Intègre : Morgane je vous annonce que le milicien qui avait l’intention de vous pourrir la vie a été suspendu, et qu’un procès à son encontre vient de commencer. Le juge et le procureur qui s’occupent du cas du milicien corrompu sont des personnes honnêtes, et de plus le dossier à charge s’avère solide. Vous n’avez plus grand chose à craindre. Non seulement votre honneur sera rétabli, mais vous toucherez d’ici un certain temps des indemnités confortables.

Morgane : Merci monsieur Intègre, je ne sais pas comment vous remercier. Si je peux vous être utile d’une quelconque façon, n’hésitez pas à me le faire savoir.

Intègre : Il y a bien quelque chose que vous pouvez faire pour moi. Me tutoyer, m’appeler Gérard et dîner avec moi. Aimes-tu manger végétarien ?

Morgane : Je suis une végétarienne convaincue, cela fait cinq ans que je ne mange plus ni viande, ni poisson.

Intègre : Décidément nous sommes faits pour nous entendre, nous avons beaucoup de choses en commun.

Morgane : J’ai l’impression qu’il y a des atomes crochus entre nous, je dirais même qu’il était possible que nous nous connaissions dans une autre vie.

Intègre : Tu crois en la réincarnation ?

Morgane : Ce n’est qu’une intuition mais j’ai la conviction profonde que les âmes peuvent se réincarner, que l’âme peut voyager d’un corps humain à une enveloppe animale ou végétale, et vice versa.

Intègre : Un de mes hobbys consiste à rassembler des preuves que la réincarnation existe, qu’il ne s’agit pas d’un mythe. Grâce à l’hypnose et des procédés magiques, j’ai entendu des gens s’exprimer dans une langue normalement morte depuis plusieurs millénaires. Mes expériences m’ont permis de traduire des écrits anciens que des experts considéraient comme incompréhensibles.

Morgane : C’est fascinant, il faudra que tu me montres cela, j’ai souvent rêvé de contempler une expérience sur la réincarnation. Je suis libre toute la semaine pour le dîner.

Intègre : Dans ce cas là, rendez-vous à l’Excellent, demain. J’ai une table attitrée dans ce restaurant.

Le restaurant l’Excellent s’avérait un lieu qui accueillait surtout des personnes aisées voire riches. Les menus les moins chers, coûtaient la somme de dix gils, soit une dizaine de pièces d’or. Il fallait dire que les ingrédients qui servaient à faire les plats cuisinés nécessitaient beaucoup d’argent. Les cuisiniers utilisaient du caviar, de la truffe, de la vanille naturelle, bref des aliments au coût franchement élevé. L’addition était toujours salée à l’Excellent, surtout qu’il fallait tenir compte du pourboire, et de la tradition de donner de l’argent ou un cadeau à l’orchestre qui jouait dans le restaurant.

Intègre le juge royaliste s’installa avec son invitée à une table avec une nappe rouge, et comportant comme décoration un petit vase transparent surmonté d’une rose jaune. Il commanda deux bouteilles de vin dans le but d’obtenir des détails croustillants sur la vie de Morgane la séductrice. Malheureusement pour lui, elle tenait très bien l’alcool. Elle n’était pas une grosse buveuse, mais elle prenait régulièrement une potion qui l’empêchait de subir les effets de l’ivresse. En outre ce fut le juge qui consomma la majorité de l’alcool, ainsi bien qu’il ait une certaine habitude de la beuverie, il fut assez affecté par la consommation de vin.

Morgane trouva divertissante la manœuvre du royaliste pour essayer de se renseigner. Bien qu’elle camoufle certains détails de sa vie, elle se livra plus que prévu au juge, elle lui raconta quelques-uns des voyages qu’elle accomplit. Elle se sentait très bien avec Intègre, elle éprouvait une joie certaine à le fréquenter, elle était heureuse que son interlocuteur lui témoigna un vif intérêt. Elle se mit à espérer que son petit jeu de la séduction durerait plus longtemps que prévu. Puis elle se ressaisit, choquée par ce manque de professionnalisme. Elle devait avant tout chose œuvrer pour la gloire d’Arthur le vampire. Si elle se mettait à flâner avec ses cibles désignées, elle perdrait en productivité et en utilité.

