu’elle avait de plus enfantin.

Aenor : « Ne me fais pas de faux espoirs, hein ? À partir de maintenant, je compte sur toi pour jouer avec nous tous ! »

Je hochais la tête, répondant à sa bonne humeur.

Lucéard : « Je ne te décevrai pas, Aenor ! »

Quand l’astre du jour passa derrière mon visage, la vive lumière l’éblouie, et sur mes lèvres, elle vit un autre sourire se superposer au mien. L’espace d’un instant, ils lui parurent se confondre.

La fillette écarquilla les yeux, refusant presque de croire à ce qu’elle venait de voir. Refusant presque de croire à ce qu’elle venait de ressentir.

Aenor : Ce ne peut pas être vrai… Lui… ?

-4-

Des goélands planaient sous les nuages légèrement rosés de cette fin d’après-midi.

Les visiteurs de la Vieille Arène discutaient paisiblement, chaudement couverts. Il n’y avait là que des citoyens oisifs qui n’avaient rien de mieux à faire qu’attendre la finale de ce tournoi.

L’arbitre croisait les bras, tapant du doigt contre sa manche. Elle commençait à penser que cette petite entrevue d’avant-match avait plus duré que ce qu’elle avait prévu.

Néanmoins, les soudaines acclamations venues des gradins la sortirent de ses pensées.

Sa fille et son neveu étaient revenus. Et même si ce ne fut l’affaire que de quelques minutes, elle remarqua instantanément que quelque chose avait changé en nous, ce qui lui inspira une grande satisfaction.

Luaine : « Les voilà ! La finale du Royal Fight est imminente ! »

Talwin : « Pas trop tôt ! »

Les spectateurs affichaient déjà leur soutien total pour moi. En réalité, ils devaient certainement espérer la défaite de Goulwen.

Ce dernier fut gêné de nous voir revenir. En particulier sa sœur, à qui il n’osait pas parler. Je remarquai néanmoins qu’il était revenu à la normale pendant notre absence.

Les Vespère répondirent à la majorité en soutenant leur frère. Ils savaient que le fautif avait reconnu ses torts, et qu’il méritait lui aussi des encouragements.

L’engouement de cette finale fit pousser des ailes à la duchesse.

Luaine : « Il vient de monter dans la zone de combat, c’est le grand favori de ce tournoi. Le premier finaliste, le cinquième prince de sang de Deyrneille, Lucéard Elurdel de Lucécie ! »

Cette fois-ci, on eut même le droit à avoir notre second prénom annoncé. La tension remontait rapidement.

Luaine : « Son adversaire l’a patiemment attendu de l’autre côté du terrain. Malgré ses erreurs de parcours, il a déjà prouvé sa volonté de vaincre, défiant tous les pronostics ! Le onzième prince de sang du royaume, Goulwen Wylan de Port-Vespère ! »

Les plus fidèles des spectateurs se souvinrent de son premier combat, et oublièrent progressivement leur rancœur.

Luaine : « Finalistes ! Choisissez vos armes ! »

J’entendais aussitôt le cimeterre se faire scander par des voix familières ainsi que par des cris inconnus.

Lucéard : « Ce sera le cimeterre pour moi ! »

Une fois l’arme en main, je lançais un regard déterminé à Goulwen.

Lucéard : « Alors, prêt pour un duel entre démons ? »

La princesse aux yeux vairons sourit en coin.

Aenor : « Que c’est de mauvais goût. »

Le regard de mon cousin devint inquiétant. Je ne redoutais aucune arbalète, contrairement aux autres participants, mais je n’avais de toute façon aucune raison d’être inquiet. Cette fureur de vaincre dans ses yeux n’était plus la même que lors de son combat précédent.

Goulwen : « Pour moi, ce sera deux masses, une targe, une lance, ainsi que des cestes de pied ! »

Jusqu’au bout de ce tournoi, le choix des armes avait suscité la surprise de l’audience, et celui-ci ne fit pas exception. Ce choix n’était pas aussi paresseux que ses précédents. Il comptait en découdre sans se ménager.

Goulwen : « Et le plus important… »

Il se tourna ensuite vers sa sœur.

Goulwen : « Je suis désolé, Aenor. Et je m’en veux aussi de ce que j’ai fait à Léonce. Je ne suis clairement pas digne de te demander ton aide après ça, néanmoins… Nous participons tous les deux à ce tournoi, alors, accepterais-tu de te battre à mes côtés une toute dernière fois ? »

La fille acquiesça lentement de la tête. Son regard l’avait convaincu.

