Alors que Persée continue d’absorber mes pensées à travers le lien, il cherche à s’enfuir de sa sphère. Même avec le lien, je n’arrive pas à donner du sens à ses actions.
Si jusque-là il criait ses sensations, il semble à présent être en train de former des pensées simples…
J’ai encore du mal à interpréter ce qu’il fait, mais ce n’est qu’une question de fréquence à trouver.
La sphère tient bon, mais je n’ai que quelques instants avant qu’il n’en sorte. J’essaye de le calmer, mais cela n’a aucun effet. C’est comme si son seul et unique désir était à présent de sortir de sa prison de verre. Il semble prêt à tout pour atteindre son objectif et ignore le reste.
J’envoie ensuite de l’affection dans sa direction. J’en éprouve peu pour lui actuellement puisque je ne le connais pas, mais j’appuie ça avec mon expérience avec Micha et Juliette. Je suis prêt à donner ma vie pour elles et je ferai la même chose pour Persée s’il commence à communiquer avec moi.
[Hey, et moi dans tout ça ? Juste Micha et Juliette ?]
Je suis littéralement mort il y a quelques heures en protégeant ton secret. Arrête de me parler, tu me déconcentres.
En envoyant donc cette pensée sur mon affection pour… Micha et Juliette, puisque j’ai du mal à en éprouver pour un certain Kelfi actuellement, Persée finit par arrêter de frapper la sphère de verre et envoie finalement une vague de sensations et d’émotions. Il est à la fois effrayé et en colère.
Ses sensations sont plus claires maintenant qu’il a un point de comparaison avec les miennes et qu’il arrive à mieux comprendre ce qui lui arrive, mais cette espèce de « radar » qui lui permet de percevoir le monde autour de lui est assez étrange à comprendre.
Au final, j’ai l’impression qu’il n’a que deux sens. Tout d’abord le toucher, qui semble bien inférieur au deuxième, son radar. Ce deuxième sens semble être une sorte d’écholocation lui permettant de ressentir ses alentours.
La sphère était rassurante jusqu’à présent en limitant sa perception à son intérieur, mais c’est possible que maintenant qu’il a mes sensations comme référence, il ait envie de se confronter au monde qui l’entoure pour mieux le comprendre.
Du moins, c’est comme ça que je l’interprète.
Alors qu’il s’apprête à frapper la sphère à nouveau pour en sortir. Je commence à passer ma main sur ma peau. C’est un nouveau flux de sensations qu’il obtient et sur lequel il se concentre aussitôt.
Si c’est le seul sens que nous avons en commun, autant capitaliser dessus.
Je ne ressens pas de besoin immédiat comme la faim à travers le lien, mais son désir de sortir de la sphère est encore trop risqué.
Je continue de passer ma main sur mon corps en la passant dans mes cheveux, à l’intérieur de ma bouche et ainsi de suite en essayant de n’oublier aucun endroit. Cela n’est probablement pas un spectacle qui fait sens pour Tark, mais j’ai mes raisons. Persée semble s’intéresser à moi maintenant et je ne compte pas le délaisser.
Si je capitalise sur le sens qu’on a en commun tous les deux, c’est possible d’établir un échange. Cela ne me sert à rien de sentir par exemple, puisqu’il n’a aucune compréhension de ce que c’est. Même chose pour le goût ou la vue. Quand il sera capable de comprendre, j’y reviendrais, mais j’ai besoin de familiarité si je veux créer une pensée qu’il est capable de comprendre.
… Dresser une forme de vie qui ne partage pas mes sens est assez perturbant… Mais de ce côté, Juliette et Micha ont leur propre perception du monde. Juliette est sans doute la plus particulière, mais sa façon de ressentir le monde est proche de la mienne en comparaison avec Persée.
La deuxième chose que je dois aborder avec Persée est le sens de la douleur. Il n’a pas l’air d’avoir de satiété ou de besoin particulier, mais il doit comprendre ce qu’est la douleur, sinon il me tuera probablement sans même s’en rendre compte.
À présent, je me griffe avec le gantelet assez profondément pour me faire saigner et je partage la sensation. S’il a un sens du toucher, il a probablement aussi un sens de la douleur, même si je ne l’ai pas senti jusque-là. S’il veut sortir de sa sphère, il doit comprendre que manger les gens… et moi plus particulièrement, est douloureux.
