Pour être considéré comme un souverain pleinement légitime par le peuple et la noblesse elfe, un haut-roi ou un roi devait bénéficier d’un couronnement. Dix mille personnes assistèrent à celui d’Arthur. Le vampire chargea Merlin d’être le prêtre de Jéhavah en charge de la cérémonie de couronnement. L’endroit choisi pour accueillir les nombreux invités lors de l’investiture officielle d’Arthur se révéla le temple aux mille colonnes, un lieu construit en l’honneur de la divinité Jéhavah, qui devait son nom à son très grand nombre de colonnes. Bien que la tradition voulait que les nobles aient accès à un banc de pierre, et les gens du peuple à un banc de bois lors d’un couronnement, Arthur s’arrangea pour que tous les invités aient un banc de pierre où s’asseoir.
Le vampire fit grimacer quelques traditionnalistes, mais il tenait à signifier que pour lui les humbles méritaient d’être traités sur un pied d’égalité avec les puissants lors de son règne. La garde d’honneur pour veiller à la sécurité des événements s’annonçait imposante. En effet Arthur craignait un mauvais coup de certains ennemis, notamment d’Hertio pour tenter de gâcher la cérémonie de couronnement, voire causer un coup d’état.
Le vampire n’était pas idiot alors il mobilisa cinq mille soldats dont soixante mages pour garantir que son investiture se déroule sans dommage, mort ou blessé. Arthur vivait un rêve éveillé, même dans ses fantasmes les plus fous, il n’aurait jamais songé à devenir haut-roi. Cependant il savait qu’il acceptait un honneur dangereux pour sa vie et celle de ses proches, de ce fait il tenait à s’entourer d’un luxe de précautions pour éviter d’avoir un règne particulièrement court. Merlin commença les phrases rituelles du couronnement tandis que Hertio affichait un visage haineux.
Merlin : Si quelqu’un est contre le couronnement de sa haute-majesté qu’il parle maintenant ou qu’il se taise à jamais.
Hertio : Moi Hertio le roi d’Eldar, je trouve indigne qu’un vampire d’origine humaine puisse devenir haut-roi des elfes. Ce précédent pourrait permettre à des hommes de réclamer le titre de haut-roi des royaumes elfiques.
Arthur : Contestez-vous la valeur du jugement de mon prédécesseur Esinaé, qui m’a désigné comme haut-roi ?
Hertio : Parfaitement, Esinaé quand il vous a choisi était dans un terrible état émotionnel à cause de son procès récent.
Arthur : Très bien dans ce cas votons, que ceux qui pensent que je suis un mauvais souverain lève la main.
Personne à part Hertio l’infâme ne vota contre Arthur, il fallait dire que le haut-roi avait été généreux en matière de faveurs. Il savait qu’il jouait une partie cruciale de son règne. S’il y avait eu une opposition nombreuse lors de son couronnement cela aurait donné un puissant coup de moral à ses adversaires politiques, et surtout bien compliquer ses tentatives futures de réformes. Alors le vampire prit des précautions budgétaires, il puisa dans les fonds de la ligue des protecteurs, son organisation, afin de rallier à lui plusieurs grandes maisons nobiliaires.
Il regrettait d’avoir opéré le choix de payer des aristocrates influents afin de préserver sa tranquillité. Mais il était aussi conscient que Hertio n’était pas la seule épine dans ses agissements. Au contraire le simple fait qu’Arthur soit comme haut-roi choisi était un précédent assez inédit. Il arrivait que la couronne se transmette par une voie autre que l’hérédité, mais c’était la première fois dans l’histoire des royaumes elfes qu’elle se retrouvait sur la tête d’un vampire d’origine humaine. Et puis même si Arthur se bâtit une superbe légende guerrière et que les elfes respectaient beaucoup les prouesses martiales, leur racisme contre les hommes demeurait vivace dans certains cas.
Pourtant le vampire était prêt à être un fléau pour l’humanité si cela apportait un gain significatif aux elfes. Cependant il n’était pas à l’abri de mauvaises surprises, surtout que son programme politique comportait des éléments audacieux. Donc Arthur risquait avec sa volonté d’innovation de fâcher beaucoup de gens bien-pensants.
Le vampire aurait voulu compter seulement sur des appuis sincères lors de la cérémonie actuelle. Mais il avait assez de bon sens pour savoir que ce qu’il désirait relevait presque de l’utopie. Il se consola en ayant la satisfaction qu’il prévit les choses trop larges en matière de corruption financière. Il ne déboursa que la moitié des sommes prévues afin d’acheter des elfes. D’ailleurs parmi ces derniers se trouvaient des gens assez loyaux pour appuyer Arthur, même sans rétribution.
