Nefolwyrth
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Chapitre 61 – Ce jour-ci
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-1-

On toqua à la porte.

Ce ne fut qu’un coup, avant que celle-ci ne s’écrase contre le mur adjacent.

Nojùcénie : « Joyeux anniversaire ! »

Le jour de mes 16 ans, comme tous les ans, ma sœur avait débarqué dans ma chambre une première fois à minuit, puis une seconde fois, à 6 heures du matin.

Avec le temps, je m’étais adapté à cette invasion annuelle. Pour mes 13 ans, j’avais fermé la porte à clefs, mais elle avait chapardé le double.

Pour mes 14 ans, je m’étais caché sous le lit pour dormir, espérant la leurrer, en vain.

Pour mes 15 ans, j’étais allé dormir dans la salle des tapisseries pour avoir la paix. Mais après avoir scruté chacune des pièces avant de me trouver, elle m’avait bondi dessus, en larmes, angoissée à l’idée que j’ai disparu.

Pour mes 16 ans, je m’étais résigné, me contentant de m’enfouir sous mes oreillers pour entendre le moins fort possible son arrivée. J’avais malgré tout sursauté en entendant la porte rebondir contre le mur.

Pour mes 17 ans, il y a de cela une semaine, je n’avais rien eu à faire. Personne n’était venu enfoncer ma porte à minuit.

Mais dès l’aube, la poignée s’abaissa plus timidement, et Deryn prit la relève, pénétrant dans ma chambre en fanfare, sans oser abîmer davantage le mur et la poignée intérieure.

Les Vespère avaient fait le déplacement pour une poignée de jours, s’assurant que je sois bien entouré cette année. Malgré la solitude de cette nuit, je n’eus pas le temps de m’ennuyer de la journée.

Repenser au visage de ma sœur alors qu’elle bondissait dans ma chambre parvenait de nouveau à m’apaiser.

Ce visage n’avait pas disparu à jamais. J’avais pourtant accepté que les choses étaient ainsi.

Il était là, sous mes yeux. Derrière la tourmente d’un maléfice que je ne comprenais pas, derrière des sentiments conflictuels, et bien des souffrances. Il était là.

J’avais encore une ultime chance de pouvoir garder ce sourire auprès de moi. Je me dressais face à ma sœur et mon ennemi, résolu.

Lucéard : « Nojù ! Je te sauverai ! On rentrera tous les deux chez nous ! Dès demain, on reprendra notre vie d’avant ! On rattrapera le temps perdu ! Et si tu y tiens vraiment, on pourrait même partir à l’aventure de temps en temps ! »

Nojù était tiraillée. Elle hésitait à se moquer de moi pour la vacuité de mes propos. Mais une partie d’elle se laissait attendrir par cette alléchante proposition, qui résonnait encore entre les hauts murs de la cathédrale abandonnée de Rougonde.

Musmak : « C’est nul à pleurer ! J’ai honte pour toi quand tu déclames des inepties de ce genre ! »

Musmak se mit entre Nojù et moi, ses lames dorées semblaient luire au milieu des ténèbres.

Musmak : « Ne vas pas croire que parce que tu es parvenu à parer une seul de mes petits coups tu es capable de me vaincre ! Cesse de vivre dans ton petit monde d’héroïsme fantasque ! »

Lucéard : « S’il n’y a pas d’autre façon de ramener Nojù avec moi, alors je te vaincrais ! »

L’arrogance de mes mots et de mon regard firent rougir Musmak de rage.

Mais je ne suis pas assez inconscient pour parier là-dessus. Ce qui me rend confiant, c’est que j’ai enfin monté un plan qui m’a l’air réalisable !

Ce début de combat avait été plus que laborieux, mais j’avais glané suffisamment d’informations pour élaborer une stratégie digne de ce nom.

Musmak : « …Il me suffit d’une seule attaque pour faire disparaître cette confiance insensée que tu voues à tes maigres capacités ! »

Lucéard : « Encore faut-il m’atteindre ! ANGUEM IRIDIS ! »

C’était le moment pour moi de reprendre le contrôle de ce duel.

D’un claquement de doigt, je me fis emporté par le ruban derrière une colonne.

Musmak bondit vers la bande magique qui venait de s’accrocher à une voûte.

Musmak : « Tu ne peux pas m’échapper ! »

Son sourire carnassier retomba en constatant qu’il n’y avait personne au bout de l’Anguem.

Musmak : « Où est-ce qu’il est ?! »

Lucéard : « Ici. »

J’étais derrière lui, quelques mètres plus bas, sur le grand tapis central. J’étais pleinement concentré, ce qui rendait mon regard plus perçant que jamais. Je m’essuyai les lèvres du revers de ma main.

Musmak : « Quelle attitude détestable ! Ne me dis pas que c’est cette si petite réussite qui t’a rendu aussi présomptueux ?! Je vais te faire ravaler ce petit air supérieur ! »

Lucéard : « Seulement si tu en es capable. »

J’accourus vers lui, avant qu’il ne soit retombé sur ses pieds.

Musmak : « Tu as perdu la tête, mon pauvre ! »

Je lui jetais un projectile, à son grand étonnement.

D’un coup précipité, il trancha un flacon de verre vide avant d’atterrir sur ses sabots.

Musmak : « C’est… Une fiole ?! »

Je ne dois pas le laisser dicter le rythme de ce combat !

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Je bondis sur un bouclier pour me projeter jusqu’au plafond.

Musmak : « Tu penses avoir plus de chances dans les airs, n’est-ce pas ? Lamina eius Gostegg, magna lamina eius Gostegg, anguem iridis Gostegg, auxilia eius Gostegg, magna auxilia eius Gostegg ! »

Tout en prononçant son incantation à rallonges, il s’élança vers moi, démontrant encore que sa détente était stupéfiante.

Je sortis ma lyre en arrivant au point le plus élevé de mon ascension.

Musmak : « Tu es coincé ! »

Lucéard : « Hmpf ! »

D’un sourire hautain et d’un soufflement de nez, je frappais les cordes de la lyre.

Lucéard : « ANIMA EIUS ! »

Musmak : « Ah ! C’est vrai ! Ce sort ! »

Il tenta encore une parade, mais rien ne pouvait arrêter l’Anima. Musmak fut traversé par mes plus intenses sentiments.

Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS ! »

Musmak : « C-comment ?! »

Je m’en suis rendu compte juste avant d’utiliser l’olor ascensio. L’anima déconcentre l’adversaire, ce qui suffit apparemment à briser certaines techniques comme son sort de silence.

Musmak : « Crucificsang ! »

La force de sa technique se confrontait à la mienne. Son tranchant était incomparable, mais mes Lamina étaient surtout efficaces pour les projections.

Musmak : « Raah ! »

Entièrement coupé dans son élan, il se fit emporter par le souffle du sort qu’il venait de trancher.

Lucéard : « … »

Mon sort d’attaque était de nouveau bloqué par son esprit.

Lucéard : « Pas de problème ! AUXILIA EIUS ! »

Le bouclier apparut au sol, à moitié sous Musmak, qui espérait atterrir sur ses sabots d’une seconde à l’autre. Son premier pied s’enfonça dans la sphère lumineuse tandis que son second était toujours dans le vide. L’empereur de la fin obscure se vautra misérablement au sol.

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

Le choc et l’humiliation lui avaient fait relâcher son attention sur son sort de silence.

Musmak : « Pour qui tu te prends ?! Ça compte pas ! »

Il roula pour esquiver l’attaque et se releva d’un bond, rouge de colère.

Musmak : « Un gamin aussi insignifiant que toi ne me toucheras jamais ! »

Lucéard : « ANGUEM IRIDIS ! »

Je disparus dans la pénombre de la cathédrale sans daigner lui répondre.

Cette insolence rendit Musmak fou de rage.

