Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 162 – L’acte impressionnant d’un “Dieu maléfique”
1, 2, 3, 4, 5… Je crois qu’il y avait douze paires d’ailes… Selon les descriptions canoniques des différentes Églises, c’est un ange du plus haut rang…
Fors tentait de se rappeler ce qu’elle avait vu dans sa rêverie. Elle était à la fois choquée mais pas autant que ça, comme si ce qu’elle avait rencontré était un événement choquant qu’elle tenait pour acquis mais auquel elle n’avait jamais été confrontée.
Il n’est pas surprenant que M. Le Fou bénéficie des services d’un ange. Si l’on en croit le fait que Mlle Justice et M. le Pendu utilisent parfois le mot “Lui” pour se référer à lui, on peut l’imaginer. Le fait qu’il soit capable d’isoler les effets des divagations de la lune me permet de déduire… Cependant, ma demande ne visait qu’à interférer avec la divination de M. Lawrence et “Il” a fait en sorte qu’un ange me protège. N’est-ce pas trop extravagant ? Ou n’est-ce que routine pour “Lui” ?
Euh, autre problème. Pourquoi les plumes des ailes de l’ange sont-elles noires ? Cela signifie-t-il la dégénérescence ou la mort ? Quelle est la véritable identité de M. Le Fou ? Quel grand être est “Il” ? La Mort qui, selon la rumeur, serait morte à l’Ère Pâle ? Souhaiterait-“Il” renaître à travers les réunions du Club du Tarot ?
Fors prit soudain une profonde inspiration, totalement indifférente au fait que le gentleman nommé Lawrence puisse trouver quelque chose d’anormal chez elle par le biais de la divination.
Réalisant qu’elle avait rejoint le Club du Tarot, elle eut un sourire ironique et murmura intérieurement : Comme disait l’Empereur Roselle : un pas à la fois…
Fors se concentra et remercia une nouvelle fois Le Fou. Puis, comme il est de mise lors d’un rituel, elle éteignit la flamme des trois bougies et se mit à nettoyer l’autel encombré de toutes sortes d’objets.
…
Au-dessus du brouillard gris, Klein avait temporairement mis de côté la question de la famille Abraham.
Conformément à son plan initial, il fit apparaître un stylo, du papier et nota l’énoncé divinatoire suivant : Situation actuelle de Daisy.
Puis il plaça le papier sur la pile de feuilles composant le livre de vocabulaire de la jeune fille et les prit dans sa main gauche.
S’adossant à sa chaise, il entra en Méditation et répéta les mots qu’il venait d’écrire.
Au bout de sept fois, Klein s’endormit, ses yeux noirs teintés d’une pointe de rouge avant que la grisaille n’y fasse surface.
Les scènes se succédèrent alors, certaines se suivant, d’autres présentant des manques et d’autres encore totalement incohérentes.
Klein vit la plus jeune fille de Liv – une jeune fille de treize ou quatorze ans qui persistait à repasser en dépit de brûlures répétées – traînée dans une ruelle à l’écart par un homme portant une lourde veste et une casquette gris-noir, qui avait surgi par derrière, lui couvrant la bouche d’un mouchoir.
Un autre homme, vêtu de la même façon, lui prit les jambes. Ils la soulevèrent et s’éloignèrent rapidement en direction d’une voiture garée à l’extérieur de la ruelle.
L’incident s’était déroulé en moins de deux minutes et le temps que Freja revienne chercher sa sœur, la voiture était déjà partie.
…
À l’intérieur du véhicule, Daisy se retrouvait avec un poignard tranchant et glacé contre son visage et des menaces obscènes résonnaient à ses oreilles.
…
La voiture entra dans la luxueuse villa.
…
Daisy se trouvait dans une petite pièce sombre et de temps à autre, on pouvait entendre des cris, des hurlements et des jurons de femmes.
…
Daisy se réveilla et appela à l’aide, mais la porte s’ouvrit et elle fut repoussée à coup de pied. Elle avait si mal qu’elle ne put se relever.
Elle pleurait en appelant sans cesse sa mère et Freja.
…
Klein ouvrit les yeux et s’aperçut que les papiers qu’il tenait dans sa main gauche étaient froissés tant il les avait serrés.
Il savait que Capim était le cerveau derrière les nombreuses disparitions de jeunes femmes et le patron d’une organisation criminelle.