Arthur le lendemain du rendez-vous dans le restaurant, convoqua Morgane pour qu’elle lui fasse un rapport. Tous deux se retrouvèrent dans la tente des complots.

Arthur : Comment se passe la séduction d’Intègre ? Êtes-vous devenus amis ?

Morgane : Gérard et moi formons désormais un couple, nous avons échangé ensemble un baiser fougueux hier.

Arthur : Très bien, tu es en avance sur le calendrier, mais ce n’est pas un problème. Au contraire, si les choses avancent vite avec Intègre, nous pourrons nous consacrer à d’autres obstacles bientôt.

Morgane : À ce propos j’ai une question. Est-il vraiment nécessaire qu’Intègre soit mort pour que notre plan fonctionne ?

Arthur : Non mais son suicide déguisé sera une mesure prudente. Moins nous laissons de traces de notre complot, plus nous sommes sûrs d’avoir des chances élevées de réussir à provoquer la chute du roi Louis le gros. Aurais-tu des sentiments pour Intègre ?

Morgane : Pas, pas du tout Intègre est certes éloquent et galant, mais je ne suis pas amoureuse de lui.

Arthur : Cela vaut mieux le juge déteste les elfes. Pour lui une elfe qui ose remettre en cause la soit disant suprématie des humains sur les autres races intelligentes, est une imbécile nuisible qui mérite de mourir. Au train où se déroule le plan, Intègre pourrait accepter de se faire corrompre d’ici moins de trois mois. Je suis très content de toi Morgane.

Morgane : Merci seigneur Arthur, je ne fais que mon devoir.

Arthur : Nous allons passer à la phase deux de l’intrigue, tu peux disposer.

Arthur était satisfait des prestations de Morgane, mais aussi un peu troublé. Il était face à une situation épineuse, apparemment Morgane avait un certain faible pour le juge. Ce qui signifierait peut-être qu’avec le temps elle mettrait moins de bonne volonté pour piéger Intègre. Certes il possédait de la confiance dans la séductrice. Mais sa partie ténébreuse lui soufflait de modifier ses plans en incluant une surveillance sur Morgane. Elle argumentait que l’amour pouvait conduire facilement à la trahison sous certaines circonstances.

D’accord la séductrice était une courtisane professionnelle, mais elle ne tomba que très rarement amoureuse. Pour que son cœur blindé par les déceptions et le patriotisme s’ouvre à quelqu’un, il était nécessaire de lui faire une très forte impression. Il était assez probable que l’amour de Morgane ne soit pas encore à un stade développé, il se pouvait même qu’elle ne se rende pas encore compte de ses sentiments. Cependant la mission actuelle était capitale. Absolia, le pays du juge, représentait une grave menace pour les elfes. Donc il était très important que les objectifs de complot soient remplis correctement.

Par conséquent il valait mieux prendre toutes les précautions nécessaires pour gêner les dérapages. Pas forcément le recours à la menace ou des punitions, Arthur pensait que ce n’était pas justifié et que cela altérerait la fidélité future de la séductrice. Par contre une surveillance accrue des faits et gestes de Morgane était une option intéressante. Il faudrait peut-être même mobiliser un agent à plein temps dans l’espionnage de la courtisane.

Le vampire avait sa tendance gentille qui se révoltait contre son manque de confiance, mais il devait quand même admettre qu’il était face à un contexte déstabilisant. Il n’avait pas d’éléments vraiment sérieux pour donner l’étiquette d’élément instable à la séductrice. Mais si les émotions amoureuses de Morgane se renforçaient trop, elles pourraient déboucher sur un grand conflit intérieur.

Arthur doutait fortement que la courtisane révèle toute la vérité au juge, ce serait une trahison manifeste et aussi un acte très stupide. Par contre s’arranger pour qu’Intègre échappe à un meurtre, c’était une théorie pas forcément fumeuse. Toutefois le vampire n’arrivait pas à prendre une décision, surveiller Morgane était possible mais un acte pouvant vexer cet agent. Lui faire un rappel à l’ordre serait moins polémique mais nuirait peut-être aussi à leur relation de respect mutuel. La séductrice couchait sur commande, mais elle avait quand même de l’amour-propre, elle choisit la voie de la courtisane par patriotisme.

Néanmoins Arthur pensait aussi que l’efficacité quand il s’agissait de complots nécessitait un bon réseau d’espionnage en externe et aussi en interne.