Alors que Deshya va se rendre à la cabine du conducteur, un wagon plus loin que le leur, Deshya s’arrête d’un coup.
– !!
Ses oreilles de renard, plus sensibles et puissantes que celles d’un humain, captent un son qui provient du wagon d’à côté. Pas celui qu’elles doivent prendre pour rejoindre la cabine, mais celui qui est à l’opposé. Deshya se met à courir, des passagers qui se mettent à parler entre eux et ressentent un malaise, et Tessa rattrape Deshya en courant à son tour. Elles passent la porte automatique et Deshya lui dit ce qu’elle a entendu :
– J’ai entendu un coup de feu !!
– Q-Quoi ?!
Tessa ouvre grand les yeux, ainsi que la bouche, n’ayant pas entendu un tel son. Le train en mouvement, sa déconcentration et le fait que le son proviendrait du wagon d’à côté, séparé par deux portes automatiques fermées et le bruit du train qui roule, ont fait qu’elle n’a pas pu entendre ce son-là. Elle ne sait pas comment Deshya l’a entendu, mais ne pas la croire serait idiot de sa part. Elles passent toutes les deux la deuxième porte qui les séparent de leur wagon et là—
– !!!
– A-Ah ?!!
Deshya et Tessa s’arrêtent et regardent la scène en face d’elles. Certains passagers crient de peur et d’autres se retournent vers les deux filles qui viennent d’arriver.
– Q-Quoi ?!” crie Tessa, les yeux grand ouverts.
Un peu plus loin, le corps à terre et une flaque de sang sous lui—
Un homme vient de perdre la vie.
CHAPITRE 7
⎾Le Train Inarrêtable ; Partie 2⏌
Deshya est immobilisée par ses propres émotions, ne réussissant pas à bouger son regard du corps qui se trouve dans la flaque de sang. Un passager la réveille de son esprit lorsqu’il crie et pousse les deux adolescentes. Il sort du wagon en criant, tandis que Deshya tombe sur les cuisses d’un homme qui la tient.
– Ouhlà !
Tessa cligne des yeux et grince des dents avant de reprendre Deshya en la tirant avec force vers elle, la mettant debout à nouveau. Deshya soupire et ferme les yeux. Tessa la regarde quelques instants avant de mettre ses mains dans ses poches du pantalon qu’elle a.
– Si une telle vue te choque trop, tu peux—
– N-Non.
Deshya serre les deux poings, les dents grinçantes. Tessa la regarde d’un œil avant de sourire et s’avance dans le couloir du train. Derrière elles, Frie et Amora arrivent.
– U-Un homme vient de courir dans le wagon en criant, qu— ?!! W-Waaa ?!!!
Amora se met à crier et Deshya se retourne rapidement en lui faisant signe de se taire. Amora met ses mains devant la bouche, les yeux grand ouverts et fixés sur l’homme qui est couché dans une flaque de sang…
Qui est fort probablement SON sang.
– … !! … !! … !!
Amora se met à ventiler et Deshya demande à Frie de retourner avec elle dans le wagon d’à côté. Frie est immobilisée par la peur, ne pouvant pas retirer son regard du corps qui se trouve plus loin ; et pourtant, elle veut tout faire sauf le regarder. Cet homme qui baigne dans son propre sang, qui n’a plus de vie dans les yeux… Malgré la distance entre elle et le mort, elle peut voir l’expression calme, mais pourtant sans vie de l’homme. Frie tremble, ses dents se touchent et s’écartent rapidement, comme si elle grelottait à cause du froid. Tessa s’arrête avant d’approcher le corps et Deshya secoue Frie. Cette dernière cligne des yeux et regarde Deshya.
– Retournez au wagon !!” crie-t-elle.
Frie recule et acquiesce avec difficulté avant d’attraper Amora.
– O-On y va…” lui dit doucement Frie.
Amora se met à courir, passe la porte avant même Frie et cette dernière la suit en se tenant un bras. Deshya se mord la lèvre inférieure, les regardant partir avec un air attristé. Tessa s’approche de la fille et lui touche l’épaule.
– Tu ne veux pas que tes amies voient un mort, mais toi, tu peux sans souci ?” plaisante-t-elle.
