Merlin et Lancelot débattaient sur la conduite à suivre pour la réussite de leur mission. Lancelot désirait se couvrir de gloire, et prouver sa valeur, alors il insistait lourdement pour mener ce qu’il appelait une attaque héroïque, un assaut furieux destiné à surprendre l’ennemi, et à montrer la puissance des guerriers elfes. Merlin de son côté se révélait beaucoup plus prudent, il n’était pas contre le fait de charger de manière brutale, mais il tenait à observer davantage le terrain pour optimiser les chances de réussite.
Il convenait que la situation présentait un caractère particulier, mais se précipiter sans témoigner d’un minimum de réflexions constituait d’après lui le summum de l’imbécilité. Lancelot ne dédaignait pas réfléchir, toutefois il considérait la situation comme tellement périlleuse qu’attendre ne servirait qu’à compliquer la situation. Il valait mieux à certains moments, se poser le moins de questions possibles et se concentrer sur la tâche de tuer. Lancelot n’était pas souvent un casse-cou, toutefois il jugeait que dans certaines circonstances, élaborer des plans complexes ne servait pas à grand-chose, si ce n’était à démoraliser les troupes.
Merlin avait un autre point de vue, il considérait qu’il fallait toujours s’interroger longuement avant de partir à la bataille, que c’étaient les plus posés et patients qui l’emportaient dans la plupart des conflits, y compris quand le rapport de forces s’annonçait très défavorable pour votre camp. Alors Merlin avait l’intention de forcer Lancelot à attendre quelques minutes si nécessaire. Il ne voulait pas mourir à cause d’un excès d’enthousiasme.
Il pensait qu’il faudrait peut-être recourir à un sort de domination mentale afin de freiner la résolution de Lancelot. Cela ne l’enchantait pas de jouer avec l’esprit d’un camarade proche, mais Merlin était conscient du côté capital de la mission. Or il suffirait d’une erreur même minime pour que l’assaut se transforme en une boucherie à sens unique, où les elfes périraient en masse. D’accord le courage était essentiel pour remporter les batailles, mais Merlin estimait qu’il était nécessaire d’avoir une stratégie en acier trempé pour avoir une chance de triompher.
D’ailleurs il songeait que même avec un plan proche de la perfection les possibilités de gagner n’étaient pas optimales. Le terrain était assez propice pour orchestrer une attaque surprise vu la profusion de gros rochers dans le coin, il fallait ajouter que Merlin perfectionna avec énergie ses sorts de dissimulation, aussi bien pour camoufler son apparence, les sons produits et les odeurs. Mais même avec une attaque surprise pleinement réussie, les chances de vaincre étaient loin d’être favorables.
Les ennemis étaient des éléments d’élite, des vétérans fanatiques, ils n’hésiteraient pas une seconde à se sacrifier pour emporter le maximum d’ennemis dans la tombe. Merlin redoutait ce genre d’adversaires, quand vos antagonistes ne ressentaient pas la peur de mourir, ils représentaient une menace terrible car ils ne reculaient devant aucune extrémité. Et Merlin estimait d’après ses sens magiques que ses ennemis allaient très loin pour satisfaire leurs maîtres ténébreux.
Il distinguait une aura de pure corruption chez ses assaillants, un statut qui n’existait normalement que chez les pires sbires du Néant. Merlin se retenait de divulguer la nature véritable des ennemis à ses compagnons, car il craignait de semer de l’effroi. Quoique cela lui donnerait peut-être un argument légitime pour freiner Lancelot. Mais Merlin en doutait finalement, au contraire il jugeait que son interlocuteur serait encore plus impatient à l’idée de verser le sang d’impies très avancés sur la voie de la ruine.
Lancelot : Je pense qu’il faut charger maintenant.
Merlin : Attendons quelques minutes qu’une occasion favorable se présente, nos adversaires ont un avantage formidable au niveau du nombre.
Lancelot : Toi et moi nous valons bien chacun une centaine de néantistes.
Merlin : Même si c’est le cas, affronter plusieurs milliers d’ennemis à nous tous seuls avec notre maigre force, cela constitue un défi impossible sans circonstances très favorables.
