-1-
Au beau milieu de la nuit, une cathédrale perchée sur une montagne rocheuse brillait plus fort encore que la pleine lune.
Des vitraux brisés qui tenaient encore sur leur armature se propageait une lumière de mille couleurs à travers les ténèbres.
Une chaleur apaisante emplissait l’édifice malgré l’imposante aura qui émanait du prince de Lucécie.
Les cordes de cette mystérieuse harpe qui lui servait d’aile vibraient au moindre de ses mouvements.
Musmak : « Oh oui… ! Oh oui ! Cette sensation ! La menace qui émane de toi ! Je n’ai pas ressenti ça depuis si longtemps ! Tu avais en toi quelque chose d’aussi puissant tout ce temps ?! Cette force… ! Même Llynel ne l’avait pas ! C’est le pouvoir d’un dieu que tu détiens ! »
Lucéard : « … »
Sans un mot, le jeune homme au regard étincelant dévisageait son adversaire calmement.
Nojùcénie s’approcha discrètement. La majesté qui rayonnait de son frère l’intimidait. Elle n’était plus sûre de savoir qui était devant elle.
Pourtant, le soulagement la gagna bien assez tôt. Toutes les blessures sur mon corps se refermaient. Cette puissance repoussait les limites de la magie humaine.
Musmak : « Et pourtant… Je le sens : tu n’es toujours pas de taille face à moi ! Tu n’es toujours rien comparé à ce qu’était ta mère ! …Mais je ne peux plus me permettre de te prendre à la légère ! »
Il posa les mains sur les manches de ses flissas, avant de s’élancer vers moi.
Musmak : « Tu n’as toujours pas compris ! Ce combat ne peut se finir que sur ta défaite ! Crucisaillement ! »
Il décolla, porté par son élan.
Musmak : « Montre-moi ton nouveau pouvoir, Lucéard !! »
Je descendais lentement ma main contre le fourreau de Caresse, puis l’autre contre sa fusée. Je fermai les yeux. Mon aura s’embrasa davantage.
Au dernier instant, le temps sembla ralentir. Musmak avait entendu le son du carillon au creux de son oreille, et la plume immaculée passa sous ses yeux. Mes yeux se rouvrirent.
Lucéard : « Olor Ascencio. »
D’un mouvement vertical, je dégainai mon arme.
En un flash, un fin filet de lumière traversa tout ce qui se trouvait au bout de la pointe de mon arme.
Musmak haletait. Il avait réussi à s’esquiver au dernier instant.
Il baissa les yeux à sa droite, avec terreur.
Le marbre avait été largement tranché sur cinq mètres, comme si le sol de cette cathédrale n’était fait que de beurre.
Musmak : « …Je suis passé à ça de finir coupé en deux… Prodigieux… »
Son regard se tournait ensuite vers ma lame.
Caresse était de blanc et d’or, elle aussi brillait au bout de ma poigne. Des motifs plus élaborés s’étaient étendus sur cette nouvelle arme.
Musmak : « Même si tous les dieux se rangeaient de ton côté, tu ne réussirais pas à m’effleurer ! »
L’effet de surprise passé, il repartit à l’attaque.
D’un coup précis et puissant, je parai les Crocs de l’Anisbys.
Musmak : « Haha ! Ça devient intéressant ! »
Il enchaînait les assauts. Je me retrouvais à nouveau acculé en défense. Il avait raison. Même avec ce pouvoir, il pouvait garder le dessus sur moi.
Qu’est-ce que c’est que cette puissance… ? J’ai l’impression que Musmak est plus lent, mais il n’en est rien, n’est-ce pas ?
Je sentais la magie revenir en moi, comme si mon cœur était devenu une source jaillissante de mana.
J’étais particulièrement serein, comme si rien ne pouvait plus me déstabiliser.
Vous m’entendez ? Qui êtes-vous… ?
Je devinais de notre premier échange que cette entité lisait dans mes pensées. Elle vivait en moi.
???: « Je me fais appeler Deneb. Mais tu sais qui je suis. »
En effet, tout me parut limpide. J’avais déjà ressenti cette présence, et ce, toujours au même endroit.
Si je comprends bien, Deneb, vous êtes une sorte de divinité. Dites-moi, que m’avez-vous fait ? Pourquoi suis-je devenu ainsi ?
Je combattais avec plus d’aisance que jamais. Ma technique n’était pas plus impressionnante, mais ma force physique et ma vitesse étaient décuplées.
Deneb : « Je t’ai accordé ma bénédiction. »
Musmak : « Enfin un duel digne de ce nom ! »
Même à une lame contre deux, je résistais aux assauts de Musmak.
Ma sœur s’avançait lentement jusqu’à baigner dans la lumière de la cathédrale, déboussolée.
D’accord, d’accord, mais, ne pourriez-vous pas être plus précise ?
La douceur de sa voix me donnait l’impression de parler à une jeune femme, mais ce concept ne s’appliquait probablement pas à une entité supérieure.
Deneb : « Il est écrit que tu perdras ce combat. Les êtres de mon plan ne peuvent interférer avec le destin qui vous lie. Mais toi, Enfant de lumière, tu en as le pouvoir. Je t’offre une force capable de te laisser entrevoir une issue favorable. »
Je restais pantois d’entendre une telle chose. Musmak s’aperçut lui aussi que mes contre-attaques étaient soudain moins vigoureuses.
Ça signifie… Que même maintenant, je n’ai qu’une infime chance de vaincre… ?
Cette réponse cryptique ne m’inspirait que cette conclusion glaçante. Perturbé par ce constat, je me fis désarmé par une attaque de Musmak.
Musmak : « Je te tiens ! »
Avant son prochain coup, je claquais des doigts.
Lucéard : « LAMINA EIUS ! »
La harpe derrière moi vibrait. Elle était devenue le catalyseur de ma magie.
La rapidité stupéfiante de Musmak lui permit de bondir avant même que le sort ne se matérialise, mais le souffle intense de la lame de lumière l’entraîna en arrière.
Le Lamina s’écrasa dans un mur à quelques mètres de Nojù, et disparut dans une déflagration éblouissante.
Ma sœur se cacha les yeux, stupéfaite et aveuglée.
Nojùcénie : Son sort est encore plus fort que mon Magna… !
Musmak : « Eh bien ! Il ne vaudrait mieux pas que j’encaisse ce genre d’attaque. »
Il prit aussitôt ses distances avec moi.
Musmak : « Lamina eius Gostegg, magna lamina eius Gostegg, anguem iridis Gostegg, magna anguem iridis Gostegg ! »
Il bloque le sort qui me permettrait de lui faire relâcher le sien. On dirait qu’il a appris comment me faire face avec sa magie de silence. Mais…
Le temps qu’il ait fini son incantation, j’étais déjà à son niveau, arme en main.
Musmak : « Rapide ! »
Il contra l’attaque qui ciblait son cou.
…Je n’ai plus à me reposer uniquement sur ma magie. Je peux le battre avec cette nouvelle arme !
Je ne lui laissais aucun répit. C’était en devinant ma puissance qu’il s’était décidé à restreindre son sort de silence à quatre doigts.
Pendant que j’enchaînais les coups, je remarquais l’apparence de Caresse, ce qui me rappela de sombres souvenirs.
Quand j’y pense, j’avais un démon, et maintenant, j’ai aussi une divinité en moi. Moi qui voulait être barde il y a encore un an, j’ai fini par devenir une auberge pour entités supérieures.
Cette pensée m’amusa plus que de raison.
Musmak : « Crucisaillement ! »
Lucéard : « Tu ne m’auras plus avec ça ! »
Je bondis plus haut que ce que je ne me pensais capable. Après être passé au-dessus de lui, il réalisa qu’il ne pouvait déjà plus m’atteindre avec cette technique.
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Au simple son de mes doigts, un bouclier particulièrement élastique me propulsa droit dans son dos.
Aussi forte soit-elle, sa technique a un gros défaut : si sa cible l’évite, il doit quand même aller au bout de son mouvement, ce qui le laisse à la merci de n’importe quelle attaque pendant une bonne seconde !
Je brandissai Caresse, porté par l’élan procuré par mon Auxilia et mon saut.
Musmak : « Crotte de bique ! »
Il sut se retourner juste à temps pour parer de ses crocs. Même si le vent avait tourné, il démontrait plus que jamais qu’il était un combattant d’exception.
Je repris mes distances l’instant d’après, déjà prêt à repasser à l’attaque plus fort encore.
Musmak transpirait abondamment. Le coup n’avait pas été loin de l’effleurer.
Musmak : « Tu t’es vraiment amélioré sur tous les plans ! Dommage que ce ne soit que de la triche ! »
Lucéard : « ANIMA EIUS ! »
Il avait été suffisamment déconcentré pour me permettre d’utiliser ce sort qu’il tentait de me faire oublier en permanence.
Musmak : « Non !! »
Musmak s’écarta aussitôt. Avec sa vitesse prodigieuse, il pouvait presque se mouvoir plus rapidement que la puissante nébuleuse rose.
Musmak : Si je me laisse toucher par ça, je perdrais l’effet de mon Gostegg !
Il bondit et rebondit, sachant qu’il ne pouvait pas fuir indéfiniment ce sort.
Mais il finit bel et bien par être rattrapé.
Musmak : « Il n’y a vraiment aucun moyen de lui échapper ?! »
Il reçut le sort en plein cœur, et en perdit l’équilibre. Pire encore, il venait de ressentir ma résolution de sauver ma sœur au plus profond de lui.
Musmak : « Tu ne gagneras jamais ! »
Lucéard : « LAMINA EIUS ! »
La voix du prince qu’il avait perdu de vue était derrière lui.
D’une roulade sur le côté, Musmak évita le projectile, qui même après avoir dévié ne put le toucher.
Le souffle de l’explosion le fit basculer en arrière.
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Je me sentais inarrêtable.
Le ruban massif se scinda en quatre, et était toujours plus robuste que mon Anguem habituel.
Musmak parvint à trancher le premier, avant de bondir pour éviter les autres.
Il lacérait les bandes les unes après les autres, sans se laisser toucher.
Musmak : « Tout ce que tu tenteras échouera ! Je suis Musmak ! Le premier empereur de la fin obscure ! Le grand monarque du chaos ! L’annonciateur du déclin de l’humanité ! L’élu de l’élu lui-même ! »
Il s’agitait toujours, sans faiblir, motivé par ses propres délires grandiloquents.
Je n’avais pas à accompagner mon Anguem d’une mélodie pour diriger ou prolonger ce sort. Le moindre de mes mouvements faisait vibrer les cordes de cet étrange appendice qui ne touchait même pas mon dos.