Deshya baisse faiblement la tête et un petit ‘Hm’ retentit de sa gorge.
– …
Deshya se retourne et observe le cadavre. Alors qu’elles étaient dans l’autre wagon, un coup de feu a retenti ici. Grâce à son ouïe plus développée que des oreilles humaines normales, elle a pû l’entendre malgré le bruit du train et sa déconcentration sur le manque d’arrêt de la part du conducteur. Deshya s’avance vers la scène de meurtre et Tessa sourit.
– …
Elle ne dit rien et la suit, juste derrière elle. Les passagers ne crient plus, mais la peur est toujours installée dans le cœur de tous et l’un d’eux agrippe Deshya avant qu’elle puisse approcher le cœur.
– Q-Que faites-vous ?!” crie l’homme.
Deshya s’arrête et observe vers l’homme qui l’a attrapé. Tessa s’arrête aussi derrière elle et l’observe. Il a l’air de se sentir très mal, mais cela n’est pas étonnant, vu qu’une personne vient de mourir. Deshya se tourne vers lui.
– Je veux juste voir ce qu’il s’est passé…” avoue-t-elle.
– U-Une petite comme vous… ?” dit l’homme, choqué.
– …
Deshya n’aime pas qu’on l’appelle ‘petite’, mais elle comprend que du point de vue d’un adulte, elle n’est pas très… grande. C’est une jeune fille qui est encore adolescente : elle-même le sait très bien. Et pourtant…
– Exactement.
– N-Ne te fous pas de moi !
D’un coup, son ton change et il devient plus agressif. Alors qu’il tire Deshya vers lui, Tessa le frappe au visage d’un poing rapide et l’homme se tient l’œil gauche, lâchant la fille au pull renard. L’homme serre un poing.
– HEIII—
– Fermes-la.
– !!!
Tessa l’attrape par le col et une expression enragée traverse son visage. Ses deux yeux fixant avec intensité ceux de l’homme, elle lui lâche :
– Tu t’prends pour qui, à attraper ma pote comme ça ?!
– T-Tessa…
La fille lâche en poussant l’homme et hésite à lui cracher dessus, mais elle avale sa salive et claque sa langue contre ses dents blanches. Deshya sourit doucement, mais ce même sourire disparaît rapidement lorsqu’elle se tourne vers le corps de l’homme. Elle va s’approcher pour mieux l’observer quand—
– Dis donc, Deshya ne touche pas un cadavre comme ça.
Une main lui attrape le poignet et Deshya tourne le visage vers la voix qui vient de lui parler. Une dame âgée, un peu plus de la cinquantaine, aux cheveux déjà blancs, se trouve là. Deshya cligne des yeux et Tessa s’arrête à nouveau, les mains dans les poches.
– Tu la connais, Deshya ?” demande-t-elle.
Deshya l’observe attentivement : elle vient de prononcer son prénom, donc cela doit être une femme qu’elle connaît. Un air amical et une longue écharpe autour du cou, ainsi que des cheveux qui rappellent ceux de Frie, mais aux mèches tombantes de l’autre côté du visage. Ils sont aussi attachés, bien que la dame ait une queue de cheval rebondissante, contrairement à ceux de Frie qui sont attachés sur le côté droit d’une façon bien particulière. Des gentils yeux bruns et deux boucles d’oreilles pendant depuis les lobes, la dame n’essaye même pas de cacher le temps qui passe, prouvées par les rides de son visage. Elle porte un jeans bleu marine un peu trop serré et des sortes de bottes oranges sur les pieds. Avec le gilet gris qu’elle a sur le corps et son rouge à lèvre rosé autour de la bouche, cette femme prouve qu’elle sait avoir du style. Deshya cligne des yeux…
– … Vous êtes la mère de Frie ?” demande-t-elle.
Tessa pouffe : elle a pensé pareil. Après tout, les cheveux de la dame sont similaires à ceux de Frie, juste un peu différents sur la façon dont ils sont attachés. De plus, le côté qui tombe chez Frie est à sa gauche, mais cette dame est à sa droite. La femme qui tient encore le poignet de Deshya cligne des yeux…
– … F-Frie ?
Elle penche la tête, ne sachant absolument pas qui c’est. Elle secoue la tête et lâche enfin le poignet de Deshya, un sourire sur le visage.