Aenor : « C’est bien mon intention, oui. »

Elle plongea ensuite son regard dans le mien, confiante.

Aenor : « Navrée Lucéard, mais je ne resterai pas spectatrice, je serai aussi ton adversaire pour ce combat. »

Lucéard : « J’espère bien ! »

L’excitation s’était rapidement propagée de nouveau.

Talwin : « Et dire que la disposition des combats les opposaient diamétralement. Qui aurait cru qu’ils se retrouveraient tous deux face à face à la fin ? »

Efflam : « Lucéard joue dans une toute autre catégorie, hélas. Goulwen n’est pas si mauvais, mais je n’irai pas jusqu’à dire qu’il fasse partie des cinq meilleurs de ce tournoi. Cela dit, il ne s’est pas non plus retrouvé en finale sans raison. J’ai hâte de voir ça ! »

Léonce : « Se charger en arme pour compenser son manque de mobilité, c’est une idée en or. J’aurais aimé qu’il fasse ça dès notre affrontement. »

Grâce aux filles à côté de lui, Léonce était déjà passé à autre chose, et considérait à présent que plus notre duel arrivait tardivement, plus il serait intéressant.

Ellébore : « J’ai envie de les encourager tous les deux, mais pour ce combat, tout mon soutien va à Lucéard ! »

Kana : « Allez vous deux ! Vous êtes les plus forts ! »

Celle-ci ne prit pas partie.

L’ombre des combattants s’était étirée jusqu’à disparaître. Le terrain se couvrait lentement d’une lumière d’ambre.

Goulwen avait rangé stratégiquement ses armes. Dans ses mains ne se trouvaient que la grande targe qu’il avait choisie, et l’une de ses masses.

Je frappais le vide avec mon cimeterre avant de me mettre en garde. Mon autre main était prête à attraper la flûte-double à tout moment.

L’arbitre leva le bras, attirant toute l’attention. Le silence était pour l’espace d’un instant parfait.

Luaine : « Que le combat commence !!! »

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

Sans lui laisser la moindre chance, je lui lançais mon attaque la plus rapide d’entrée de jeu.

La lame était bien plus sombre que tout à l’heure.

…Quoi ?! Pourquoi ?! Non, ce ne serait pas…!

Paniqué par mon propre sort, ce qu’avait entrevu Aenor me revint comme un sinistre présage. Goulwen se mit derrière sa targe, intimidé par cette sombre attaque.

…Mes sorts ne sont pas pour blesser !

La lame dévia de sa trajectoire et s’écrasa contre un mur de l’arène dans une explosion.

J’ai réussi à la dévier ? C’est la première fois que je fais ça !

Aenor avait deviné ce qui m’avait poussé à agir ainsi. Pour les mêmes raisons qu’Efflam, je ne pouvais pas me fier à ma magie offensive pour ce combat.

Aenor : « Goulwen ! B-2 ! Sois extrêmement prudent, il doit pratiquement avoir le niveau d’un chevalier ! »

Son cri alarmiste inquiétait davantage le garçon.

C’est gentil, Aenor, mais je crois que tu me surestimes carrément, là.

Goulwen se mit en mouvement, et brandit sa masse après s’être suffisamment rapproché.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Comme contre Efflam, j’utilisais le bouclier pour parer son coup sans me retrouver coincé à l’intérieur.

Je frappais instantanément avec cette Caresse factice, devinant qu’il ne se laisserait pas avoir par le même coup.

Il interposa en effet sa targe, et ne subit qu’un léger recul.

Il tenta de me rendre un coup de pied juste après. Néanmoins, la souplesse n’étant pas son fort, je m’esquivai sans problème en arrière.

Aenor : « Maintenant B-5 ! »

Goulwen fonça sur moi, bouclier en avant, réagissant instantanément à la consigne de sa sœur.

Il me força à reculer une fois de plus.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Le bouclier apparut entre lui et moi.

Je crois que je commence à comprendre certaines choses à son code. Me conduire au bord de l’arène est son objectif.

Goulwen contourna mon sort, pour espérer me mettre dos à la marche. Néanmoins, quand la fillette qui nous observait vit le sourire sur mon visage, il était déjà trop tard pour prévenir son binôme.

Je bondis sur place, remontant autant que possible mes genoux vers mon torse.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Un bouclier grisâtre apparut sous mes pieds, et quand ces derniers s’y posèrent, ils s’y enfoncèrent à peine. J’exploitais la souplesse de mon sort pour bondir au-dessus de mon adversaire. Goulwen démontra des réflexes hors norme, et frappa avec sa masse au-dessus de sa tête, parant le coup que je lui réservais. J’atterris maladroitement derrière lui. Je n’aurai certainement pas tenté un tel saut périlleux si cette toile de brocéliane n’avait pas été là.