Musmak : « Reviens ici ! »

Nojù ne savait plus quoi penser. Elle regardait à gauche, puis à droite, puis baissa la tête. Son animosité n’allait qu’en s’amenuisant.

Lucéard : « Ton grand-frère est en super forme aujourd’hui. »

Annonçai-je fièrement, malgré les terribles blessures que j’accumulais.

J’étais juste à côté d’elle.

Nojùcénie : « Musmak, il est- ! »

Lucéard : « ANIMA EIUS ! »

Je puisais dans mon cœur en frappant les cordes de la lyre.

Ma sœur perdit l’équilibre quelques instants.

Nojùcénie : « … »

Elle était visiblement confuse. Les yeux écarquillés, bouche bée, elle me dévisageait sans savoir comment réagir.

Musmak : « Je vois. Tu me fausses compagnie pour essayer d’ensorceler de nouveau notre chef ! »

À la vitesse de l’éclair, Musmak me rejoint.

Musmak : « Ton plan est voué à l’échec. »

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Je bondis dans l’ombre avant qu’il ne puisse m’atteindre.

Il se désintéressa aussitôt de moi pour plonger son regard dans celui de Nojù.

Musmak : « Souviens-toi, souviens-toi. Rappelle-toi qui tu es, Nojùcénie. »

Presque paralysée, les yeux de ma sœur s’étaient embrumés l’espace d’un instant.

Nojùcénie : « …Merci… Je me sens déjà mieux. »

Son visage arborait de nouveau cette expression glaciale.

Nojùcénie : « Il ose encore s’en prendre à moi. Je lui ferai payer cet affront personnellement. »

La demoiselle était de nouveau déterminée à se battre elle-même.

Comme prévu…

La boisson de régénération magique commençait à faire effet. Même si elle restait plus lente en situation de tension, l’avoir bu maintenant me permettrait de récupérer de quoi lancer quelques précieux sorts avant que je ne m’épuise.

Et puis, soyons franc, j’étais totalement déshydraté.

-2-

Musmak : « C’est ici que tu te cachais ! »

Il m’avait rapidement retrouvé, mais souffler un peu m’avait fait du bien, et m’avait permis de consolider ma stratégie.

Le timing va être serré, mais je ne vois pas de meilleure solution.

Musmak : « Voilà qui n’est pas très héroïque comme façon de se battre ! Tu penses me berner, mais je sais à quel point vous êtes combinards dans ta famille ! Vous êtes de véritables charognards ! »

Lucéard : « Et alors quoi ? J’aimerais bien pouvoir suivre le code de la chevalerie, mais si je m’y contraignais, je serais mort depuis déjà longtemps ! »

Sans ménagement, il attaqua.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Je venais de m’extraire loin de sa portée.

La première partie de ma stratégie repose sur ma capacité à éviter le danger. Je ne dois pas trop m’exposer. Juste assez pour lui faire penser que je suis dans le combat. Vu qu’il n’a aucune attaque à distance, ce devrait être faisable.

Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »

Évidemment…

Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »

À défaut de m’être souvenu du sort basique, je prenais le réflexe d’utiliser le Magna.

Il m’était ainsi plus aisé de le scinder. Les deux bandes s’accrochèrent à une voûte différente.

Ma sœur fit dévier son attaque, mais qu’elle cible un ruban ou l’autre importait peu puisque je pouvais me hisser sur l’autre une fois le premier tranché.

Nojùcénie : « Il est insupportable… ! »

Musmak : « Que je suis d’accord avec vous, chef. C’est un lâche comme dirait Laukai. »

Musmak était furieux, mais s’amusait à faire dire des atrocités à Nojù.

Nojùcénie : « Sa façon de se battre est hideuse. »

Musmak : « Je suis prêt à parier qu’il a été bercé par ce genre de contes pour enfants d’une niaiserie affligeante plein de héros et de belles valeurs. La deuxième chose que je hais par-dessus tout, ce sont les gens qui imposent leurs idéaux vertueux alors qu’ils sont pourris jusque dans les tréfonds de leurs âmes ! »

Perché sur ma voûte, je les fixais tous les deux avec perplexité.

Qu’est-ce que j’ai fait pour qu’on me dise de telles choses ?

Musmak finit par reprendre l’offensive.

Musmak : « Ta mère avait un minimum de décence, elle ! C’est ce qui l’a tué, cela dit ! »

Je lui lançais un regard noir, puis bondis de ma voûte droit sur lui.

Lucéard : « Tout ce que tu as à dire sur ma mère ne m’intéresse pas. Tu penses exploiter un point faible, mais tout ce que j’entends, c’est la frustration d’un vieil homme qui n’a jamais eu la satisfaction de la vaincre ! »

Au grognement de Musmak, je me confortais dans cette idée.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Nojùcénie : « LAMINA EIUS ! »

J’atterris au sol après m’être éloigné de Musmak, mais une lame de lumière me guettait. Je réussis à l’éviter d’un bond.

Lucéard : « Et toi alors, Nojù ? Tu vas le laisser dire que les romans d’aventure qu’on a lu sont niais ? »

Ma sœur grimaçait. Elle ne comprenait pas le sens de la question.

Nojùcénie : « Bien sûr qu’ils le sont… J’ai dû les lire aussi… Ce ramassis de nigauderies sans nom ! »

Lucéard : « Je te trouve gonflée de tenir un tel discours devant moi ! »

Après un sourire railleur je m’esquivai d’une attaque de Musmak.

Le combat se poursuivait. Je restais prudent, tout en tendant des pièges à mon adversaire dès que j’en avais l’occasion. Je ne parvenais jamais à le toucher, mais je passais parfois si près d’y arriver qu’il en devint méfiant.

Je dois rester imprévisible. Il suffit qu’il sache quel sort me bloquer au bon moment, et je serais dans de beaux draps.

Son obsession de ne pas se faire toucher le faisait passer à côté de certaines occasions, et je m’en étais aperçu.

Nojùcénie nous suivait du regard, et parfois attaquait. Les derniers mots que je lui avais dit la perturbait.

Nojùcénie : « Comment ça, gonflée… ? »

Lucéard : « ANIMA EIUS ! »

Je profitais d’une occasion pour cibler Nojù avec mon Anima.

Musmak : « Oh non, tu ne réussiras pas cette fois ! »

Musmak s’interposa en un éclair devant ma sœur. Le sort lui passa à travers.

Musmak : « Mais quelle saloperie ! »

L’Anima frappa Nojù qui vacilla légèrement, décontenancée.

Nojùcénie : « … »

Musmak soupira. Il s’était subitement calmé.

Musmak : « Tu as de la ressource, je ne peux le nier. Et du cran. Mais je sais que tu as montré tout ce dont tu étais capable. J’ai fini de jouer avec toi. Maintenant, laisse-moi te montrer à quel point tu es faible ! »

Il chargea droit sur moi, les lames rentrées dans leurs fourreaux.

Musmak : « Auxilia eius Gostegg ! Magna auxilia eius Gostegg ! Anguem iridis Gostegg ! Magna anguem iridis Gostegg ! Anima eius Gostegg ! »

Il s’handicapait malgré tout d’une main avant de frapper. Mais sa poigne se consolida autour du manche d’une de ses flissas.

Hélas, tu as oublié un sort important !

Lucéard : « LAMINA EIUS ! »

Au dernier instant, je prononçais l’incantation, mais le temps de l’articuler, Musmak s’était décalé de sa trajectoire et avait pu éviter le sort.

Lucéard : « Non ! »

Musmak : « Tu ne pourras rien contre moi avec seulement ce sort ! »

Je reçus un coup de pied dans le ventre qui me poussa en arrière, plié en deux.

Je sus rouler en arrière pour me relever et contrer le prochain coup qui m’attendait avec Caresse.

Il frappait avec ses deux lames et me submergea en un instant.