– Non, non, je connais ton père !” avoue-t-elle.
Deshya se relève totalement et observe longuement la femme.
– Mon père… ?
‘Gatito’, le père de Deshya, n’est pas inconnu, donc cela ne l’étonne pas. Cependant, tout le monde ne connaît pas Deshya parce qu’ils savent qui est Gatito. De ce qu’elle sait sur lui, ce n’est pas un homme qui viendrait parler de sa fille — voire sa famille — à tout le monde, excepté des gens proches ou de la police. De plus, comment est-elle certaine qu’elle est Deshya… ? Certes, elle vête toujours un pull renard, mais elle n’est pas la seule qui en porte un. Oui, elle est rousse, mais est-ce suffisant pour affirmer qu’elle soit Deshya… ?
– … Je suppose.
Elle se le dit avec un sourire amusé, mais la femme se lève à son tour et s’explique :
– Je m’appelle Annie, ‘Annie Terru’. Je suis médecin pour la police de Tetazo.
La dame agite sa queue de cheval et sourit en regardant Deshya. Tessa siffle en retirant ses mains de ses poches.
– Mademoiselle a des contacts, à ce que je vois !” plaisante Tessa.
Annie se tourne vers elle avec une expression étonnée.
– Plaisanter devant une scène de crime… Étrange fille.
– Je suis tout sauf normale !
Tessa sourit, fière de ce qu’elle a dit. Annie l’interroge du regard et Deshya lâche un petit rire nerveux. Annie s’accroupit devant le défunt, tandis que les passagers se regardent entre eux, toujours apeurés, mais désormais étonnés aussi. Voir la femme se présenter de la sorte et deux adolescentes arriver sur la scène alors qu’elles n’étaient même pas dans ce wagon… Tout cela est très spécial. Deshya s’accroupit à son tour et Annie met une main devant elle. Deshya l’interroge du regard.
– Je sais que tu es la fille de Gatito. Je sais que tu es considérée comme un génie à ton école et je sais que tu as résolu un meurtre hier.
Annie tourne le visage vers elle, une expression sérieuse dessus. Il est clair qu’elle ne dit pas tout ça sans penser à ses propres mots.
– Mais quiconque lui a tiré dessus est encore dans ce train ; encore pire, dans ce wagon. C’est dangereux.
Son ton. Son expression. Son regard. Tout chez Annie fait comprendre à Deshya qu’elle ne peut pas faire autre chose que la prendre au sérieux. Elle déglutit bruyamment et Tessa, qui est restée debout derrière elle, plisse les yeux.
– Le meurtrier est toujours dans ce wagon… Personne n’est sorti ?” demande-t-elle.
Annie tourne le visage vers la fille aux longs cheveux mauves.
– Seul l’homme qui vous a poussé est sorti, mais je suis certaine qu’il n’aurait pas pû le faire, surtout que sa réaction était bien trop réelle. Il n’était pas dans une position pour le tuer. De plus…
Annie tourne désormais le visage vers la porte qui pourrait les mener au wagon d’à côté, le quatrième. Celui qui s’approche du milieu du long train où ils se trouvent.
– Cette porte-là ne s’ouvre pas. Elle est bloquée.
– !!
– V-Vraiment… ?
– OUI !!!
Alors que Deshya se pose la question, une femme hurle. La fille au pull renard sursaute et regarde derrière elle. Une femme pointe Annie, des larmes dans les yeux.
– E-Elle nous a dit que nous n’avions pas le droit de sortir d-dans tous les cas car le tueur est ici !!! Mais elle est idiote !!!” dit la femme.
– Idiote ?! M’appeler de la sorte, mph.
Annie gonfle les joues, faisant la moue. Deshya cligne des yeux et regarde la femme âgée, surprise.
– Est-ce qu’il ne faudrait pas évacuer tout le monde, à la place… ?” demande Deshya.
Annie met des gants à ses mains et sourit.
– Si tout le monde court dans tous les cas, le criminel va sûrement s’échapper d’ici sans qu’on puisse trouver qui il est. De plus, seul le wagon deux et un sont disponibles, donc il n’y a pas vraiment d’échappatoire, quand on y pense.