Il me suffisait d’agiter les bras comme un chef d’orchestre pour que les rubans de lumière attaquent comme je le souhaitais.
Lucéard : « Je ne te demande que de laisser partir Nojùcénie. Même si, soyons franc, j’ai aussi la ferme intention de t’empêcher de nuire pour de bon ! »
Musmak répondit d’un rire court, tandis qu’il coupait la dernière bande.
Musmak : « Tu t’y crois beaucoup depuis que tu brilles ! Tu n’aurais tout de même pas déjà oublié la raclée humiliante que je t’ai infligée plus tôt ?! »
Lucéard : « Loin de là. Mais le moment ne se prête pas à y repenser. »
Malgré l’étrange ataraxie qui apaisait mon esprit, je sentais toujours un poids en moi. Le poids de lutter contre quelque chose qui était déjà décidé.
S’il faut un miracle pour que je gagne, alors je n’ai pas le loisir de me relâcher une seconde.
-2-
Lucéard : « LAMINA EIUS ! »
Musmak s’était retrouvé dos au mur de la cathédrale, guidé par mon Anguem.
L’épaisse lame de lumière fonça sur lui, ne lui laissant que peu de temps pour se décider.
Il bondit le plus haut possible, faisant en sorte que même si je déviais mon sort, l’atteindre me serait impossible.
Et en effet, le Lamina se heurta à la paroi juste avant de l’atteindre, fissurant le mur.
Musmak : « Magna lamina eius Gostegg, lami- »
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Le bouclier gonfla face à lui, l’écrasant contre ce même mur.
Aplati contre les pierres, à plusieurs mètres de haut, Musmak enrageait.
Musmak : « Ça compte pas ! Tu m’as toujours pas touché ! »
Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
Le ruban fonça sans détour sur Musmak, qui retombait lentement.
Le sort se scinda en huit, bloquant soudain toutes ses échappatoires.
Musmak : « Toujours trop lent ! »
À peine eut-il touché le sol qu’il rebondit, le dos presque plaqué contre le mur. Les bandes qui s’étaient lancées à sa poursuite s’écrasèrent dans la pierre sans parvenir à l’atteindre.
Musmak : « Hahaha ! Qu’est-ce que- »
Les rubans qui avaient traversé le mur, ressortir en perçant d’autres trous dans la façade du bâtiment, et deux d’entre eux le ligotèrent contre ce mur.
Lucéard : « Esquive-donc ça !! »
J’attrapais la base des rubans et la tirai de toutes mes forces.
Lucéard : « AAAAAAAAAAAHHHH !! »
Mon adversaire se retrouva compressé contre la pierre, qui se fissura de toute part. Je tirais tout ce pan de l’édifice vers moi, qui s’écroula de toute sa hauteur dans un tumulte foudroyant, arrachant un tiers de la cathédrale, dont les dernières colonnes cédèrent.
Musmak s’était libéré de l’Anguem, mais l’immense mur l’emportait dans sa chute.
Musmak : « Je ne te savais pas aussi extrême, Lucéard ! Encore un trait que tu tiens de ta mère ! »
Poussant sur ses jambes, Musmak préféra rejoindre le sol avant d’être écrasé par la paroi. Mais il n’aurait pas le temps de courir assez loin.
Musmak : « Coagulacération !! »
En tranchant au-dessus de lui, la marque rouge qu’il grava dans le vide agit comme un champ de force qui repoussa les débris.
Lucéard : « Nojù, profites-en ! »
Profitant du tumulte de l’effondrement de la cathédrale, j’invitai Nojù d’un regard à reprendre la stratégie qu’elle pensait annulée.
Que j’ai la force ou non de le battre, il vaudrait mieux que Nojù puisse rejoindre le carrosse. Elle est bien assez débrouillarde pour y arriver. Je ne peux miser que sur la victoire de mes alliés de toute façon. Sans ça, je ne vois pas d’issue.
Mon adversaire avait survécu sans la moindre égratignure à cet écroulement. Le visage couvert de poussière, il ne put qu’apercevoir la colonne au-dessus de lui que soulevaient les bandes de mon sort avant de disparaître.
Lucéard : « ANIMA EIUS ! »
Musmak fut pris de sueur froide en entendant cette incantation avant même que la cacophonie de la pierre contre le marbre ne prenne fin.
Musmak : « Non non non non non ! »
L’homme grimaçait. Il savait bien qu’il ne pouvait éviter ni le pilier qui chutait, ni mon sort, alors qu’il était cerné par les débris de la cathédrale.
Mon timing avait été précisément calculé pour que l’Anima le touche juste avant qu’il ne se fasse écraser.
Musmak : Il compte me déséquilibrer pendant ma coagulacération pour interrompre le sort, et être sûr que cette colonne m’écrabouille !
Musmak reprit soudainement son calme.
Musmak : « Bien joué… »
Il prit une grande inspiration.
Musmak : « …Tu l’auras voulu… »
Il ramena ses sabres contre son torse, croisés.
Musmak : « …Jugement de l’Anisbys ! »
Il brandit les crocs vers le sol, tranchant une croix dorée sous ses pieds, qui s’étendit et s’élargit sur plusieurs mètres en un instant.
La lumière qui en émanait repoussa les décombres, ainsi que la colonne de marbre, qui se désintégra, comme dilacérée par des milliards de lames infiniment tranchantes. Ce torrent étoilé fut accompagné d’un tonnerre rugissant.
Nojù et moi restions bouche-bées face à cette technique.
Nojùcénie : De quel droit Musmak a une attaque aussi cool ?!
Lucéard : « Nojù ! »
La rappelant, à l’ordre, Nojù sursauta, puis commença à avancer prudemment.
Nojùcénie : Il ne perd pas le nord…
Le souvenir très récent de mon corps inanimé dans la pénombre ne lui sortait pas de la tête quoi qu’elle fasse, et son pas était hésitant.
Nojùcénie : Il donne vraiment tout pour moi… Non, c’est même plus que ça… Il n’est même pas venu ici pour me retrouver. J’ignore tout ce qu’il a traversé, mais il s’est sans doute battu pour aider le premier venu, encore et encore, jusqu’à se retrouver ici. J’en suis convaincue…
Se faisant aussi discrète que possible, elle longeait le mur, inquiète. Musmak me faisait de nouveau face, fier de sa supériorité.
Nojùcénie : …Jusqu’où iras-tu pour moi, Lucé… ?
L’Anima avait atteint Musmak, mais une fois sa croix tracée au sol, plus rien ne pouvait interrompre cette technique surpuissante.
Musmak : « Ah ! Aussi casse-pied que ta mère, décidément ! Je comptais garder cette technique secrète jusqu’au point culminant de mon meilleur combat ! Mais toi ! Toi ! Tu me l’as fait utiliser pour quelque chose d’aussi nul ! »
Finalement, il était furieux.
Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Son visage blêmit en entendant l’incantation.
Il bondit aussitôt que possible pour éviter la lame éblouissante qui manqua de le trancher.
L’attaque continua son chemin, jusque dans la forêt autour de la cathédrale, où le sort explosa, arrachant quelques arbres dans un flash.
Soufflé par la force de mon Magna, Musmak atterrit maladroitement.
Musmak : « Bah, peu importe ! Tant que tu ne réussis pas à me toucher, j’ai toujours la prestance d’un seigneur du Mal ! »
Il incanta ensuite son sort de silence, bloquant mes sorts d’attaque une fois de plus, mais aussi mon bouclier qui devenait une menace pour lui.
Musmak : « Je préfère avoir un peu moins de dextérité que de devoir prendre tes sorts en compte dans mes assauts. »
Se murmura-t-il à lui-même avant de fondre sur moi, toutes lames dehors.
Lucéard : « Cette fois-ci, c’est toi qui finiras au tapis ! »
Je répondais à ses coups avec plus de hargne que jamais. Sentir autant de puissance dans mes coups me donnait l’impression qu’il me poussait des ailes, allégoriquement. Cette frustration que j’avais accumulée s’était certes évanouie, mon esprit était désormais serein, et pourtant, je ne l’avais pas oubliée.
Je tournais autour de lui, bondissais, frappais, puis frappais encore. J’étais plus rapide que jamais.
Il ne faut pas qu’il puisse relâcher son attention de moi ne serait-ce qu’un instant !
Nojù progressait lentement. Elle retenait son souffle, angoissée à l’idée de pouvoir faire échouer ma stratégie. Un échec de plus serait irréparable. S’il s’apercevait de notre manigance, qui sait à quel pouvoir il pourrait recourir pour asservir ma sœur. Pire encore, il pouvait décider de la prendre en otage.
Musmak : « Tu es rapide ! Tu frappes fort ! Mais maintenant que tu peux t’exprimer à l’épée, ça saute aux yeux que tu n’es encore qu’un novice ! Aucune bénédiction ne pourra te donner l’expérience du combat, ni même la maîtrise d’un véritable épéiste ! Tu n’es toujours qu’un avorton avec la force d’un géant, et la vitesse d’un fauve ! »
En effet, Musmak dominait encore notre duel. Sans mouvement superflu, il pouvait contrer mes attaques les plus brutales. Avec la rigueur de sa garde, il ne pouvait pas se laisser surprendre par mon jeu de jambes.
Le fracas du fer ne résonnait plus comme avant, mais le choc entre nos lames était plus terrible que jamais.
Des armes standards auraient déjà cédé depuis bien longtemps, mais les nôtres étaient légendaires, et pouvaient tenir ce rythme indéfiniment.
Décidément, Caresse est très sensible aux influences des autres entités. Je devrais peut-être lui donner un autre nom quand elle est sous cette forme…
J’apercevais un fugace instant ma sœur passer derrière une colonne couchée au sol, et s’y cacher. Elle était déjà tout près des marches de l’autel.
Disons que ton nom sera… Promesse.
Je redoublais d’effort. Mes muscles ne souffraient plus de mes coups. Je n’avais plus peur. Plus rien ne me retenait de me donner à fond.
Lucéard : « Aaah ! »
Musmak fit glisser ma lame le long d’une des siennes en une parade précise, tandis qu’il frappait avec l’autre.
Je me décalais précipitamment, et sa flissa effleura la courpentière sans la trancher.
Il ne faut pas que ma puissance me monte à la tête, je dois rester concentré ! Musmak est un adversaire redoutable, je ne peux pas lui enlever ça.
Le combat s’éternisait. Et même s’il devait être tard, je ne ressentais ni la fatigue, ni aucune autre sensation parasite. J’étais au meilleur de ma forme sur tous les plans, même au-delà.
