Les Mondes Epars
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Chapitre 13 – Le monde dArozon
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La journée se déroule sans incident notable, seul deux ouvrières décident d’affronter Yann lors de son tour de garde, tentative qu’elles paieront de leur vie. Leurs gourdes remplies, ils repartent en direction du précipice avec l’intention de ne plus s’en éloigner pour les deux prochains jours. Le retour, sur un terrain escarpé prend plus de temps que prévu, les obligeant à une pause récupératrice au milieu de la nuit. Le froid aux abords de la Muraille contraste avec la chaleur du désert. Ces changements de températures mettent leurs organismes à rude épreuve auxquelles s’ajoutent l’altitude. Au grand regret de Yann, les corps éthérés ne protègent que dans une certaines mesures de ces accablantes conditions climatiques.

Après cette pause, ils reprennent leur périple monotone le long de la faille de la Muraille. Celle-ci paraît toujours inaccessible, sans aucun moyen d’accès. La nuit s’achève comme elle a commencé, dans le froid. Au point que la chaleur étouffante du désert leur manque. La soirée n’annonce aucun changement. Ce n’est qu’à l’aube que s’esquisse à l’horizon, un pic s’extrayant du flanc de falaise pour s’élever et percer l’autre côté du ravin. Rassérénés par la nouvelle, ils doublent leur allure pour atteindre la formation avant que la chaleur de la journée ne reprenne le dessus.

Plus ils s’en approchent, plus ils comprennent la difficulté à venir : une concrétion géologique bloque l’accès au pic.

« C’est une blague ?! Lâche Lucie constatant la situation.

Yann s’abstient de commentaire mais en son for intérieur, il fulmine tout autant, déçu.

– Pourquoi ne pas en faire le tour, cela fait peut-être parti de la formation, suggère-t-il pour apaiser la situation.

– Trouver une brèche pour accéder à la brèche… Quelle ironie !… »

Ils longent la paroi rocheuse à la recherche d’un quelconque moyen pour la traverser. Si l’ensemble paraît naturel, s’intégrant avec perfection dans son environnement, la succession de coïncidence nécessaire à sa création suppose le contraire. Tout indique une intention derrière cette disposition si ennuyante. Pour Yann, s’il souhaitait transformer l’endroit en forteresse impénétrable, il ne s’y prendrait pas autrement entre la Muraille, le gouffre et maintenant le pic. En son for intérieur, il désigne l’éther comme coupable idéal. Il se rappelle toujours de la conscience qu’il a sondé à son premier jour dans les Mondes Épars. Ainsi, cela ne l’étonnerait pas qu’il soit doué d’une logique stratégique. L’idée d’affronter un adversaire intelligent ne se reposant pas seulement sur son instinct inquiète Yann. Surtout que les précédents combats confirme cette analyse. Le comportement social des vorlines, les attaques coordonnées des hokals, aucune de ces attitudes ne provient du seul instinct de ces créatures.

Yann en conclut que le gardien de ce monde souhaite que les explorateurs passent par cet endroit lorsqu’ils viennent l’attaquer. Ainsi, il concentrerait en un seul lieu la majorité de ses troupes pour repousser les envahisseurs. Une suite logique de ce plan consisterait en une attaque sur le camp des pionniers anéantissant une bonne fois pour toute, l’ensemble des étrangers de ce monde. Plus il développe cette idée, plus elle coule de source dans son esprit.

Tracassé par ces déductions, il les partage avec Lucie dont la réaction le surprend :

« Bien sûr que les gardiens sont dotés d’une conscience… Tu ne pensais pas le contraire quand même ?

– Bah… si ?

Elle s’esclaffe face à son air confus. Elle se reprend :

– Désolé… Je ne voulais pas me moquer… Pour moi c’était tellement évident… Je vais t’expliquer ce que je sais sur tout ça. Oui, les gardiens possèdent une conscience, après tout ils sont les maîtres absolus de leur monde.