Annie serre les poings et les desserre plusieurs fois avant de regarder le corps du défunt.
– Maintenant que tout le monde est sur leur garde, tuer quelqu’un dans ce wagon est impossible, ou alors il va se faire avoir,” explique-t-elle.
Avec une expression sérieuse, elle observe le tronc de l’homme. Deshya fait de même et plisse les yeux : un trou se trouve dans sa veste… juste en face de son cœur. Bref—
– S’il se fichait de se faire avoir, il aurait simplement tué sans se cacher, ou en tout cas, pas de la façon.
– Que voulez-vous dire ?” demande Deshya.
– Je n’ai pas encore demandé à tout le monde ce qu’ils ont vu, mais personne ne semble avoir observé quelqu’un tirer un fusil dans le wagon.
– Je n’ai rien vu !!
– Personne ne s’est levé…
– Q-Qui aurait pû faire ça ?!
Les gens se mettent à s’exciter dans tous les sens à nouveau. Annie met une main sous son menton, toujours en train d’observer le corps en face d’elle.
– C’est probablement quelqu’un qui souhaitait tuer cette cible en particulier, pour une raison ou une autre, et ne veut pas être attrapée. Elle compte sortir du train dès qu’il s’arrête, donc si je laisse tout le monde s’enfuir, alors quiconque a tué cet homme s’en sortira sans problème.
Tessa s’est accroupie à son tour et plisse les yeux. Cette dame est docteure et pourtant, elle parle comme une vraie policière. Certes, elle a dit être docteure pour la police de Tetazo, mais elle reste perspicace. Tessa se demande quand même si c’est la meilleure façon de faire… Annie n’a clairement pas tort et Tessa, ni Deshya, n’oseraient la contredire, mais est-ce réellement le plan le plus sûr ? Tessa regarde la porte automatique qui, semblerait-il, ne s’ouvre pas, et fronce les sourcils.
– … Quelque chose…
Elle n’arrête pas de fixer cette porte.
– … Quelque chose se passe de bizarre, dans ce train…
Tessa réfléchit tandis que Deshya discute avec Annie.
– Mais comment faites-vous pour qu’ils restent tous dans le wagon… ?” demande l’adolescente.
– Oh ? Eh bien, je reste de la police et ces deux messieurs m’aident.
Elle pointe du doigt deux hommes baraqués. Leurs muscles sont même visibles à travers leurs t-shirts et des têtes à faire peur aux enfants.
– On ne laissera personne sortir !!!” crie l’un d’eux.
– A-Ah, je vois…
Deshya lâche un rire nerveux avant d’observer à nouveau le corps. Elle en est un peu dégoûtée, mais ce n’est pas une mort trop… ‘horrible’.
– Une balle dans le cœur…” pense-t-elle tout haut.
– Exactement.
Annie est penchée sur le corps et l’observe sans trop le toucher. Pendant ce temps, Tessa scrute les passagers du train depuis sa position, toujours debout. Deshya observe aussi le cadavre en face d’elle. C’est un homme qui semble avoir un certain âge, probablement le même que son père ; bref, dans la quarantaine. Du sang sort depuis la blessure et même si Deshya ne sait pas dire exactement ce que la balle a transpercée, elle est certaine d’une chose : elle l’a tué d’un coup, pénétrant son cœur et le trouant. Annie plisse les yeux.
– Un seul coup de fusil dans le cœur… Il est mort directement,” observe-t-elle.
– Est-ce que vous savez qui aurait pû le tuer ?” demande Deshya.
Annie se tourne vers la masse de passagers qui se trouve vers l’avant du wagon, de là où viennent Deshya et Tessa.
– Personne n’a observé le tueur en action et je lisais tranquillement l’autobiographie d’un auteur que j’aime, donc je n’ai pas fait attention… J’étais aussi déconcentrée par le train qui ne semble pas vouloir s’arrêter,” avoue-t-elle.
– Justement, nous allions voir l’conducteur pour voir ce qu’il se passe,” lâche Tessa.
– …
Annie observe l’adolescente aux cheveux colorés sans rien dire avant de se relever. Deshya reste accroupie, regardant la docteure.
– … Je pourrai en discuter avec vous, mais asseyez-vous ici deux secondes.