Aenor : « Oh non, Goulwen, A-0 ! »

La demoiselle avait beau me surestimer, elle commençait à comprendre que la plupart des stratégies classiques étaient inutiles contre moi.

Goulwen essaya de me contourner par la gauche. Nul doute qu’il tentait de revenir au centre du terrain.

Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »

Un bouclier bien plus large que les autres apparut, et coupa la route au prince qui s’y heurta.

Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »

D’un claquement de doigt, le ruban fusa à toute vitesse vers mon adversaire déséquilibré, s’enroula autour de la masse de celui-ci, et lui arracha d’un coup sec, le ramenant ensuite dans ma main.

Profitant de l’effet de surprise, je fonçais droit sur lui pour le frapper avec sa propre arme. Il para maladroitement avec sa targe et le choc le fit reculer de quelques pas.

Léonce : « Il lui en fait baver ! »

Efflam : « Il est sans pitié ! »

Talwin déglutit. Aenor ne s’attendait pas non plus à ce que je me montre aussi incisif.

Lucéard : « Ah ! Je crois avoir compris le sens de vos codes secrets. »

Cette déclaration donna encore plus l’impression à mes adversaires qu’ils étaient totalement submergés. Goulwen semblait s’en vouloir d’avoir été aussi transparent.

Goulwen : « T-tu gardes ça pour toi, hein… ? »

Ni lui ni elle ne considéraient que c’était du bluff. S’ils m’avaient mieux connus, ils auraient su que c’était bien mon genre. Pourtant, je ne mentais pas. Et même s’ils m’avaient toujours connu désagréables, toute ma famille savait que je pouvais aussi me montrer terriblement perspicace.

Kana : « Il est épatant… »

Après un hochement de tête de ma part, Goulwen sortit sa seconde masse sans me quitter des yeux.

Aenor : « Tant pis ! B-0 ! »

Goulwen prit de l’élan dans ma direction. Il visait toujours le centre du terrain pour s’extirper de cette position d’infériorité, mais je ne savais pas comment il comptait me passer.

Néanmoins, je ne comptais pas le laisser faire quoi que ce soit.

Je jetais l’arme que je lui avais dérobé vers les cieux au-dessus de lui. Ce simple geste l’avait grandement intimidé. Ses pas ralentirent en conséquence.

Lucéard : « AUXILIA EIUS! »

Je vais vraiment réussir à faire ce que je pense ?

Je bondis sur ce petit bouclier à mes pieds, me retrouvant au-dessus de lui.

Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »

Le sort s’enroula autour de la masse, tandis que je plongeais en oblique sur mon adversaire, cimeterre en avant.

Il ne put que lever sa targe au-dessus de lui, espérant que cela suffise. Tout le poids de mon corps concentré dans cet assaut aérien le contraint à fléchir les jambes pour encaisser l’onde de choc. Je me retrouvais l’instant d’après derrière lui après un atterrissage amorti par son contre-coup.

La masse lui faucha la jambe au même moment.

Il n’avait pas pu voir la trajectoire du ruban magique qui l’avait contourné, et le coup de sa propre arme s’apprêtait à le faire basculer.

Lucéard : « Et le coup de grâce… ! »

Je frappais mon cousin sans défense en plein torse, et le vit décoller sous mes yeux.

Aenor : « Goulwen, non ! »

Le combattant s’était retrouvé plus haut qu’il n’avait jamais été, sans aucune chance de retomber dans la zone de combat.

Le public se figea de surprise après avoir assisté à un tel enchaînement.

Goulwen flottait dans les airs, contemplant la beauté de ce ciel orangé.

Goulwen : Je suis au moins fier d’avoir fait de mon mieux. J’espère que vous m’avez pardonné, vous tous…

Il se tournait vers les siens, qui continuaient de s’égosiller pour lui comme si ça n’était pas fini.

Il vit enfin sa sœur immobile, qui n’eut qu’une fraction de seconde pour réfléchir et trouver la force de lui crier un dernier ordre.

Aenor : « Maintenant ! G-100 ! »

Quand Goulwen se souvint de ce code, le monde ralentit progressivement, jusqu’à l’arrêt complet.

-5-

Dans leur salle d’entraînement, il faisait déjà pratiquement nuit. Même Efflam avait fini par rentrer. Il ne restait plus que lui. Plus qu’Aenor et lui.