Musmak : « Je vais graver dans ta chair le souvenir indélébile de ma supériorité ! Ces cicatrices te rappeleront ta défaite jusqu’à ton dernier souffle ! »

J’essayais tant que possible de parer les coups qui visaient mes jambes ou ma tête. Mon torse pouvait encaisser.

Il me fallait aussi m’assurer que ses deux sabres ne me touchent pas simultanément, sans quoi je perdrais à nouveau tout souvenir, et toute volonté de me battre.

Il me faucha la jambe d’un coup de pied expert, et m’enfonça son sabot dans le visage l’instant d’après. Repoussé en arrière, j’étais totalement sonné.

Musmak : « Crucificsang ! »

Sans défense, je ne pus que brandir Caresse en dernier espoir.

L’instant d’après, Musmak était derrière moi.

Un flot de sang jaillit de mon torse.

Je tombais à genoux une fois encore.

C’est toujours pareil… Une fois que mes adversaires se battent sérieusement, je n’ai plus aucune chance…

L’enchaînement que je venais d’encaisser était un coup dur sur le plan physique comme moral. Même si l’une de ses flissas n’avait pas su percer ma courpentière, mes espoirs de réussir s’amenuisaient.

Mes bras et mes jambes saignaient. Les plaies étaient profondes, douloureuses. Je ne pouvais plus m’imaginer me mouvoir aussi vite que jusque là.

Lucéard : « CURA EIUS ! »

Avant même qu’il ne se retourne, je fuis aussi vite que possible pour me mettre à l’abri. Je manquais de souffle.

Un simple cura ne pourra que limiter l’hémorragie, mais je ne dois surtout plus m’exposer. Je lui ai laissé une occasion de m’atteindre, et il aurait pu largement me tuer…

Musmak : « Tu as la même chance insolente que ta mère ! »

Lucéard : « …Ma mère disait toujours que lorsqu’on fait tout pour s’aider soi-même, l’univers s’aligne sur notre volonté. »

Musmak : « Pas étonnant que tu sois devenu aussi insupportable avec ce genre de philosophie ! »

En un instant, il me rejoint et me projeta d’un coup de pied en plein torse.

Je roulais en arrière sur quelques mètres.

Musmak : « C’est ridicule ce qu’on inculque à un prince de nos jours ! Je suis sûr que vous êtes d’accord avec moi, ô Grande Impératrice de la fin obscure ! »

Nojùcénie : « Ces quelques fantaisies qu’on a essayé de nous imposer n’ont pas leur place dans la tête d’un futur suzerain. »

Musmak : « Tu vois ! »

Se moqua t-il en tentant de me transpercer le torse.

Je me reculais juste assez pour n’être qu’effleuré.

Il se montrait de plus en plus impitoyable. Je n’étais même pas sûr qu’il essayait encore d’éviter de me tuer.

Lucéard : « C’est vraiment ce que tu penses, Nojù ? »

J’essayais de capter son regard, mais je n’avais pas le temps de me détourner de ce combat à sens unique.

Nojùcénie : « Cesse de me tenter. Je vois bien que tu essayes de me faire douter, mais tes envoûtements ne pourront pas me détourner de mes véritables convictions ! »

Nojù restait devant les portes de la cathédrale. Sa voix portait suffisamment pour être entendue d’un bout à l’autre.

Lucéard : « Si tu ne crois pas en toutes ces valeurs fantaisistes, alors que faisaient toutes ces aventures de Valronde sur ta table de chevet pendant ces sept dernières années ? »

Musmak : « Valquoi ? Rien que le titre, ça sent bon la paralittérature avec laquelle on gave les enfants bourgeois avant même qu’ils ne savent lire ! »

Cette remarque m’évoquait soudain quelque chose. Un souvenir.

Nojùcénie : « Tout ça faisait partie du personnage que je jouais durant ma vie au palais ! Je n’aurais jamais pu lire ces idioties avec sérieux ! Il faut vraiment être benêt pour aimer ce genre de torchon ! »

Musmak s’amusait d’entendre ma sœur cracher son venin tandis qu’il dominait notre duel avec aisance.

Lucéard : « Quand tu auras retrouvé tes esprits, tu te mordras les doigts à l’idée d’avoir dit ça ! »

J’esquivais difficilement un des crocs de l’Anisbys. La fatigue et la douleur engourdissaient mon ressenti du combat.

Nojùcénie : « Cause toujours. Si la bonté et l’amour triomphaient à chaque fois, alors pourquoi n’as-tu pas encore vaincu Musmak, hein ? »

Un sourire moqueur se dessina sur ses lèvres.

Nojùcénie : « Si tu as autant de bonne volonté, des compagnons fidèles, et des valeurs dont tu peux être fier, pourquoi ne gagnes-tu pas ? Où sont ceux qui devaient lutter à tes côtés ? Où t’ont mené ces valeurs jusque là, Lucéard ? »

Elle prenait un malin plaisir à démontrer que tout ce qui ressortait des aventures de Valronde n’était que du vent.

Mais ses mots ne donnaient que plus de mordant à mes contre-attaques.

Lucéard : « La réalité n’est pas aussi simple, n’est-ce pas ? C’est ça que tu essayes de me dire ? »

Me voir aussi peu réceptif à son sermon l’agaçait.

Musmak : « C’est un euphémisme, Lucéard ! Le monde est plus complexe que ce que ta cervelle peut encaisser. Chacun est guidé par ses obsessions. Chaque événement ne converge pas vers une même morale. Croire que tout a un sens est une folie. Les convictions que chacun a glané au gré des méandres de leurs vies ne font que s’entrechoquer entre elles. Il n’y a pas d’autre interprétation. Rien ne transcende nos moindres actions, et nos intentions ne plient pas l’univers comme le pensait Llynel. »

Sa langue était aussi vive que ses lames, qui ne faisaient que m’acculer. Mes muscles faiblissaient face à ses attaques toujours plus violentes.

Musmak : « Un gamin qui a été élevé pour entrer dans un moule ne comprendra peut-être jamais de quoi il est question. Cette quête de sens est une échappatoire à une vérité implacable. La seule vérité qui régit nos vies : le chaos. Chacun se meut pour ses propres raisons, indépendamment du mal ou du bien. Toutes ces existences interagissent entre elles sans la moindre cohésion, dénuées de la logique qu’on aime leur prêter. Tous naissent et meurent dans ce chaos total, sans jamais n’avoir rien accompli de significatif. Et tu n’es pas différent, Lucéard, quoi que tu crois : tu n’es qu’une goutte dans un océan qui s’étend à l’infini ! »

Je n’avais hélas pas l’intention de réfléchir à ses élucubrations, ni le souffle pour lui répondre.

Lucéard : « …Tu m’en diras tant ! »

Il enchaînait les assauts, sans me laisser le moindre répit. Je n’avais pas le loisir de m’extraire au torrent de violence auquel il m’exposait.

Musmak : « Faible ou fort, résolu ou non, ce n’est pas ça qui détermine l’issue d’un affrontement ! Les paramètres sont indénombrables ! Celui qui gagne, c’est celui qui a les bonnes cartes en main ! Ta volonté de récupérer ta sœur est vaine ! Elle ne rendra ta défaite que plus douloureuse encore ! Elle te plongera dans le désespoir ! »

Il réduisait à néant chacune de mes tentatives de m’extraire de cette situation. Je n’avais pas non plus le temps d’incanter un sort. Mes bras étaient endoloris, et de plus en plus lents. Ils dégoulinaient de sang. Mes jambes tremblaient.

Lucéard : « …Quoi que tu puisses dire… Je n’abandonnerai pas… ! »

Nojùcénie : « Si ce n’est ton esprit qui abandonne, ce sera ton corps. Dans tous les cas, tu échoueras. Musmak, je me suis lassée. Finis-le. »

Musmak : « À vos ordres ! »

Il était enchanté d’entendre ces mots.

