Lors de sa prise de garde, Yann cherche Adrel pour le relever. Il le repère vers la sortie de la caverne en direction du pic. Étonné de son éloignement, il l’interroge à ce sujet :
« Il y avait une créature. Je m’en suis débarrassé, répond le guerrier.
– En tout cas tu peux aller te recoucher, je prends ta place.
– Très bien. Bon tour. »
Quel type bavard ! Ironise Yann. Il cherche une pierre plate, s’installe dessus, s’enroule dans une couverture et guette le moindre signe de danger. Une heure plus tard, il échange sa place avec Lucie. Il retourne à son sac, espérant profiter du peu de temps qu’il lui reste pour se reposer.
Le vacarme des explorateurs levant le camp le réveille. Il se précipite pour ramasser ses affaires et les rejoint pour casser la croûte avant le début de la nuit qui s’annonce longue. Avant le départ, Gueudar transmet ses instructions au groupe, cette fois sans interruption de la part de Lucie qui accepte, non sans ronchonner, ses ordres. Opérationnels, ils se mettent en route.
Ils atteignent la sortie de la caverne qui se compose d’un court boyau débouchant sur le pic visible à l’extérieur de la grotte. Celui-ci joue le rôle d’un véritable pont qui transperce la Muraille et permet son accès intérieur. Ils évaluent sa longueur à au moins un demi-kilomètre quant à sa largeur, s’ils le voulaient, le groupe le traverserait de front sans se gêner le moins du monde. Ils s’engagent sur la voie, tout en scrutant les environs propices à une embuscade par les airs.
Ainsi, les vorlines débarquant à mi-chemin, ne surprennent personne. Mélida et deux sorts bien placés suffisent à envoyer l’escadrille dans l’abîme. Sur ce spectacle, ils poursuivent leur route pour arriver à l’extrémité du pont sans accroc. Là, une autre grotte semblable à la précédente les accueille. Ils s’engagent à l’intérieur conservant la même formation.
Un bourdonnement résonne dans la caverne identique à la précédente. Une sensation de déjà-vu habite Yann. Ils adoptent la même stratégie efficace de la dernière fois en se blottissant contre un mur couvrant un angle maximale. Après une nouvelle attente insoutenable, une nuée de vorlines s’abat sur eux. Pareil que la précédente, elle noircit la caverne sous son nombre. Sauf que cette fois, Gueudar hurle :
« On bat en retraite au niveau du pont !
– Comment ça ? Mais vous êtes fou, on va jamais pouvoir traverser ça, proteste Lucie.
– Si tu veux crever avec ton laquais reste-là ! Nous on dégage ! »
Sans perdre un instant supplémentaire, ils forment une tortue avec Gueudar et Adrel en fer de lance et Noti et Mélida en seconde ligne. Yann et Lucie ne se font pas prier. Malgré leur scepticisme, ils ferment la marche. De tous les côtés, des ouvrières les frôlent sans toutefois les attaquer. Le pacifisme de leurs opposants étonne Yann mais trop occupé à fuir, il ne s’en préoccupe pas pour le moment. Au contraire, il s’en réjouit. Sans avertissement, Mélida lance un sort qui illumine son bâton et un projectile se perd dans la masse des insectes. Un corps se fracasse au sol. Un guerrier. Dans la percée consécutive à la chute du cadavre, Yann en distingue trois autres.
Il comprend l’attitude des autres explorateurs. Si ce groupe contient de nombreux guerriers alors ils n’ont aucune chance. La sortie n’apparaît toujours pas. Ils n’ont pas marché longtemps pourtant pour atteindre cet endroit. Un bourdonnement plus grave que les autres s’approche. Le bâton de Mélida s’illumine à nouveau repoussant la menace qui s’effondre au loin. La présence des guerriers se fait de plus en plus pressante. Noti commence à décocher des flèches à son tour. L’avant-garde joue de leurs armes et bientôt c’est au tour de Yann et Lucie d’agiter les leurs. Ils ne touchent aucun adversaire. Leurs tentatives manquent de précision. Toutefois, elles suffisent à interrompre la charge des guerriers qui, conscients de leur fragilité, ne s’expose pas à des risques inutiles. Patiemment, ils tissent leur toile autour du groupe. Yann a la sensation d’être pris dans un étau. Chaque seconde passée dans cette grotte diminue leur chance d’en ressortir.
Au loin, une ouverture lui redonne espoir. Plus que quelques mètres ! Mais y arriveront-ils ? Les guerriers, ayant deviné depuis longtemps leur petit jeu, redoublent leurs assauts. L’intensité est telle que la formation s’étiole. Gueudar comprenant qu’ils n’y arriveront pas, ordonne le sauve-qui-peut :
« Courez vers la sortie aussi vite que vous pouvez ! »
Le groupe se distend. Mélida dépasse tout le monde à la surprise de Yann. Elle rejoint Adrel sans souci qui court en tête. Gueudar attend le reste du groupe plus lent dû à leur niveau inférieur. Noti traîne et est même essoufflé par leurs efforts précédents. Yann halète aussi mais parvient à maintenir l’allure. Il ne reste plus que quelques mètres se motive-t-il. Par bonté de cœur, face à la difficulté du jeune homme, il décide de l’aider en le prenant avec une main par les épaules. Il repère Lucie juste devant lui au côté du gobelin. La sortie n’est plus qu’à une quinzaine de mètres.