Deneb, vous êtes là ?
Deneb : « Je t’écoute, Enfant de lumière. »
Cette puissance, que va t-elle me coûter ? Quelle est sa limite ?
Je m’étais habitué à être en situation défavorable, et je ne pouvais croire que les choses pouvaient aussi bien se passer sans une lourde contrepartie.
Deneb : « La puissance qui brille en toi est des plus intenses pour ton corps, et la violence de cet afflux magique affaiblira ton organisme. Quand ce pouvoir prendra fin, la compensation se fera. Tu régresseras en tant que guerrier, et en tant que mage. Je ne pourrais pas la maintenir plus de dix minutes encore.
Mon cœur s’emballa. Pourtant, je savais déjà au fond de moi ce qu’il en était.
Autrement dit, je serai à nouveau incapable de me battre une fois le temps écoulé. Et je serai durablement moins fort après ce combat…
J’imaginais qu’en plus de subir ces effets, je me retrouverais cloué au lit, accablé par la fatigue, et que ma masse musculaire n’irait qu’en s’amoindrissant.
Oh pitié… Et le pire dans l’histoire, c’est que quand la bénédiction prendra fin, je ne pourrais même plus tenir debout. Nojù pourra être hors de danger d’ici là, mais je serai totalement à sa merci.
Tout en répondant aux attaques de Musmak, je poussais la réflexion.
Je pourrais prendre le risque de tout miser sur la fuite quelques minutes après le départ de Nojù, mais je nous exposerais tous les deux au risque que Musmak nous rattrape.
Je tentais d’envisager toutes les solutions possibles. La plupart des cas de figure nous menaient tous deux à une mort quasi-certaine.
Quoi qu’il arrive, je ferais mieux de m’acharner à essayer de le vaincre, même si ça me coûte tout le temps imparti…
Mon regard devint de plus en plus froid. Une pensée m’obnubilait, et m’inspirait une amère conclusion.
…Au moins elle doit pouvoir rentrer saine et sauve.
-3-
Je brandissais Promesse, parai, et contre-attaquai. Cette arme me rappelait un engagement que j’avais pris il y a des mois de cela.
Lucéard : « Tout bien réfléchi, il n’y aura pas d’avenir radieux tant que tu seras, là, Musmak ! »
Musmak : « Hahaha ! J’ai toujours rêvé d’entendre quelque chose de ce genre ! Rien ne pouvait me faire plus plaisir ! »
Hilare, il para ma dernière attaque avant de rengainer précipitamment ses Crocs.
Musmak : « Crucificsang ! »
Je peinais encore à répondre à cette technique. Je savais qu’il visait mon cœur, mais ce ne fut pas suffisant pour répondre à un coup aussi rapide.
L’instant d’après, Musmak était dans mon dos, sa robe était agitée par le souffle de cette attaque.
Je sentais le sang affluer à ma poitrine, mais une seule des lames avait pu m’atteindre.
Musmak : « Tu n’as pas encore compris, Lucéard ?! Il n’y a qu’un dieu ici, et c’est moi ! »
Il se retourna pour m’asséner un coup dans le dos, profitant de l’effet de surprise.
Je me retournais trop lentement pour l’apercevoir autrement qu’avec ma vision périphérique, mais le cri du métal m’indiqua que j’avais réussi ma parade, en faisant passer ma lame par-dessus mon épaule.
Alors que j’accompagnai ses armes sur le côté, Musmak aperçut la main qui ne maniait pas Promesse.
L’aura des siennes venait de disparaître à l’instant. C’était l’occasion que je guettais.
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Quatre rubans jaillirent de derrière moi.
Musmak : « Tu es encore plus vicieux et opportuniste que ta mère ! »
Dans sa position, il n’avait aucune chance de tout parer.
Même s’il put en couper deux, les autres s’attachèrent à son bras et sa jambe, puis le soulevèrent dans les airs.
Musmak : « Tu as raté ta chance de faire couler mon sang ! »
Il se dégagea rapidement de l’Anguem.
Lucéard : « … »
Au moment où elles disparurent, la prochaine incantation ne me vint pas.
Lucéard : « Tant pis ! LAMINA EIUS ! »
La lame fusa sur lui.
Musmak : « Toujours aussi minable ! C’est pas avec cette façon indigne de se battre que tu deviendras le héros de tes histoires à la noix ! Tu n’es rien de plus que le faire-valoir du plus grand méchant de ce royaume : moi ! »
Avant d’encaisser mon attaque, il frappa de ses deux flissas dans le vide.
Musmak : « Coagulacération ! »
Musmak para le coup à temps et retomba, le sourire aux lèvres.
Musmak : « Anima eius Gost- »
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Un bouclier apparut sous ses pieds, et le fit rebondir contre son gré dans les airs.
Il ne faut pas lui laisser une seule chance de pouvoir bloquer ma magie à nouveau. Il va sans doute bloquer mon Auxilia par la pensée, mais je pourrais toujours recourir au Magna. Il ne touchera plus le sol avant d’être vaincu !
Musmak : « Auxilia eius g- »
Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
La lame de lumière était ce qu’il avait le plus à craindre. En voyant la force de celle-ci, il se rappela qu’il aurait dû continuer à bloquer ce sort.
Cette fois-ci, tu es fait comme un rat !
Musmak flottait dans le vide, sans pouvoir s’écarter de la trajectoire de cette attaque surpuissante.
Il pointa ses deux flissas vers le sol, comme si leurs deux pointes ne faisaient plus qu’un.
Musmak : « Sanguinolance ! »
Il plongea en une fraction de seconde vers le sol comme si ses lames y avaient été attirées. Elles se plantèrent dans le marbre avec fracas.
J’aurais dû m’en douter ! Un guerrier de son âge et de son niveau doit avoir bien plus de techniques spéciales qu’il n’en a montré !
Musmak : « Tu me fais recourir à mes bottes secrètes pour des esquives et des parades ! Tu gâches tout ! C’est triste de voir que tu n’as aucun sens du dramatique ! »
Il peut foncer en ligne droite en suivant la direction de ses lames. Je comprends pourquoi il n’a pas voulu l’utiliser plus tôt. Il suffit de la voir une seule fois pour comprendre son point faible. S’il la réutilise, je saurais aussitôt où le cueillir avec mon Lamina !
Lucéard : « Qu’importe que ce soit peu dramatique, si c’est ce qu’il faut pour que la conclusion ne soit pas tragique ! LAMINA EIUS ! »
Il évita sans effort le sort.
Musmak : « Qu’est-ce qui te prend ?! Tu pensais sérieusement m’avoir à cette distance ?! »
Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
L’imposant ruban se scinda en huit. J’accourus vers mon adversaire, escorté par ces bandes de lumière.
Musmak : « Tu m’as l’air bien pressé… »
Le regard froid et calculateur de Musmak lui revint. Son calme si soudain ne manquait jamais de m’inquiéter.
Musmak : « Ta bénédiction ne va pas durer, n’est-ce pas ? »
La main de Nojù qui tirait lentement la poignée de la porte par laquelle j’étais venue, s’arrêta soudain. La demoiselle resta immobile, en proie au doute.
Lucéard : « Je ne m’attends pas à ce que ça dure toute ma vie ! Ce serait difficile pour moi qui dors sur le dos d’habitude ! »
Il me faut maintenir son attention. Ce n’est pas grave qu’il ait compris ça, tant qu’il ne cherche pas à apercevoir Nojù.
L’expression sur le visage de ma sœur était la même que ce jour-là, quand ce dilemme s’était présenté à elle pour la première fois. Et aujourd’hui aussi, ce choix terrible faisait naître en elle un âpre sentiment de détresse.
Elle attrapa son poignet, et resta debout, sans même regarder le long couloir face à elle.
Musmak : « Tout ce que tu entreprendras sera vain, Lucéard ! »
L’homme commençait à s’essouffler, mais parvenait encore et toujours à éviter mes attaques.
Promesse se joint à la danse des Anguems.
Musmak n’avait que ses deux sabres pour repousser tous mes rubans et mon cimeterre, mais rien ne faisait retomber son sourire.
Musmak : « Inutile, inutile, inutile ! »
Ses moqueries s’interrompirent quand il sentit l’étreinte se resserrer autour de sa cheville.
Musmak : « Impossible ! »
Un des rubans était passé sous le tapis sur lequel Musmak et moi nous battions, et avait percé à travers le tissus au bon endroit pour agripper sa jambe.
Musmak : J’y crois pas ! Quelle bénédiction que ce soit, il faut être sacrément intelligent pour gérer toutes les ramifications de ce sort avec une telle précision !
Lucéard : « Cette fois-ci, c’est toi qui es fini, Musmak ! »
Les autres bandes foncèrent sur lui, animées par ma volonté. Promesse se mit à luire au moment où j’allais frapper.
Musmak : « Mais oui ! Comme les vingt fois d’avant, j’imagine ! »
Il ramena ses flissas devant lui, prêt à trancher le ruban qui le retenait captif.
Non… !
Musmak : « Jugement de l’Anisbys !! »
Il coupa le tapis de ses deux flissas. L’entaille s’élargit, et s’illumina d’or.
Cette lumière glorieuse m’éblouit, et mon corps se para de cette couleur devenue le plus sinistre des présages.
Lucéard : « … ! »
Le sort ne me vint pas !
Lucéard : « Magna auxilia eius ! »
Rien. Je ne réalisais que trop tard que mon Anguem était encore actif.
J’avais oublié ça… !
Un bouclier gonfla entre Musmak et moi, et je me retrouvais repoussé juste avant qu’une myriade de lames ne réduise tout en poussière autour de Musmak.
L’empereur rengaina ses armes, le visage sévère.
Musmak : Il me reste assez de tension pour le relancer une dernière fois. Mais je dois le garder jusqu’au dernier moment. Quand le temps lui manquera, il va tenter le tout pour le tout.
De mon côté, je restais abasourdi. Grâce au timing de Nojù, ce bouclier avait paru être le mien.
Ma tenue se gorgeait de sang au niveau de mon épaule.
Nojù… Tu n’es pas encore partie… ? Mais qu’est-ce que tu fais… ?
La douleur était supportable, mais la blessure se refermait plus lentement que les précédentes.
En partant maintenant, tu pourras encore rejoindre le carrosse avant que Musmak ne te rattrape, et moi, si je ne parviens pas à le vaincre, je pourrais toujours me replier facilement en enchaînant les Auxilia. Si tu restes, pire, si tu lui révèles que tu as repris tes esprits, aucun de nous n’y survivra. Je t’en prie, Nojù, fais le bon choix…
Je parvenais encore à rester calme. La chaude lumière demeurait en moi intacte, mais les abysses s’ouvraient lentement sous moi, et je sentais leur brise glaciale caresser ma peau.