Musmak : « Voilà une fin comme je les aime ! »

Il rengaina ses deux lames. L’aura disparut de sa main.

Musmak : « Crucisaillement ! »

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Par désespoir de cause, je fis apparaître un bouclier autour de moi en un claquement de doigt.

Il faut que je le pare… Il faut que je… !

Ma vision se brouilla un instant. J’avais atteint mes limites.

Musmak : « Adieu ! »

Après qu’il ait disparu de ma vue, je me sentais flotter. Mon bouclier s’était brisé en un millier de fragments sans avoir pu ne serait-ce que le ralentir.

Je finis par m’écraser au sol.

Je me retrouvais inerte dans la pénombre, sous le regard de Musmak et de ma sœur.

Musmak : « Constate la force de mon crucisaillement à pleine puissance. »

Nojùcénie : « Il est mort ? »

Loin d’être indifférente, Nojù me fixait avec attention. Il était difficile de savoir ce qu’elle ressentait.

Musmak : « Vous les Nefolwyrth avez une vitalité prodigieuse. Je ne serais pas étonné qu’il ait survécu. Mais dans son état, il ne se relèvera pas. »

Nojùcénie : « … »

Après m’avoir observé quelques instants, sans oser s’approcher, elle me fit dos.

Nojùcénie : « Dans ce cas, partons. »

Musmak : « A-attendez un instant, s’il vous plaît ! J’en ai presque fini ! »

Non content que ce combat se termine si abruptement, Musmak tenait à tout prix à m’humilier un maximum avant de me laisser pour mort.

Musmak : « Alors, Lucéard ? Est-ce que c’est comme ça que se finissent les histoires que tu lis ? Où sont les nobles desseins qui t’aidaient à tenir debout et faire face ?! Où sont tes précieux amis maintenant que tu te vides de ton sang ?! »

Il rougissait de joie à l’idée de réaliser ce fantasme, qui était devenu une vengeance.

Musmak : « Ces niaiseries qu’on t’a inculquées, où t’ont-elles menées ?! Regarde ! C’est le Mal qui a triomphé ! C’est le grand méchant Musmak Dryslwyn qui sort victorieux ! Il t’a pris ta sœur, ton bouseux d’ami paysan, ta sotte de mère, et il ne s’arrêtera pas là ! Il te prendra tout ! Jusqu’à ce que tu ne sois plus rien ! Et quand il ne restera plus que ton corps froid, je le ferai disparaître à son tour ! »

Il riait aux éclats. Les larmes lui montaient aux yeux tant il s’extasiait.

Nojù le dévisageait avec sérieux, puis observa du coin de l’œil son frère, couché sur le ventre.

-3-

Les crachats de Musmak trahissaient son excitation malsaine. Cette fierté puérile et grossière était ce qui le définissait le mieux.

Et j’entendais ses mots, malgré la confusion dans mon esprit, sans parvenir à y prêter attention.

…Qui suis-je… ?

Des bribes de souvenirs me revinrent progressivement. D’infimes détails de ma vie défilaient dans mon esprit. Ces moments pouvaient paraître anecdotiques, mais le spectateur envoûté par ces images ne distinguait plus ce qui était central dans son existence. Finalement, ce n’était peut-être pas les hauts-faits qu’il avait pu accomplir, ce n’était pas non plus d’avoir pu atteindre les attentes de la société, ni d’avoir assisté aux événements que notre culture aurait considérés comme marquants.

Chaque stimuli, tout ce que mes sens avaient gravé dans ma chair et mon esprit faisait de moi qui j’étais. Mon identité se reconstruisait lentement autour de ces vagues images, de ces sons, de ces fragrances lointaines, la moindre chaleur sur ma peau.

Ma propre voix se dissociait enfin de ce brouhaha.

Lucéard : « Le public visé par ce torchon n’est même pas censé savoir lire. C’est ridicule. C’est niais au possible. »

Dans cette chambre où chaque meuble, chaque accessoire se reconstruisait lentement, je confrontais cette jeune fille dont la silhouette se précisait.

Lucéard : « Tu t’en sers pour fuir la réalité ? Maintenant que j’y pense, j’ai lu le premier. Toutes les morales étaient tristement creuses. Ma pauvre… »

D’un air hautain, je dévisageais ma sœur.

Lucéard : « …Tu ne te rends pas compte que tu régresses avec ces idioties ? »

Malgré la violence de mes propos, Nojù se contenta de hausser les épaules. Elle qui détestait par-dessus tout qu’on s’en prenne à ce qu’elle aimait…

Nojùcénie : « Tu trouves ? Personnellement, j’ai du mal avec les classiques de la littérature. Je ne veux pas dire qu’ils sont moins bien que le reste, mais ce n’est pas vraiment mon truc… Alors que ce genre de roman d’aventure, tu vois… Comment dire… ? »

Comme si ma mémoire se recollait lentement, le passé continuait de défiler sous mes yeux.

Nojùcénie : « Les histoires trop compliquées, ça m’ennuie un peu. Je ne sais jamais trop quoi en penser à la fin. Peut-être parce qu’elles parlent de sujets plus précis, et qu’elles ne parlent qu’à certains, mais pour ce qui est de Valronde, et de toute cette littérature que tu penses enfantine, c’est différent. »

Comme si elle se plongeait de nouveau dans le monde magique de ses lectures, une douce émotion l’apaisait.

Nojùcénie : « Les morales sont assez simples. Valronde et tous ceux qui l’entourent font de leur mieux. Ils aident les autres, se battent de toutes leurs forces, et d’une façon ou d’une autre, grâce à leurs efforts, réussissent toujours à empêcher les antagonistes de faire le mal. »

Lucéard : « Oui, c’est bien ce que je dis : totalement inintéressant. »

Nojùcénie : « Tu es vraiment impitoyable. »

Plaisanta-elle avant de reprendre.

Nojùcénie : « Ces morales sont faciles à deviner, c’est vrai. Sois gentil, prends soin des autres, ne te laisse pas tenter par la facilité, empêche-le de faire quelque chose de mal… »

Lucéard : « La vraie vie n’a rien à voir avec ces fadaises. Tu devrais plutôt lire des œuvres qui t’instruisent, des livres qui parlent de situations bien réelles. Tu ne glanes pas d’expérience au travers de ce genre de lecture, ce n’est qu’un divertissement, un moyen d’échapper à la dureté de la réalité. Même si notre famille tente de nous préserver, même si nous menons la vie la plus facile qu’on puisse mener dans ce royaume, même nous pouvons nous rendre compte de la cruauté de ce monde, et même nous pouvons en être victimes. Tu n’apprends rien de Valronde que des messages creux, sans saveur, qui au fond ne veulent rien dire de spécial. Ce n’est pas juste en disant sois gentil pas méchant que les gens apprennent. Tu sais très bien que tout ce qu’il a dans ces livres ne peut s’appliquer à la vraie vie. Tout simplement parce que les choses ne se passeraient jamais ainsi dans la réalité. »

Lassé d’avoir ce genre de conversation, je ne la laissais même plus répondre.

Lucéard : « Et si encore ça ne t’apprenait rien, qu’à cela ne tienne. Mais s’abreuver de ce genre de foutaises t’affaiblit en tant qu’être humain. Tu es prête à croire en des choses qui finiront toujours par te décevoir, par te trahir. Tu ne fais que te complaire dans ta naïveté. »

Nojù n’était pas prête à lâcher le morceau, pourtant, elle aurait dû comprendre dans ma gestuelle que le débat était clos.

Nojùcénie : « Alors c’est comme ça que tu le vois ? …Bon, au moins, tu as exprimé le fond de ta pensée pour une fois. »

Même si elle avait les larmes aux yeux après avoir entendu ça, elle accepta tout ça avec philosophie.

