La mort dans l’âme, ils récupèrent de leurs efforts dans le sanctuaire du gardien pendant tout une journée. Yann parvient à convaincre ses deux compagnons qu’ils auront beau attendre, cela ne ramènera pas le gobelin. A leur retour auprès de l’éboulement, ils font l’agréable découverte d’un passage libéré par Mélida et Adrel. Quand elle les aperçoit sans Gueudar, Mélida blêmit. Yann se charge d’annoncer la sinistre nouvelle. A mesure qu’il raconte leur mésaventure, la demi-elfe chancelle. Il hésite à poursuivre mais elle insiste pour connaître les derniers instants de son compagnon. Quand il achève son récit, le groupe s’écarte d’elle pour lui laisser le temps d’assimiler la nouvelle à son rythme.
D’un coin de l’œil, Yann aperçoit des larmes ruisselant sur son magnifique visage. Impossible qu’elle ne simule aussi bien la tristesse pense-t-il. Il se tourne vers Adrel, impassible pendant toute son histoire. La mort de Gueudar ne l’affecte pas. Cet élément le désignerai comme suspect principal mais Yann admet mal comment ce type simple voire simplet aurait organisé un tel complot. Pis, quelles seraient ses motivations ? Il reconnaît qu’il imagine mal Mélida dans ce rôle aussi.
Quelques minutes plus tard, Mélida apparaît leur indiquant de la rejoindre. Elle a remplacé sa mine déconfite par un sourire radieux qui ne convainc personne. La nuit tombante, ils choisissent de rentrer au camp sans attendre. Au moins pour informer les pionniers de la disparition du gardien. Pendant tout le voyage, Mélida bavarde comme si de rien n’était, expliquant comment elle a martelé l’éboulement avec ses sorts pour finir par retirer tous les obstacles qui les gênaient, l’inquiétude qu’elle a ressenti quand elle les a vu disparaître, sa joie de les retrouver en vie et la tristesse de perdre un si vieux compagnon…
C’est dans cette bonne humeur artificielle qu’ils rentrent au camp, le cinquième jour. Durant le trajet, Yann ressasse en permanence les dernières paroles du gobelin. Il sait que les émotions de Mélida sont réelles mais, peut-être que la culpabilité les renforce ? Lorsqu’il parvient à demander à ses deux autres camarades leurs avis sur la situation, ils partagent tous la même opinion, incapable de trancher entre Adrel et Mélida. Ils espéraient, peine perdue, que le responsable ne se trahisse sur le chemin du retour.
A leur arrivée, le capitaine Aldric les accueille tout heureux de leur réussite :
« Félicitations ! Je n’aurai jamais pensé que vous arriveriez à vaincre le gardien sans notre aide ! Comme quoi, les explorateurs peuvent plein de surprises !
Leurs airs affligés l’alertent que quelque chose ne va pas :
– Où est Gueudar ?… Ne me dites pas qu’il a…
– Si, souffle Mélida. Il s’est passé un imprévu. Ces trois-là et Gueudar ont vaincu le gardien. Hélas, il a du se sacrifier pour assurer leur survie…
– Je vois. Soyez assurés que nous organiserons une cérémonie digne du combattant qu’il était !
– Je n’en doute pas capitaine. Si maintenant cela ne vous dérange pas, mon groupe retourne à Yrcor. Nous devons nous occuper des formalités.
– Je comprends. Dans ce cas, nous vous alerterons quand nous procéderons au scellement de ce monde.
– Merci capitaine, votre sollicitude me touche.
– C’est tout naturel. »
Sur ces mots, Mélida et son groupe s’engage sur le chemin du retour. Yann et Lucie se dévisagent avant de les rattraper. Devant la porte, Mélida se retourne dans leur direction :
« Vous pouvez nous rejoindre tous les deux si vous voulez. Comme ça, je pourrais continuer votre apprentissage. Après tout vous avez le mérite d’avoir survécu à un affrontement contre une reine qui plus est le gardien d’un monde…
– Avec plaisir ! Répond Lucie sans attendre l’opinion de Yann. Je… Nous nous sommes rendus compte de nos insuffisances dans cette histoire… Je ne veux plus avoir à revivre ce genre de tragédie donc s’il vous plaît ce sera avec joie !
