La Tour des Mondes
A+ a-
Chapitre 171 – La force d’un dresseur
Chapitre 170 – Un héros de taille Menu Chapitre 172 : Le dernier au pied de la tour

Pour les humains dans leur vaste majorité, une telle chose est impossible. Un soulèvement animal n’est rien de plus qu’une idée folle que des centaines d’années à maîtriser l’environnement rend impensable. Un animal enragé peut-être. Ou encore quelques-uns de la même race. Mais que des races différentes se rassemblent par centaines et coordonnent une action en groupe est impossible. La barrière entre les races animales l’empêche. La chaîne alimentaire l’empêche. Le simple fait qu’un groupe de prédateurs puissent coopérer avec des animaux qu’ils considèrent comme des proies dans le but d’aider un humain est impossible.

Pour des Grimpeurs, même dans les mondes de la tour, un tel rassemblement relève de l’ordre de l’impossible. Il faudrait au moins un esprit puissant de la nature, une divinité, ou même une intelligence collective magique des animaux pour qu’une telle chose soit possible. Aucun Grimpeur n’aurait imaginé qu’une telle chose soit possible au pied de la tour.

Dans ce domaine fait de pierre de magie et de marbre noir, l’animal est domestiqué ou toléré, il n’est en rien un maître des lieux ou une menace car sinon il serait contenu, enfermé voir même tué pour assurer la sécurité des grimpeurs. Voir autant d’animaux se précipiter dans une seule direction ne fait aucun sens, ne suit aucune logique visible ou compréhensible. Cela peut amuser quelques grimpeurs d’en voir d’autres comiquement poursuivre leur monture ou leur animal de compagnie qui foncent tous dans une même direction, mais personne n’osera se moquer des animaux eux-même.

Car ce n’est pas de quelques chats ou chiens errants dont il est question ici.

Il suffit de regarder le ciel pour le voir. Pour voir ce cyclone de mouettes et d’oiseaux qui se forment. Tous les oiseaux du pied de la tour ont décidé de se réunir en un seul endroit dans le ciel, dans ce qui semble être l’épicentre de cet événement improbable qui a lieu au pied de la tour. Il n’y a plus de bruits dans le ciel, plus un seul son de mouette qui silencieusement fait partie de ce cyclone ou le seul bruit accepté est celui du mouvement des ailes. Il n’y a que le silence dans l’ombre noire vivante qui cache le soleil presque aussi bien que la tour centrale le ferait.

Pour ceux qui ne peuvent que voir les oiseaux, c’est un présage, une malédiction, un sortilège d’une taille démesurée synonyme d’un malheur, ou peut-être même de la colère d’un dieu. C’est aussi un divertissement, une blague élaborée qu’un envoûteur ou un druide doit faire pour impressionner ses amis. Mais ce qui est certain, c’est que personne n’a jamais vu quelque chose de ce genre au pied de la tour. Un mage devenu fou, des tirs d’armes à feu et des combats dans les rues, rien ne rivalise avec ce qu’il se passe maintenant. Tous les animaux foncent dans une seule direction en se moquant des grimpeurs terrorisés par leur apparition ou par la colère et la violence de certains. Même les gardes, en voyant cela, restent impassibles en comprenant qu’ils ne pourront rien faire pour empêcher les animaux de passer et d’aller à l’endroit qui les appelle. Tous se contentent de faire place devant le flux continu d’animaux qui passent à proximité d’eux.

Pour les rangers qui sont liées à la nature, ce qu’il se passe est également incompréhensible. Leurs fidèles compagnons rejettent les ordres et les cris pour se précipiter dans une seule direction, comme mus par une conscience collective. Pour certains c’est un signe, cela ne peut venir que de la gardienne, Orion, et de son pouvoir. Elle appelle les animaux des rangers pour une tâche bien précise et sacrée.

Pourtant depuis le sommet de la tour des rangers, elle observe la scène en sachant que ce n’est pas son pouvoir qui en est responsable.

Elle n’est pas la seule à observer.

Tous les gardiens l’ont senti, ils ont senti que ce pouvoir capable de contrôler tous les animaux présents dans l’existence n’a pour responsable que la gardienne des dresseurs. La gardienne la plus facilement oubliée des 24 qui aujourd’hui, en utilisant ce pouvoir devant leurs yeux, leur rappelle à tous son existence et la preuve que même avec un seul dresseur encore actif, son pouvoir n’est pas à prendre à la légère.