Nojùcénie : « Mais tu te trompes, Lucé. Même ce genre d’histoire apporte quelque chose à son lecteur. Je pense qu’il suffit d’y être attentif. »

Je haussais un sourcil, dubitatif.

Nojùcénie : « Parfois, quand tout ne va pas bien, je me replonge dans les anciens tomes, et c’est comme si j’y trouvais des réponses. Tout le monde sait qu’il faut bien se comporter, et patati, et patata. Je sais aussi que ce genre de morale est assez évident pour ne pas avoir à être écrit, et pourtant, il nous arrive à tous de nous perdre de temps à autre. Oui, même à moi ! »

Précisa-t-elle avec un air faussement arrogant.

Nojùcénie : « Et quand je vois que chacun des personnages dans cette histoire œuvre pour le bien, porté par leurs meilleurs sentiments, ça me fait toujours chaud au cœur. Dans ces moments-là, je me dis que je sais ce qu’il me reste à faire. Même si la réalité n’est pas aussi simple, et que ces morales peuvent paraître sommaires, quand je lis, je ressens quelque chose de tendre, et intense à la fois. Une force qui me pousse à faire encore mieux qu’avant. Une énergie qui me rappelle ce qui compte vraiment. »

Une fois qu’elle eut mis les mots sur ce qu’elle voulait absolument me faire parvenir, son sourire devint radieux.

Nojùcénie : « Quand je ressens quelque chose d’aussi fort, d’aussi pur, je sais que je ne peux pas me tromper. C’est comme si toute mon âme me disait que ce qui était montré était juste. »

La voir rayonner ainsi me laissait pantois.

Nojùcénie : « J’ai envie de croire que toute la bonne volonté du monde peut provoquer des miracles. Qu’avec d’aussi simples convictions, on peut rendre le monde aussi beau que celui de ces livres. J’ai envie de croire que ces lectures ne me font pas seulement grandir, mais me donnent aussi le pouvoir de façonner ma vie à leur image ! »

Un électro-choc se propagea dans chacun de mes nerfs. La douleur revint, ainsi que le froid de cette nuit fatidique.

Mon corps m’avait rappelé à la réalité avant que je ne sombre, et les souvenirs se bousculaient à nouveau en moi.

Nojù… Même après tout ce temps, tu me donnes la force de continuer. Même si tu n’es plus vraiment là… Je sens que tu m’accompagnes à chaque instant…

La confusion dans mon esprit se dissipait alors que mes yeux se rouvraient, encore brumeux.

Me voir trembler au sol fit réagir la Grande Impératrice.

Nojùcénie : « Il essaye de… Se relever ?! »

En levant la tête, je pus la distinguer dans ces ténèbres. La stupéfaction me serra le cœur. Je me retrouvais le souffle coupé.

Elle était là.

Nojù… ? C’est bien toi… ?

Une soudaine illumination me rendit mes sens et mes souvenirs manquants. La lueur revint dans mes yeux.

Mais oui… C’est vrai… Elle n’est pas morte… Nojù est encore ici. Tout près de moi… Elle est… Juste là… !

Une étrange sensation attisa l’intérêt de Musmak.

Musmak : « Oh… ? »

Je forçais sur mes bras avec une fureur renouvelée. Ils tremblaient, et mon sang y coulait encore. La vie continuait de s’échapper lentement de ce corps meurtri.

Musmak : « Décidément, c’est toujours la même rengaine avec vous les Nefolwyrth… ! »

Mon ennemi jubilait de me voir lutter malgré ma visible souffrance. Si c’était pour assister encore à une telle scène, il était prêt à ce que ce combat se poursuive toute la nuit.

Lucéard : « …Nojù… ! …Nojù !! »

Je me hissais sur mes jambes vacillantes. Mes cris étaient tus par les rires ininterrompus de Musmak.

Musmak : « C’est ça, Lucéard ! Encore un effort ! Hahahaha ! »

Il finit par croiser mon regard. Son corps se raidit l’espace d’un instant. Ce qu’il y lisait l’avait déboussolé.

Lucéard : « …La réalité est plus compliquée que ce qu’on trouve dans les aventures de Valronde, c’est vrai… ! »

Mes paroles atteignirent ma sœur, qui fut aussi percée par mon regard.

Lucéard : « Mais pour répondre à ta question, Nojù : ces valeurs auxquelles tu prétends ne plus croire, ce sont elles qui m’ont menées jusqu’ici !! »

Cet éclat de voix fit frissonner Nojù.

Lucéard : « Durant tout ce que j’ai traversé depuis que je t’ai perdu, aussi cruel et complexe que ce fut, je me suis toujours efforcé de faire de mon mieux ! J’ai toujours agi en adéquation avec ce que je pensais juste ! Tu n’as pas idée de tous les combats que j’ai mené pour arriver jusqu’ici ! Les plus durs d’entre eux ne se sont pas faits par les armes ! Sans cette fureur de faire le bien autour de moi ! Sans cette rage de donner à chaque histoire la conclusion qu’elle mérite ! Sans cette ardeur de rendre le monde plus beau, pas après pas, choix après choix, je ne serais jamais arrivé jusqu’ici !! »

Les souvenirs se bousculaient dans ma tête. Je me souvenais de tout.

J’attrapais la lyre dans ma main, à peine l’eus-je effleuré qu’elle éblouit Musmak d’une lumière salvatrice.

Lucéar : « Tu avais raison d’y croire, Nojù ! C’est avec ce pouvoir que j’ai façonné ma vie, et c’est avec lui que je te sauverais !! MAGNA ANIMA EIUS !! »

Nojùcénie : «!! »

La nébuleuse rose naquit dans une déferlante de magie, et traversa Musmak sans qu’il ne puisse réagir.

Musmak : « Aaaaah !! »

La violence de mes sentiments ne lui était pas destinée, mais il fut parcouru de toute part par la puissance de mes convictions.

Nojùcénie : « N-n’approche pas ! »

Elle savait d’avance qu’il n’y avait rien à tenter. Ce sort était infaillible, et la détermination qui brûlait en moi l’était tout autant.

Je partis au pas de course, dépassant Musmak avant qu’il ne le réalise.

Musmak : « A-attends là ! Je ne te laisserai pas l’atteindre ! »

Le Magna Anima venait de frapper ma sœur. Submergée par la force du sort, Nojù tomba à genoux.

Lucéard : « Nojùù !! »

J’accourais vers elle avec tout ce que j’avais. À chaque pas, mon sang coulait davantage de ces innombrables plaies.

Elle se relevait aussitôt que possible, essoufflée par le choc psychologique que je venais de lui infliger.

Nojùcénie : « P-pas un pas de plus ! Je ne me laisserais plus ensorcelée ! MAGNA LAMINA EIUS ! »

Elle souffla aussi fort que possible dans la flûte-double, et la lame qui en résulta était d’une puissance sans commune mesure.

Je déviai de ma trajectoire, mais le lamina en fit autant.

Nojùcénie : « Tu n’y échapperas pas ! »

Musmak : « Oh oui ! Tu es fait comme un rat, Lucéard ! »

Musmak était à mes trousses, aussi rapide que le sort de Nojù.

Lucéard : « Personne… ! »

J’agrippais fermement ma lyre.

Lucéard : « Personne ne m’arrêtera !! »

Dans un sourire triomphal que Nojù ne connaissait que trop bien, elle sut instantanément que je venais d’avoir un éclair de génie.

Lucéard : « MAGNA AUXILIA EIUS ! »

Le bouclier gonfla autour de moi.

Musmak : « Ton bouclier ne pourra rien contre ce sort, ni même contre moi ! »

Nojùcénie : « … ! »

Ma sœur venait de faire le rapprochement. Il y avait un effet de l’auxilia que très peu de personnes connaissaient.