– Attends, tu veux dire qu’ils sont des sortes de dieux dans les mondes épars ?

– Exactement, ils sont comme des dieux pour leur propre monde. Mais attention, ce n’est pas parce qu’ils ont une conscience qu’ils sont forcément intelligents. Pour faire simple, les mondes épars ont une intelligence proportionnelle à la quantité d’éther qu’ils détiennent. Une classification existe qui les catégorise en tiers selon ce critère. Par exemple, Glyndal était de tiers I et ce monde de tiers II. Pour ces mondes, leurs gardiens ont plus un comportement animal qu’humain.

– Ce qui explique le comportement de leur créature ?…

– Exactement, les créatures sont le reflet de leur gardien. Ainsi, le gardien de Glyndal a une intelligence semblable à celle d’un loup, celui d’ici a l’intelligence d’une ruche.

– Mais dans ce cas pourquoi nous attaquent-ils ?

– A vrai dire on ne sait pas vraiment… On suppose qu’ils n’apprécient pas que l’on empiète sur leur territoire. Mais il faut savoir qu’il existe… »

Un bruit sur leur droite les interpelle, coupant leur discussion. Ils se plaquent contre la paroi, évitant tout bruit. Alors que Yann manque de chavirer dans une cavité, ils s’approchent en douceur de l’origine du bruit. Une voix reconnaissable s’écrit :

« Bordel ! Moi qui pensait que nous avions réussi !

– Calme-toi, Gueudar, s’il y a des créatures tu vas nous faire repérer, le tempère Mélida.

– Justement, qu’ils approchent, au moins je pourrai passer mes nerfs dessus !

Lucie sort de leur cachette, et rejoint le groupe de leurs collègues en hurlant :

– Vous voilà ! Qu’est-ce que ça fait du bien de parler à d’autres personnes que Yann après tout ce temps !

– Je comprends ça ne doit pas être facile avec ce malotru… compatit Gueudar.

L’intéressé s’approche, à la suite de Lucie.

– Ravi de vous voir. De ce nous entendons ça n’a pas été un franc succès de votre côté aussi…

– Ah ça je vous le fait pas dire, tout ce temps pour quoi ? De la rocaille, de la rocaille et ô surprise encore de la rocaille… Si j’avais su, j’aurais décliné la proposition… Bah au moins après ça je pourrai à nouveau me noyer dans la bière pour des semaines… râle le gobelin.

– Comme le formule si bien mon camarade, nous n’avons rien trouvé jusqu’à cet endroit. Puis l’impossibilité d’accéder à cette sorte de pont en pierre n’a pas rehaussé notre moral… Je suppose que vous n’avez rien découvert de votre côté ?

– Non, nous venons juste d’arriver sans avoir eu le temps d’inspecter la structure. Dès que nous avons entendu du bruit nous avons attendu jusqu’à ce nous comprenions que c’était vous.

– Bon on a encore un peu d’espoir. Pas grand-chose mais c’est déjà ça de pris. Allez vous autres, relevez-vous ! C’est pas tout à fait fini, dit Mélida à l’attention d’Adrel et Nati. »

Ensemble, ils retournent sur les pas de Lucie et Yann. Tous inspectent avec méthode le moindre recoin dans l’espoir de trouver ce satané chemin vers le gardien. Quelques minutes après le début des recherches, Noti s’écrit :

« Venez voir, je crois que je l’ai trouvé !

Toute la troupe s’agglomère autour du jeune homme qui montre une caverne.

– Bien joué gamin ! Le félicite Gueudar. Bon, vous trois vous connaissez la formation, vous deux Yann et Lucie, vous restez au centre et suivez nos instructions. On ne s’égare pas, on ne se quitte pas des yeux, on ne baisse pas sa garde compris tout le monde ?

– Compris, entonnent-ils en chœur.