Tessa et Deshya se regardent avant d’aller s’asseoir l’une à côté de l’autre. L’homme en face, un manque de tranquillité sur son visage, les observe sans trop comprendre ce qu’il se passe.
– Deshya, je te connais bien et je sais que tu es intelligente,” commence Annie. Cependant, on parle d’une vraie scène de meurtre, ici.
– Je sais, mais—
– Mais quoi ?
Deshya se fait couper dans sa phrase et Annie continue sans lui laisser la possibilité de se défendre.
– Tu n’es qu’une adolescente de 16 ans. Et ton amie…
– Je m’appelle Tessa Merossa, je suis membre des ‘Renards Associés’ de l’école de Tetazo.
– … Je vois, j’en ai entendu parler…
Annie croise les bras.
– Vous êtes jeunes et n’avez aucune expérience dans le domaine ; et même si vous êtes toutes deux intelligentes, un criminel se trouve dans ce wagon. Vous pensez vraiment que vous pouvez simplement chercher des indices et trouver qui est le tueur sans danger ?
Elle fixe Deshya.
– Tu es la fille unique d’un homme que je respecte grandement. Je ne peux pas te mettre en danger de la sorte.
Deshya ne sait pas quoi dire et Tessa ne voit pas ce qu’elle pourrait répliquer. Deshya baisse doucement la tête, les mots de la femme nommée ‘Annie’ créant un poids de plus en plus lourd au-dessus de sa tête.
– Je sais que vous voulez sûrement aider, mais même si je suis docteure, je travaille aux côtés de la police. C’est bien trop dangereux.
– …
Deshya ne réplique toujours rien. Silencieuse et la tête baissée. Annie attend quelques instants et soupire finalement : on dirait que Deshya a compris.
Cependant, la fille ouvre la bouche.
– … Je sais, mais…
Annie plisse les yeux en tournant son regard vers elle. Deshya lève la tête.
– Je ne peux pas rester assise en croisant les bras !” dit-elle.
– D-Deshya !
– Je sais ! Je sais… ! Je suis une jeune adolescente qui fonce tête baissée en me croyant invincible. Je suis une jeune fille qui pense que rien ne lui arrivera, mais je ne peux pas rester assise quand je sais qu’un criminel, homme ou femme, est sur ce train !
Bien qu’elle semble crier, Deshya parle assez doucement pour que seules Tessa et Annie puissent entendre ; bien que l’un ou l’autre passager les écoute aussi.
– Je veux aider !!
Deshya se lève, Tessa et Annie la fixant avec de gros yeux. L’expression de Deshya est déterminée, presque énervée, les dents serrées ainsi que ses poings. Annie cligne des yeux, observant dans l’expression de la jeune fille…
– … Eh.
Annie sourit, ce qui étonne Deshya. La femme retire son écharpe et la pose sur la table devant Tessa avant d’offrir à Deshya une expression déterminée à son tour, bien que différente que celle de la fille de Gatito.
– Tu ressembles vraiment à ton père.
– … ?
– Si tu veux aider, alors fais en sorte de découvrir qui est le coupable derrière cette mort.
Annie s’avance dans le couloir et sort une enseigne de sa poche.
– Je suis Annie Terru, je travaille pour la police de Tetazo ! Quiconque fait le moindre geste suspect ou sort du wagon sans mon autorisation sera vu comme un suspect !!
Deshya se tourne vers Tessa qui hausse les épaules. Les deux adolescentes se fixent quelques instants avant que Deshya se retourne, regardant Annie avec un petit sourire.
– Si vous voyez quelque chose d’étrange ou quelqu’un agir suspicieusement, rapportez-le moi directement. Je vous promets qu’on attrapera quiconque a tué cet homme rapidement !” termine Annie.
Elle range son enseigne dans la poche de son manteau et se retourne vers les deux adolescentes qui se lèvent l’une après l’autre. Tessa s’accroupit devant le corps du mort et se frotte le menton.
– Une balle dans le cœur… On dirait que le tir était assez précis, vu que ça l’a tué d’un seul coup,” remarque-t-elle.
Annie met les mains dans les poches de son manteau et s’arrête en face du corps, juste derrière Tessa et Deshya.