Goulwen : « Et maintenant… On peut arrêter… ? »

Le garçon enrobé suintait de tous ses pores, tout son corps tremblait de fatigue musculaire.

Aenor : « Dois-je te rappeler pourquoi nous nous entraînons ? »

Le gronda-t-elle avec sa sévérité habituelle. Sans amertume, il la contredit dans sa tête.

Goulwen : Mais tu ne fais rien, toi…

Il récita avec lassitude ce qu’Aenor lui rabâchait sans cesse.

Goulwen : « Nous devons nous entraîner deux fois plus que nos frères et sœurs parce que le jour où ils deviendront bons en combat, ils s’attireront encore plus d’ennuis que d’habitude… »

Elle hocha la tête, convaincue que ça lui soit rentré dans la tête, et continua de le sermonner.

Aenor : « Nous avons peaufiné nos stratégies jusqu’à F, même si nous n’aurons pas beaucoup d’occasions d’utiliser certaines combinaisons en combat diogellois. Mais actuellement, je dirais que tu es à peine le troisième meilleur de la fratrie. Efflam et Talwin sont à la fois les plus forts et à la fois les plus belliqueux, il faut à tout prix que tu les dépasses. »

Goulwen : « Tu as beau dire ça… Je n’aime vraiment pas tous ces trucs sportifs… »

La princesse lui sourit, essayant de modérer la dureté de son attitude avec un peu de douceur.

Aenor : « Si tu t’entraînes encore deux heures, je te cuisinerais moi-même un gâteau ! »

Goulwen : Rien de ce que tu cuisines n’est qualifiable de comestible, Aenor…

Soupira le grand frère.

Aenor : « Qu’est-ce que ça veut dire ce visage écœuré ? »

Face à son agacement, Goulwen dut redresser son sourire.

Goulwen : « Oh rien… Je suis juste un peu fatigué… Faisons une pause… Tant pis pour le gâteau ! »

Aenor : « C’est bon, j’ai compris le message… Si même toi tu refuses cette offre, c’est que ce que je fais est immangeable… »

La fillette baissait les yeux, déçue de ses propres lacunes. Néanmoins, elle ne lui en voulait pas. Elle reconnaissait que c’était la vérité, et accepta que les choses furent ainsi.

Elle entendit les haltères se soulever une fois de plus, et releva la tête.

Aenor : « Si tu tiens tant que ça à arrêter, arrête donc… N’essaye pas de me consoler en continuant pour me faire plaisir. »

C’était en effet cette raison qui l’animait sûrement, mais il ne s’arrêtait pas.

Goulwen : « Je ne peux pas m’arrêter ! Il faut que je sois près pour utiliser le G le moment voulu ! »

Elle le regarda d’un air sévère.

Aenor : « Qu’est-ce que c’est que ça ? On a jamais parlé d’un éventuel G, idiot. »

Avec un sourire étincelant, il expliqua le fond de sa pensée.

Goulwen : « Si un jour, tout est vraiment sans espoir, et que tu ne parviens plus à trouver de solution, j’en trouverais une à ta place ! Même si je ne suis pas aussi malin que toi, il faut que je sache réagir quand tu n’as plus le temps de me donner des indications. Donc si ce moment arrive, si tu finis par ne plus savoir quoi faire, je verrais l’occasion de gagner que personne d’autre ne peut voir, et je réveillerais le héros en moi ! »

Aenor était navrée d’entendre pareilles sottises, mais appréciait secrètement la bonne volonté dont il faisait preuve.

Aenor : « Arrête tes bêtises, je ne t’en veux pas pour cette histoire de cuisine. Tu as raison, alors pas la peine de- »

La demoiselle fut interrompue par l’excès d’enthousiasme de son frère.

Goulwen : « Et quand ce moment sera venu, tu n’auras qu’à crier G-100 ! Ce sera le seul nombre qui ira avec cette lettre, et ça signifiera… »

Goulwen : « Goulwen… 100% !!! »

Peut-être que tout était fini, mais Aenor plaçait toute sa foi en lui. Le fait qu’elle se soit souvenue de ce code prouva à Goulwen que tout ça comptait pour sa sœur. Et il n’avait plus du tout l’intention de se laisser perdre sans rien faire. Il était devenu bien plus que le démon des tartes.

Goulwen : Je sais que depuis ce jour, tu n’as pas arrêté d’essayer de t’améliorer en cuisine. Tu n’as jamais oublié cette discussion… Et moi non plus !

Après avoir précipitamment rangé sa masse, il dégaina la lance à la surprise générale, et l’empoigna des deux mains, la lame dans le mauvais sens.