– Bien en avant alors ! »

L’attitude responsable du gobelin étonne Yann qui jusqu’ici ne voyait en lui qu’un perpétuel râleur au tempérament fougueux. Ainsi, il s’avère capable de se comporter comme un chef pour son équipe. Scrupuleux, il obéit à ses ordres en s’installant entre l’avant-garde constitué de Gueudar et Adrel et l’arrière-garde de Noti et Mélida. Guidés par deux torches, ils s’enfoncent dans le boyau. A force de tourner, l’extérieur disparaît, caché par la courbure du tunnel. La température se réchauffe à mesure de leur progression. De temps en temps, un rocher bloque leur avancé les obligeant à l’escalader voire, une fois, à sortir une corde. L’organisation du groupe impressionne Yann qui apparaît comme un amateur à côté d’eux avec l’improvisation de son duo.

Soudain, le gobelin lève la main, stoppant le groupe :

« On arrive dans une sorte de salle. Ça pue l’embuscade à plein nez. Je mets ma main à couper qu’il y a une horde dans le coin… Donc on se sort les doigts et on se prépare ! »

Yann saisit son pieu à demain, Lucie raffermit sa prise sur son épée, Noti décroche l’arc qu’il transporte dans son dos, Adrel brandit une énorme hache à double tranchants et Mélida remplace son carnet par un long bâton. Paré au combat, le groupe s’avance dans la salle.

Arrivé au centre, un bourdonnement caractéristique les encercle. Il y en a au moins une quarantaine pour produire un tel boucan, estime Yann.

« Suivez-moi, on s’installe ici ! Ordonne Gueudar »

Il s’arrête à côté d’une paroi incurvée assez haute pour empêcher les vorlines de les prendre par dessus. Ils se déploient en demi-cercle, avec Noti et Mélida au centre du dispositif. Pour Noti et son arc, la raison paraît évidente pour Yann mais pour Mélida… A moins que son bâton ne soit pas pour le corps-à-corps… Il ignore cette problématique insignifiante dans la situation actuelle. Depuis leur arrivée dans cette salle, le bruit ne faiblit pas mais ils n’aperçoivent aucun signe de leurs ennemis.

Au bout d’un supplice de plusieurs secondes, une nuée d’ouvrières vorlines jaillit dans la salle. Avec la torche pour seul éclairage, leur arrivée provoque des scintillements sur les murs glaçant le sang de Yann de part leur nombre. On est tous foutus, pense-t-il. Puis Gueudard agite, son bras, son cimeterre au poing, une créature tombe au sol signalant le début de la bataille. Yann évacue ses pensées négatives et se concentre sur la seule chose qui compte à cet instant : tuer les créatures. Il agite son pieu devant lui, transperçant à l’occasion une créature qui s’écrase, morte. Dans le coin de ses yeux, il remarque que tous ont la même attitude. Couvert sur les côtés par ses compagnons, il ne surveille que les créatures attaquant de front qu’il esquive ou tue avant qu’elles ne lui provoquent le moindre dommage.

La lutte dure plusieurs minutes sans qu’il n’ait l’impression d’une diminution du flux des créatures. Il décompte plus d’une dizaine de créatures abattues à lui seul alors que son endurance faiblit. De plus, malgré toutes ses précautions, il a subit une piqûre et une morsure ce qui n’aide en rien à apaiser son inquiétude. Parfois, dans son dos, une boule d’énergie ou une flèche frappe une créature au-dessus de leur tête. Il a compris la véritable utilité du bâton de Mélida ainsi. Passé le cap de l’enthousiasme de la découverte, il a fini par admettre que leur chance de vaincre diminuée à mesure que la bataille s’allongeait. Alors qu’il plante son pieu dans sa treizième ouvrière, il tient sa position plus par égard pour ses camarades et pour ne pas mourir les bras ballants que par espoir de s’en sortir. Au seizième vorlines, il a l’impression que le flot se tarit enfin, le scintillement sur les murs laissant place à quelques ombres éparses. La nouvelle lui redonne du baume au cœur. Pour encourager ses camarades, il s’écrie :