— Hey, je ne veux pas te déranger, mais t’ouvrir les veines me semble un peu dangereux et bizarre. Je n’ai rien dit quand tu t’es tripoté partout, mais ça ressemble vraiment à un rituel satanique. Tu veux peut-être que je dessine un pentacle ?
— Tark, par pitié, arrête de questionner tout ce que je fais.
— … Difficile de faire autrement.
— Je dois faire comprendre des concepts abstraits à une forme de vie qui ne les comprend probablement pas.
— Tu ne peux pas juste lui offrir des croquettes ?
— Techniquement, je suis la croquette d’après lui. Donc non. C’est le premier monstre que je dresse et je fais son éducation en accéléré. Il est trop sensible pour que je puisse faire ça différemment.
— Sensible ? Je ne dois pas avoir la même définition. Tu veux que je te trouve une télé avec un film d’amour ?
— Tark, j’ai un monstre qui dévore mes pensées et qui, dès qu’il sortira de la sphère, cherchera à me dévorer aussi. Puis-je me concentrer sur lui où tu veux continuer à faire des commentaires utiles ?
— … C’est toi le Dresseur.
Entre Tark et Yuu, j’ai bien trop de distractions qui me gênent et j’espère sincèrement que ce sera la dernière fois que l’un d’eux intervient.
À cause de l’interruption, Persée en a profité pour frapper la sphère en verre qui roule un peu sur le sol. J’imagine que la douleur n’est pas suffisante, mais je ne compte pas me blesser plus. J’imagine qu’il est temps pour moi de forcer ma volonté sur lui.
Sans plus attendre, je lui ordonne de se concentrer sur moi. Puisque le lien n’est pas au niveau 2, ce n’est pas un ordre qu’il a l’obligation de suivre, mais cela semble suffisant pour qu’il se fige.
Je lui explique alors que je vais ouvrir la sphère, mais qu’il doit se calmer et ne rien faire ou il risque de mourir. J’appuie mes propos avec les souvenirs de ma propre mort douloureuse d’il y a quelques heures et des moments de souffrance que j’ai vécu. Surtout celui des flammes du pyromancien, puisqu’il est sensible au feu.
Persée s’arrête, mais je n’ai pas l’impression d’avoir toute son attention. Un peu comme s’il s’était paralysé et qu’il attend la suite.
Alors qu’il attend, je lui dis que je vais ouvrir la sphère, mais qu’il ne doit pas se jeter sur moi mais prendre lentement conscience de ce qui l’entoure.
S’il m’attaque, je serai obligé de le tuer. Je ne prendrai pas de risque alors qu’il est maintenant suffisamment « éduqué » pour le rendre encore plus dangereux. Un bras, c’est une chose. S’il se jette sur ma tête par contre…
Avec un stylet, je transperce la sphère en verre qui se casse en deux. Persée, qui a toujours la forme d’une écharpe, reste immobile et attend la suite. À travers le lien, je peux sentir de nouvelles informations alors qu’il prend conscience de ce qui l’entoure. Il comprend qu’il y a des flammes, mais ne réagit pas pour l’instant, comme s’il prenait conscience de sa situation.
Il est immobile, mais vu la quantité d’informations qu’il est en train d’analyser, je dois lui faire comprendre qu’il ne risque rien tant qu’il m’écoute. Le lien est stable, mais j’ai peur qu’il ne comprenne pas encore que sans contrat, je ne pourrai pas lui faire confiance.
Alors que je lui demande de patienter, il s’agite dans ma direction. Je ne ressens pas d’animosité de sa part, mais cela ne veut pas dire qu’il ne va pas me dévorer s’il n’en a pas l’occasion.
Je me concentre le plus possible sur le lien pour atteindre le niveau du contrat.
Si je suis ferme avec lui, il finira peut-être par comprendre que le mieux reste pour lui de m’obéir jusqu’à ce que sa compréhension du monde soit suffisante et qu’il puisse prendre la décision par lui-même de me suivre ou de partir.
Bon. Dans son cas, partir implique sa mort probable causée par des grimpeurs, mais j’aimerais qu’il fasse ce choix en le comprenant.
Alors qu’il s’agite lentement dans ma direction, je reste immobile et suspicieux. Je ne compte pas m’enfuir, mais je n’hésiterai pas à me jeter dans les flammes s’il m’attaque et je pense qu’il réussit à le comprendre. Par précaution, je jette quand même une potion de sang de dragon à Tark en lui disant d’agir vite s’il voit que je suis en danger.