Une preuve de force, une preuve de puissance, une preuve d’existence.

La Mère créatrice des nuées, capable de contrôler toute vie en dehors de celle de l’homme, est encore au sommet de sa puissance et un fragment de son pouvoir entre les mains de son unique dresseur en est une preuve.

Certains gardiens s’en amusent en se demandant quelles sont les circonstances. Certains observent silencieusement comme si ce n’était qu’un divertissement. Certains la détestent et la tueraient s’ils le pouvaient, sans se préoccuper le moins du monde du fait qu’elle a le même statut qu’eux. Certains sont frustrés de voir une telle chose se produire et aimeraient que cela n’ait pas lieu. Certains cherchent à voir comment ils pourraient profiter de cette situation ou comment cacher que cela vient d’elle. L’un d’eux est inspiré par un tel événement et va composer une ballade pour l’occasion. Un autre se demande si des combats vont avoir lieu et s’il devrait intervenir.

Aucun n’est indifférent.

Du sommet de la tour des rangers, pendant que sa robe et ses cheveux flottent violemment dans l’air marin, Orion se contente de regarder cette première véritable démonstration de la puissance d’un gardien au pied de la tour.

Sur son visage pâle pourtant si inexpressif habituellement, un léger sourire apparaît.

« Si la chasse est éternelle, que dire de toi ma sœur. Que dire, si ce n’est que la meute est inarrêtable. »

*

La première partie de la mission est de récupérer le dresseur.

Dans un cri commun, c’est d’abord les canidés et les félins qui chargent. Un tir d’arme et une boule de feu sont utilisés pour essayer de bloquer la charge, mais même si des animaux sont blessés, la charge continue.

Certains des animaux se contentent d’esquiver comme si c’était un jeu d’enfant avant de recommencer à avancer, et la charge ne s’arrête pas alors que les trois grimpeurs tentent d’attaquer dans le but de repousser les animaux.

Des centaines de rats commencent à avancer en se servant de la distraction pour s’approcher sur les côtés. Des centaines de crabes s’avancent aussi dans un grouillement organique pourtant jamais chaotique.

Le grimpeur en armure, après avoir posé Nomad par terre, se place à l’avant et attaque en brandissant deux épées, mais avant même qu’un seul coup ait réussi à toucher, un loup attrape une des lames dans sa gueule pendant que les autres animaux se jettent sur lui en étouffant son hurlement et en lui faisant perdre l’équilibre. Du ciel, les oiseaux se mettent à attaquer continuellement au niveau de la tête le grimpeur à la peau sombre, l’empêchant de faire feu. Pendant ce temps les rats en profitent pour lui monter dessus et le morde, déchirant sa peau et ses vêtements. Le mage de son côté est déjà au sol, recouvert par des crustacés, des rats et des mouettes alors que plusieurs chiens montrent les crocs et lui font comprendre de rester immobile pendant que ses lèvres tremblent de terreur.

Les animaux sont devenus une vague sans fin recouvrant les grimpeurs pour les empêcher de bouger. Beaucoup des animaux se sont juste retournés pour empêcher quiconque de passer. Les oiseaux volent bas en cercle et forment une sorte de barrière avec leur corps. Les animaux recouvrent toutes les surfaces en menaçant même les gardes et les quelques grimpeurs encore présents pour qu’ils reculent ou se tiennent tranquilles.

Il n’aura fallu qu’une poignée de secondes pour que la situation soit complètement maîtrisée, mais comme si ce n’était qu’un début, le corps de Nomad une fois libéré de la couverture est soulevé pour être placé sur un cerf par des milliers de rats.

*

La deuxième partie de la mission est de mettre le dresseur en sécurité.

Le cerf se redresse couvert de rat et de crustacés s’assurant que le corps de Nomad reste bien immobile. C’est ensuite aux oiseaux d’ouvrir la voie. D’un dôme, ils deviennent une vague inarrêtable poussant tout ce qui se trouve sur le chemin de la meute. Les autres montures forment un peloton autour du cerf portant Nomad et se mettent en mouvement. Si les autres animaux menacent toutes les personnes se trouvant sur le chemin pour qu’ils reculent, d’autres retirent tous les obstacles potentiels en les poussant hors du chemin. Une entité unique composée de milliers d’animaux de races différentes ouvre la voie pour remplir la mission qui leur a été confiée.