Nojù restait adossée au mur qui cachait la porte des ecclésiastiques, la tête basse. Elle lançait des regards hésitants vers l’arène de ce duel nocturne.
Elle savait très bien que mon plan était ce qu’il y avait de moins risqué, mais elle ne parvenait plus qu’à s’imaginer le dénouement où je ne la rattrapais jamais.
Les poings serrés, elle s’avança dans le long couloir, se faisant violence pour ne se retourner à aucun moment.
-4-
Deneb : « Enfant de lumière, le temps te fait défaut. La bénédiction ne pourra être prolongée. »
Je me doute…
Une réflexion m’interpella.
Mince, elle doit entendre tout ce que je pense.
Deneb : « …J’entends tout. »
La déesse paraissait toujours sereine. Peut-être ne savait-elle rien des tourments qui animaient les vivants.
Euh, désolé, Deneb.
Lucéard : « LAMINA EIUS ! »
Après m’être ressaisi, je repris le combat avant qu’il ne puisse utiliser ses sorts de silence. Mais il esquiva une fois de plus.
Musmak : « Toujours pas ! »
Mon adversaire se tenait dans une posture étrange. Ses flissas s’illuminèrent d’un rouge profond.
Musmak : « Miasmânes ! »
Il disparut de ma vue dans un dense nuage vermeil.
Rah, il en a encore combien ?!
Lucéard : « LAMINA EIUS ! »
Ma lame de lumière repoussa ce nuage en un instant. C’était de toute évidence une technique de bas niveau.
Mais habilement utilisée, car Musmak n’était plus là.
Musmak : « Magna lamina eius Gostegg ! »
Je me tournais vers l’origine de la voix, qui se terrait derrière un éboulis.
Lucéard : « LAMINA EIUS ! »
Il commençait par mes sorts d’attaque pour éviter que je ne le débusque aussitôt.
Ma lame fit exploser sa cachette, mais il n’y était déjà plus.
Musmak : « Lamina eius Gostegg. »
Comme je m’y attendais, il bloque en permanence le sort qui peut annuler le sien.
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Deux bandes de lumière tentèrent de le rattraper, mais frappèrent de toute évidence dans le vide, car la voix venait désormais de derrière moi.
Musmak : « Magna auxilia eius Gostegg ! »
Maintenant que la moitié de la façade est détruite, l’acoustique lui permet d’être plus discret. Quelle poisse !
Je réfléchissais intensément, essayant de deviner sa position.
Si je le laisse faire jusqu’au bout, il aura sûrement assez de force pour tenir son blocage jusqu’à la fin de la bénédiction, et je ne gagnerais jamais sans mes sorts.
Je me tournais à ma gauche et à ma droite, incapable de percevoir ses mouvements.
Musmak : « Auxilia eius Gostegg. »
Je soufflais un grand coup. Il suffisait qu’il dise le nom du sort qu’il me bloquait, et il serait trop tard.
…J’ai une idée.
Lucéard : « Bloque tout ce que tu veux, j’ai assez de tension pour en finir avec toi ! Cette fois-ci, il ne fera qu’une bouchée de toi ! Fais tes prières ! … ! »
Le sort ne me vint pas en tête, comme je l’espérais.
Lucéard : « ANIMA EIUS ! »
Musmak : « Quoi ?! »
Mon sort se dirigea droit vers un mur de la cathédrale, et le traversa.
Musmak : « Anguem iridis G-gaaaah !! »
Mon adversaire était tombé dans le panneau, et réalisa à la même occasion que même sans que je ne sache sa position, je pouvais l’atteindre avec l’Anima.
Il suffisait d’attirer ton attention sur un autre sort pour que je puisse utiliser l’Anima, et je suppose qu’il suffise que tu entendes ma voix pour que l’Anima puisse t’atteindre.
Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Comme je le supposais, l’effet de l’Anima était quasi immédiat, et me permit d’attaquer directement vers la paroi derrière laquelle il se cachait.
La déflagration arracha le mur et une explosion de poussière agita les arbres à l’extérieur.
Musmak avait réussi à l’éviter d’un bond, et se relevait couvert de terre.
Musmak : « Tu ne m’as toujours pas touché ! Toute cette saleté n’est qu’une couche de protection supplémentaire ! »
Pas de quoi être fier !
Lucéard : « LAMINA EIUS ! »
Il esquiva encore. Qu’importe l’ingéniosité de mes stratégies, ses mouvements étaient exceptionnels, et lui permettaient de toujours échapper à mes sorts.
Musmak : « Tu perds ton temps ! D’ailleurs, tu perds vraiment ton temps ! Le temps qui t’es imparti avant que tu ne redeviennes le gamin faiblard que tu as toujours été ! »
Il fixait avec joie le haut de la harpe dans mon dos. Celle-ci brillait plus fort qu’en début de combat, mais de la poussière d’étoile s’en échappait lentement, comme si elle se désagrégeait très lentement.
Mon cœur se serra.
J-je n’ai aucune raison d’avoir peur. Un Giga lancé maintenant fera sûrement l’affaire. Il suffit juste que j’aie le bon timing.
Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
En démultipliant les rubans, je pouvais induire les mouvements de Musmak. Il suffisait qu’il se retrouve une seule fois dans une position où il ne pouvait pas éviter, et c’était gagné.
Musmak : « Tu ne m’auras jamais ! »
Me narguait l’empereur du mal, qui tirait la langue.
Si je dois lancer un Giga, il faut que ce soit un Lamina. C’est le plus rapide des sorts que je possède et sa puissance est supérieure à tout ce que j’ai. Sa coagulacération ne tiendra pas. Je dois absolument créer une situation où il ne pourra plus que compter sur ce sort pour se défendre.
Tandis que mon Anguem le ramenait vers le centre de ce qui n’était plus que des ruines, je me lançai au corps-à-corps.
Même lui ne pourra éviter un Giga lamina. Horizontalement, tout du moins. S’il a l’occasion de bondir, il en sera peut-être capable. Mais à bout portant, comment pourrait-il ? Je devrais peut-être essayer de le bloquer en l’air comme tout à l’heure…
Tout en réfléchissant, j’enchaînais les coups, je testais ses réactions, je guettais l’ultime occasion.
Musmak : « Tu paniques, je le sens ! Tu vas faire une grosse erreur ! Et ce sera trop tard ! »
Il lisait en moi, et profitait de son avantage pour ne pas trop s’exposer.
J’essayais toujours de faire en sorte d’être dos à l’autel, tout en espérant que Nojù soit partie depuis longtemps. Il ne fallait pas qu’il le remarque.
Après avoir évité ma prochaine attaque, il bondit sur une des colonnes affaissées et rebondit au-dessus de moi.
Maintenant… !
Alors que je levais la main devant moi, je me retrouvai paralysé.
Un sentiment terrible m’avait retenu. Des mots résonnaient sans cesse dans ma tête. Toujours les mêmes depuis déjà quelques minutes.
…Ma défaite est écrite.
Musmak revint à la charge et me repoussa à l’aide de ses flissas, avant de m’asséner un coup de pied qui m’éjecta.
Il rangea précipitamment ses sabres, prêt à utiliser sa technique favorite.
…Mais oui, si je parviens à profiter de ce moment de faiblesse qui suit ses crucisaillements, je pourrais l’avoir à coup sûr !
Musmak : « Crucisaillement ! »
Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »
Devinant qu’il allait me bloquer le sort basique, j’utilisais la déclinaison précipitamment pour sortir de la trajectoire de son attaque.
Je pouvais sentir ce qui restait de l’aile derrière moi étinceler.
C’est parti… !
Alors que Musmak ralentissait après son attaque ratée, je m’apprêtais à claquer des doigts.
Je me retrouvais comme changé en pierre. Il ne bloquait pourtant pas mon sort ultime.
Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Je finis par lancer un Magna, ne sachant trouver la résolution d’utiliser le Giga.
Mon adversaire réalisa un bond spectaculaire pour éviter le sort que je ne sus courber à temps.
Alors le destin existe vraiment…
Mon adversaire fonçait sur moi, me donnant une nouvelle occasion d’attaquer, mais rien ne me venait.
Et je suis supposé perdre…
Musmak : « Je sens ta peur ! Hahaha ! Hilarant ! Même assisté par un dieu, tu es toujours terrifié face à moi ! Je m’épate moi-même ! »
Même s’il commençait à fatiguer, le vieil homme était toujours impitoyable dans ses coups.
Mais ma dernière parade me permettait de placer le Giga, c’était certain.
Lucéard : « … »
Je finis par frapper avec Promesse d’un coup si mou qu’il le contra d’une seule lame, et me trancha la joue de l’autre.
Musmak : « Mince alors ! Si je parvenais à te couper la langue, je n’aurais plus besoin de sort de silence ! »
Son large sourire m’intimidait de nouveau.
Si le destin peut être brisé, ce ne peut tout bêtement pas être juste une question de timing. Est-il seulement possible de s’extraire du cours naturel des choses aussi facilement ? Est-ce que mon choix peut réellement changer ce qui a été cousu dans l’étoffe même qui tisse l’univers ?
Lucéard : « L-LAMINA EIUS ! »
D’un claquement de doigt tremblant, la lame surgit, mais Musmak avait eu tout le temps nécessaire pour se préparer à l’éviter.
Tout mon corps annonçait mes prochaines actions. Je ne pouvais pas tromper un adversaire aussi expérimenté que Musmak.
Il contre-attaqua juste après, et abattit ses lames avec tant d’ardeur que je me retrouvais un genou au sol, parant difficilement cet assaut.
Il enfonça une fois de plus son sabot dans mon visage et je glissai sur le sol de marbre.
Musmak : « Tu n’aurais quand même pas déjà oublié, Lucéard ? »
Il bondit, prêt à planter ses deux flissas dans mon cœur.
Musmak : « Oublié que si tu es encore en vie, c’est uniquement parce que j’en ai décidé ainsi ! »
L’occasion était en or, mais pris de sueur froide, je me ravisai aussitôt.
Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »
Mon adversaire atterrit sur un large bouclier entre lui et moi, qui le repoussa dans les airs.
C’est vraiment parfait, là… !
Je serrais les dents, me sentant totalement impuissant.
Musmak : « Laisse-moi deviner ! Tu es en train de te dire que tu ne sauras jamais à ma hauteur, hein ?! C’est ce que tu penses, pas vrai ?! »
Il retombait hilare.
Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Musmak : « Sanguinolance ! »
Il dévia largement de sa trajectoire pour atterrir à quelques mètres de moi, et toucha le sol juste avant que mon Lamina ne disparaisse.
Il arrive sans problème à utiliser cette technique sans trop s’exposer…
Je me relevais lentement. Ma blessure à la joue se refermait lentement.
Musmak : « Il n’y a pas de futur où tu gagnes ! »
Il revint à l’assaut, ses coups étaient de plus en puissants, comme s’il se sentait de nouveau totalement supérieur à moi. Il savait que je n’avais pas le cran d’utiliser le Giga.
Lucéard : « Ce n’est pas toi qui en décidera ! »
J’élançai mon bras armé vers son cou, mais il sut parer cette offensive, et me trancha le flanc de l’autre bras.
Musmak : « Ne te crois pas invincible ! »
Invincible… ?
Même si je ressentais la douleur moindre, mes blessures se refermaient de plus en plus lentement. Un coup fatal me tuerait probablement, mais…
…Mais oui… Je pourrais essayer ça !
Une autre corde se désagrégeait dans mon dos.
-5-
C’est maintenant ou jamais ! Je ne peux plus attendre ! Je dois tenter le tout pour le tout !
Les yeux rivés vers mon adversaire, j’attendais sa prochaine attaque.
Musmak : « Crucificsang ! »
D’un bond sur le côté, j’étais parvenu à éviter in extremis son attaque.
Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »
Le bouclier apparut derrière moi. Je lui lançais Promesse directement au visage, avant de rebondir sur la sphère magique.
Musmak : « Que- ? »
Musmak para précipitamment la lame, et le prince s’agrippa à lui, bras et jambes. Quoi qu’il fasse, je ne lâcherais pas.
Musmak : « N-ne me dis pas que tu connais cette- »
Lucéard : « ANIMA EIUS ! »
Le coup à bout portant fit chavirer mon adversaire.
Allez, Lucéard ! Tu n’as plus le luxe d’hésiter ! C’est maintenant ou jamais !
Mon aile s’illumina intensément.
J’empoignais ses épaules, avant de me pousser en arrière à la force de mes jambes pour le faire basculer en arrière.
Lucéard : « GIGA LAMINA EIUS !! »
Musmak : « Non ! »
Mon adversaire se sentit soudain aspiré.
Musmak : « Sanguinolance !! »
Hurla t-il de terreur.
Les Crocs de l’Anisbys pointaient vers la lune.
Et tel un croissant de celle-ci, la gigantesque lame de lumière gonfla devant moi. Ornée d’or, de gravures complexes, et de ce qui ressemblait à d’immenses pierres précieuses, le sort que je venais d’incanter était infiniment plus fort que la première fois.
Il arracha tout ce qui restait de l’entrée de la cathédrale, broyant le marbre sur son passage jusqu’à ce qu’il ne soit réduit en poussière.
Musmak avait résisté à l’aspiration de ce sort ultime, et s’était hissé dans le ciel.
En le voyant sourire triomphalement sous l’astre nocturne, je sentis le désespoir revenir en moi, puis la fureur.
Lucéard : « Pas comme ça… ! »
Musmak : « Cette fois-ci, tu as perdu ! »
Mon aile brillait toujours, et mon regard s’embrasa aussi.
Lucéard : « Ça ne finira pas comme ça !! »
Dans un cri féroce, je fis courber la trajectoire du Giga Lamina, qui arracha la cime des arbres environnant en se dirigeant droit vers le ciel étoilé, avant de faire demi-tour pour se retrouver face à mon ennemi.
Musmak pâlit en voyant cette puissance colossale revenir vers lui.
Musmak : « S-sanguinolance ! »
Il fonça droit sur moi, qui reprenait Promesse entre mes mains.
Même si je dois encaisser ma propre attaque, je ne te laisserai pas y échapper !
Je parai l’attaque de Musmak en absorbant son coup, avant de répondre.
Musmak réussit lui aussi sa parade, démontrant encore sa maîtrise de la lame.
Le Giga lamina plongeait droit sur nous, tandis que j’enchaînais les attaques, ne lui laissant aucune échappatoire. L’empereur suait abondamment.
Lucéard : « C’est fini ! »
Après une dernière parade, nous sentions tous les deux l’aspiration prodigieuse de mon sort, comme si nous étions attirés vers les cieux.
Il n’avait fallu qu’un instant pour que le calme glaçant de Musmak ne lui revienne.
Musmak : « Absolusaigne. »
Une dense aura d’un blanc pur parcourut ses flissas.
Quoi… ?
Repoussant les limites de son corps, Musmak brisa ma garde et me trancha l’épaule, du bout d’une de ses lames enchantées.
La sensation qui résultait de cette plaie était surprenante, et le Giga Lamina s’évanouit dans les ténèbres avant d’avoir pu atteindre sa cible.
…Non… !
Je tombais à genoux, désespéré.
…Il avait une technique capable d’annuler un sort déjà lancé…
Musmak : « Tu m’as fait une frayeur, je dois bien l’avouer, mais tout est bien qui finit bien ! Jugement de l’Anisbys !! »
Après que cette mystérieuse aura se soit évaporée, ses lames contre son torse devinrent dorées, et il trancha le sol face à moi.
L’entaille en croix s’illumina et s’étendit brutalement en dessous de nous.
Je ne pouvais rien faire de plus que baigner dans sa lumière dorée. Aucun sort ne me vint.
Un ruban s’enroula autour de mon torse, et me tira aussi sec.
Les milliards de lames dorées déchirèrent tout autour de Musmak.
Je m’écroulai par terre. Des lames étaient parvenues à trancher l’Anguem qui m’avait sauvé.
…Mais mes jambes étaient en charpie.
Lucéard : « Aaah ! »
Malgré la bénédiction, la douleur était terrible.
Musmak : « Comment… ? »
Sa surprise fut de courte durée. Musmak avait entrevu ce qui s’était passé, et aperçut la princesse qui se tenait au sommet des marches de l’autel, furieuse.
Musmak : « …Je vois… »
Nojùcénie : « Désolé Lucé… Mais je n’y arrive pas… ! Je ne peux pas te laisser te battre seul ! »
Lucéard : « Nojù… ! Non… ! »
Elle était fermement résolue.
C’est le scénario que je redoutais le plus ! J’ai gâché mon Giga, mon plan est tombé à l’eau, et Musmak va comprendre le subterfuge… ! Tout est fini !
Musmak : « Ça alors… Comment as-tu pu reprendre tes esprits sans qu’il n’utilise son sort… ? Je tirerai ça au clair plus tard. Mais pour l’instant… »
Il claqua des doigts face à ma sœur.
Musmak : « Nojùcénie Nefolwyrth, redeviens la Grande Impératrice ! »
Nojùcénie : « Il n’en est pas question ! »
Notre ennemi déchanta en voyant que son pouvoir n’avait plus d’effet. Je grimaçais de douleur en me relevant.
C’est fichu… !
Nojùcénie : « Je suis désolée, Lucé ! Mais si ça continue comme ça, il va te tuer ! Tu m’as promis que tu me ramènerais chez nous ! Je ne peux pas partir sans toi ! »
Ses cris étaient emplis de désespoir, et ses yeux noyés de larmes.
Nojùcénie : « Le palais de Lucécie, ce n’est pas chez moi si tu n’y es pas ! Mon chez-moi, c’est là où Père et toi vivez !! »
La tristesse me revint aussi, alors que la chaleur en moi se dispersait.
Tout allait à vau-l’eau. Je perdais mon emprise sur la situation, encore une fois…
Je nous revoyais tous les deux au troisième étage de la tour d’Azulith. Je me revoyais dans sa chambre, restée vide pendant des mois.
-6-
Musmak : « Voilà qui est déplaisant ! »
Je repris mon souffle. Le haut de la harpe avait déjà perdu une corde entière, et les autres se faisaient dévorer les unes après les autres par le vide.
Lucéard : « …Pardonne-moi, Nojù… »
Nojùcénie : « Ce n’est pas fini, Lucé ! On va gagner ! »
Malgré les larmes qui coulaient le long de ses joues, elle n’avait abandonné à aucun moment.
Nojùcénie : « Moi non plus je n’accepterais pas de passer un jour de plus sans toi ! S’il n’y a qu’un seul moyen pour qu’on rentre ensemble, alors trouvons-le, et gagnons ! »
Elle s’élança vers Musmak.
Nojùcénie : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Nojù souffla avec hargne dans sa flûte-double.
Musmak : « Tu crois avoir plus de chance contre moi, toi ? »
Malgré sa sérénité, Musmak restait prudent, préférant ne pas bouger avant de voir la courbure qu’allait prendre son sort.
Ça ne sert à rien, Nojù…
Au dernier moment, Musmak bondit au-dessus de l’attaque.
Musmak : « Et hop ! Encore un sort minable d’évité ! »
Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »
Mon bouclier fit rebondir le sort qui se trouvait dans son dos.
Et pourtant, c’est toi qui a raison…
Musmak : « Coagulacération ! »
Dès l’instant où les deux sorts se rompirent l’un contre l’autre, Nojù s’élança en avant.
Nojùcénie : « AUXILIA EIUS ! »
Ma sœur peinait à rendre son bouclier élastique comme je le faisais mais sut bondir jusqu’à notre ennemi.
Musmak : Ta sœur joue l’appât pour te permettre d’attaquer, mais sa stratégie est bidon !
Nojùcénie : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »
Le sort se scinda en huit derrière elle, et sept des bandes encerclèrent Musmak qui n’avait pas encore touché le sol.
Nojù glissa le long de la dernière pour que l’on puisse prendre Musmak en tenaille.
Musmak : « Vous ne serez jamais trop de cent contre moi ! »
Lucéard : « ANIMA EIUS ! »
Alors que ses sabots claquèrent sur le sol, l’Anima le frappa en plein cœur, et le déséquilibra, juste avant que les rubans ne fusent sur lui.
Musmak : « Insupportables ! »
Il se reprit vite, pressé par son instinct guerrier, et put trancher cinq des bandes avant de se faire agripper un bras, puis une jambe.
Nojùcénie : « Je n’ai vraiment plus de mana, Lucé ! Il faut que tu donnes le coup de grâce maintenant ! »
J’étais arrivé à portée de lui en un éclair. Promesse était de nouveau rangée dans son fourreau, et je m’abaissais sur mes appuis précipitamment.
Ma position fit blêmir mon adversaire. Mais il se reprit aussitôt, et la technique ne me vint pas.
Même sans ma technique spéciale, je peux faire de la précieuse occasion qu’elle m’a donné notre salut !
Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »
Même un Magna sera assez fort pour te battre en un coup, Musmak !
L’homme forçait sur son bras retenu pour lever sa seconde flissa vers le ciel.
Musmak : « Sanguinolance ! »
Cette fois-ci, je l’ai vue venir !
Il réussit à se dégager des bandes qui le retenait, entraîné par les Crocs vers les étoiles. J’avais saboté mon sort pour pouvoir en utiliser un autre l’instant d’après.
Lucéard : « … ! »
Le sort ne me vint pas. Il avait toujours un coup d’avance.
Lucéard : « LAMINA EIUS ! »
Musmak : « Miasmânes ! »
Il disparut dans un nuage ensanglanté.
Musmak : « Sanguinolance ! »
En lançant sa sanguinolance maintenant, je ne peux pas savoir où il compte atterrir !
Je le vis soudain foncer en ligne droite vers Nojù.
Lucéard : « Attention ! »
Nojùcénie : « AUXILIA EIUS ! »
Puisant dans son mana une dernière fois, Nojù fit apparaître un simple bouclier. Mais la force d’estoc de la sanguinolance sut percer le bouclier, et Musmak entailla l’avant-bras de ma sœur qui avait tenté une esquive de dernier instant.
Lucéard : « Nojù !! »
Le regard de ma sœur se vida, elle avait été touchée par les deux lames.
La princesse bascula avant d’être rattrapée par le cou.
Musmak : « Reprends tes esprits, ô toi, notre grande cheffe. Souviens-toi de la haine ! Souviens-toi que tu veux la mort de ton frère ! »
Sur ces mots, il lâcha ma sœur avec dédain, qui s’écroula au sol de tout son long.
Lucéard : « … ! »
Musmak : « Ta peste de sœur aurait mieux fait de rester cachée. Bref, où en étions-nous ? Ah oui, j’allais t’achever ! »
Je tremblais, sans pour autant ressentir une quelconque peur.
À l’instant où il avait blessé ma sœur, j’avais entrevu les souvenirs lointains de notre paisible quotidien. La vie sereine que nous avions perdu il y a déjà tant de mois. Il nous l’avait dérobée.
Lucéard : « Ne t’avise plus jamais… »
Je fléchissais sur mes jambes, avant de m’élancer vers lui.
Lucéard : « …De t’en prendre à Nojù ! »
Il souffla du nez.
Musmak : « À quoi bon me menacer ? Tu sais très bien que tu es incapable de ne serait-ce que m’effleurer ! »
Je frappais de tout mon poids avec Promesse.
Lucéard : « LAMINA EIUS ! »
Il évita le sort lancé entre deux attaques.
Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »
Je tentai de le prendre à revers avec ma magie, et de le déborder avec mon cimeterre.
J’enchaînais les sorts, et lui les techniques.
Je ne peux plus sauver Nojù qu’en réussissant à le battre ! Il me reste encore du temps ! Je peux le faire ! Je dois tout donner ! Maintenant !
J’étais plus rapide, plus fort encore. Je forçais sur tout mon être pour repousser mes limites, au-delà même de ce que le pouvoir de Deneb m’avait octroyé.
Musmak : « Tu ne fais que courir à ta perte ! »
Une corde de plus disparaissait, comme la mèche d’une bougie. Il n’en restait plus que trois.
Je le pourchassais d’un bout à l’autre de la cathédrale. Dans les airs, entre les débris. Je ne ralentissais jamais.
Je t’aurai ! Je dois d’avoir ! Je n’ai plus le droit d’échouer !
Musmak, lui, restait sur la défensive. La sueur coulait le long de son front, et il voulait s’éviter davantage d’efforts. Il savait que sa victoire n’était plus que l’affaire d’une poignée de minutes.
Lucéard : « Haa ! »
Je semais davantage de destruction à chacune de mes attaques, mais Musmak était toujours indemne.
Musmak : « Tes efforts sont risibles. Tu es fini ! »
Hilare, il esquiva mon prochain coup, et bondit en arrière pour prendre ses distances.
Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS !! »
Un bouclier gonfla derrière lui, et le renvoya droit sur moi. Je frappais aussitôt avec Promesse.
Il parvint à parer le coup de ses deux flissas, mais la pointe de ma lame aurait presque pu l’éborgner.
Lucéard : « Je ne te laisserai pas m’échapper ! MAGNA LAMINA EIUS ! »
Je sentis son pied s’enfoncer dans ma mâchoire alors qu’il réalisa un salto arrière.
Ma tête se leva et je basculais en arrière, tandis que ma lame passa bien trop haut pour le toucher.
Musmak : « Je commence à m’y connaître en magie musicale. Et laisse-moi te dire qu’il faut de gros efforts pour que le Lamina ne suive pas la direction des yeux de son lanceur ! »
Prouvant une dernière fois qu’il détenait une sagesse du combat formidable, il m’asséna un autre coup de pied qui m’envoya en culbute au sol quelques mètres plus loin.
Je reprenais mon souffle difficilement.
Il se trouvait à mi-distance entre Nojù et moi. Ma sœur reprenait lentement ses esprits. Tout comme moi, elle s’appuyait sur un coude, et réalisait progressivement où elle était. J’ignorais quels souvenirs étaient en train de lui revenir.
Ce n’est pas fini… ! Je dois… Je dois… !
Je me relevais. J’étais toujours plus fort que je ne l’avais jamais été.
Musmak : « Inutile. Les jeux sont faits. »
Annonça-t-il, victorieux.
Lucéard : « Non… Ça n’est pas… »
J’écarquillai les yeux. Je ne sentais plus de vibration dans mon dos.
Lucéard : « … ! »
La dernière corde disparaissait. Il ne restait plus qu’un bout de l’armature de cette aile.
Non… Non… !
La panique me gagnait.
Deneb… Je vous en prie ! Encore quelques instants ! Juste le temps d’un dernier sort !
Après un silence qui me parut durer une éternité, une réponse s’immisça dans mon esprit.
Deneb : « Tant que la lueur est là, tu peux changer le destin. »
Cette aile qu’elle m’avait confiée s’évanouit dans le vide. Les ténèbres revenaient doucement dans les ruines de la cathédrale.
Musmak : « Laisse-moi conclure cet affrontement en réduisant tes derniers espoirs à néant une bonne fois pour toutes. »
-7-
Musmak prit une grande inspiration.
Musmak : « Giga anima eius Gostegg ! »
Je levais les mains pour tenter de claquer des doigts une dernière fois, mais elles tremblaient, et rien ne me venait. Je ne voyais aucune issue favorable.
Musmak : « Magna anima eius Gostegg ! »
Tout ce que j’avais tenté, que ce fût ingénieux, ou extrêmement puissant, s’était soldé par un simple échec. Il avait su éviter chacune des mes attaques. Que pouvais-je faire de plus ?
Musmak : « Anima eius Gostegg ! »
Chacune de ses incantations était un coup de marteau sur les clous qui scelleraient le cercueil de mes espoirs.
Musmak : « Giga lamina eius Gostegg. »
Ma sœur me regardait, l’air penaud. Elle se relevait faiblement.
…Nojù… Qu’est-ce que je peux encore faire… ?
Musmak : « Magna lamina eius Gostegg. »
Je me laissais porter par le courant torrentiel de ses mots, sans réussir à me décider. Mes options s’amenuisaient à chaque instant.
Musmak : « Lamina eius Gostegg. »
Il peut bloquer jusqu’à onze de mes sorts… Sans ceux offensifs… Je ne suis rien…
Musmak : « Giga anguem iridis Gostegg. »
Je ne sais même pas si je serais capable de lancer un dernier Olor ascensio…
Musmak : « Magna anguem iridis Gostegg. »
Des idées m’étaient venues, mais il bloquait exactement le sort auquel je pensais au bon moment. Il avait totalement cerné ma façon de me battre, et me réduisit au silence.
Je n’ai plus rien pour gagner… Je n’ai pas su trouver le bon moment…
Musmak : « Anguem iridis Gostegg. »
Il ne restait plus de mon aile que de la poussière scintillante.
Musmak : « Olor Ascensio Gostegg. »
Les mains de Musmak se rigidifièrent autour de ses flissas.
Musmak : « Tu n’as plus rien. Tu n’es plus rien. Tu as juste pris le chemin le plus long vers ton inexorable défaite. »
Je me sentais vide.
Nojù s’était relevée, le regard encore brumeux. Pourtant, elle me fixait, et ses yeux devinrent humides.
…Il a raison… Je n’ai jamais eu ce qu’il faut pour le battre…
Je serrai poings et dents.
…Et pourtant… Malgré tout…
Mon regard défiait encore Musmak.
…Je n’abandonnerai pas… !
Derrière lui et son sourire triomphant, ma sœur me dévisageait. La lueur revenait peu à peu dans ses yeux.
Je m’étonnais de voir cette expression sur son visage. Elle avait entièrement conscience de la situation. Mais cette lueur, c’était celle d’un espoir qui ne se laisserait jamais mourir.
Sans un mot, elle me partagea à son tour ses plus profonds sentiments.
Ce que je pouvais à peine considérer comme un souvenir me revient en tête.
C’était un souvenir que j’avais créé de toutes pièces. Deux personnes que j’avais façonné grâce à quelques vagues descriptions se faisaient face à l’écart d’un petit village perdu dans les plaines verdoyantes.
Valronde : « Maître Kirimatis… Qu’est-ce que je pourrais bien faire ? Tout le monde dans le village dit que la prophétie veut que la prêtresse soit sacrifiée pour que le Dévoreur soit apaisé… Cela veut dire que mon amie est condamnée à mourir, et que rien ne pourra changer ça ? »
J’imaginais ce jeune homme avec une tête assez étrange, et une coiffure surréaliste.
Kirimatis : « Personne ne pourra jamais savoir s’il existe une telle chose que le destin. Mais y crois-tu ? »
Ce n’était pas le cas les premières fois que j’avais lu ces livres, mais le maître de Valronde ressemblait beaucoup à Heraldos dans mon imagination, en plus roux et sympathique.
Valronde : « Non ! Il faut que je la sauve ! Et même s’il y a un destin, je ne m’y plierai pas ! …Mais je ne sais pas quoi faire… »
Il laissa retomber ses épaules. Son élan chevaleresque était déjà en proie aux doutes.
Valronde : « Juste faire de mon mieux comme d’habitude ne suffira certainement pas à changer ce qui a été perçu par les prophètes. Il doit y avoir quelque chose de plus à faire. Quelque chose dont je serais capable… Mais comment pourrais-je savoir ce qui me permettra de changer le cours des choses… ? »
Son soupir fut aussitôt interrompu par une réponse.