Efflam : « Q-q-quoiiii ?! »

Il inclina à un angle précis son arme. Il allait atterrir sur la zone de chute à moins d’un mètre du sable qui l’entourait.

Léonce : Ça ne marchera pas ! Il n’y a plus de faille où planter ça ! Et même si elle y était encore, tu as mis la pointe vers le haut !

Goulwen : « Waaaaaaaaaaaaaaaah !!! »

Dans un cri qui nous fit tous frissonner, il étira le plus loin possible ses bras avant de se planter de toutes ses forces la lame en plein cœur au moment où celle-ci percuta la toile.

L’effet diogellois était surpuissant et renvoya mon cousin dans l’autre sens à pleine vitesse.

Talwin : « Il es fouuu !!! »

Il avait abandonné cette arme dans cette tentative insensée, mais n’avait aucune chance de pouvoir revenir des cinq mètres qui le séparait de la zone de combat.

La peau tirée en arrière par la vitesse, le garçon réussit pourtant à déséquiper la targe qu’il tenait.

Lucéard : « I-il ne va tout de même pas- »

Pris de cours par ce moment glorieux, je n’osais même plus bouger.

Mon adversaire étira ses jambes, au bout desquelles se trouvait la targe, et dérapa sur le sol les derniers mètres qui le séparait du terrain. Il conserva son équilibre sur cette planche improvisée et bondit sur la zone de combat après ce tour de force spectaculaire. Il atterrit les deux bras levés de chaque côté, formant le V de la victoire.

Luaine était bouche-bée. Il avait scrupuleusement respecté les règles et n’avait à aucun moment touché directement la zone de chute.

Luaine : Oh mon fils, tu es le meilleur ! Je te ferai la meilleure tarte de ta vie, tu peux compter là-dessus !

Sa mère était plus fière que jamais.

Goulwen : « J’ai pas encore dit mon dernier mot !!! »

Efflam : « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHH !!! »

Au moment où ce choc émotionnel fit s’évanouir son père, Efflam hurla ses tripes comme si l’intensité de cette action l’avait tout entier consumé.

Le public suivit cet engouement sans précédent.

Vieillard : « Bon sang de bonsoir ! Tu dois gagner maintenant, Goulwen ! »

Sur cette simple action, le public avait irrémédiablement changé de camp.

Aenor bondissait de joie et d’excitation ! Elle aurait pu en pleurer.

Aenor : « Goulwen ! Tu es incroyable ! »

Tous les Vespère criaient les larmes aux yeux.

Avant que je ne me sois remis de ce coup de théâtre, Goulwen fonçait vers moi, reprenant sa dernière arme en main.

Goulwen : « Cette fois-ci, c’est moi qui donne le coup de grâce ! »

Sa confiance en lui était au firmament. Dans sa course impressionnante, il se décalait légèrement, et révéla à sa droite le tunnel qui servait d’entrée au stade. Au bout de celui-ci le soleil couchant produisait ses derniers rayons. La soudaine lumière qu’il laissait passer m’éblouit. Je mis un bras devant moi pour protéger mes yeux.

Qu-quoi ?! Il n’avait quand même pas prévu ça ??

Goulwen : « Ça c’est pour Aenor ! »

Il donna un coup de pied à quelques mètres de moi. Il venait de frapper dans sa première masse qui traînait au sol depuis ma dernière attaque.

Je l’avais complètement oubliée !

Le choc diogellois entre ses cestes de pied et l’arme l’éjecta violemment sur moi, tournoyant. Avant même que je ne puisse invoquer de bouclier, je dus esquiver, mais le bout du manche m’effleura, et me déséquilibra profondément.

Goulwen : « Et ça ! C’est pour moi ! »

Sans perdre son élan, il me frappa de toutes ses forces avec sa dernière arme.

Je mis mon cimeterre contre moi pour encaisser le choc, mais il m’asséna ce coup fatal en plein abdomen comme si elle n’avait pas été là. L’impact explosif désarma mon cousin, mais me projeta au loin, bien au-delà de la limite.

Efflam : « Il l’a fait !!! »

Les yeux de mon cousin semblaient débiter des litres d’eau à la seconde.

Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »

Le souffle coupé par le coup, je parvins à prononcer les mots à la dernière seconde. Le bouclier gonfla derrière moi, alors que je m’apprêtais à me ramasser violemment contre le bout de la zone de chute.