La lame de lumière s’enfonça dans mon bouclier, dont la souplesse était poussée à son paroxysme, puis ricocha.

Musmak : « Quoi ?!! »

Lucéard : « Peu importe combien de fois tu as affronté notre mère ! Tant que tu n’as pas affronté deux mages musicaux à la fois, tu ne sais pas que les Auxilia peuvent servir à faire changer les Lamina de direction ! »

Le sort surpuissant de Nojù décrivait la même courbe que celle qui l’avait fait dévier, et fonçait droit sur Musmak.

Musmak : « Coagulacération ! »

Musmak dégaina les Crocs de l’Anisbys et se cacha derrière l’épaisse croix d’un rouge vermeil et poisseux qu’il venait de matérialiser en tranchant le vide à l’aide des flissas.

Il avait gardé cette technique défensive en réserve jusque-là, mais quand l’occasion vint de l’utiliser, il était déjà trop tard.

Musmak : « Gnnnhh !! »

Même si le mur d’énergie qui venait de se créer contenait le sort de Nojù, la poussée de celui-ci fit reculer l’empereur jusqu’à l’autre bout de la cathédrale.

Nojùcénie : « N-non ! Musmak ! F-fais quelque chose ! »

Le prince de Lucécie fonçait droit sur elle, transcendé par une volonté inaltérable.

Nojùcénie : « M-MAGNA ANGUEM IR- »

Lucéard : « ANIMA EIUS ! »

D’un coup sur les cordes, le sort qui débordait de mes sentiments incontrôlables la réduit au silence, puis la frappa de plein fouet.

Elle perdit l’équilibre, stupéfaite de n’avoir senti que de l’amour dans cette attaque. La jeune fille posa maladroitement un pied en arrière, ce qui ne l’empêcha pas de basculer, mais…

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Un bouclier gonfla dans son dos, et elle y rebondit, chavirant cette fois-ci en avant.

En me voyant si près, accourant comme un démon, elle ferma les yeux, terrorisée.

-4-

Une chaude sensation l’enveloppa soudainement.

Nojùcénie : « …Euh ? »

Elle rouvrit les paupières lentement.

Nojù était entre mes bras, fermement retenue.

Lucéard : « ANIMA EIUS. »

Dans un murmure et un claquement de doigt, une aura d’un rose profond la caressa.

Lucéard : « Je vais faire diversion… Prépare-toi à fuir par la petite porte à gauche de l’autel dès que l’occasion se présentera. Je te rattraperais, je te le promets. »

L’assurance dans la voix de son frère semblait l’avoir apaisée.

Nojùcénie : « Lucé… »

Je m’écartai d’elle précipitamment. La jeune fille était perdue. Mon sang tachait désormais ses deux épaules.

Lucéard : « MAGNA ANGUEM IRIDIS ! »

Je me hissais dans les airs pour ne pas être fauché par les lames de Musmak.

Musmak : « Zut de zut ! Qu’il est casse-pied ! »

Nojùcénie : « … »

Constatant qu’elle était désemparée, un sourire sadique apparut sur les lèvres de notre ennemi.

Musmak : « Chef, ne me dites pas que vous vous êtes laissée attendrir par un vulgaire câlin ? »

Nojùcénie : « C’est trop dangereux, fuis ! »

Ignorant la question de l’empereur, elle s’adressa à moi à l’autre bout de la cathédrale.

Musmak : « Aïe aïe aïe. Mince alors, tu as gagné, Lucéard. Tu as réussi à laver le cerveau de notre chef. Que tu es fort, que tu es intelligent. Tous tes efforts pendant ce combat ont fini par payer. Bravo, bravo. »

L’homme claqua des doigts avec satisfaction.

Musmak : « Et en un instant, tout ce que tu as entrepris est vain. »

Il riait à s’en décrocher la mâchoire.

Musmak : « Ô Grande Impératrice Nojùcénie ! Que décidez-vous ? Est-ce que vous aimez votre grand frère chéri, ou est-ce que vous lui souhaitez une mort lente et douloureuse ? »

Le regard de Nojù redevint glacial.

Nojùcénie : « Je ne sais même plus si le voir souffrir me suffira. J’aimerais qu’il soit rongé par son échec pendant des années encore. »

Mon cœur battait à tout rompre. Outre le fait que tout mon corps m’indiquait que j’étais une fois de plus mourant, j’étais transi de peur à l’idée que mon plan ait échoué. J’avais tout misé sur son succès.

Lucéard : « Nojù… Tu n’es pas sérieuse…? »

Apercevoir ma mine déconfite fit hurler de rire Musmak. Il ne pouvait plus se contenir. Il en pleurait jusqu’à avoir le souffle court.

Musmak : « Oh non ! C’est trop bon ! Combien de revers te faudra-t-il encore avant de céder au désespoir ?! Combien de retours brutaux à la réalité avant que tu ne renonces ?! »

Nojùcénie : « Combien de fois encore oseras-tu te relever, Lucé ? »

Je fis dos à Musmak après avoir entendu cette énième raillerie. Mes épaules tremblaient.

Musmak : « Eh ben quoi ?! On t’entend plus d’un coup ! Hahaha ! »

Pendant que je faisais face à l’autel, je pouvais sourire autant que je le voulais, les yeux humides.

…Ça a marché… Ça a marché… !

Nojùcénie me regardait avec sévérité, puis se retourna à son tour pour cacher son émoi. Elle porta une main tremblante à sa poitrine pour y effleurer la pierre qui luisait au bout du collier.

Nojùcénie : …Tu as vraiment la méga classe, Lucé. Je ne gâcherais pas tous les efforts que tu as fait pour moi !

Musmak : « Le moment est bien choisi pour que tu agonises pour de bon, qu’en penses-tu ? »

Musmak s’avança vers moi, de plus en plus vite.

Je me retournais vers lui, confiant.

Si tu n’avais rien dit sur le collier, je n’aurais peut-être jamais eu l’idée de cette stratégie.

Lucéard : « Tu parles vraiment trop, Musmak. Ça te perdra ! »

Musmak : « Si je parle autant, c’est pour que les autres soient réduits au silence ! »

Il prit une grande inspiration et dégaina ses sabres.

Musmak : « Anima eius Gostegg, magna anima eius Gostegg, lamina eius Gostegg, magna lamina eius Gostegg, auxilia eius Gostegg, magna auxilia eius Gostegg, anguem iridis Gostegg, magna anguem iridis Gostegg, cura eius gostegg, magna cura eius Gostegg ! »

Ses dix doigts se rigidifièrent autour du manche de ses armes.

Musmak : « Il ne te reste plus aucune alternative que la défaite, Lucéard ! »

Je gardais néanmoins ma lyre devant moi, inébranlable.

Musmak : « Aaaah !! »

J’attendais encore une fois le dernier moment.

Lucéard : « Je trouve toujours un moyen, Musmak. »

Il réalisa tardivement que mon instrument étincelait encore.

Musmak : « Non ! »

Lucéard : « Et hélas pour toi, c’est à ton tour d’être réduit au silence ! GIGA ANGUEM IRIDIS !! »

D’un coup dramatique contre les cordes de la lyre, le cobra de lumière jaillit de l’instrument en un rugissement féroce. Le visage de Musmak se décomposa.

Musmak : « J’avais oublié ça !! »

Anguem : « UWYAAAAAAAAH !! »

Lucéard : « ALLEZ !! »

Le serpent plongea brutalement sur mon adversaire. Les crocs de l’Anisbys peinèrent à répondre à ceux de l’Anguem.

Musmak bondit sur le côté pour se dégager de l’emprise du cobra.

Musmak : « Pathétique ! C’est ça ton sort ultime ?! »

Le serpent revint sur lui, détruisant tout sur son passage.