– Pour faire un tel tir, le coupable a dû prendre son temps pour tirer, devait être certain que la cible ne bougeait pas ou a été chanceux.
– Dans tous les cas, tout le monde ne pouvait pas faire un tel tir, pas vrai ?” demande Deshya.
Annie acquiesce à la question de la jeune adolescente.
– Les gens sont tous à leur place comme ils étaient au moment du tir, donc on peut retirer de la liste des suspects ceux qui sont assis derrière la victime, de l’autre rangée où je me trouve qui n’ont pas un angle correct pour tirer ou ceux qui sont assis dans le sens opposé.
– Personne ne s’est retourné pour tirer, cela signifie ?
Annie secoue la tête et regarde les passagers qui parlent entre eux, certains sur leurs téléphones.
– Peut-être que quelqu’un s’est retourné au même moment, mais je ne l’ai pas vu. Cependant, personne ne semble rapporter le moindre geste suspicieux, donc cela veut dire que soit personne ne s’est retourné, soit il a trop peur pour en parler. Peut-être menacé, même.
Deshya se relève et plisse les yeux en scrutant le train. Elle tourne le visage vers le siège où s’est fait tué l’homme. Une femme aux cheveux noirs et aux yeux émeraudes se trouve à côté de la place où la victime était assise avant de tomber sur le côté, vers la gauche, en mourant. Tessa se relève et approche sa bouche vers l’oreille de Deshya ; enfin, là où devrait se trouver son oreille humaine.
– Les trois personnes à côté sont les plus probables de l’avoir tué…
Deshya acquiesce et plisse les yeux en regardant la femme aux cheveux noirs. Elle se souvient l’avoir vue dans leur wagon, derrière l’homme au bâton à selfie.
– Q-Qu’est-ce qu’il y a… ?” demande la femme, remarquant que la fille au pull à oreilles la fixe.
– A-Ah, rien, pardon…
– C-Ce n’est pas moi !
– … Je n’ai rien dit.
– …
La femme se met à trembloter et ronge son propre ongle ; pour être plus précis, celui de son pouce gauche. Deshya n’y prête pas attention et regarde les deux personnes en face. Une autre femme aux cheveux roux, bien que moins orangées que ceux de Deshya, et un homme chauve se trouvent tous deux là. Il y a de grandes chances que le coupable soit un des trois… mais Deshya se demande si c’est possible de tuer la victime sans se faire remarquer.
– … Et si…
Alors qu’elle est dans ses pensées, Tessa lui touche l’épaule. Deshya cligne des yeux et se tourne vers son amie.
– Faudrait qu’on demande au conducteur d’arrêter le train avant, nan ?” lui propose Tessa.
Deshya regarde à travers les vitres propres du véhicule en voyant le paysage continuer à défiler sans le signe d’un frein prévu. Annie va voir les différents passagers en leur demandant s’ils ont vu quoi que ce soit et Tessa sourit. Deshya acquiesce à la question de son amie et lui dit qu’elles n’ont qu’y aller maintenant, mais Tessa secoue la tête.
– Pourquoi ?” demande Deshya, étonnée.
Tessa cache ses deux mains dans les poches de son pantalon et sourit, montrant ses belles dents blanches.
– Je te l’ai dit avant, nan ? On est que deux adolescentes qui jouent aux détectives, mais on est aussi deux lycéennes qui ont un cerveau qui fonctionne un peu plus que les autres, rien d’autre.
Elle fait un mouvement de la tête qui montre la femme aux cheveux blancs.
– Si t’y vas avec une vraie policière, tu as bien plus de chances qu’il accepte de vous parler.
Deshya regarde Annie et sourit à son tour.
– Tu es bien plus intelligente que moi, j’ai honte…
Deshya lui fait signe et court vers Annie. Tessa abaisse doucement ses paupières en la regardant s’en aller, sa queue de renard bougeant de gauche à droite dans son dos.
– Plus intelligente, tu dis…
Tessa soupire.
– Ne dis pas ça… Par pitié.
Tessa se retourne vers le corps du défunt et remarque son visage.
– … N’est-il pas…
Alors que Tessa se trouve à côté du cadavre, Deshya arrive à la hauteur d’Annie. Cette dernière remarque la fille de Gatito arriver à côté d’elle et se tourne vers elle.
