La Tour des Mondes
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Chapitre 289 : Nourrir un monstre
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Pour me reposer un peu, j’ai récupéré une salle d’entraînement dans la tour des Voleurs. Celle-ci est juste un dédale de bâtiments qui sert probablement à s’entraîner à faire du parkour. Les maisons sont vides et sans mobilier, mais c’est largement suffisant pour ce que je veux faire.

Je m’assois sur le plancher d’une maison vide en réfléchissant. J’ai quelques heures devant moi et j’espère que cela suffira. Les autres sont partis se préparer, à l’exception de Tark qui n’a donc vraiment pas d’argent pour acheter du matériel. Je ne suis malheureusement pas généreux au point de lui en prêter, mais je suis certain qu’il s’en sortira sans. Au pire des cas, je devrai lui donner des potions…

Pour l’instant, il est allongé dans un coin de la maison et me regarde silencieusement d’un œil, semblant avoir quelque chose en tête.

— Du coup, tu fais quoi avec ce bout de tissu ?

— Ce bout de tissu est un monstre. J’essaie de mieux le dresser puisqu’il est dangereux et que mon lien avec lui risque de se briser à tout moment.

— Un monstre ? Tu veux dire qu’il a été créé au pied de la tour ?

— Il m’a mangé le bras tout à l’heure, donc il est probablement utile… Du moins si j’arrive à poser des termes clairs avec lui. Tu as des infos sur les monstres qui peuvent être utiles ?

[Moi et mes lectures de vacances, on sert à quoi exactement ?]

J’ignore Yuu une fois de plus. S’il voulait vraiment se rendre utile, il m’aurait déjà fourni des réponses en lisant mes pensées, mais il ne l’a pas fait, car c’est plus amusant pour lui que je quémande…

— Pas plus que la plupart des gens. Beaucoup de mana et d’agressivité. Ils sont tous considérés comme fous et les ennemis de ce qui n’est pas de leur race.

— Rassurant. Essayons de voir ce que ça donne.

Ma première idée est de partager le plus d’informations sensorielles possible avec lui pour faire en sorte qu’il se sente à l’aise. Le lien n’est pas très stable et c’est moi qui reçois les informations, je n’en envoie que très peu. C’est un peu comme s’il criait tellement fort qu’il en couvre le son de ma voix. Essayons de distraire sa perception avec quelque chose de plus calme.

Je me concentre sur le lien en essayant de le manipuler, mais je n’ai clairement pas le talent de Yuu pour cela. Graduellement, j’arrive cependant à stabiliser le lien, même si je n’arrive pas à envoyer plus d’informations de son côté.

Persée semble comprendre qu’il se passe quelque chose, même s’il m’ignore et qu’il continue d’envoyer des informations sensorielles. Je ne sais pas trop comment m’y prendre, je dois dire. À la façon dont je le ressens, je dirais que Persée est une sorte de virus qui m’attaque lentement une partie du cerveau en causant un mal de crâne que j’ai jusque-là réussi à ignorer.

Je regroupe toutes les informations que je peux envoyer à travers le lien, comme si elles me protégeaient de tout ça. Mes sens, mes pensées ou encore quelques souvenirs qui me traversent l’esprit à cet instant. Ensuite, j’envoie cette boule à travers le lien. Peut-être qu’en fourrant tout ça dans le lien et en l’obligeant à l’ingurgiter, il en apprendra quelque chose qui le calmera.

Je soupire lentement en poussant les informations dans le lien. J’essaie d’être rassurant et « maternel » avec Persée en faisant cela, mais je ne sais pas comment il va le prendre.

Qui penserait que du dressage s’apparenterait à une bataille dans un lien « spirituel » entre deux individus…

Je n’ai pas spécialement envie de sortir Persée de sa sphère en verre, donc c’est la seule option à laquelle je pense. S’il arrive à se concentrer sur moi et sur le lien, j’arriverai peut-être à établir le dialogue.

La première « vague » d’informations venant de moi semble l’atteindre et, pendant une fraction de seconde, Persée arrête de crier. L’instant suivant, il commence à puiser dans le lien pour récupérer tout ce que j’ai à lui offrir comme si c’était une sorte de paille à travers laquelle il aspire mes sensations et mes pensées. J’ai l’impression qu’il y a pris goût, mais je ne sais pas si c’est une bonne chose… C’est inquiétant… non ?

[Tu es en train de l’allaiter. Je suis fier de toi.]

C’est une bonne ou une mauvaise chose ?