Le problème, cependant, était que l’affaire ne devait ni ne pouvait impliquer de puissantes forces Transcendantes. Tout au plus quelques-uns, de Séquences 7, 8 ou 9 et avides d’argent, avaient-ils apporté leur aide. L’intuition spirituelle de Klein n’aurait donc pas dû l’avertir d’un immense danger sitôt qu’il s’était approché de la villa.
Capim est-il lui-même un Transcendant de Séquence 6, voire 5 ? Cependant, il n’est pas difficile pour un Transcendant de ce niveau de gagner de l’argent. Il n’a pas besoin de faire des choses aussi sales et compliquées. Il lui suffit de trouver tous les gangs et de collecter des frais de protection via un racket… Ce serait facile et il n’aurait pas à se salir les mains… Y aurait-il un complot caché derrière le trafic humain de cet homme ?
Tout en réfléchissant, Klein fit appel au pouvoir du brouillard pour remettre en état le livre de vocabulaire de Daisy.
Il resta quelques secondes silencieux, puis prit un morceau de parchemin et écrivit : Sauver Daisy est dangereux.
Après l’avoir relu attentivement deux fois, le jeune homme détacha de son poignet le pendule et laissa pendre le pendentif de topaze à la surface du papier, le touchant presque.
Il prit quelques secondes pour se ressaisir, puis ferma les yeux et se mit à réciter la phrase qu’il venait d’écrire. Puis il rouvrit les yeux et regarda le pendule.
Celui-ci tournait dans le sens des aiguilles d’une montre, à une fréquence et avec une amplitude assez élevées.
Il était donc dangereux de tenter de sauver Daisy !
Mais ce n’est pas totalement désespéré. J’ai encore une possibilité, une chance significative de réussir, pour peu que je sache la saisir… pensa Klein, interprétant la révélation donnée par le pendule.
Il s’adossa à sa chaise, ferma les yeux et se dit avec un sourire d’autodérision : Ne cherchais-je pas une occasion de donner une représentation ?
La voilà !
Je me dois de relever un défi d’une difficulté supérieure, sans quoi on me qualifierait de Maître des Tours et non de Magicien.
Réaliser ce qui, en apparence, est impossible, même si le résultat n’est qu’une illusion, c’est l’image que je me fais du Magicien. Quant à savoir si c’est une des règles ou non, il faudra que je m’en assure…
Klein tapota le bord de la table et prit rapidement sa décision.
Le plus ennuyeux dans le fait de sauver Daisy et de s’occuper de Capim était qu’il ne savait rien de cet homme. Il ignorait aussi combien de Transcendants étaient présents dans cette villa et ne connaissait ni leurs voies, ni leurs Séquences.
De fait, le jeune homme ne pouvait faire aucun préparatif spécifique. Or, la première règle du Magicien était : Ne jamais se produire sans y être préparé !
De nombreuses performances en apparence improvisées nécessitaient en réalité d’importants préparatifs. De longs entraînements, par exemple, ou une maîtrise parfaite de l’art de détourner l’attention.
Klein examina sérieusement les options qui s’offraient à lui.
Devrais-je demander à Mlle Justice de se renseigner sur le passé de Capim pour mon adorateur ?
Mais très vite, il rejeta cette idée.
Non, je ne serai pas en mesure d’obtenir des informations détaillées. Bien que Capim soit un homme riche qui fréquente de nombreuses et puissantes personnalités, ce n’est pas quelque chose qui peut être rendu public. Tout au plus Miss Justice pourra-t-elle découvrir quels sont les nobles, les membres du Parlement ou les fonctionnaires avec lesquels il est en contact, mais elle ne pourra pas savoir combien de Transcendants se trouvent dans sa villa, encore moins connaître les pièges ou la disposition des lieux…
Grâce aux indices relatifs à ces relations, Miss Justice pourrait être en mesure de découvrir ce que je veux savoir en quelques semaines, mais c’est trop lent. Le sauvetage de Daisy doit se faire le plus rapidement possible car si je tardais trop, cela pourrait finir en tragédie.
Le jeune homme parcourut des yeux la longue table de bronze et le bric-à-brac amassé dans le coin. Une idée se mit alors à germer dans son esprit.