– Très bien dans ce cas, en route ! Dit-elle avec un sourire mélancolique. »
De l’autre côté, l’inénarrable fonctionnaire de la dernière fois les attend :
« Bon retour à Yrcor ! Surtout vous, dame Mélida !
Il fronce les sourcils.
– Votre camarade gobelin n’est pas avec vous aujourd’hui…
Le regard de la demi-elfe le dissuade de continuer. Il se gratte la gorge pour reprendre d’un ton plus cérémonieux.
– Dans ce cas, je m’occuperai du nécessaire. Vous logerez à la même adresse que d’habitude ?
– Tout à fait.
– Très bien, je vous recontacterai quand tout sera en ordre.
– Merci, Eluyn. »
Sur ce court échange, il les salue et se précipite en direction du dédale menant à son bureau. De leur côté, ils suivent Mélida qui, sûre d’elle, les guide jusqu’à la sortie. Dehors, le soleil méridien les noie sous sa paisible chaleur. Ils poursuivent leur route jusqu’à un établissement à l’enseigne explicite : un lit, un jambon et une choppe. Tout ce qu’il faut pour satisfaire un explorateur après une rude expédition. Au comptoir de l’auberge, elle règle les formalités avant de les inviter à s’attabler. Par chance, le temps d’Yrcor coïncide avec celui d’Arozon leur évitant les ravages du décalage horaire.
Autour du repas, ils discutent de leur emploi du temps :
« Nous repartirons après-demain. Commence Mélida.
– Après-demain, déjà ? S’étonne Lucie. Tu ne veux pas plus de temps pour tout digérer ?
– Pas la peine. Ce sont les aléas du métier d’explorateur… Je préfère aller de l’avant que de ressasser inutilement toute cette histoire.
– Je vois.
– Cet après-midi, Lucie et Yann vous venez avec moi. Il est temps de vous équiper convenablement.
– Avec quel argent, s’inquiète Yann, je n’ai pas grand-chose et Lucie est dans le même cas.
– Ce n’est pas un problème, je vous avancerai ce qu’il faut. Si ça vous rassure, la somme que vous allez toucher après ce monde suffira amplement à me rembourser.
– D’ailleurs c’est étonnant qu’ils ne nous aient pas payer ?
– Non, quand il y a plusieurs groupe mandater comme ça, il faut qu’ils attribuent les prises, qu’ils les retrouvent, etc. Ce qui prend pas mal de temps. Ils vous enverrons un coursier avec votre salaire quand ils auront établi le bilan.
– Il n’y a pas de risque de se faire arnaquer ?
– Non, c’est pas dans leur intérêt. Ces derniers temps, les explorateurs deviennent rares et recherchés. Au contraire, ils ont tendance à surévaluer les primes pour nous attirer et nous fidéliser.
– Si tu le dis… »
Ils finissent le repas dans une relative bonne humeur puis se sépare devant l’auberge tout en convenant d’un horaire de retour. Noti et Adrel reste à l’auberge tandis que Lucie, Mélida et Yann retournent au très fameux Marché des Mondes. Avant de se séparer, ils ont convenu que Noti surveillerait Adrel pendant que Yann et Lucie s’occupent de Mélida.
Dans le magasin, ils se baladent entre les étagères couvertes d’objets plus intrigants les uns que les autres. Après une courte visite, la demi-elfe les guide vers les armes. Là, elle commence son exposé dessus :
« Pour commencer, vous allez vous équiper d’arme de meilleur qualité que vos bouts de bois. Puisque vous n’êtes pas si riche que cela, je vous recommande celles en fer. Pour 20 unités environ, vous aurez une arme qui durera un bon moment avant qu’elle ne vous suffise plus. En dessous, ça ne vaut pas la peine, le bois, c’est pratique pour le premier monde mais ça s’arrête là, le cuivre et le bronze n’ont que des intérêts ornementaux. Au-delà du fer, il y a les armes en acier mais cela commence à valoir plus cher, surtout si vous n’êtes pas certains de votre rôle et du type d’armes que vous utilisez.