Les grimpeurs ne peuvent voir tout ce qui se passe que comme un soulèvement animal avant de se faire chasser. Certains d’entre eux préfèrent encore se jeter à l’eau plutôt que de faire face à la meute qui avance sans jamais s’arrêter. Ceux sur le trajet qui cherchent à se défendre en pensant qu’ils sont attaqués sont simplement attaqués en retour de toute part avant d’être désarmés et jetés au sol. Griffes et crocs sont suffisants quand ils sont innombrables.

Si les oiseaux ouvrent la voie et font fuir les menaces, ce sont les loups, les chiens et les chats qui les précèdent qui dégagent la route et repoussent toute forme de menace avant que les rats ne prennent le relais dans l’emprisonnement.

La masse des animaux fonce dans une seule direction, celle de la tour des Rangers.

Les oiseaux encore présents par milliers dans le ciel se propagent dans la forêt en chassant les grimpeurs présents et sont rapidement suivis par les autres animaux qui finissent de faire fuir ceux qui n’ont pas compris que leur présence n’était qu’un obstacle à la mission reçue par les animaux.

Ils se réapproprient aussitôt toute la forêt en créant plusieurs barrières de protection composées des différentes races pour empêcher l’entrée à tout ce qui n’est pas animal.

Là, au milieu d’une clairière, les animaux déposent Nomad au sol.

*

La troisième partie de la mission est de soigner le dresseur.

Il repose au milieu de l’herbe, le visage bien trop pâle. Du sang se répand encore de sa plaie au ventre et à l’épaule. Pour combattre le froid les animaux se mettent à le recouvrir en partageant leur fourrure et leur pelage pour le réchauffer.

Pour soigner ses blessures, les crustacés s’approchent et, en se servant de leurs pinces, déchirent les vêtements avant de plonger les pinces dans les plaies pour aller chercher les corps étrangers encore présents dans la chair. Son corps se débat quelques instants avant d’être maintenu en place.

Pendant ce temps un groupe d’oiseaux cueillent différentes plantes et fruits médicinaux des jardins de la tour des Druides qui sont aussitôt ramenés dans la clairière.

Les aliments sont broyés, décortiqués puis mâchés avant d’être donnés à la becquée à Nomad.

La balle est retirée de la plaie après plusieurs minutes et une mixture d’herbes la remplace aussitôt.

Chaque plaie et chaque coupure sur son corps est traitée scrupuleusement de la même façon par des centaines d’animaux différents obéissant à l’unique mission qu’ils ont reçue.

Cependant à l’extérieur de la forêt, les grimpeurs s’organisent et s’apprêtent à lancer une attaque sur les animaux. Même s’ils ne comprennent pas ce qu’il se passe, pour eux il est clair qu’il faut résoudre la situation, peu importe le prix, pour que le calme reviennent au pied de la tour. Les gardes essayent de les arrêter, certains rangers parlent d’une mission sacrée, mais ils sont peu nombreux face à la foule mécontente.

Des cavaliers ont perdu leur monture, des vendeurs ont vu leur étal être détruit sous leurs yeux. Certains ont perdu leur animal de compagnie et des rangers moins convaincus que d’autres ont perdu leur compagnon qui refusait d’obéir à l’ordre de revenir. Certains druides après le pillage des jardins se sont organisés en petit groupe pour se venger des plantations détruites qu’ils ont parfois cultivé pendant plusieurs mois.

Petit à petit l’amas de grimpeur autour de la forêt grandit pendant que les mécontents s’organisent et forment des groupes de reconquête. Le pied de la tour est leur maison maintenant, et il ne laisseront pas des animaux devenus fous y semer le chaos. Si pour l’instant les gardes empêchent les grimpeurs de s’approcher de la forêt, dans peu de temps ils seront débordés par la foule toujours plus nombreuse.

Les animaux le savent et ils doivent prendre une décision. La conscience collective cherche à savoir quelle est la meilleure décision à prendre pour sauver le dresseur à présent. Se battre ? Le cacher ? Le mettre en sécurité ?

C’est la souris qui a lancé tout ça qui finit par donner la marche à suivre. L’aile des dresseurs dans la tour des rangers. C’est là qu’il sera le plus en sécurité.