Musmak : « Il me suit ?! »

L’Anguem brisait les bancs en miettes, arrachait les colonnes, et faisait trembler la cathédrale jusque dans ses fondations.

Malgré sa vitesse, Musmak ne parvenait plus à m’approcher, et ne pouvait échapper à la créature de lumière aux reflets rosés.

C’est l’occasion parfaite pour expérimenter le véritable pouvoir de l’Anguem !

Mes doigts continuaient de parcourir la lyre dans une mélodie dynamique.

N’étant pas un sort Eius, l’incantation de l’anguem ne se limite pas à un simple accord ou à une note. En jouant un véritable morceau, on peut le maintenir plus longtemps, et selon la composition de celui-ci on peut contrôler le serpent de magie, lui dicter son rythme, chacun de ses mouvements ! Mes notes lui donnent vie !

Musmak luttait pour ne pas se faire toucher, même face à cet adversaire géant.

Musmak : « Gnnnh !! Gaaah !! »

Après avoir difficilement évité les crocs de lumière, Musmak bondit dans les airs, se retrouvant à la merci du gargantuesque serpent de lumière. Et pourtant, d’un instant à l’autre, Musmak avait retrouvé son calme.

L’empereur voyait la gueule béante de son adversaire s’approcher, mais restait impassible.

!

Musmak : « Ne fais pas l’erreur de croire que tu possèdes quoi que ce soit qui puisse te permettre de me vaincre. »

Il apporta ses mains à ses sabres de nouveau, l’enchantement sur ses doigts s’était évanoui.

Musmak : « Danse macabre de l’Anisbys. »

Je crus voir l’Anguem broyer Musmak dans sa mâchoire, mais il n’en était rien. L’empereur de la fin obscure avait les pieds posés contre la colonne la plus proche. Il fléchit les jambes, puis plongea sur le serpent.

Il trancha les yeux du cobra, puis rebondit sur une autre colonne, puis sur une voûte, puis sur le sol, puis une autre voûte. Il se projetait dans toutes les directions, lacérant le serpent de magie de toutes parts. Mon sort peinait à suivre son rythme infernal. Personne ne pouvait être aussi rapide.

Quand cette danse se finit, la robe de Musmak virevolta une dernière fois tandis que l’homme surpuissant se réceptionna sur ses sabots, face à moi.

L’Anguem avait perdu tout son éclat, et disparut faiblement dans les ténèbres de la cathédrale en un râle.

Lucéard : « …C’est pas vrai… »

Je tombais sur mes deux genoux. Le contre-coup était plus terrible que les fois précédentes. Maintenir une sort Giga m’avait donné l’impression de me déchirer de l’intérieur.

Et pourtant, grâce au timing avec lequel j’avais bu la fiole de régénération, je me sentais presque capable de lancer un dernier sort.

Nojù me fixait, prise d’une angoisse soudaine. Un choix terrible la tiraillait. Elle n’avait pas osé bouger.

Je bougeais lentement ma tête de droite à gauche, espérant que mes pensées lui parviennent. Si elle essayait de m’aider, tout mon plan serait vain. Il fallait qu’elle continue de jouer la comédie… …Quoi qu’il arrive…

-5-

Musmak : « …Tu as presque failli m’effleurer. Très impressionnant… »

Malgré son air arrogant, la sueur commençait à poindre sur son visage. Sa force était digne des plus grands guerriers, et même le poids de l’âge ne savait l’empêcher de se mouvoir avec tant d’aisance. Pourtant, il faiblissait inexorablement avec les années.

Musmak : « Il n’y a pas à dire, tu es le digne fils de ta mère, finalement. Je ne peux pas laisser mourir une telle source de divertissement. Tu as peut-être en toi de quoi m’amuser jusqu’à mes vieux jours. Mais ce soir, tu m’as montré tout ce qu’il y avait à voir pour l’instant. Prolonger cette déchirante conclusion ne m’intéresse plus. »

Je ne parvenais pas à me relever, et lui n’était pas sans ignorer le contrecoup de mes sorts de tension.

D’avoir pu enchaîner trois sorts de tension dans la même journée était une première pour moi. Grâce au Giga cura de Nojù, à ma fiole, et à mon entraînement acharné, j’avais pu avoir tout juste assez de mana pour provoquer ce miracle. Mais j’étais à bout.

Mon corps ne veut plus rien entendre… Ma courpentière ne s’est pas encore remise de ses dernières attaques. Il faut que je tienne bon. Il faut que je crée une occasion à Nojù de s’enfuir sans ne plus encaisser un seul coup. J’ai juste à gagner du temps…

Arrivé aussi loin, la peur m’engourdissait. L’idée d’échouer maintenant me pétrifiait d’angoisse.

Musmak : « Tu nous as fait le coup de te relever bien trop de fois, déjà. C’est hilarant, certes, mais à la longue, ça va devenir embarrassant, même pour moi. Ce coup-ci, je vais m’assurer que ce soit le coup de grâce. »

Musmak rengaina ses sabres, tandis que je me hissais sur une jambe tremblante.

Musmak : « Lamina eius Gostegg. Magna lamina eius Gostegg. Anguem iridis Gostegg. Magna anguem iridis Gostegg. Auxilia eius Gostegg. Magna auxilia eius Gostegg. »

Nojù était terrorisée. Notre ennemi fléchissait sur ses jambes, avant de s’élancer vers moi.

Nojùcénie : Lucé… !

Musmak : « Sans tension magique, sans sort utilisable, tu n’es rien de plus qu’un cadavre en sursis ! »

Il bondit sur moi, prêt à mettre fin à cet affrontement bien trop inégal.

Je montrais un sourire résolu à Nojù, malgré les sentiments contraires qui m’animaient. Je devais absolument la dissuader d’intervenir.

Quel idiot… Oublier le sort qui l’a tant importuné pendant notre affrontement…

Je rangeais ma lyre, et posai une main sur le fourreau de Caresse, tout en me relevant maladroitement.

C’est maintenant ou jamais. Il faut que je réussisse à lancer l’anima eius, puis l’olor ascensio, juste une fois de plus ! Et la victoire sera mienne !

Nojùcénie : « … ! »

La jeune fille tremblait, se retenant de toutes ses forces d’apporter la flûte-double à ses lèvres.

Le clair de lune nous enveloppait de ses rayons. Au centre de la cathédrale, le dénouement de ce duel était imminent.

Il faut que j’y arrive, c’est le seul moyen. Si je parviens à le déséquilibrer, il ne pourra pas contrer ma technique spéciale.

Je levais ma main droite, prêt à claquer des doigts.

Je dois y arriver ! Je vais y arriver !

Musmak : « Crucisaillement !! »

Le moment était venu.

Lucéard : « … »

Ma mâchoire se décrocha lentement.

Ce sort… J’avais son nom en tête à l’instant…

J’écarquillai les yeux. Je venais de tomber dans le piège qu’il m’avait tendu.

Musmak : « Échec et mat, Lucéard Nefolwyrth !! »

En un coup de vent, il était derrière moi.

Nojùcénie : « L… !! »

Ma sœur s’était mordue la langue pour ne pas crier.

Avec terreur, je me sentais désormais flotter lentement. Mon regard se vidait une dernière fois.

Le sang éclaboussa le marbre avant même que mon corps s’écrase dans un son étouffé.

Après un silence insoutenable, Musmak souffla du nez. Il venait de prouver sa supériorité écrasante.

Musmak : « Oups ! J’y suis peut-être allé un peu fort. »

S’ensuivit un rire triomphal. Le prince était défait.

Musmak : « Mais quelle belle conclusion pour une des plus splendides soirées de ma vie ! »

Il repartit vers Nojù en sautillant gaiement. Celle-ci s’empressait de masquer ses sentiments autant qu’elle le pouvait, et tourna le dos à Musmak aussitôt que possible.

