Livre 4, Chapitre 87 – L’assemblée du conclave
Brontes était mort et était revenue à la vie. Cloudhawk trouvait cela plus que suspect.
Il avait vu l’homme quand ils l’avaient ramené aux vaisseaux. Il était mort comme un clou de porte. Un homme mort pouvait-il revenir comme ça ?
Il dut l’accepter quand il vit le Brontes de ses propres yeux. Ils avaient dû être négligents en examinant son corps, pensa-t-il. Il n’était pas rare que des personnes gravement blessées semblent mortes pour revenir ensuite. Dans ces cas-là, il était difficile de dire si quelqu’un était encore en vie, même avec un équipement sophistiqué. Les gens pouvaient être pardonnés pour l’erreur puisqu’ils ne pouvaient compter que sur leurs yeux.
Bien que Brontes ait survécu, d’après son apparence, il serait défiguré de façon permanente par son combat avec Coal. C’était étrange que ce lieutenant-commandant, sans réelle capacité ou accolade, ait survécu. Même Cloudhawk ne savait presque rien de lui.
Mais ils s’étaient déjà rencontrés auparavant.
Il y a quatre ans, alors que Brontes était capitaine d’escadron, il avait reçu l’ordre d’assister Claudia Lunae dans son excursion à travers les terres désolées. Il était parmi ceux qui avaient rasé Lighthouse Pointe à la recherche de Cloudhawk. Il n’avait pas réussi, bien sûr, et il n’y avait pas d’amitié entre eux, mais pas non plus d’animosité. Il n’avait aucune impression réelle de Brontes, car il ne pensait pas du tout à lui.
Survivre et faire face à une vie de handicap… Cloudhawk ne savait pas si c’était une bénédiction ou une malédiction.
Il donna l’ordre de rentrer à la base, mais il fut stupéfait d’apprendre que tous les officiers étaient contre. La raison qu’ils avaient donnée était simple : l’opposition des sauvages avait été mise en déroute. Les soldats étaient disséminés dans les montagnes et, en tant que tels, ne pouvaient pas être éliminés, mais leur repaire était laissé sans surveillance. Il était temps de faire demi-tour et de balayer les Barrens. Fallowmoor et tous les autres cloaques qu’ils appelaient maison pouvaient être réduits en cendres sans opposition !
La victoire totale était à leur portée – une victoire puissante qui serait le couronnement de leurs états de service. Cloudhawk allait-il vraiment y renoncer ?
Une fois leur base détruite, les forces restantes des sauvages deviendraient vulnérables, des bandes d’agitateurs itinérants. Ils n’auraient nulle part où se cacher, et même s’ils essayaient de se regrouper, ils n’auraient que l’ombre de la force qu’ils avaient auparavant – rien qui puisse menacer la sécurité de Skycloud. La mission du corps expéditionnaire aura été accomplie !
« Non ! » Les officiers réunis étaient choqués. Cloudhawk refusa catégoriquement leurs demandes.
« Commandant, cet ordre ne sera jamais accepté. Soixante mille soldats élyséens ne le supporteront pas ! » Roc ne comprenait pas le raisonnement de Cloudhawk et n’était pas d’accord avec l’ordre. « Nous avons l’opportunité d’accomplir quelque chose d’incroyable ici. Même en tant que commandant, tu n’as pas le droit de priver nos soldats de cette gloire ! »
Cloudhawk conserva son refus inébranlable. « Notre armée est épuisée. Nous avons besoin de récupérer. Nous retournons à Skycloud ! »
« C’est absurde ! C’est complètement absurde ! » L’un des officiers qui contrôlait moins son tempérament s’avança en trépignant. Il s’agissait d’un homme de noble allure avec vingt ans d’expérience de commandement et était l’un des conseillers de confiance du général Skye. « Vous ne pouvez pas couper les mauvaises herbes et laisser les racines – vous ne demandez qu’un désastre en bout de ligne ! Oui, nous avons perdu de nombreux soldats, dont le général Skye. Si nous n’éliminons pas le cancer que sont ces païens maintenant, alors tous nos efforts et sacrifices seront vains. Toutes ces morts, sans signification ! Comment l’esprit du général Skye pourrait-il reposer en paix ? »
Les officiers n’étaient pas seuls. Aurore ne comprenait pas non plus l’hésitation de Cloudhawk.
Son grand-père avait donné sa vie pour cette cause. Comment pourraient-ils se montrer chez eux s’ils revenaient avec la mission non accomplie ? Quel genre d’excuses donneraient-ils au peuple ? Des millions de citoyens élyséens attendaient la victoire, et leurs soldats avaient tant souffert pour l’obtenir. Ils ne pouvaient pas permettre au peuple élyséen de rester désespéré ! Ils ne pouvaient pas décevoir les soldats qui se battaient pour leur royaume !
Tout le monde s’efforçait de se faire entendre, demandant avec véhémence à leur commandant de changer d’avis. De tous, un seul comprenait ce qu’il pensait.
Sélène connaissait le cœur de Cloudhawk. Les officiers avaient raison. Les villes des païens n’étaient pas défendues et même une armée élyséenne épuisée pourrait facilement les détruire – ainsi que les innombrables personnes innocentes qui y vivaient.
Il ne resterait que de la fumée et des cendres dans le sillage de leur charge sanglante.