La décision est prise.

*

La quatrième partie de la mission est de mettre en sécurité le dresseur.

Une partie des animaux qui ne sont plus utiles pour la suite de cette mission commencent à se disperser.

Pendant ce temps les animaux se regroupent à l’endroit de la forêt qui est le plus proche de la tour secondaire. Une foule de grimpeurs bloquent le passage.

Une marée mouvante approche. Le sol tremble.

Les gardes perplexes se retournent sans savoir quoi faire. Le mieux serait encore de créer un passage, mais même si certains grimpeurs sont déjà en train de courir pour fuir la charge, certains préparent leurs épées, lances, sceptre et sortilège dans une dernière tentative pour stopper la meute qui charge.

Même si la foule est nombreuse, son organisation n’est pas celle d’une armée, ni d’une grande guilde et que faire quand devant soit le règne animal à l’air d’agir d’une seule voix. Plus de la moitié cours pour se réfugier pendant que les autres se préparent au choc.

Avant même que les premiers ordres et sorts puissent être lancés, les oiseaux se jettent sur la foule en obligeant les guerriers à se protéger derrière leur bouclier et les mages à arrêter leurs incantations. Les loups se jettent sur la première ligne de grimpeurs qui réussit tant bien que mal à tenir le coup malgré les crocs, les becs et les griffes qui passent à proximité de leur visage.

Mais c’est ensuite au monture de charger.

A la tête de la meute se trouvent à présent des chevaux en armures qui charge les grimpeurs en se moquant de leur défense. A droite et à gauche d’autres montures moins bien protéger charge à leur tour en brisant le reste des défenses. Les autres animaux en profitant de l’ouverture se jettent à l’intérieur des brèches créer par la charge et attaquent sans discernement tous ceux qui se tiennent sur leur chemin. La meute avance alors que par dizaines les grimpeurs tombent au sol et se font ensuite attaquer par les rats, derniers arrivant de la meute qui mordent et griffent sans fin.

Dans ce chaos, le cerf portant le dresseur avance alors qu’autour de lui les animaux s’organisent pour le défendre et continue d’ouvrir le chemin.

Les oiseaux se jettent à l’intérieur de la tour des rangers par toutes les ouvertures et les grimpeurs insouciant ou qui cherchent à se protéger de la meute sont à nouveau attaqués par des centaines d’oiseaux dont le nombre dépasse les cent pour un.

Les obstacles sont repoussés, les escaliers vidés, la vision du dresseur est rendue impossible par la vague d’oiseaux attaquant sans fin toute personne présente dans le hall principal.

Jusqu’à ce que finalement le cerf finisse par atteindre la grande porte menant à l’aile des dresseurs. Celle-ci est ouverte et le corps de Nomad est déposé à l’intérieur avant que les portes ne soient refermées.

Au moment où les portes sont fermées, la mission est accomplie.

Les oiseaux s’éparpillent dans le ciel, les rats et souris se cachent en retournant dans la forêt et les caniveaux. Les montures et les animaux de compagnie retournent calmement voir leur maître et les combats cessent aussitôt alors que la meute commence à se disperser.

À aucun moment les animaux n’étaient dominés ou en colère de devoir suivre cet ordre. C’était quelque chose qu’ils devaient faire, un appel à l’aide pour lequel ils auraient donné leur vie si nécessaire.

Un appel qui attendait une réponse, peu importe la raison.

L’appel de la pierre disparaît lentement et les animaux finissent de se disperser en retournant à un état primaire naturel pour eux. Là où leur existence n’est plus liée à celle du dresseur.

*

Sur le sol froid du hall de la classe se trouve le corps du dresseur inconscient et une souris tenant une pierre verte se tient sur son torse.

Une personne s’approche et regarde l’homme par terre en ignorant la souris qui semble contente de la revoir.

Elle regarde ensuite la porte de la classe en écoutant le brouhaha et les cris de colère et d’incompréhension qu’elle peut entendre dans la tour des rangers et même à l’extérieur.

Elle soupire quelques instants.

« Je vais vraiment avoir de gros problèmes cette fois-ci. »

*

Fin de l’arc Lishnul.



Rejoignez-nous et devenez correcteur de Chireads Discord []~( ̄▽ ̄)~*
Chapitre 170 – Un héros de taille Menu Chapitre 172 : Le dernier au pied de la tour