Malheureusement Orunaé le responsable des troupes du fameux portail de puissance remarqua le manège de ses ennemis. Il amena assez de soldats compétents pour s’occuper sans problème d’adversaires comme Merlin et Lancelot. Mais il avait quand même des questions à régler, il hésitait sur livrer directement ses ennemis au Néant, ou bien prendre son temps afin d’exhiber les secrets de Merlin.
Il pouvait aussi tenter de convertir lentement mais sûrement les deux proches d’Arthur. Mais il redoutait un échec depuis la fois où Thérésa se rebella. Et surtout Orunaé voulait pour le moment s’amuser à humilier Arthur sur un champ de bataille. Il continuait à aimer les complots, mais il demeurait une personne attachée pour l’instant à piétiner la réputation guerrière d’Arthur, plutôt que de se focaliser sur des plans politiques.
Le responsable se concentrait essentiellement pour le moment à vouloir une déconfiture martiale à l’égard du vampire. Encore quelques heures à être exposé aux énergies du portail et il serait tout à fait capable de mettre la pâtée à Arthur de manière frontale. Certes il y avait quelques inconvénients gênants comme le fait de subir un accès de folie, notamment d’entendre des voix perturbantes, de souffrir d’hallucination auditives spectaculaires.
Cependant d’après Orunaé le jeu en valait clairement la chandelle. Le responsable pensait qu’il aurait bientôt une puissance suffisante pour écraser le vampire de façon extrêmement humiliante ; du genre combattre en donnant seulement des coups de pied, tandis que son adversaire se faisait battre dans les grandes largeurs tout en brandissant une épée.
Orunaé faisait semblant d’œuvrer avec Erèbe pour le moment, mais il préparait activement le terrain pour Hertio son véritable maître. Il fit semblant de se placer sous les ordres d’un autre pour créer une formidable occasion politique à son mentor de s’illustrer. L’écrasement des forces d’Arthur n’était que le premier acte d’une vaste campagne militaire destinée à donner une gloire durant des millénaires à Hertio. Il avait bricolé le portail de puissance en sous-main afin d’en faire un outil qui jouait différents rôles. Ainsi cet artefact magique apportait une grande puissance aux cultistes du Néant, mais il faisait aussi autre chose. Il pouvait sous certaines conditions se transformer en un puissant objet affaiblissant les néantistes.
Orunaé s’était arrangé afin que le portail obéisse à ses directives d’abord avant celles d’Erèbe. Alors il était capable de provoquer presque sur commande un désastre sans précédent sur les troupes de son prétendu maître, offrant un splendide cadre à Hertio, un moyen d’acquérir une renommée monumentale en prenant un minimum de risques.
Certes il existait toujours des impondérables dans une bataille, plus aléatoire que la guerre c’était difficile à trouver. Toutefois le responsable s’avérait plutôt sûr de son coup, il allait procurer bientôt à Hertio une opportunité sans précédent de briguer à la place d’Arthur la fonction de haut-roi des elfes en s’illustrant dans une bataille héroïque.
Après avoir un peu rêvassé, Orunaé finit par signaler sa présence à Merlin et Lancelot.
Orunaé : Messieurs ce n’est plus la peine de vous en faire, puisque vous allez mourir.
Merlin : Damnation, nous sommes encerclés.
Lancelot : Je t’avais bien dit qu’on aurait dû attaquer sans attendre.
Orunaé : Le Néant va être très satisfait de recevoir en cadeaux les âmes de hauts personnages, je vais bientôt avoir une promotion.
Merlin : J’ai une dernière volonté, comment met-on à l’arrêt ce portail de puissance ?
Orunaé : Pour le désactiver il faut baisser ce levier. (ton moqueur) Ah oui, inutile de croire que vous pourrez le baisser grâce à un sort. La protection du Néant rend notre formidable machine invulnérable à la magie.
Merlin : Merci.
Merlin lança de toutes ses forces son épée vers le levier qui contrôlait le portail de puissance. Il se mit à prier de toutes ses forces que son lancer débouche sur une réussite. Puis il réalisa qu’il aurait pu recourir à un sort pour guider son jet, accroître très sérieusement ses probabilités de toucher de manière certaine sa cible grâce à la magie. Alors il eut envie de se maudire pour sa distraction, de se gifler pour ce qu’il qualifiait une bêtise monumentale.