Kirimatis : « Il y a bien un moyen. »
Valronde bondissait dans son armure en entendant les paroles rassurantes de son mentor.
Kirimatis : « Quand le choix qui te permettra de briser le destin se présentera à toi, tu le sauras immédiatement. »
Valrdonde : « C’est vrai ?! Dites-moi comment ! Je vous en prie ! »
Kirimatis : « Quand le moment sera venu, tu ressentiras quelque chose en toi. »
Son regard, presque effrayant, se plongea dans celui de son disciple.
Kirimatis : « La peur, Valronde. Tu seras terrifié. »
Valronde : « … »
Le jeune héros était perplexe.
Kirimatis : « Mais tu n’as pas à t’en faire. Tu as déjà fait mentir le destin un nombre incalculable de fois. En vérité, cette peur si caractéristique, c’est quelque chose que chacun d’entre nous ressent tous les jours, plus ou moins fort. »
Valronde était perdu.
Valronde : « Comment ça ? »
Kirimatis : « Quand tu prends une décision, qu’elle soit banale ou exceptionnelle, les conséquences peuvent changer ta vie, et il est tout naturel d’avoir peur. Tu as toujours l’option de quitter ce à quoi tu t’es accoutumé, pour quelque chose de nouveau. Si le destin existe, il n’est conditionné que par nos précédents choix, que par la facilité. Le cours naturel des choses, à l’échelle d’une vie, n’est qu’une question de confort. »
Comme si Kirimatis se dressait face à moi, je pouvais lire sur ses lèvres.
Kirimatis : « Quand tu sentiras en ton esprit et ton âme que ton choix est juste, peu importe à quel point il est bien-fondé, qu’il implique des efforts ou non, des souffrances ou non, tu te retrouveras paralysé par la peur. Tu auras la possibilité de t’extirper de ce chemin qui s’est construit sous tes pieds. Tu ne pourras pas l’ignorer. »
La brise soufflait dans les plaines, jusqu’entre les décombres de la cathédrale.
Kirimatis : « Il te faudra alors tracer ta route au milieu des abysses. Et ce n’est qu’à la force d’une résolution à toute épreuve, d’une détermination sans faille, que tu pourras te dresser face au destin. »
Le dernier éclat de la harpe disparut.
Lucéard : « …Suivre mon cœur et gagner avec de la bonne volonté, on dirait bien que ça ne marche pas avec moi… »
Musmak : « Je ne te le fais pas dire ! »
Se gaussa mon ultime adversaire.
Je pris une grande inspiration. Quelque chose brûlait toujours en moi.
Lucéard : « Heureusement, utiliser ma tête pour trouver une solution, c’est ma spécialité ! »
Je fléchis mes jambes, prouvant à Musmak que j’avais l’intention de me battre jusqu’au bout.
Musmak : « Ta tête est vide si tu penses avoir encore une chance ! J’ai piétiné toutes tes possibilités de changer la donne ! »
Lucéard : « Loin de là. »
Il se raidit en entendant la fureur dans ma voix. Le sourire de ma sœur se redressa.
Lucéard : « J’ai toujours de quoi gagner ce combat ! Et ce sera avec l’ultime cadeau que m’a légué ma mère ! »
Nojù s’étonna d’entendre ces mots.
Musmak : « Si Llynel l’eût su elle-même, elle aurait dû t’apprendre à accepter la défaite ! »
Le moment est venu…
La terreur faisait bondir mon cœur contre ma poitrine, jusque dans mes oreilles.
…Cette peur, elle me montre le chemin. Le chemin que je m’apprête à forger !
Je pivotais sur moi-même à la surprise générale, avant de courir à toutes jambes vers l’autel.
Musmak : « Il… IL S’ENFUIT ?! »
Musmak étirait un sourire crispé. Il aurait aimé rire de bon cœur face à cette scène pathétique. Mais il avait suffisamment côtoyé les Nefolwyrth pour se raidir.
Nojù me regardait m’éloigner à grandes foulées, dubitative.
Une dernière question demeure… Le serpent ou la lame… ? L’un est plus maniable, l’autre plus rapide. Mais Musmak a énormément de ressources. S’il s’en sort, ce sera fini pour de bon…
Une idée me frappa comme la foudre. L’électro-choc se propagea à travers tout mon corps.
La tension et l’effroi m’empêchaient de sourire, et pourtant, je voyais la lumière au bout du tunnel.
Musmak : « Tu abandonnes ta sœur, Lucéard ?! Après tous ces beaux discours ?! »
Lucéard : « Bien sûr que non ! Je la sauverai quoi qu’il m’en coûte ! Je te l’ai déjà dit ! »
Je sentais l’énergie divine transcender mon corps une dernière fois.
Lucéard : « Et je la ramènerai à Lucécie !! »
La mine moqueuse de Musmak se mua en grimace quand il aperçut l’éblouissante lumière à l’autre bout de la cathédrale.
L’orgue cérémoniel au fond de ce qui restait de l’édifice luisait intensément, il était devenu le réceptacle de ma tension magique.
Musmak : « Oh… Pitié… ! »
Lucéard : « Tu voulais voir tout ce dont j’étais capable, Musmak ! Et tu vas être servi !! »
Je m’élançai vers le grand clavier, hurlant à m’en brûler les poumons.
Lucéard : « ORCHESTRA… »
Ce premier mot fit frissonner de terreur Musmak.
Lucéard : « …AUXILIA EIUS !!! »
Musmak : « Auxilia ?!! »
Je frappais de tout mon poids sur les touches, et les tuyaux hurlèrent à leur tour.
Une sphère magique gonfla devant moi, et me projeta en arrière.
Je dégainais Promesse en me retournant puis rebondis sur un autre bouclier.
Musmak : « Que comptes-tu- »
Une centaine de sphères lumineuses apparurent autour de Musmak.
Musmak : « !!! »
Je fonçais droit sur lui, comme un boulet de canon. Caresse reprenait peu à peu ses couleurs.
C’est le grand final cette fois-ci. Je n’ai pas droit à l’erreur. Mais je suis sûr de réussir !
Musmak : « Crucificsang ! »
Au dernier moment, il brandit ses deux crocs, mais je n’étais déjà plus face à lui. Un autre Auxilia m’avait fait prendre un angle à 90°.
Je rebondis de bouclier en bouclier. Certains apparaissaient, d’autres disparaissaient.
Je continuais d’accélérer à chaque rebond.
Plus vite… ! Je dois aller plus vite ! Je dois être plus rapide que jamais ! Je dois le surpasser !
Je passais à sa gauche, à sa droite, au-dessus de lui. Musmak se retournait dans tous les sens pour tenter de parer mes attaques qui venaient de partout. Le fracas du métal provoquait des étincelles.
Musmak : « Hahaha ! HAHAHAHAHA ! C’est ça ! Donne tout ce que tu as, Lucéard ! Sois plus fort que jamais, et constate que ça ne suffira pas à me vaincre ! »
Malgré ses provocations, il était cloué sur place. Me suivre du regard lui prenait toute son attention. Il ne pouvait pas se permettre le moindre mouvement.
Encore un peu ! Je dois tenir ! Juste un peu !
La violence de ces accélérations était trop intense pour le corps d’un humain. Sans la bénédiction de Deneb, je n’aurais pu y résister.
J’arrivais derrière lui. Presque à portée, je rentrai Caresse dans son fourreau.
Musmak : « MEURS ! Crucificsang ! »
Il se retourna en lacérant l’air.
Musmak : « Comment ?! Mais il était- »
Un bouclier gonfla sous son pied, et le fit basculer.
Musmak : « TU NE PE- »
Un tintement retentit dans son dos. Il reconnut le glas du carillon, et la sueur coula le long de son nez.
Je fermais les yeux.
Quand Musmak se retourna, totalement déséquilibré et transi d’effroi, une plume immaculée passa devant son regard.
Les pieds du prince face à lui s’enfonçaient profondément dans un bouclier, le temps s’était presque arrêté.
Musmak réalisa avec horreur que l’aura sur ses doigts venait de disparaître.
J’attrapais Caresse de mes deux mains, prêt à la dégainer, galvanisé par les mots de la déesse.
Tant que la lueur est là… Je peux changer le destin !
Quand je rouvris les yeux, ils rayonnaient aussi fort qu’au début de ma transformation.
Lucéard : « Olor Ascencio !! »
Musmak : « NOOOOON ! CRUCIFICSANG !! »
Un flash scinda le sol en deux. Une lame de lumière pure découpa la cathédrale entière en deux, dans toute sa longueur.
J’atterris au sommet des marches de l’autel après un dernier rebond.
Musmak : « … »
Dos à moi, Musmak resta sans voix. Ce duel s’était joué à une lutte de volonté pure. Mais face à mon regard, il avait concédé sa première défaite.
Une entaille vermeille s’ouvrit le long de la joue de l’empereur.
Musmak : « Impossible… »
Une grimace déformait son visage. Sa colère était prête à exploser à tout moment, et à peine fût-il retourné face à moi :
Musmak : « Haha. »
Son calme sourire lui était revenu.
Musmak : « Il t’a fallu la puissance d’un dieu à tes côtés pour si peu. Mais bravo. Tu pourras raconter à tous tes amis comment tu as réussi à me faire une égratignure avant de tomber à bout de force, et de pleurer la perte de ta sœur et la douleur de ta défaite. »
Je me tournais à mon tour vers lui, et m’autorisais un sourire en coin.
Je tendais les deux bras face à moi, paumes vers le ciel étoilé.
Lucéard : « Hélas, Musmak… Pour la première fois, la victoire… »
Nojù tomba entre mes bras.
Lucéard : « …me revient ! »
-8-
La mâchoire de Musmak se décrocha.
Musmak : Il a utilisé ce sort pour faire rebondir sa sœur jusqu’à la sortie ?! Tout le reste n’était là que pour détourner mon attention ?!
Le dernier bouclier de ce sort fantastique apparut au niveau du cœur de Musmak.
Il gonfla brutalement et éjecta mon adversaire au loin dans les cieux.
Musmak : « AAAAAAAAAAAAAAHHHH !! »
Lucéard : « Tu te sens de courir, Nojù ? »
Ma sœur me fixait, les yeux pleins d’étoiles, émerveillée par cette ultime tactique.
Nojùcénie : « Tu rigoles ! J’adore courir ! »
Elle se libéra de mes bras, et on partit tous les deux vers la sortie.
Musmak : « Quel cauchemar !!! »
Musmak nous vit disparaître au loin par la petite porte de bois.