[Tout dépend. Est-ce que la source va se tarir ? Est-ce qu’il va aimer ce qu’il absorbe ? Est-ce que possiblement ton « âme » est quelque chose qu’il peut absorber ?]

… Rassurant.

Je ne pense pas que la source va se tarir, comme le dit Yuu en s’amusant. Ce sont mes sensations et ce n’est pas comme si elles allaient disparaître. Cependant, le tissu dans la sphère s’agite de plus en plus. Pas au point de briser la sphère, mais suffisamment pour que je m’inquiète.

— Tark, prends ça. Fais un cercle de flammes autour de moi. Prépare-toi aussi à m’arracher une jambe ou un bras si je te le demande. Dans le pire des cas, tu devras me couvrir de flammes pour le tuer.

— … Tu es vraiment en train de faire du dressage ? J’ai plutôt l’impression que tu fais un rituel d’Hérétique ou un truc du genre.

— Ce truc a mangé mon bras en quelques minutes. S’il devient fou, il essaiera de dévorer tout ce qu’il y a à proximité et il est du genre « collant » en plus d’être affamé. Ne le laisse pas te toucher.

— Tu es sûr de toi ? Tu peux remettre ça à plus tard, sinon ?

— Tark. Ce truc lit dans mes pensées. Plus je pense à le contrôler et le tuer en cas de problème et plus il a de chance de s’énerver alors que j’essaie de le rassurer. Fais ce que je te dis et laisse moi me concentrer. Ce ne sont que des précautions.

J’ordonne à Micha et Juliette de partir tant que j’y suis. Yuu est déjà un peu plus loin dans la salle à ricaner dans son coin, mais ce n’est pas lui l’expert en dressage ici. Après tout… Je l’ai dressé, il me semble ? Hmm ?

[Hey. Je t’ai laissé faire, je te rappelle.]

Non. Tu as eu un moment de faiblesse en découvrant que ton ami grimpeur était mort eeeet j’ai formé un lien avec toi quand tu as compris que tu ne pourrais pas m’échapper.

[… C’est une façon d’interpréter la vérité qui ne te met pas en valeur. Tu as profité d’un moment de faiblesse d’une pauvre petite créature qui venait d’apprendre le décès d’une connaissance et tu l’as aussitôt enchaîné.]

À d’autre monsieur l’enfant de la déesse, chef des kelfis ou je ne sais quoi. Nous savons tous les deux que c’est donnant-donnant. Maintenant, laisse-moi finir de dresser Persée.

[Oh oh. Très bien, je te laisse faire et je ne dis plus rien. Bonne chance pour y arriver sans mon aide.]

C’est un défi ?

[… Non. Vous autres, les humains et les grimpeurs, vous aimez trop les défis. En proposer un reviendrait à t’aider au final. Votre esprit de contradiction, et l’impossible qui est possible…]

J’ignore Yuu qui se met à parler des limitations de l’esprit humain alors que Tark termine de placer de l’huile autour de moi et d’y mettre le feu. Le cercle est assez grand pour que Persée ne se sente pas menacé par les flammes, mais il y a toujours un risque.

Je me concentre sur le lien en essayant maintenant de transférer mes sentiments pour entrer en communication. Pour l’instant, c’est un monologue, mais j’ai besoin d’établir une base saine. Si Persée est bien un nouveau né, il ne comprendra rien sans connaissances préalables. Cela revient à parler d’une calculatrice sans même comprendre ce qu’est un chiffre.

De toute façon, son rythme de croissance n’a rien de normal. Peu importe la quantité, il absorbe tout ce que je lui envoie comme une éponge. Son appétit ne semble pas avoir de fin.

Mon éventail d’émotions semble disparaître en quelques instants, avalé par Persée. Je passe ensuite à mes souvenirs. Je pense à ma vie sur terre, mon arrivée dans la tour, à mes autres animaux, je jette tout ça dans le lien et tout ce qui me vient ensuite.

Je rejette ensuite mon inquiétude envers Persée pour effectivement prendre une position maternelle par rapport à lui. Même si c’est un monstre créé au pied de la tour, c’est probablement quelque chose qui le rassurera de savoir qu’il n’est pas seul et que je suis bien là pour lui.

J’ai besoin qu’il me fasse confiance. Sans cela, ce sera impossible de le dresser.

Je regarde rapidement la sphère de verre pour me rendre compte qu’il est en train de la briser en la frappant à la façon d’un fouet.



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