Pouvoir me vaincre avec de telles règles alors que j’utilise de la magie relèverait de l’exploit, Goulwen. Mais tu as été à ça de le faire ! Tu es vraiment au-delà de tout ce que j’attendais, mais moi aussi j’ai quelqu’un pour qui je ne peux pas perdre !

Je m’enfonçais davantage dans le bouclier, prêt à repartir droit sur lui.

Les yeux d’Aenor s’ouvrirent en grand, elle avait anticipé ce qui allait suivre, et s’époumona une dernière fois.

Aenor : « Goulwen, vite ! Sur le dos ! »

Je me propulsais droit sur mon adversaire désarmé, avec toute l’énergie cinétique accumulée. Mon cimeterre était pointé devant moi, et fusait comme une flèche vers Goulwen.

Le garçon avait pourtant un dernier atout à jouer, que sa sœur lui avait rappelé, et se laissa tomber en arrière, comme pour faire une roulade. Il utilisa l’élan de sa chute pour relever le bassin, les pieds vers le haut.

Avec ce timing précis, il m’empêcha non seulement de le frapper, mais il me heurta des deux cestes qu’il avait aux pieds.

Goulwen : « Pour les Vespère ! »

Je fus dévié de ma trajectoire, et décolla encore plus haut dans les cieux.

Les gradins du côté de la noblesse semblaient avoir soudainement pris feu.

Aenor accourut vers la masse tombée dans le sable, comme si sa vie en dépendait, elle espérait pouvoir la renvoyer à Goulwen, avec l’accord de sa mère.

Mon oncle Evariste fut réveillé par la cohue, et quand sa vision fut claire, ce qu’il y vit le poussa à retomber dans les pommes aussitôt.

Je flottais en hauteur, le sourire aux lèvres.

Les règles m’empêchent pratiquement de perdre à cause de mes pouvoirs, mais d’une certaine façon, vous avez tous gagné votre pari…

Je lançais un regard à tous mes cousins, serein.

Je me suis vraiment trompé sur chacun de vous… Encore une fois…

Je levais une main, prêt à claquer mes doigts.

Vous êtes vraiment exceptionnels.

Sur cette concession, je prononçais l’incantation.

Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »

Je ressentis un blocage en moi. J’étais trop impliqué dans ce combat pour me rendre compte que mes réserves magiques s’étaient amenuisées. J’écarquillai les yeux.

Non ?

Le bouclier n’apparut pas, et je me retrouvais à heurter la toile en roulé-boulé, pour conclure cet atterrissage brutal dans le sable de la Vieille Arène.

Aenor lâcha l’arme qu’elle venait de récupérer après avoir vu cette scène. Elle demeurait totalement immobile, la bouche à peine ouverte.

Goulwen se relevait et pâlit en me fixant. Il n’était pas sûr de pouvoir croire ce à quoi il venait d’assister.

Des moins concernés jusqu’aux compétiteurs, un souffle d’incrédulité balaya en une seconde tout le brouhaha des gradins.

Le véritable coup de théâtre de ce combat avait eu lieu juste avant que le rideau ne se baisse sur ce tournoi.

Ma tante, la mâchoire décrochée, continuait de me fixer, jusqu’à être sûre de réaliser ce qu’il s’était passé. Elle vit finalement un pouce se lever, lui prouvant que j’avais survécu à cette chute et que j’allais bien.

Elle prit alors une grande inspiration, et cria à pleins poumons.

Luaine : « Lucéard est hors-combat ! Les vainqueur de ce premier Royal Fight ne sont autre que Goulwen Wylan ainsi que sa sœur Aenor Diona de Port-Vespèèèère ! »

L’ovation qui suivit n’eut rien à envier à toutes les précédentes. C’était une consécration, une fanfare pour les grands vainqueurs du jour.

-6-

Goulwen restait au milieu de l’arène, hébété. Il entendait son nom hurlé tout autour de lui. À aucun moment, il ne s’était senti plus fort que moi, mais il finit par se dire qu’il avait fait de son mieux pour mériter cette victoire et montra son plus grand sourire.

Sentant une présence familière, il se tourna pour apercevoir la fillette qui l’avait coaché jusqu’ici.

Elle le dévisageait sans un mot, avec une joie telle qu’elle en fit rougir ses joues, et les yeux emplis d’émotion.

Aenor : « Tu l’as fait, Goulwen ! »

Sa sœur sautilla jusqu’à lui pour enfin se jeter dans ses bras, enchantée. Goulwen réalisa enfin.

Goulwen : « …Je l’ai fait ! »

Il la serra en retour, hilare, et la fit tourner autour de lui, avant de penser à quelque chose.