De son côté Orunaé le sbire ne resta pas sans réagir, il prépara un éclair pour détruire l’arme en l’air. Néanmoins il se révéla distrait un dixième de seconde par la présence d’un corbeau. Il détestait ce type d’oiseau, il le voyait comme un élément de très mauvais augure. Alors il attendit un peu avant de déclencher son sort. Ce qui permit à Merlin de le gêner avec un enchantement de confusion. Toutefois Orunaé n’abandonnait pas la partie, même si son esprit vacillait, il avait la ferme intention d’empêcher des gêneurs d’arriver à leurs fins.
Il se concentra davantage pour surmonter ses troubles cérébraux et parvenir à toucher avec un éclair magique l’épée lancée avant qu’il ne soit trop tard. Il ne réussit cependant pas à la consumer avec sa magie. Il manqua franchement sa cible. Mais ce n’était pas grave, Merlin ne jeta pas assez fortement son arme, par conséquent il ne causa aucune conséquence désagréable sur les adeptes du Néant.
Le sbire s’apprêta à pousser un hurlement de triomphe, quand Lancelot entra à son tour dans la danse en expédiant dans les airs son sabre. Orunaé fut beaucoup plus réactif, il déclencha un souffle de vent puissant dès l’instant où l’arme de Lancelot quitta sa main. Toutefois Merlin contre-attaqua à son tour avec une rafale venteuse. Ainsi le sabre ne bougeait pas, il demeurait en suspension à plusieurs mètres au-dessus du sol.
Par moment l’arme reculait de quelques centimètres puis elle avançait un peu à son tour. Des soldats liés au Néant voulurent intervenir pour donner un coup de main à Orunaé, mais ce dernier interdit à ses subordonnés de se mêler de son duel. Il était excité par la situation, il faisait jeu égal avec Merlin la plus grande légende vivante des elfes. Il ne s’attendait pas à avoir atteint un tel niveau en magie, aussi il désirait découvrir jusqu’où s’étendait ses pouvoirs surnaturels. Quant au fait que Merlin constituait une menace, c’était de moins en moins le cas. Les énergies maléfiques du portail l’handicapaient, lui retiraient petit à petit de la force vitale. Tandis que le sbire recevait à chaque seconde davantage de puissance.
Ainsi Merlin grimaçait sous la souffrance, il perdait progressivement du terrain, il brûlait manifestement des années d’espérance de vie pour empêcher son adversaire de triompher complètement. Toutefois il s’agissait à priori d’un sacrifice inutile, vu qu’Orunaé paraissait frais comme un gardon, qu’il ne manifestait même pas un peu de fatigue. Certes il se livrait à un déchaînement impressionnant de puissance mystique, cependant il bénéficiait de l’appui d’un portail relié à une entité aux pouvoirs stupéfiants.
Alors Orunaé imposait son rythme, encore quelques instants et le duel se solderait sur une victoire éclatante pour lui. Le seul élément un peu désagréable qui plombait un peu le triomphe du sbire venait des voix intérieures qui se déchaînaient, occupaient une bonne partie de son attention, au point qu’il réagit avec un certain temps de retard quand Lancelot propulsa son deuxième sabre dans les airs.
Orunaé traita de manière négligente le fait de jeter une arme, il ne mobilisa qu’une petite partie de sa puissance dans un nouveau enchantement de vent par orgueil pour stopper l’avancée du sabre. Ce qui signifia sa fin. Merlin qui fit semblant d’être dans un état critique, jeta toutes ses forces dans un sort redoutable de déplacement d’objet par la pensée. Il prit au dépourvu le sbire, et permit à ce que le sabre touche sa cible, le levier. Ce qui déclencha sur les adeptes du Néant dans les alentours un terrible affaiblissement physique et magique doublé de convulsions.
Orunaé : Argh ! Le levier, le levier, il faut le remonter.
Lancelot : Que se passe t-il ? Pourquoi nos adversaires sont sans forces ?
Merlin : Celui qui recourt au portail de puissance pour augmenter sa force magique et physique devient dépendant des énergies véhiculées par le portail. Donc, si on le prive de son approvisionnement en puissance, il devient encore plus inoffensif qu’un nouveau-né.