Mais les manœuvres rusées du vampire eurent quand même une utilité certaine car Hertio essaya de graisser la patte à beaucoup de monde. Il tenta de faire du couronnement un échec monumental pour le haut-roi. Il poussa beaucoup de personnes à émettre un jugement défavorable contre Arthur, l’ennui venait que les rumeurs selon lesquelles l’infâme était lourdement endetté, commençaient à être de la notoriété publique.
La dette de l’état géré par Hertio devenait colossale, elle produisait l’obligation de réduire les pensions de beaucoup de nobles, y compris ceux qui passaient plusieurs fois par jour à déclamer des poèmes ou des compliments à la gloire de leur donateur. Or l’amour de l’infâme pour les flatteurs professionnels était bien connu. Si Hertio était obligé de verser moins d’argent pour ses courtisans, c’était un signe très défavorable pour lui. Cela voulait dire sans l’ombre d’un doute que ses soucis budgétaires atteignirent un point très critique. Par conséquent les offres budgétaires d’Arthur parurent beaucoup plus intéressantes.
Le vampire passait pour une personne avec à sa disposition une montagne d’or, et très peu de dettes financières. Sa ligue était connue comme une organisation qui engrangeait des bénéfices fabuleux.
Le moment des serments rituels vint assez lentement aux yeux d’Arthur, il s’agissait d’une partie du couronnement où le vampire devait jurer sur des objets sacrés liés aux hauts-rois, des symboles anciens et vénérés par la plupart des elfes.
La tendance sombre du vampire lui souffla de sauter cette partie pour éviter d’être gêner dans des complots rusés. Mais Arthur avait trop de bon sens politique pour juger qu’il ne pouvait s’affranchir de cette procédure. Il y avait des limites à toutes les innovations, et puis il considérait que les serments à déclamer n’étaient pas si contraignants que cela. Certains de ses prédécesseurs eurent des agissements retors, et ils ne furent jamais accusés de parjure par un tribunal.
Merlin : Arthur jurez-vous sur la couronne ?
Arthur : Je promets de protéger le peuple des ambitions de puissants décadents.
Merlin : Arthur quel est votre serment à l’égard de la main de justice ?
Arthur : Je jure de rendre justice aux elfes peu importe leurs richesses, leur origine, leurs opinions et leur religion.
Merlin : Arthur prêtez-vous serment sur l’épée haute-royale ?
Arthur : Je jure de protéger les royaumes elfiques des agressions extérieures, sans négliger la recherche de la paix.
Merlin : Arthur, vous montrerez-vous digne de l’anneau de Naé ?
Arthur : Je promets fidélité à mon peuple et de n’avoir qu’une seule parole.
Merlin : Quelle devise choisissez-vous pour présenter votre politique ?
Arthur : Liberté, égalité et fraternité.
Après les cérémonies, le conseiller Lancelot chercha à discuter avec Arthur le vampire. Il était un peu vexé, son souverain ignora ses mises en garde pour se livrer à des actes audacieux. Le conseiller pensait qu’il valait mieux éviter les innovations hardies lors du couronnement. Pourtant Arthur ne se priva pas d’ajouter sa touche personnelle pour marquer les esprits. Par exemple il s’attribua la devise liberté, égalité, fraternité, du parti populaire. Or il s’agissait du principal mouvement elfique anti-royaliste. Ce genre de choix risquait de crisper, voire de rendre haineux les milliers d’elfes qui souhaitaient que les royaumes elfes deviennent des républiques.
Mais la réaction du parti populaire risquait d’être timide comparé à la fureur du parti traditionnel, un groupe très attaché aux anciennes traditions elfiques. Ce n’était pas la première provocation du vampire, mais elle risquait d’être la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. En effet les traditionnalistes n’avaient jamais aimé Arthur, mais ils espéraient qu’il deviendrait un allié ou, au moins une personne respectueuse des coutumes et usages, une fois que le vampire deviendrait haut-roi.
Pourtant Arthur ne fit pas d’efforts pour ménager les susceptibilités des traditionnalistes. Il les traita carrément lors de son discours d’intronisation de vieux gâteux nuisibles et complètement idiots.