Goulwen : « Non ! Sans toi, je n’aurais jamais pu arriver jusque là. »

Aenor : « Ne sois pas modeste, enfin. Mes conseils n’ont pas fait une si grande différence. C’est toi et toi seul qui a réussi à battre Lucéard ! »

Aenor rayonnait de bonheur, ce qui fit ressurgir la personnalité héroïque de Goulwen et la voix posée qui allait avec.

Goulwen : « Je ne parlais pas de tes conseils, Aenor. Je parlais de la confiance et du soutien que tu m’as apporté au moment le plus critique. Je parlais de tout ton investissement et tes efforts, avant et pendant ce tournoi. Même sans monter sur le terrain, ton engagement dans cette compétition a été tel que tu as été citée comme grande gagnante à la fin. C’est parce que tu as tout donné pour moi que j’ai pu moi aussi tout donner ! À vrai dire, je… »

La princesse l’admirait, et buvait chacune de ses paroles, attendant la conclusion émouvante de cette tirade.

Goulwen : « …Je te laisserai une part de la tarte. »

Conclut-il comme si prononcer ces mots était douloureux pour lui.

Aenor : « Comment ça ?! »

Abandonnant son côté enfantin, Aenor enragea et mordit au cou son souffre-douleur préféré, qui se débattait en hurlant.

Il la reposa précipitamment. La fillette croisait les bras, le regard sévère.

Aenor : « Une part de tarte ? Tu trouves ça juste ? Tout le monde l’a mérité cette tarte, espèce d’égoïste ! Si tu ne partages qu’à moi, je donnerais ma part à Léonce. Tu lui devrais même ta tarte entière, il me semble ! »

Tandis qu’elle faisait la moue, sa mère la souleva dans ses bras, et frotta affectueusement sa tête contre la sienne.

Luaine : « Oh, tu es un amour de petite fille, toi ! Ne t’inquiète pas mon cœur, il y en aura pour tout le monde ! »

Les vieillards et les flâneurs se relevèrent, et partirent à leurs rythmes. Certains d’entre eux avaient puisé dans ce tournoi de nouvelles résolutions, et beaucoup de motivation.

Talwin : « La victoire par les cestes ! »

Hurla Talwin, qui venait de rejoindre les vainqueurs sur le terrain, suivi de près par les autres. Il posa ses deux mains sur les épaules de son petit frère.

Talwin : « Goulwen, tu n’aurais pas pu me rendre plus fier qu’en finissant le combat ainsi ! …Si ! Tu m’aurais rendu encore plus fier si tu avais dit “Jeu, ceste et match !” ! »

Le carré royal était descendu lui aussi. Brynn, à l’image de beaucoup, tentait de rester stoïque, même après avoir assisté à tout ça.

Brynn : « Je ne comprends toujours pas comment ça a pu se finir ainsi… »

Pendant que Goulwen faisait son bain de foule, Meloar et Klervi étaient restés là-haut, avec leur père inconscient, qu’ils tentaient de réveiller.

De mon côté, je m’étais mis sur le dos, et observais les nuages aux mille couleurs de ce ciel crépusculaire. Je fermais quelques instants les yeux, paisiblement.

Lucéard : « Désolé, Nojù, ce sera pour une autre fois… »

Quand je rouvris mes paupières, le visage souriant d’Ellébore était penché sur moi.

Ellébore : « C’était rudement impressionnant ce combat ! Tu es devenu tellement fort, je n’en reviens toujours pas ! »

Oubliant presque qui avait gagné, la demoiselle était sous le charme. Je lui souris en retour.

Lucéard : « Et pourtant me voilà vaincu ! »

Elle mit ses poings contre ses hanches, pour gentiment me réprimander.

Ellébore : « À trop vouloir t’amuser, voilà ce que tu récoltes ! Si tu l’avais attaqué de front à l’épée, tu l’aurais eu en un instant. »

Elle n’avait pas vraiment tort. Je n’avais pas l’intention de le sous-estimer, mais ne l’avais-je pas fait, involontairement ?

Ellébore : « Mais c’était plus drôle comme ça, c’est vrai ! »

Léonce arriva à son tour.

Léonce : « C’est sûr que l’esprit de ce tournoi, c’était surtout de faire en sorte que les combats soient spectaculaires. Et dans ce domaine, tu n’as pas démérité ! »

Il me tendit ensuite son bras.

Léonce : « Allez, lève-toi ! Il faut que tu t’entraînes encore si tu veux pouvoir m’affronter dans une belle finale, un de ces jours ! »

Je serrai fermement sa main pour m’y hisser. Ce geste avait aussi valeur de serment entre nous.