– Notre rôle? s’étonne Yann.
– Tout à fait. Selon l’arme que vous choisissez, vous pourrez remplir certains rôles et d’autres non. Les créatures que vous rencontrez requièrent certains rôles pour être affrontés de manière optimale. Tout ça a été codifié pour formaliser les tactiques utilisés par les explorateurs.
– Donc avec mon pieu, je peux occuper quel rôle ?
– Si tu t’orientes vers une lance avec ta prochaine arme, tu auras le rôle de fixeur.
– C’est-à-dire ?
– En gros, tu profites de l’allonge de ton arme pour empêcher les créatures d’atteindre tes coéquipiers mais également de s’enfuir. Tu fixes la créature à un endroit d’où le nom. Honnêtement, la lance est la meilleur arme pour débutant si tu souhaites t’orienter vers le combat au corps-à-corps. Tu seras toujours utile, même si les créatures que tu affrontes ne nécessitent pas ce rôle. Et puis elle est simple à manier.
– Et pourquoi pas l’épée comme arme pour débutant ? Interroge Lucie.
– Parce que c’est la pire arme possible. Elle s’insère mal dans une équipe, elle fait tout moins bien que d’autres armes et surtout pour être efficace avec, il faut des années d’entraînement. Non, je ne la recommanderais pas à un débutant…
– Ah… Du coup, il faudrait que je change ?
– Non, enfin sauf si tu en as envie mais si tu es à l’aise avec, garde-la.
– Ouf, j’ai eu peur un instant. Et toi, quelle arme utilises-tu ?
– Un bâton. C’est plus pour le style qu’autre chose mais il m’est indispensable pour canaliser ma magie. Et si jamais je dois en arriver là, il peut fracasser quelques créatures.
– Oh ! S’extasie Lucie les yeux écarquillés d’admiration.
– Excusez-moi de vous déranger dans votre discussion mais quel est la différence entre l’utilisation d’aptitudes classiques et la magie ? Intervient Yann.
– Ah oui c’est vrai que c’est un truc que je ne t’ai pas expliqué… Marmonne Lucie.
– En réalité pour un explorateur, il n’y a aucune différence. Il faut même le voir dans l’autre sens, toutes les aptitudes sont de la magie en quelque sorte.
– C’est tout ? Mais je ne comprends pas, il y a l’histoire du sort pour le corps éthéré…
– Ah ça… Mais c’est parce qu’il n’est pas le fruit d’une aptitude. Ma mère maîtrise la magie en dehors des mondes épars. Si tu essayes une aptitude là maintenant, tu verras que tu n’y arriveras pas, explique Lucie.
– Pour compléter ce qu’elle vient de dire, toutes les aptitudes proviennent de ton corps éthéré. Quand il est désactivé comme dans les mondes stables, tu n’as plus les avantages de tes statuts, personnel comme celui de l’arme. Ainsi, si tu voulais utiliser une aptitude dans ce monde, il faudrait que ton vrai corps sache l’accomplir !
– Ah ! Tout s’explique ! »
Ses deux compagnons éclatent de rire face à son visage illuminé par la satisfaction d’avoir compris leurs explications. Au final, ils achètent une épée et une lance en fer ainsi que deux paires de bottes de voyages qui ont la particularité d’après Mélida, d’éviter l’apparition des ampoules. Ils ressortent du magasin délesté chacun de trente unités d’éther prêté par leur nouvel instructeur. Sur le chemin du retour, alors que le soleil se couche, la demi-elfe leur demande soudain d’un air sérieux :
« Quelle est votre opinion sur Adrel ?
Les deux compagnons se figent, se doutant des raisons de cette question. Prudent quant aux intentions de Mélida, Yann formule une vague réponse :
– Et bien, il a l’air d’être un bon explorateur bien qu’un peu mutique…
– Tout à fait, il a été utile contre les vorlines…
– Pas dans ce sens là, mais plutôt, pensez-vous qu’il est le responsable de l’explosion ayant conduit à la mort de Gueudar ? Lâche-t-elle d’un ton sec.