– Vous avez trouvé un indice ?” demande Annie.
– Non, Tessa m’a fait remarquer qu’il faudrait sûrement demander l’arrêt du train.
– Cela ne serait pas idiot, mais si le train s’arrête, il y a des chances que le coupable en profite…
– Allons au moins prévenir le conducteur !
– …
Annie se tourne vers l’adolescente qui vient de s’accroupir devant le cadavre, juste à côté des hommes musclés qui ont promis à Annie de surveiller le wagon. Elle dépose son regard à nouveau sur le visage jeune de Deshya et ensuite sur la porte qui mène au deuxième wagon.
– …
Annie est en pleine réflexion, Deshya juste à ses côtés qui attend sa réponse. Si la dame ne veut pas l’accompagner, alors que va-t-elle faire ? Est-ce que le conducteur acceptera réellement de lui parler à elle seule… ? Alors qu’elle est une simple adolescente ? Tessa n’a pas tort… et Deshya le sait très bien. Elle espère de tout cœur qu’Annie va accepter, sinon, le mystère du train en constant mouvement ne sera pas résolu tout de suite. Annie regarde à nouveau Deshya et—
– D’accord. Faisons vite.
— Elle accepte. Cela rassure Deshya qui sourit et acquiesce. Annie passe devant et observe une dernière fois les deux hommes qui ont accepté de l’aider à que tout se passe bien dans le wagon. L’un des deux, voyant Annie partir, lui montre son pouce avec un sourire à pleine dent. Désormais un peu plus rassurée, Annie passe la porte automatique qui mène au deuxième wagon, suivie de Deshya. Toutes deux silencieuses, elles avancent dans le wagon d’où viennent Deshya et Tessa, là où attendent quelques personnes. Il y en a moins dans ce wagon que l’autre, mais cela n’est que fruit du hasard.
– Q-Que se passe-t-il ?” demande un homme.
– Est-ce que tout va bien ?” en demande un autre.
– Il se passe quoi avec ce train ?!” crie une femme.
Les ignorant tous, Annie continue sa route avec Deshya, et cela vers le premier wagon ; pour ensuite rejoindre la cabine du conducteur. Deshya passe à côté des deux sièges où se trouvent Frie et Amora, toutes deux l’une à côté de l’autre.
– D-Deshya !” crie Frie.
– Tout se passe bien ?!” demande Amora.
Deshya freine devant elles et sourit.
– On va rapidement discuter avec le conducteur pour voir si on peut arrêter le train, bien que je suppose qu’il y a un gros problème là-bas,” répond sincèrement Deshya.
Ce qu’elle ne dit pas, c’est ce qu’elle pense dans l’arrière de sa tête. Elle suit Annie avec un tracas bien précis. En se dirigeant vers la cabine du conducteur, là où ce dernier devrait se trouver en train de vérifier que le train va bien, Deshya se demande—
– Vu la situation… Vu qu’un meurtre a été commis alors que le train ne s’arrête pas…
— Deshya se demande si le train n’est pas en train de se faire détourner.
– …
Si le conducteur n’est pas réellement le conducteur, mais un ami du tueur, alors cela signifie que tous les passagers de ce train sont en danger. Deshya n’y a pensé que lorsque Tessa a parlé avec elle à propos d’arrêter ce train, mais y aller avec Annie n’est pas simplement la meilleure solution ; c’est la seule solution possible. Elle ne sait toujours pas ce qu’ont vu ou entendu le couple qui y sont allés. Néanmoins, ils sont tous deux revenus sains et saufs, sans blessures ou traumatismes, simplement frustrés… donc Deshya a espoir que rien de mal ne s’est passé. Un manque de réponse de la part du conducteur, peut-être ?
– Mais cela ne signifie justement rien de bon… Tsk.
Deshya plisse les yeux dans sa frustration et, juste derrière la femme amie avec son père, elle passe la porte pour arriver dans le prochain wagon. Elle remarque que celui-ci est déjà plus bondé que le deuxième, ainsi que le troisième où le meurtre a été commis. Ils ne semblent pas être trop tracassés, donc ils ne doivent pas savoir ce qu’il s’est passé quelques minutes auparavant.