D’une part, je peux demander à La Magicienne et à son amie Mlle Xio d’enquêter sur le passé de Capim et de découvrir avec quels Transcendants il est lié. Ces deux femmes ont de très bonnes relations dans le Quartier Est, dans plusieurs gangs et dans un nombre considérable de cercles Transcendants. D’autre part, je peux, personnellement, obtenir des informations des domestiques ou gardes du corps qui sortent de la villa de Capim par le biais de la médiumnité.
Son plan finalisé, Klein ne se précipita pas pour solliciter l’aide de La Magicienne. Il décida de tenter d’abord lui-même afin d’en apprendre plus sur l’affaire et de manière ciblée.
En un clin d’œil, sa silhouette disparut du palais surplombant le brouillard gris.
…
Le déjeuner terminé, un homme portant une casquette gris-noir et un épais manteau de coton sortit prudemment par la porte arrière de la villa de Capim. Il marcha jusqu’à un carrefour et monta dans une voiture de location.
Il toucha la tache de naissance rouge sombre sur son visage et ordonna :
– « Quartier Est. »
La calèche se mit en route. L’homme, qui semblait s’ennuyer, regardait les jolies dames et jeunes filles qui passaient dans la rue, laissant libre cours à son imagination.
Si seulement nous pouvions les kidnapper… pensait-il à regret.
Une fois loin de la rue Iris, il se mit soudain à frissonner et son regard parut légèrement hébété.
Il frappa sur le mur et dit au conducteur :
– « Arrêtez, arrêtez ! J’ai oublié quelque chose. Ici, ça ira. »
Le cocher n’osa pas réprimander cet homme à l’air mauvais. Il arrêta la calèche sans même marmonner et le laissa descendre.
Après avoir réglé les six pences du trajet, l’individu refit le chemin en sens inverse sur plusieurs dizaines de mètres et entra dans un hôtel bon marché.
Sans même fournir un justificatif d’identité, il paya une chambre.
Une fois entré, il laissa la porte entrouverte et s’assit au bord du lit, le visage impassible.
Soudain, une silhouette transparente, immatérielle, se détacha de son corps !
Ce n’était autre que Klein, vêtu en ouvrier !
Il avait utilisé l’auto-invocation pour prendre la forme d’un Corps Spirituel et s’était attaché à cet homme, lui permettant de se rendre à un endroit favorable à la médiumnité !
Après avoir assommé l’homme, la forme spirituelle de Klein disparut de la pièce. Peu de temps après, il poussa la porte et revint sous sa forme corporelle.
Il scella l’endroit d’un mur d’énergie spirituelle et mit aussitôt en place un rituel de médiumnité, laissant le séduisant parfum de l’extrait d’Amantha et la potion de l’Œil de l’Esprit flotter tout dans les environs.
Ses préparatifs terminés et alors qu’il était sur le point de commencer la médiumnité, il poussa une exclamation et cessa brusquement ce qu’il était en train de faire.
Il venait de s’apercevoir que le Corps Spirituel de l’homme inconscient sur le lit était mystérieusement restreint par une force inconnue. S’il tentait tout de même la médiumnité et même s’il avait de fortes chances de réussir, il activerait le sceau et des Transcendants pourraient s’en apercevoir.
Cela finirait par alerter l’ennemi !
Quel étrange pouvoir Transcendant… Très prudent et très vigilant… Ce dans quoi Capim est impliqué n’est pas simple du tout…
Klein s’avança, les sourcils légèrement froncés, jeta un coup d’œil à l’homme inconscient et brusquement, eut un petit rire :
– « Pensez-vous pouvoir m’arrêter rien qu’avec ça ? »
Il suspendit aussitôt le rituel, s’invoqua à nouveau et se répondit.
Quelques secondes plus tard, sous forme de Corps Spirituel, il sortit de la flamme de la bougie et se retrouva à nouveau flottant dans la chambre. Sans hésiter, il s’approcha de l’homme inconscient et prit possession de lui.
L’individu ouvrit brusquement les yeux et s’assit. Son regard semblait sans vie.
Il se leva, se dirigea pas à pas vers l’autel, puis se mit à scander à voix basse :
« Fou qui n’appartenez pas à cette époque,
“Mystérieux Souverain élevé au-dessus du brouillard gris,
« Roi du jaune et du noir qui conférez la chance. »