Nojùcénie : « … »

La jeune fille avait vu son frère se faire lacérer. Elle avait vu la quantité de sang jaillir de mon torse. Il n’aurait pas été étonnant que j’en sois mort sur le coup.

Elle qui était si démonstrative en temps normal dut se faire violence. Cette sensation infâme la poussa à respecter la volonté de son frère, envers et contre tout.

Malgré le dégoût que lui inspirait ce qu’elle s’apprêtait à dire, elle savait que craquer maintenant anéantirait tout ce que j’avais tenté au péril de ma vie. Si je n’avais pas survécu à ce coup, elle aurait pu rendre mon sacrifice vain.

Nojùcénie : « …M-maintenant que tu t’es bien amusé, partons. »

La silhouette de son frère dans l’obscurité était une vision trop difficile pour Nojù. Elle était livide.

Nojùcénie : Tu m’as promis de vivre, espèce d’idiot… ! Tu as intérêt à tenir parole !

Elle partit la première d’un pas faussement décidé.

En silence, les larmes coulaient sans qu’elle ne puisse les retenir, malgré tous ses efforts.

Musmak s’arrêta une dernière fois, avant de ne plus pouvoir profiter de l’acoustique de ce qui n’était plus sa planque.

Musmak : « Prouve-moi que tu es celui que je n’ai eu de cesse d’attendre, Lucéard. Retrouve-moi où que j’aille, et tente de contrecarrer nos plans si tu t’en crois capable. »

Espérant que, même sans l’entendre, ses paroles se gravent en moi, Musmak avait élevé la voix une dernière fois, avant de sortir de la cathédrale.

-6-

Lucéard : « …C…cura eius… »

Quand mes esprits me revinrent, presque par réflexe, j’incantais mon sort de soin. Il me restait si peu de mana que la lumière ne sut pas atteindre les yeux de Musmak.

Ce reste de mana ne pouvait que servir pour ce sort. La paralysie magique ne m’inquiétait plus. Mon corps ne bougerait plus, je l’avais compris.

Même si j’avais pu bouger, le moindre mouvement m’aurait été fatal.

Mes blessures étaient profondes. Si profondes que j’étais certain d’en garder des cicatrices toute ma vie, dans l’éventualité où je survivrais à cette nuit.

Mon corps était tranché de toute part. Que mes organes vitaux n’aient pas été atteints par la dernière attaque relevait du miracle.

Ma dernière chance de survie était que mes compagnons me retrouvent et me secourent.

J’avais perdu. J’étais vaincu.

La douleur muette qui m’assaillait à ce constat était la plus terrible d’entre toutes.

Je n’avais pas pu sauver ma sœur.

Je grimaçais, à moitié face contre terre, sans pouvoir me contorsionner comme mon corps me le réclamait.

Mon visage baignait dans mon sang déjà froid.

Pardonne-moi, Nojù…

Je n’avais même plus la force de pleurer.

Je n’ai pas pu te ramener chez nous…

Ma sœur s’éloignait lentement. Je ne pus même pas la voir une dernière fois. Je n’étais plus certain de la revoir un jour. Cette angoisse me consumait de l’intérieur.

Mais la flamme s’éteignait bien assez tôt.

Mes paupières étaient bien trop lourdes.

Ma conscience tentait de s’échapper de chacune de mes plaies.

Mais je te retrouverai…

Le froid engourdissait mes membres. Je ne sentais plus rien.

Je vaincrai tous les empereurs, et je te sauverai…

Je n’en avais bien sûr pas la force, et il était probable que je ne l’aie jamais. Attiser ma fureur me permettait de rester éveillé. Je savais que si le sommeil me gagnait, le songe qui en suivrait serait le dernier.

Désolé… Désolé… J’aurais voulu tenter plus… Mais tant que tu as le collier, tu auras une chance de t’enfuir… Tu pourras rentrer chez nous…

Je relativisai mon impuissance. Mes sens s’évanouissaient, mais l’amertume restait.

C’est la meilleure chose à faire… De mon côté… Il n’y aura pas un jour sans que je fasse tout ce qui est en mon pouvoir… …Pour te retrouver…

Les ténèbres dans mon esprit étaient de plus en plus denses. De plus en plus sombres.

…Nojù…

Je m’étais fait une raison.

Quand même l’odeur du sang et la poussière se firent lointaines, je n’entendais plus que des pas. Je reconnaissais le claquement des sabots de Musmak.

Mais surtout, les pas de Nojù…

Certaines personnes pouvaient reconnaître les autres au rythme de leurs démarches, mais ça n’était pas mon cas. Pourtant, ceux de ma sœur, je les avais toujours aisément devinés.

Ce bruit s’éloignait. Peut-être était-ce seulement mon ouïe qui se mourrait à son tour.

Dans la confusion fiévreuse du prince, il n’était plus que question de survivre, de guérir, de s’entraîner plus dur que jamais, pour être prêt à faire face une fois de plus à l’organisation qui détenait sa sœur.

Rien ne saurait me détourner de ce but.

…Je te sauverai, Nojù…

Le poids qui pesait sur mon corps s’évanouit à son tour. Je me sentais léger.

Je te ramènerai chez nous…

Comme si j’avais disparu. Il ne restait plus que ces pas distants.

Un jour…

Le silence de la nuit m’avait avalé.

Dans cette infinie noirceur, je vis une dernière fois le visage de ma sœur. L’illusion de son rire fut entraînée avec moi dans les abysses.

Je n’entendais plus les pas. Elle était partie. Les ténèbres étaient totales.

…Non…

…Je ne vivrai pas un jour de plus sans elle…

…Je la sauverai…

…Maintenant…

Une dernière lueur me maintenait en vie.

???: « Si telle est ta volonté, alors mon pouvoir est tien. »

Une tendre voix m’avait répondu. Une voix qui venait de mon cœur sans pourtant être mienne.

Qui… êtes-vous… ?

Cette voix que j’aurais décrite comme féminine m’indiquait qu’il ne s’agissait pas du démon en moi. Même sans ça, la chaleur de ses mots était quelque chose que je n’avais ressenti qu’une fois auparavant.

Cette chaleur revint au plus profond de moi. La douce énergie se répandit dans tout mon corps en un instant. J’étais soudain ébloui par ce torrent de puissance incommensurable qui me submergea en un flash.

…Qu’est-ce que… ?

Cette force de lumière ne pouvait être contenue dans mon corps et explosa en moi, se propageant sur des kilomètres à la ronde.

Toutes les torches des couloirs s’allumèrent les unes après les autres d’une lueur blanche rayonnante.

Les miasmes de Mandresy furent balayés par cette mystérieuse déflagration.

Léonce, et tous mes autres alliés restèrent ébahis par cette chaude sensation.

Semion et Gearan aussi furent atteints, ainsi qu’Ellébore et ses adversaires, qui restèrent sans voix.

Tous les habitants de Rougonde se réveillèrent dans leur sommeil. La ville brillait comme un joyau au milieu de la nuit.

La sensation qui s’insinua en Nojù en une vague lui évoqua le visage de son frère. Le doux murmure emporta ses larmes.

Musmak en resta paralysé.

Il faisait dos à la porte-double qui venait de se rouvrir en un coup de vent.

Il se retournait lentement, après un intense frisson.

La cathédrale était illuminée.

Tous les cierges, qu’ils soient à leur place ou brisés au sol, s’étaient rallumés de la plus radieuse des lueurs.

Au centre de l’édifice, il distingua une silhouette. Debout.

Nojù se tourna, aveuglée à son tour, et sa mâchoire se décrocha lentement.

Une aura divine émanait du jeune prince de Lucécie. Une aile, pareille à une harpe dorée s’étirait dans son dos.

Ses yeux luisaient d’un vert plus étincelant que jamais.

???: « À présent, Enfant de lumière, reçois le don de défier la providence. »



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