Alors qu’il pensait enfin s’échapper, la sortie le repousse avec une force inouïe. Une violente explosion l’a projeté en arrière. Il a déjà vécu cette situation, il y a quelques années. Pourtant rien ne se passe comme dans ses souvenirs. Ses sens toujours présent, il se voit soulever par le souffle entouré de pierres pour atterrir à dix mètres de son origine, Noti à ses côtés. Il entend l’effondrement des gravas autour de lui. Son champ de vision se rétrécit, recouvert par les gravas. Seul point commun avec son précédent : l’absence de douleur. Sans perdre conscience, il met un moment à analyser l’entièreté de la scène. Il commence à se débattre pour se débarrasser des débris qui l’entrave. Rien à faire, les pierres le clouent sur place. Alors qu’il pense abandonner ses vaines tentatives, il sent son fardeau s’alléger. Une main verdâtre ôte les cailloux obstruant sa vision. Quand il se redresse, il se trouve face à son sauveur, Gueudar. Il se débarrasse des quelques pierres restantes sur ses jambes et aide aussitôt le gobelin à retirer les pierres sur ce qu’il devine être le pauvre Noti.
En quelques minutes, il se dégage à son tour. Tous les trois debout, ils se regardent sans oser prendre la parole. Yann fini par se lancer :
« Où sont les autres ?
– J’ai vu Adrel et Mélida atteindre l’extérieur mais pas Lucie par contre… Explique Gueudar.
– Ça voudrait dire qu’elle est sous ces décombres ?
– Je ne sais pas… En tant que gobelin, je peux m’extraire facilement des éboulements mais cela ne m’aide pas à localiser les corps malheureusement…
– Attendez ! Ça bouge par ici , intervient Noti en désignant un endroit de l’éboulement.
– Fait attention, ça pourrait être une de ces maudites bestioles ! On ne sait pas si elles y sont toutes passées dans l’explosion…
– D’ailleurs, c’est étonnant, comment cela se fait-il que nous soyons encore en vie après un tel choc ? Questionne Yann tout en soulevant une pierre.
– Ça arrive de temps en temps qu’il y ait des sortes de pièges comme celui-là… Ils ne sont pas fait pour tuer normalement mais plus pour bloquer le passage et nous faire massacrer par les vorlines…
– C’est un peu stupide, non, un piège qui tue ses propres alliés…
– Je me faisait cette réflexion aussi, quelque chose à dû mal se passer… Car normalement personne n’en réchappe… Or, Adrel et Mélida l’ont esquivé. Nous avons sûrement dû commettre une chose pas prévu par les conditions d’activation du piège… Ce qui expliquerai le comportement bizarre… Suppose Noti. »
Alors qu’ils partagent leur théorie sur l’incident, ils découvrent le corps de Lucie bel et bien vivante. Du sang recouvre des parties de son corps. Yann comprend qu’elle en a morflé pour en arriver à ce stade. Il jette un rapide coup d’œil à sa propre barrière pour la voir pile à la moyenne. Tous les explorateurs pris dans l’explosion retrouvés, ils inspectent l’éboulement à la recherche d’un passage pour rejoindre leurs compagnons. Sans trace d’un chemin, ils discutent de la suite tandis que Lucie éponge son sang, sous le choc d’avoir subit de tels dommages :
« Si c’est un piège de ce monde, la seule solution pour s’échapper repose sur la destruction du gardien, explique Gueudar. Ainsi, si nous abattons ce gardien nous pourrons nous libérer de cet endroit.
– C’est possible ? S’étonne Yann.
– Bien sûr, lorsque le gardien est tué, l’éther actif dont est constitué les créatures et les pièges disparaissent. Ainsi, si de l’éther maintient l’éboulement dans cet état, sans gardien tout s’effondrera libérant le passage. Si jamais il ne s’écroule pas, au moins les pionniers pourront venir nous libérer sans avoir à défaire l’éther qui lierait les pierres entre elles, ce qui est une manœuvre longue, pénible et coûteuse, bref tout ce qu’ils n’aiment pas… détaille Noti.
– Dans ce cas, on a pas le choix je suppose…
– Effectivement mon gars ! Surtout que puisque nous ne sommes plus que quatre et que les assurances de mon groupe sont avec Mélida, nous devons nous serrer les coudes !
– D’un coup vous ne nous envoyez plus chier ? S’agace Lucie.
– Écoute, je ne suis pas un abruti, la situation est loin d’être idéal et je sais quand je dois ravaler ma fierté… Je suis un gobelin après tout ! Donc on oublie nos disputes pour le moment et on réglera ça le moment venu.
– Ça marche pour moi mais à une condition : c’est moi la cheffe !
– Si ça te fais plaisir… Mais j’ai un droit de regard sur les décisions.
– Oui, oui, l’ignore-t-elle. Pour le moment, nous attendons ici que tout le monde récupère sa barrière. Et après… Nous faisons comme vous avez dis. »