Roland écarquilla les yeux :

– « Vous utilisez du sang de sorcières mortes… »

– « Non », l’interrompit Ayesha. « Comme pour le sang des Diables, celui de sorcières doit être pris à une sorcière vivante. »

Il entendit la respiration saccadée de Rossignol derrière lui.

– « C’était le secret le plus important de la Société de Recherche. J’ai quitté la tour de pierre peu de temps après le début des expériences, aussi, tout ce que j’en sais est que l’on utilisait le sang des sorcières faibles ou âgées mélangé à de la Pierre du Châtiment Divin, que l’on injectait ensuite dans des corps de mortels pour les transformer », expliqua Ayesha d’un ton grave. « À en juger par les notes que vous avez trouvées, cette recherche a dû aboutir. »

– « Quelle quantité de sang fallait-il ? »

– « Plus de la moitié », répondit-elle, ce qui attrista Roland. « Le sang doit provenir de la même personne, sinon les pouvoirs magiques qu’ils contiennent se rejetteraient mutuellement et leur efficacité diminuerait considérablement. » Elle marqua une pause. « Vous avez deviné : une sorcière mourait au cours de chacune des expériences et les mortels ne survivaient que rarement à l’agression causée par ce sang magique affaibli. Au départ, ils mouraient tous. Bon nombre de membres de la société s’y sont opposés, persuadés que jamais des  mortels n’obtiendraient de pouvoirs magiques. Si le chef Alice n’avait pas insisté, jamais ce projet n’aurait pu être réalisé. »

– « L’Église possède aujourd’hui une immense Armée du Châtiment Divin. D’après Tilly, il y aurait entre 500 à 1000 guerriers », dit Roland, fronçant les sourcils.

« En supposant que le succès consigné dans le registre à une augmentation du taux de transformation de 10%, cela signifie qu’au moins la moitié des sorcières ont été tuées. Je ne pense pas que ces gens aient pu rassembler un si grand nombre de sorcières âgées. »

« L’église n’aurait arrêté et élevé des sorcières que dans le but de drainer leur sang pour créer de puissants guerriers ? » Roland sentit la main sur son épaule se crisper. « Bon sang, des centaines de sorcières possédant toutes sortes de pouvoirs magiques sont mortes sans raison à Hermès! De plus elles ont été présentées comme Déchues et haïes de la société. Une organisation aussi ignorante doit absolument être détruite, même si, à l’origine, son  l’intention était de combattre les Diables. »

– « Rassurez-vous, je les arrêterai », dit Roland mot à mot.

Après le départ d’Ayesha, Rossignol sortit de son brouillard, serra les dents et dit :

– « Je ne savais pas que l’Armée du Châtiment Divin avait été fabriquée! Si l’Église vient vraiment de l’Union, leur chef devait être folle! »

– « Effectivement. » Il soupira. « Je comprends à présent pourquoi l’Eglise adoptait des orphelines et des bébés abandonnés partout dans le monde : ils collectaient du matériel pour créer une immense armée. Les calomnies qu’ils répandaient au sujet des sorcières faisaient certainement partie de leur plan : ils justifiaient ainsi le traitement qu’ils leur infligeaient. »

Rossignol ne répondit pas, mais à voir son visage, elle était furieuse.

Légèrement inquiet, Roland lui prit la main :

–  « Vous n’envisagez pas de… »

– « Combattre l’Eglise seule ? » Elle secoua la tête : « Je ne suis pas aussi stupide! S’ils étaient assez faibles pour qu’une sorcière puisse les renverser, quelqu’un d’autre l’aurait fait depuis longtemps. »

Le Prince se sentit quelque peu soulagé.

–  « Le but ultime en créant  l’Armée du Châtiment Divin était de renforcer l’Eglise. S’il y a des Extraordinaires parmi les sorcières qu’elle a élevées, celles-ci seront dispensées de donner leur sang… Fuir dans votre brouillard ne serait pas une garantie de sécurité face à des sorcières fidèles à l’Eglise. Lorsque nous les combattrons,  la stratégie la plus sûre consistera à avancer pas à pas derrière les armes à feu de la Première Armée. Quels que soient nos ennemis, ils sont tous les mêmes face aux balles. » Il marqua une pause : « Je vous ai dit que dans le nouveau monde, les sorcières pourraient vivre normalement, sans restrictions, tout comme les gens ordinaires. »

– « Hmm… » Murmura Rossignol en posant son front sur la tête de Roland. « Je suis certaine que tout vous est possible. »

Wendy renvoya Page-Blanche à la Maison des Sorcières et retourna toute joyeuse au château.