Par contre deux groupes importants applaudissaient chaudement le vampire, le parti de la nature approuvait la manière de penser d’Arthur. Il considérait que bousculer les partis populaire et traditionnel, constituait une excellente décision. L’autre soutien au vampire était le parti royal, le groupe politique elfique le plus attaché à l’indépendance du haut-roi des elfes. Ce mouvement voyait d’un très bon œil qu’Arthur fasse une démonstration de son autorité dès le début de son intronisation officielle.
Lancelot attendit le vampire dans un couloir du palais d’été pour discuter de questions jugées comme essentielles. L’édifice avait pour caractéristiques le fait d’être presque entièrement en bois de bouleau, et de bénéficier d’une température douce en été mais glaciale en hiver, à cause des effets d’une expérience magique à moitié ratée.
Lancelot : Votre haute-majesté, pourquoi n’avez-vous pas choisi la devise « paix, unité, solidarité », la majorité de vos conseillers vous l’avait recommandé.
Arthur : Certes, mais la devise «liberté, égalité, fraternité », plaît plus au peuple, et puis elle m’a permis de surprendre des adversaires puissants, ce qui est un avantage tactique décisif.
Lancelot : En effet, vous avez réussi à surprendre tout le monde. Mais personnellement je trouve que vous avez fait un choix plutôt osé, vous avez vexé les traditionalistes.
Arthur : Justement je suis content de leur avoir donné une leçon à ces personnes au jugement vieillot, qui voulaient m’obliger à choisir la devise « piété, protection, prudence ».
Lancelot : Je remarque que vous n’avez pas promis de ne jamais mentir. Pourquoi avoir omis cette partie du serment des haut-rois ?
Arthur : En matière de politique, notamment étrangère, un souverain qui ne ment pas un peu déclenche parfois des guerres. Si tu n’as plus rien à me dire Lancelot, je dois y aller, j’ai une montagne de paperasse à classer.
Hertio était profondément malheureux de la formidable ascension politique d’Arthur qui occupait désormais une position plus importante que lui au sein des royaumes elfes. Mais il n’abandonnait pas la partie, il battit d’ailleurs le rappel des ennemis du vampire. Il sélectionna des personnes très déterminées à causer la perte de son adversaire, un individu attira son attention en particulier.
Il s’agissait d’Orunaé, l’ancien étudiant de Sar qui essaya de prouver la supériorité du dieu Jéhavah. Si sa volonté de nuire et son intelligence était intactes par contre sa foi religieuse connaissait un déclin progressif. Il était beaucoup moins motivé qu’avant à soutenir le culte jéhaviste. Néanmoins il se caractérisait par une capacité à comploter très intéressante du point de vue d’Hertio. Il occupait une fonction de commandant désormais, et aussi de conseiller militaire auprès de personnages influents.
Orunaé : Votre majesté c’est un honneur de vous rencontrer. Je suis content de voir qu’il reste des gens raisonnables hostiles à Arthur le mécréant.
Hertio : Moi aussi, je sens que nous allons bien nous entendre, on m’a dit beaucoup de bien sur ton intelligence. Ensemble nous parviendrons peut-être à causer la déchéance d’Arthur.
Orunaé le tressé donnait des conseils avisés, mais il subissait aussi une influence pernicieuse. Sous le patronage d’Hertio il perdit ses derniers scrupules. Il devint nettement plus ouvert à l’égard des divinités de la destruction comme le Néant.
Il avait quand même une qualité difficile à contester, c’était un élément loyal à Hertio. Il s’avérait fermement motivé à aider son maître à progresser dans la hiérarchie, à obtenir la place d’Arthur. Même si le Néant était souvent associé à la corruption physique et la souillure morale, de son côté Orunaé croyait servir un noble dessein en favorisant la promotion sociale de son mentor. Il pensait sincèrement que faciliter l’accession de Hertio au pouvoir absolu sur la majorité des elfes aboutirait à une sorte d’âge d’or.
Le tressé avait une drôle de vision si l’on réfléchissait en terme d’égalité et de liberté du peuple. Mais il croyait fermement que ses choix seront très positifs sur le long terme s’ils aboutissaient sur de franches réussites. Orunaé admettait que son maître promettait un avenir rude pour les contestataires politiques, mais il croyait avec énergie dans les bienfaits futurs apportés par Hertio.
Il était une personne clairement abusée sur le terrain des idées, mais il n’avait pas conscience de l’escroquerie politique dont il faisait l’objet. Il estimait que son maître représentait un très bon choix, alors qu’il s’intéressait surtout à sa propre personne. Néanmoins le tressé croyait tout de même avec ardeur dans son mentor. Pourtant il travaillait pour un individu capable de le sacrifier sans vergogne contre une rémunération intéressante.