« Plus que quelques-uns et nous avons gagné ! »

Son annonce sort la troupe de sa léthargie qui combattait les vorlines en pilote automatique depuis de longues minutes. Gueudar pousse un cri de guerre à son tour. La bataille se clôt dans la minute qui suit, le sol couvert des cadavres des Vorlines. La tension qui maintenait les explorateurs debout, retombe aussitôt. Tous s’affaissent au sol, exténués par l’effort. Seul Gueudar et Mélida ne semble pas affectés par la fatigue. Ils y vont tous deux de leurs commentaires :

« Beau travail mes petits gars, reposez-vous, vous l’avez mérités…

– Bravo tout le monde, nous avons réussi ! »

Le groupe récupère son souffle tandis que les vétérans inspectent la caverne. Assurés d’avoir écarté le danger, ils reviennent vérifier que tout le monde aille bien. Par réflexe, Yann inspecte son statut d’arme :

Statut d’arme

Potentiel : 5/5

Surcharge : 42/100

Seuils : +1 force (1) , +1 résistance (3) , +10 barrière (5)

La nouvelle ligne le surprend. Il s’approche de Lucie pour en discuter avec elle mais Mélida prend la parole avant qu’il ne l’interpelle :

« Bon, je pense que tout le monde est fatigué après ce combat donc autant profiter de l’absence d’ennemi dans la zone pour se reposer. Dressons-y notre camp et nous continuerons demain, sachant que cette caverne débouche directement sur le pic que nous avons vu à l’extérieur.

Gueudar enchaîne :

– Nous allons organiser des tours de garde. Je pense que, d’après la concentration de créatures dans les environs, une ou deux pourraient réapparaître donc autant être sur ses gardes. Pour l’ordre : Mélida commence, ensuite c’est moi, Noti, Adrel et les deux débutants, vous vous arrangez entre vous pour la fin !

– Hé, pourquoi ça serait toi qui dirige ? Se plaint Lucie.

– Parce que mon groupe m’obéit, qu’il est plus expérimenté, mieux armé et plus nombreux que le tien ?

– Lucie… tente Yann.

– Et alors ?

– Et alors, c’est comme ça que ça marche ici ! Écoute-moi bien gamine, je t’aime bien toi et ton abruti de mercenaire mais ne me défie pas dans ces moments-là ! Si tout à l’heure le destin n’avait pas voulu nous rassembler avant de pénétrer dans ce trou, vous y seriez mort !

– Et vous donc ? Vous auriez survécu à quatre ?

– Évidemment, si la situation devenait grave, nous avions de quoi nous en sortir ! Pas vous, non ?

Lucie se tait.

– Bien sûr que non, continue-t-il, vous êtes un groupe improvisé, vous avez encore vos armes en bois offertes sur votre premier monde ! Bien sûr que vous n’avez pas investi dans des assurances comme nous ! Attention, je ne vous critique pas, au contraire, votre courage est admirable même s’il s’apparente en l’occurrence à de la folie furieuse, mais n’oubliez pas ce que vous êtes ! Des amateurs ! Alors tant que vous êtes entre vous, vous pouvez vous comporter comme des amateurs mais s’il y a mon groupe à proximité, vous obéissez aux professionnels ! Réfléchissez-y. Prenez votre tour de garde comme je l’ai décidé et on continue ainsi. Renoncez et rentrez au camp si cela vous ne conviens pas… En attendant, on y va nous autres. »

Le coup de sang de Gueudar tétanise Lucie et impressionne Yann. Il lui rappelle son commandant au sein de l’agence de mercenaire. Sauf que le décalage entre la voix et le corps rend le discours encore plus saisissant. Il patiente le temps que Lucie fasse son choix et se traîne à la suite du groupe pour installer son sac de couchage à côté des autres. L’heure venu, ils effectuent leur tour le guet.



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