Depuis quelque temps,  ses journées étaient très enrichissantes. Même si la vie qu’elle menait jusqu’ici était très agréable, elle avait toujours eu l’impression qu’il lui manquait quelque chose. À présent, cette jeune fille sage et pleine d’admiration pour elle la rendait on ne peut plus heureuse.

« L’hiver est arrivé. C’est la période où il y a le plus d’éveils. Peut-être que dans les mois à venir, de nouvelles sorcières rejoindront l’Association : j’aurai ainsi davantage d’enfants à soigner », pensa Wendy, pleine d’enthousiasme.  

Elle se mit à fredonner doucement la chanson qu’elle avait apprise de Son Altesse. Mais lorsqu’elle poussa la porte de sa chambre, ce qu’elle vit la fit sursauter.

« Dieu, que vois-je ? Rossignol assise devant le bureau en train de lire la Fondation Théorique des Sciences Naturelles! »

Se serait-elle disputée avec le Prince Roland ?

Wendy toussota :

– « Je suis de retour! »

Rossignol acquiesça d’un signe de tête mais ne répondit pas. Elle avait l’air triste et bouleversée. Sans doute la supposition de Wendy était-elle exacte.

Celle-ci s’avança, tapota l’épaule de Rossignol et la réconforta doucement.

– « C’est ça, l’amour. Parfois, il y a des disputes mais lorsqu’on prend du recul, on s’aperçoit que ce n’était pas grave. Vous vous sentirez mieux après une bonne nuit de sommeil. »

Rossignol fronça les sourcils :

– « Que me racontez-vous là ? ».

– « Son Altesse et vous… Les disputes ne sont que temporaires, ne le prenez pas trop à cœur. »

– « Pourquoi me serais-je disputée avec le Prince ? » Dit-elle en touchant son front.

– « Euh… ce n’est pas le cas ? » Wendy marqua une pause : « Dans ce cas, pourquoi avez-vous soudain décidé de lire ? »

Rossignol soupira et lui raconta ce qu’Ayesha avait révélé au sujet de l’armée expérimentale du Châtiment Divin.

– « J’ai le sentiment que je dois devenir plus forte si je veux être encore plus utile dans les futures batailles pour renverser l’Eglise. »

– « Je vois », acquiesça gravement Wendy. Je n’aurais jamais pu imaginer que l’Eglise construisait des monastères pour se procurer le sang des sorcières… Sans la présence de Cendres, qui venait à peine de s’éveiller en tant qu’Extraordinaire et qui a attiré sur elle l’attention des gardes, je serais sans doute parmi les cadavres. »

« Rossignol a raison. Peut-être que l’environnement du château est si relaxant que j’ai baissé ma garde », se dit Wendy, réalisant soudain que l’ennemi était aux portes.  Qu’il s’agisse de l’Eglise ou des Diables, la menace n’était pas complètement éradiquée, et il y avait longtemps que la sorcière ne s’était pas améliorée. Même si son pouvoir magique augmentait régulièrement, ses compétences de combat et sa capacité à créer du vent n’étaient pas si différentes de l’époque où elle vivait au camp de l’Association de Coopération des Sorcières. Il n’était aucunement question d’évolution.

Lune Mystérieuse, Colibri  et Echo étudiaient très dur. Comparé à elles,  Wendy avait le sentiment de se relâcher. Bien qu’elle soit la plus âgée, elle n’était même pas parvenue à allumer deux Pierres Magiques sur le Sceau de la Volonté Divine. Si cela continuait ainsi, elle n’allait pas tarder à se considérer, en tant qu’aînée, comme indigne envers les autres sorcières.

– « Vous avez entièrement raison. Je vais me mettre à étudier sérieusement moi aussi. »

Wendy prit une profonde inspiration et décida qu’à partir de ce jour, elle passerait deux heures chaque soir avant de se coucher à étudier les connaissances de Son Altesse.

Lorsqu’après une rapide toilette elle revint dans la chambre, la sorcière trouva Rossignol affalée sur le bureau. Elle s’était endormie.