Lucéard : « Tu l’auras ce duel, crois-moi ! Et la défaite qui va avec ! »

Après s’être échangés nos sourires, je m’avançais vers Goulwen. Tous ses admirateurs me firent place. Pourtant, Aenor se mit au milieu et me tendit à son tour la main.

Aenor : « Félicitations, Lucéard. Quelle que fût l’issue du combat, tu as largement prouvé être le meilleur combattant de notre famille. …Et tu m’as aussi prouvé être le cousin qu’on m’avait promis ! »

Avec toute la gratitude que je ressentais encore pour elle, je répondis à cette poignée de main avec fierté.

Lucéard : « Bravo à toi ! Sans ta clairvoyance, ma dernière attaque aurait fait mouche ! »

La fillette semblait un peu embarrassée et lâchait prise, avant de se décaler sur le côté, faisant signe à Goulwen d’intervenir.

Celui-ci ne semblait pas à l’aise à l’idée de s’adresser à moi, et se grattait l’arrière de la tête.

Goulwen : « Désolé pour le coup de la targe, c’était peut-être un peu tiré par les cheveux… J’espère que tu ne m’en veux pas trop pour cette victoire à l’arrachée. »

Après un court rire gêné, il ouvrit les yeux.

Goulwen : « Avec tout ce que tu fais de ton temps libre, il y a de quoi s’inquiéter. Ceci dit, je n’ai plus à m’en faire, j’ai vu que tu n’étais pas du genre à te laisser faire. Et tu as été épatant ! …Merci de m’avoir laissé te montrer ce que je valais. C’était un combat très amusant, et pas que pour les standards d’Efflam ! »

Lucéard : « Tu n’as pas à avoir honte. Tu t’es battu de toutes tes forces. Sans ta capacité à cerner les opportunités, et la vivacité d’esprit dont tu fais preuve quand tu flaires une ouverture, tu ne serais pas arrivé jusqu’ici. On pense souvent que certains de tes frères et sœurs sont des surdoués, mais la morale du jour, c’est que chacun d’entre vous est un génie dans son propre domaine, et vous me l’avez tous démontré, aujourd’hui. Et pourtant, il n’y a en tout et pour tout que deux champions, ce qui fait officiellement de toi le meilleur combattant de la famille royale ! »

Les personnes rassemblées sur la zone de combat applaudirent encore une fois. À la fois pour les vainqueurs, et à la fois pour les participants qui avaient rendu cette journée inoubliable.

Luaine : « Voilà une conclusion parfaite pour mettre fin à ce tournoi ! Bien joué, Lucéard ! »

Le duc arriva à son tour, encore dans les vapes.

Evariste : « Ça y est ? Lucéard a gagné ? »

Sans qu’il ne comprenne pourquoi, Jagu et Efflam se jetèrent sur lui et lui firent regretter de ne pas avoir eu confiance en son fils.

Evariste : « Gyaaah ! »

Yuna se joint à eux, tout sourire, pour ce passage à tabac. C’était la première fois qu’on la voyait de l’après-midi.

Même une fois qu’il n’y eut plus que nous dans la Vieille Arène, le chahut des Vespère résonnait encore dans les gradins.

Le mage diogellois se frottait le front, il avait eu sa dose de sensations fortes pour la journée, tout comme nous.

Le soir venu, la tarte vespérale tant attendue arriva pour le dessert. Ce ne fut qu’à ce moment-là qu’intervint le peintre familial.

Goulwen se retrouva au centre de ce nouveau portrait. Aenor et moi étions juste à côté de lui, entourés nous-mêmes de tous les participants. Efflam aussi était mis à l’honneur avec nous au centre pour des raisons évidentes. Les moins engagés étaient légèrement en retrait, comme d’habitude. Mais la présence de roturiers sur cette peinture était une première. Mes deux amis avaient montré leurs plus beaux sourires pour l’occasion. Et un œil avisé pouvait même remarquer dans la pénombre à l’angle de l’image le majordome Gauvin, couverts de bandages et d’opprobre.

On fêta ensuite dignement la fin de ce grand événement, tandis que le peintre et son fils se retirèrent dans leurs appartements pour finaliser leur toute dernière œuvre.

Le lendemain, un nouveau cadre avait trouvé sa place sur un pan de mur. On pouvait y voir un Lucéard bien différent de ceux d’avant. Et celui-ci contemplait avec satisfaction ce tableau.

Nul n’aurait pu croire qu’en ce jeune homme souriant se cachait un démon, prêt à ressurgir à tout moment…



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