Si Persée me blesse mortellement, je n’aurai peut-être pas le temps de me jeter dans les flammes.
Cela ne m’empêche pas de lui faire comprendre que ma mort implique la sienne. J’ai encore du mal à savoir s’il comprend ce que je dis, mais je n’ai pas trop le choix maintenant. C’est un pari.
… Risquer ma vie pour dresser un bout de vêtement… Cette classe me donne vraiment l’impression de faire des choses absurdes trop souvent.
Alors que je continue d’envoyer en boucle les mêmes pensées à Persée, je peux voir qu’une sorte de fil se détache du reste du tissu pour approcher de mon sang au sol. Il commence à le boire lentement et c’est presque un soulagement de voir qu’il ne s’est pas jeté dessus. Comparé au moment où il s’est jeté sur mon bras, il y a du mieux.
Je soupire en attendant une réponse de sa part ou l’apparition du second niveau du lien, mais pour l’instant, je ne sais pas si je vais réussir à avoir l’un ou l’autre. Il continue d’absorber mon sang et mes pensées, mais il ne m’envoie que très peu d’informations en retour. Il prend conscience de ce qui l’entoure alors qu’il absorbe mon sang, mais tant qu’il agit lentement il n’y a pas de problème.
« Approche. »
Alors que je donne l’ordre à voix haute et à travers le lien, je comprends qu’il l’a bien entendu. Son « radar » semble capable de capter les vibrations dans l’air. En continuant à boire mon sang, le tissu s’approche de ma main tendue en rampant bizarrement sur le sol. Il se contorsionne pour finir par toucher ma main avec plusieurs autres fils qu’il détache au fur et à mesure de son « corps » pour couvrir graduellement ma peau.
« Doucement. »
Persée monte graduellement dans ma main en la recouvrant comme une pellicule et absorbe le sang qui coule de mon avant-bras en même temps. Il apprécie son repas en tout cas.
Je peux sentir qu’il frotte ses fils contre ma main pour en comprendre la forme et il finira par la couvrir complètement. Quelques morceaux de tissus se répandent jusqu’à ma blessure, mais il se contente de la couvrir et il serre suffisamment pour que le sang arrête de couler.
En se pliant sur lui-même, il finit par devenir une sorte de gant en condensant sa forme. Je bouge légèrement ma main en la tournant alors que je cherche à comprendre à quoi il pense.
Son contact n’est pas déplaisant et ressemble à celui du cuir, poreux et vivant. Persée s’ajuste petit à petit aux légères déformations de ma main à mesure que je la bouge, mais il finit par rester immobile. Il ressent tout ce qui l’entoure avec toujours autant de violence, mais les informations que j’ai partagées avec lui semblent avoir structuré ce qu’il ressent, du moins suffisamment pour qu’il puisse se canaliser.
[Je serais toi, je lui donnerais du mana pour finir de le dresser. Même si tu n’en as pas beaucoup, cela devrait lui suffire.]
Et je fais ça comment ?
[Comment t’expliquer simplement… Imagine-toi former une toute petite boule d’énergie dans ta main. Concentre-toi sur l’idée comme si tu en étais capable.]
Je m’empresse d’agir comme il me le demande en restant le plus calme possible. Je ne sais pas ce que du mana va changer, mais Persée semble suffisamment calme pour que je fasse le test.
À travers le lien, j’ai l’impression de sentir de l’attente de la part de Persée. Il semble comprendre ce que je fais alors que moi non…
Alors que je forme cette boule d’énergie, je peux finalement sentir du plaisir venant de Persée qui vibre en se figeant petit à petit. L’énergie disparaît assez vite jusqu’à ce que je n’arrive plus du tout à en former.
Je bouge alors la main et j’ai juste l’impression d’avoir un nouveau gant sur mesure. À travers le lien, je peux sentir que Persée continue de moduler sa forme pour qu’elle convienne à ma main, mais en dehors des ajustements, il semble s’être calmé.
Un nouveau flux d’information m’atteint alors, indiquant que le lien est passé au deuxième niveau. Je peux à présent faire un contrat avec Persée.
En soupirant, je me lève en regardant ma main.
« Dis, ce n’est pas tout ça, mais la maison est en feu. Tu ne veux pas qu’on bouge ? »