Nojù et moi bondissions au-dessus des quelques marches précédant le plus long couloir de la base. Je n’en voyais même plus le bout. La lumière de Deneb s’était totalement dissipée.
J’ai bien dû mettre vingt minutes pour monter jusqu’ici. Mais en descendant, ce devrait être bien plus rapide !
J’empoignai mon épaule d’une main.
Ma blessure du dernier échange ne guérit pas…
Je sentais la fatigue revenir brutalement dans mon corps et mon esprit.
Je dois tenir jusque là.
Musmak : « Vous ne vous échapperez pas ! »
Musmak était à nos trousses. Et il était bien plus rapide que nous.
Je ne pensais pas qu’il nous rattraperait si vite !
Nojùcénie : « Allez, Lucé ! Tiens bon ! On va y arriver ! MAGNA AUXILIA EIUS ! »
Soufflant dans sa flûte-double, Nojù avait suffisamment récupéré pour faire apparaître un bouclier assez gros pour boucher le couloir, forçant Musmak a le briser avec ses armes.
Musmak : « Vous ne pouvez pas vous enfuir avec lui, ô grande impératrice Nojùcénie ! »
L’espace d’un instant, la confusion gagna l’esprit de ma sœur, qui tituba.
Lucéard : « Nojù ! »
Mon pas ralentit.
Après ce couloir, tout est sinueux, il lui sera bien plus difficile de gagner du terrain sur nous ! Il faut qu’on y arrive !
Nojùcénie : « Continue, Lucé ! Je suis juste derrière toi ! »
Elle était prête à trébucher d’une seconde à l’autre, et se tenait la tête.
Musmak : « Vous m’ennuyez ! Je ne voulais pas mettre fin à tout ce plaisir si vite ! Mais puisque vous y tenez tant ! »
Il s’élança droit sur Nojù, et rentra les Crocs de l’Anisbys dans leurs fourreaux.
La terreur brouillait mes sens. Je n’avais plus cette sérénité presque mystique qui m’avait aidé à garder mes esprits pendant le combat.
Nojù se retourna, réalisant qu’elle ne pourrait pas fuir à temps. En dernier recours, elle fit face.
Quant à moi, je fis demi-tour.
Musmak : « Je te l’avais promis, Lucéard ! Je te prendrai tout ! Et je commencerai par ce que tu as de plus précieux ! »
Musmak empoigna ses armes pour utiliser sa technique favorite.
Je dégainai Caresse une dernière fois.
Je me revoyais baigner dans la lumière de ce Giga Auxilia ce jour-là.
Je comprends ce que tu as ressenti à ce moment-là, Nojù…
Ma sœur tenait fermement sa flûte-double, sans ignorer qu’elle n’avait plus de quoi lancer un sort.
La prochaine décision que je pris ne me fit pas peur. C’était la plus naturelle qui soit.
Je revoyais le visage de tous les amis que je m’étais fait ces derniers mois. Les moments passés avec ma famille. Ces moments de paix.
Merci de m’avoir permis de vivre ce jour-là. C’est grâce à toi si j’ai pu avoir tout ça.
Musmak : « Crucisaillement !! »
Une main poussa Nojù en arrière.
Je m’étais interposé entre Musmak et elle. Mon regard brillant d’émotion se tournait vers elle, alors qu’elle basculait légèrement.
Maintenant, c’est mon tour.
Nojùcénie : « Lucé ! NON ! »
Lucéard : « Je t’en prie, Nojù… Quoi qu’il arrive… Va de l’avant. »
Nojùcénie : « Lucé !!! »
Elle tendit la main vers moi sans pouvoir m’atteindre.
Musmak : « Alors c’est toi qui mourras le premier !! »
Mais ne t’en fais pas… Je n’ai pas oublié ma promesse… Et je résisterai jusqu’au bout.
Les dernières forces de mon corps m’abandonnaient, tandis que je pointais faiblement Caresse vers Musmak.
Mon regard devint vitreux.
Si toi au moins tu te souviens de moi, alors je n’ai pas tout perdu…
Le sourire que je lui avais lancé avant de me tourner n’avait pas quitté mes lèvres.
Le fracas métallique se réverbéra dans tout le corridor. Ce son qui résonnait indéfiniment glaça le sang de ma sœur.
Nojùcénie : « Lucé !!! »
Pris au cœur par ce cri désespéré, je rouvris les yeux, comme si une dernière lueur d’espoir se trouvait face à moi. Mon visage se figea.
Lucéard : « …Léonce… ? »
Les flissas de Musmak s’étaient heurtées au hachoir de mon ami, solidement planté dans le sol.
Léonce : « Pile à l’heure ! Je t’avais bien dit que je te rattraperais ! »
Entendre sa voix me fit monter les larmes aux yeux.
Lucéard : « …Tu es vraiment venu… ! »
Mes forces me quittèrent, et je tombais sur quelque chose de ferme, mais chaud.
Nojù fut à son tour soulevée sur l’épaule de quelqu’un.
Duxert : « On les a ! »
Brakmaa : « mais Dux ! Cette fille, ce serait pas… ! »
Musmak : « Qui t’es toi ?! Et comment t’as réussi à parer ma crucificsang ?! »
Musmak n’en revenait pas. Pourtant, il reconnut quelque chose de familier dans la pose de Léonce.
Musmak : « Lothaire… ! »
Après un grognement, il se prépara à une autre attaque. Ses lames s’illuminèrent d’or.
Musmak : « Si vous y tenez tant ! Je vous cueillerai tous ici, et maintenant ! »
Avant qu’il n’ait pu lancer sa technique ultime, il dut parer un coup de dague impitoyable.
Baldus : « N’y compte pas trop, vieux taré ! Allez, les gars ! On se replie ! »
Lucéard : « Dux… Brak… Baldus… »
Ma vision devint floue, je n’avais plus aucune énergie.
Musmak : « Vous n’irez nulle part ! »
Baldus : « À toi, Frem ! »
Quand Baldus et Léonce passèrent à côté du bandit à la masse celui-ci se mit à sourire.
Frem : « Va crever, enfoiré de Musmak !! »
Il frappa de toutes ses forces contre une paroi du corridor, déjà affaiblie par le temps.
Le sol se mit à trembler, et Nÿzel attrapa son acolyte par la taille avant de se projeter à pleine puissance.
Musmak se recula pour éviter un premier éboulis qui précipita la condamnation du seul accès à sa base.
Musmak : « Aaaaah !!! C’est ça, fuyez ! Et vivez dans la peur du moment où je vous rattraperais ! »
Nojù observait l’étrange équipe venue à notre secours.
Nojùcénie : « Mais vous êtes… ? »
Tout ce petit groupe était grièvement blessé mais courait aussi vite que possible.
Léonce : « Et toi, t’es qui ? Ta tête me dit un truc… »
Baldus et Nÿzel étaient sans voix. Ils avaient reconnu ma sœur aussitôt.
Nojùcénie : « Moi, c’est Nojùcénie ! Oh ! Tu serais pas l’ami de mon frère par hasard ?! »
S’enthousiasma-t-elle, prenant Léonce au dépourvu.
Léonce : « Ton frère… ? Attends… Attends ! »
Baldus : « Vous bavarderez plus tard ! On n’est pas tirés d’affaire ! »
Je n’entendais plus clairement. Je pouvais à peine distinguer leurs silhouettes.
Lucéard : « E…Ellébore… ? »
Dans un dernier murmure ma conscience s’évanouissait.
Toute l’équipe arriva dans la dernière pièce. Nojù regardait à droite, puis à gauche. C’était le chaos.
Une créature aux allures félines vêtue de noir de la tête au pieds était adossée le long d’un mur. Elle ne bougeait plus.
Un monstre difforme avait été décapité, et il ne restait sur sa minuscule tête qu’un visage empli de douleur et une veste couverte de sang.
Sous de lourdes pierres, un bras énorme baignait dans son sang. Elle n’osait pas en voir plus.
Mamie : « Montez vite ! Les renforts arrivent ! »
Dès la sortie, un chariot attendait derrière le carrosse.
Cynom : « Mon prince ! Et… Et !!! »
Après un court soulagement, mon chauffeur s’égosilla en reconnaissant la demoiselle. Celle-ci avait les yeux rivés sur le grand cercueil à l’arrière du véhicule. Il avait été refermé.
Un homme exténué, assis sur la banquette regardait paisiblement le visage endormi de la jeune fille blonde posé sur ses cuisses.
…Nojù…
Mon inquiétude s’exprima dans une dernière pensée, avant que je ne sombre lentement. Les voix devinrent confuses dans ma tête.
Ceirios : « Musmak arrive ! On démarre ! »
Ceirios était au commande du chariot qui se mit en mouvement avant même que les passagers ne soient montés.
Frem : « Allez ! On se casse ! »
Baldus : « Y a un paquet de monde qui se ramène ! »
Sans que je m’en rende compte, le noir était désormais complet.
…
…
…
…
…
…
-9-
On toqua à la porte.
Après avoir poussé la poignée, Luaine redécouvrit la chambre colorée et duveteuse de sa fille. Et lui tendit une enveloppe.
Kana la réceptionna avec grand plaisir. C’était la troisième lettre de son cousin ce mois-ci.
Elle l’ouvrit aussitôt que la porte fut refermée.
Puis, après une courte inspection, elle lui tomba des mains.
Kana était passée d’une vive joie à une émotion encore plus intense en quelques instants. Sur le papier au sol, il y avait deux écritures différentes.
Quelques chambres plus loin, Aenor était aussi face à son courrier.
Ses yeux étaient humides. Elle lut les premiers mots à voix haute.
Aenor : « Désolée pour le retard… Bon anniversaire… ! »
La gorge nouée, la fillette se mit à pleurer à chaudes larmes dans sa chambre.
Lucéard : « AH ! »
Je me réveillais brutalement au beau milieu de la nuit.
Tout autour de moi ressemblait à ma chambre. Ma première sensation fut une douleur terrible.
Pourtant, je me levais d’un bond, paniqué.
Je tombais aussitôt au sol. Mon corps ne voulait rien entendre. Mais moi non plus.
Je me collais au mur pour avancer. Je traversais tout le corridor de l’étage, péniblement.
Finalement, j’ouvris la porte de la chambre de Nojù, et tombai, faute de m’y être trop appuyé, ce qui la fit claquer contre le mur adjacent.
Je relevais la tête pour apercevoir dans son lit une silhouette endormie. Elle ronflait énergiquement.
Alors ce n’était pas qu’un rêve…
Je souriais, la tête collée contre le sol, sous le regard perplexe de mon majordome qui venait d’apparaître derrière moi.
…Nous sommes rentrés chez nous.