Le jeune homme emmena le lettré dans un village ombragé par un bois si touffu qu’il ne laissait pas percer les rayons du soleil. A l’entrée de la demeure, il remarqua que la porte était ornée de grands clous en cuivre; c’était donc une famille de dignitaires. On lui dit que la petite sœur était mariée, sa belle-mère décédée, ce qui l’attrista profondément. Le lettré passa la nuit chez son ami et revint plus tard avec sa femme.
Ce jour-là, Jiaona était venue aussi les voir; elle prit le bébé du lettré et dit en le caressant:
— Ma sœur a jeté de la confusion dans notre race!
Le lettré la remercia de la bonté qu’elle lui avait prodiguée autrefois.
Maintenant que vous êtes un dignitaire et que votre plaie est complètement guérie, vous souvenez vous encore de la souffrance passée?
Un jeune homme nommé Wu, mari de Jiaona, vint aussi saluer le lettré, et après être resté deux nuits, rentra chez lui.
Un jour, la mine affligée, le jeune seigneur dit à son ami:
—Pourriez-vous nous secourir? Le ciel va faire tomber le malheur sur nous.
Le lettré accepta volontiers cette tâche tout en ignorant de quoi il s’agissait. Le jeune seigneur sortit puis revint avec tous les membres de sa famille qui se prosternèrent autour de Kong dans la salle.
Frappé de stupeur, le lettré demanda la raison de tout ceci. Le jeune seigneur lui expliqua alors la situation:
—Nous n’appartenons pas au genre humain, nous sommes des renards. Nous allons être victimes de la foudre du ciel. Notre famille pourrait pourtant être épargnée si vous vouliez bien braver le péril, sinon, je vous prie de partir avec votre fils pour ne pas courir de risques.
Le lettré jura qu’il resterait avec eux pour partager la vie ou la mort. Son jeune ami lui demanda alors de se placer devant la porte en brandissant une épée et lui recommanda:
—Ne bougez pas lorsque la foudre descendra!
Le lettré suivit ses instructions. Il vit en effet que des nuages sombres éclipsaient le jour, soudain tout devint noir comme du graphite. Quand il se retourna, la porte n’existait plus, on voyait seulement une haute tombe avec un trou sans fond à sa base. Comme il restait frappé de stupeur, un coup de tonnerre ébranla la montagne tandis que l’orage déracinait de vieux arbres. Ebloui, assourdi, le lettré ne bougeait pourtant pas. Soudain, dans une fumée noire, il vit une créature diabolique pourvue d’un bec et de longues griffes qui sortait du trou en tenant dans ses serres une personne dont les vêtements ressemblaient à ceux de Jiaona. Le lettré bondit et frappa le monstre qui dut lâcher sa proie sur le coup. Alors éclata de nouveau le fracas du tonnerre et le lettré tomba foudroyé.
Un moment après, le beau temps revenu, Jiaona d’elle-même reprenait connaissance, et elle éclata en sanglots en voyant le lettré inanimé à côté d’elle.
—Notre ami Kong est mort à cause de moi, dit-elle en pleurant, comment pourrais-je rester en vie!
Madame Song étant sortie également du trou, avec Jiaona, elles transportèrent le lettré à l’intérieur, Jiaona demanda à sa cousine de soulever la tête de son mari et à son frère de lui ouvrir les mâchoires avec une épingle d’or de chignon; elle-même prit le menton et introduisit une pilule rouge dans la bouche avec sa langue. Puis elle appliqua ses lèvres contre celles de son ami pour lui insuffler de l’air. Sous la pression, la pilule pénétra dans la gorge de Kong avec un gargouillement. Peu de temps après, le lettré reprit connaissance et vit, comme dans un rêve, toute la maisonnée autour de lui. La famille se trouvait à nouveau réunie après cette terrible frayeur.
Pensant qu’il ne convenait pas d’habiter plus longtemps dans cet endroit perdu, il proposa qu’on rentrât tous chez lui, tous ensemble; tout le monde en tomba d’accord sauf Jiaona qui laissait voir quelque mécontentement. Le lettré l’invita alors à y aller avec son mari monsieur Wu. Mais on craignait que les vieux parents n’acceptent pas de laisser partir leur jeune fils. Les discussions se poursuivirent sans résultat toute la journée.
Soudain un jeune valet de la famille Wu arriva tout en sueur, à bout de souffle. Tout surpris, on l’interrogea et on apprit alors que la famille Wu avait été victime d’un grand malheur le même jour et que toute la famille avait péri. Plongée dans une profonde douleur, Jiaona ne pouvait s’arrêter de pleurer. Tout le monde cherchait à la consoler. C’est ainsi que l’on décida de rentrer tous ensemble.
Le lettré retourna en ville pour mettre en ordre ses affaires et passa la nuit à préparer les bagages. De retour chez lui, il attribua un enclos inoccupé au jeune seigneur pour qu’il s’y installe. Celui-ci tenait sa porte fermée de l’intérieur et enlevait la barre seulement quand madame Song et le lettré venaient le voir. Kong passait souvent son temps à jouer aux échecs, à boire du vin, à s’entretenir et à festoyer avec lui et sa sœur comme s’ils étaient d’une même famille. Lorsque Xiao Huan devint adulte, il était d’une beauté éclatante, mais il avait quelque chose du renard. Quand il se promenait dans les rues de la ville, chacun savait bien qu’il était le fils d’une renarde.
Le chroniqueur des Contes fantastiques dit: En ce qui concerne le lettré Kong, je ne l’envie pas pour avoir trouvé une belle femme, mais parce qu’il possédait une amie intime avec qui on oublierait la faim rien qu’en contemplant son visage, avec qui on se sentirait réconforté rien qu’en entendant sa voix. En parlant à loisir avec une telle amie, en échange de sa beauté, on lui donne son âme; rien à voir avec une de ces passions vulgaires qui jettent le désordre dans les vêtements.