Lucie écarquille les yeux, fixant Yann telle un enfant que l’on confronte à ses cachotteries. Yann plus calme, dit d’une voix posée :
– Donc tu te doutais de quelque chose…
– Évidemment, l’explosion n’avait aucun rapport avec le gardien… Et comme je suppose que le coupable ne peut pas être parmi ceux pris au piège, il ne reste comme possibilité qu’Adrel ou moi.
– Et pourquoi pas nous, après tous tu ne nous connais pas ?
– Pourquoi ? Parce que vous n’avez aucune raison de monter un plan aussi sophistiqué pour faire disparaître un gobelin. En réalité, Gueudar est une victime collatérale… C’est bien ça, Lucie, fille du Héros Par-delà les Mondes ?
Lucie esquive le regard accusateur de la demi-elfe. Elle articule avec difficulté :
– Je suis désolée, je ne voulais pas que ça se passe comme ça par ma faute… Je suis désolée…
– Comment le sais-tu ? Demande Yann, choqué.
– J’ai mes sources… Quant à toi Lucie, tu n’as aucune raison de t’en vouloir pour l’explosion, tu n’en es pas la responsable… Le vrai coupable est Adrel !
Yann hésite. Peut-être les mène-t-elle en bateau pour se défausser de sa culpabilité… Pourtant, au fond de lui, il sait qu’elle ne ment pas. Il choisit encore une fois de faire confiance à ce sixième sens qui ne l’a jamais trahi. Il se souvient soudain que Noti voulait l’espionner.
– Merde, Noti est avec lui et si jamais il découvre quelque chose…
– Il faut vite les rejoindre ! S’exclame Mélida. »
Le groupe se précipite à travers les rues pour atteindre l’auberge. Yann profitant de sa véritable endurance, pénètre en premier dans le bâtiment. Il enjambe les marches d’escaliers quatre à quatre jusqu’à atteindre la chambre de Noti, vide. Il lâche un juron et se précipite sur celle d’Adrel. Au milieu de la pièce gît un corps ensanglanté : celui du garçon. Il se précipite et remarque un couteau planté dans son ventre. Noti toujours conscient, parvient à souffler quelques mots :
« C’est cet enfoiré d’Adrel… J’ai retrouvé des restes d’explosifs dans sa besace mais il m’a surpris et m’a poignardé… Il s’enfuit vers les portes… Rattrapez-le avant qu’il ne s’échappe… »
Il s’effondre. Yann l’ausculte avec ses connaissances de premiers soins. Il comprime la plaie arrêtant l’hémorragie. Au même moment, Mélida pénètre dans la pièce en trombe. Elle se crispe quand elle aperçoit son apprenti au sol. Yann la rassure :
« Avec des soins il s’en sortira. Il a réussi à me dire qu’Adrel s’enfuyait par les portes…
– Ouf… Merci mes aïeux… Je reviens, je vais chercher quelqu’un qui pourra le soigner.
– Et Adrel ?
– Dès que les secours arrivent, on le course, il ne doit pas pouvoir traverser vers un autre monde ! »
Elle disparaît pour revenir cinq minutes plus tard avec un guérisseur et Lucie, essoufflée. Entre-temps, Noti s’extrait de son coma. Il baragouine une série de sons incompréhensibles avant que Yann ne l’apaise. Le guérisseur, un ami de Mélida, leur assure qu’il s’en chargera pendant qu’ils partent à la recherche d’Adrel.
Après un nouveau sprint dans les rues d’Yrcor, ils atteignent le guichet du bâtiment renfermant les portes. La réceptionniste leur confirme la venue d’un musculeux et séduisant explorateur quelques instants auparavant. Le groupe part à sa recherche tout en s’interrogeant sur les goûts de leur interlocutrice. Au loin, ils aperçoivent un homme leur faisant de grands gestes comme s’il a deviné la raison de leur présence. Eluyn, reconnaît Yann, s’écrie :
« Dame Mélida, votre compagnon est passé par cette porte, je ne sais pas ce qu’il voulait mais il était drôlement pressé, si vous voulez mon avis…
– Vers où mène-t-elle ?
– Affride…
– Merde, exactement ce que je redoutais… On le suit ! Sinon on ne pourra jamais plus le rattraper ! »