– Ne dit rien,” lâche doucement Annie.
– Je sais,” répond directement Deshya.
Elles traversent le wagon silencieusement, évitant de croiser le regard des nombreux passagers. Certains sont en colère et d’autres impatients, probablement à cause du train qui ne s’arrête jamais. Deshya met les mains dans les poches de son pull et baisse doucement la tête. Elles arrivent devant la porte qui mène à une partie qui n’est ni wagon, ni la cabine ; le ‘couloir’ avant d’arriver à l’endroit où elles doivent se rendre. Deshya déglutit bruyamment, le stress se faisant de plus en plus ressentir. Que vont-elles trouver dans la cabine… ? Un vrai conducteur… ou un traître ? Annie arrive devant la porte fermée de la cabine et, avant de toquer dessus, parle à Deshya sans pour autant la regarder.
– Si je te dis de courir ou si je sens du danger, tu t’enfuis tout de suite, d’accord ?” dit-elle.
– Bien sûr.
– Avant que tu ne me le demandes, j’ai déjà contacté ton père que le train ne s’arrête pas, mais je n’ai pas encore eu de réponse de sa part.
Deshya plisse les yeux. Un manque de réponse de la part de son père signifie qu’il est soit occupé, soit qu’il a perdu son téléphone ; mais parfois, il peut ne rien dire lorsqu’une situation très compliquée est entre ses mains. Les autres trains de cette voie sont tous annulés, donc peut-être… !
– Okay.
Annie toque à la vitre, là où un homme se trouve devant un tableau de bord et une autre vitre encore plus grande pour qu’il puisse voir ce qu’il y a devant lui. L’homme entend le bruit à la vitre et se retourne. Deshya est derrière Annie, prête à fuir s’il le faut, tandis que la femme docteure reste impassible. L’homme s’approche de la vitre assez doucement et Annie montre son enseigne de la police. Cela surprend grandement l’homme qui recule d’un pas.
– !
Annie plisse les yeux, prête à avertir Deshya, mais—
– V-Vous venez réellement de la police ?!
L’homme ouvre la porte, qui ne peut s’ouvrir que depuis l’intérieur de la cabine ou avec une clef que seul lui possède. Annie acquiesce, toujours sur ses gardes.
– Exactement.
– … V-Vous avez été alerté sur ce qu’il se passe, alors… ?
– Ce qu’il se passe… ?
Annie fronce les sourcils et Deshya se relève. L’homme regarde la jeune fille derrière la femme, mais ne la questionne pas à propos d’elle. Transpirant au visage et un air peu tranquille, l’homme baisse la tête en grinçant des dents. Deshya remarque qu’il tremble.
– Qu’est-ce qu’il se passe… ?” se demande-t-elle.
Vu son expression, son manque d’agressivité et ses mots, Deshya suppose donc qu’il n’est pas un traître, mais le vrai conducteur. Cependant, maintenant, elle se demande de quoi il parle. Il retourne au tableau de bord et laisse les deux filles rentrer dans la cabine. Annie ferme la porte derrière elle au cas où et l’homme soupire, baissant la tête au maximum.
– Putain…
Il lâche un juron, au bord des larmes. Annie s’approche de lui et se met à ses côtés.
– Pouvez-vous me dire ce qu’il se passe ?” demande-t-elle gentiment, avec un ton amical.
L’homme tourne le visage vers elle.
– …
Il soupire à nouveau et s’assied dans sa chaise. Deshya se met à côté d’Annie.
– … Je ne peux pas arrêter ce train…
– Mais pourquoi donc ?” demande Deshya, intriguée.
– …
L’homme place sa propre tête entre ses mains, quelques larmes se formant dans ses yeux.
– P-Pourquoi moi… Pourquoi…
– Que se passe-t-il… ?” demande Annie.
– … J’ai eu… Nous avons eu un message du chef de la station. Deux minutes à peine après le départ de ce train, après la station à Tetazo…
L’homme ferme les yeux, une larme qui coule de sa joue.
– J-Je…
Ses bras tremblent, sa tête toujours entre ses mains.
– S-Si j’arrête ou freine ce train… des bombes plantées ici vont exploser… nous tuant tous !!!