Cloudhawk n’avait jamais donné un ordre qui pouvait anéantir des centaines de milliers de vies. Ce n’était pas dans son caractère. N’était-il pas comme eux ? Un charognard, fouillant dans les ruines, totalement inconscient du reste du monde. Tous les gens que ces Élyséens voulaient désespérément tuer étaient trop occupés à gagner leur vie pour être une quelconque menace. C’était des gens normaux qui essayaient juste de survivre. La plupart d’entre eux ne savaient même pas que Skycloud existait. S’il avait donné l’ordre d’assassiner ces pauvres innocents, alors en quoi était-il différent des gens qu’il méprisait ?
Massacre aveugle, sang et misère, cruauté absolue… comment serait-il différent d’Arcturus Cloude ?
Cloudhawk ne se laissait pas influencer par leurs croassements. « Croyez-moi, les terres désolées et Skycloud ne se battront plus après ça. Il y a une raison pour laquelle j’ai choisi de leur permettre de continuer à exister. »
Le leader de Skycloud était Arcturus. C’était incontestable maintenant. Par le biais de l’Armée des enfers, il était également le dirigeant des terres désolées. Quel sens cela avait-il pour lui de détruire des morceaux de son propre territoire ? Il n’y avait aucune chance qu’une autre guerre de ce genre éclate entre les deux camps.
S’ils gardaient ces colonies intactes, chacune des diverses organisations des terres incultes aurait toujours ses propres bases, ce qui contribuerait à promouvoir la désunion entre elles. Les détruire ne ferait qu’accélérer la hâte de tous à s’unir. C’est pourquoi Cloudhawk ne voyait pas l’utilité de détruire les villes. Cependant, il ne pouvait pas l’expliquer aux forces expéditionnaires. Personne ne le croirait jamais.
« Cloudhawk, ça suffit ! » Le général grisonnant ne feignait même plus le respect. Il hurla presque au commandant de la flotte : « Avez-vous la moindre idée de ce que vous faites ? En tant que commandant de cette flotte, vous insultez ouvertement nos forces ! Je ne suivrai pas cet ordre. J’irai seul si je le dois et je serai heureux d’affronter la cour martiale à mon retour – victorieux ! Cet officier ne souffrira jamais un tel manque de respect envers ses hommes ! »
« Je refuse également ! »
« Je vais aller avec vous ! »
Leur indignation collective atteignit un point d’ébullition, et ils choisirent de refuser un ordre direct plutôt que de sacrifier leur sens de l’honneur.
Cloudhawk était peut-être le commandant de la flotte, mais il ne l’était que de nom. Il n’était, après tout, qu’un seul homme. Sa véritable position était celle de gardien d’un seul corps en ce qui concerne ces hommes. Il était l’égal de n’importe lequel de ces officiers et pas meilleur. Mais ce n’était qu’un statut. Il n’avait gagné le respect de personne, n’ayant fait partie de l’armée que depuis quelques mois. Qu’est-ce qui le qualifiait pour dire à ces soldats vétérans ce qu’ils devaient faire ? Surtout quand il donnait un ordre comme celui-ci !
Les officiers quittèrent tous le pont en trombe. Chacun était parti ordonner à son régiment de presser l’attaque.
Aurore était désorientée, incertaine de ce qui s’était passé. Elle se tourna vers lui pour lui offrir son soutien, mais il se contenta de l’ignorer. Il partit vers ses quartiers sans un mot.
Alors qu’il s’éloignait, un lourd sentiment d’impuissance pesait sur son cœur. Il avait l’impression que rien n’avait changé, même après toutes ces années. Il ne pouvait pas empêcher ses amis de mourir ou arrêter les choses qu’il n’aimait pas.
« Tu as fait de ton mieux. » Une voix claire et stoïque parvint à ses oreilles. Sélène s’approcha et prit place à côté de lui sur une volée de marches. « Je suis désolée. Je n’ai pas pu t’aider. » Il ne pouvait pas lui en vouloir.
Sélène était un agent du Temple et devait s’assurer que le pouvoir du Temple était intact pour sa bataille contre Arcturus. Si elle s’était insérée dans cette affaire militaire, cela aurait mal fini et aurait rejailli sur elle aux yeux des Élyséens. Elle devait faire attention à ne pas faire quelque chose qui – aux yeux de Skycloud – n’avait pas de sens.
Cloudhawk se sentait perdu. Il ne savait pas quoi faire ni ce qui allait se passer.
Mais au moins, il n’était pas complètement dans le noir. Il connaissait son ennemi. La vie exige une direction, et parfois, cette direction prend la forme d’un ennemi puissant à vaincre. Quoi qu’il arrive, il fallait s’occuper d’Arcturus.
Puis Abaddon, puis Wolfblade, et tous les autres. Cloudhawk ajouta tranquillement tous leurs noms à la liste de ceux qu’il voulait voir mort.
Le soleil se levait sur un paysage brisé, faisant fuir l’obscurité glaciale jusqu’à ce que la nuit tombe à nouveau.
Une silhouette voûtée sortit de la terre. La silhouette était couverte de crasse et de cendres, une vieille sorcière avec des serpents violets pour cheveux et une peau comme des écailles de cuir. Son visage tordu et laid était illuminé par les rayons de la lumière du matin.
Castigation était mortelle mais pas suffisante pour la détruire.
Alors que les feux avaient essayé de la réclamer, Naga perdait continuellement sa peau. Le feu ne pouvait pas être éteint, mais il s’épuisait avec le temps. Comme il était alimenté par de l’énergie psychique, plus il brûlait et plus il se propageait, plus il était épuisant à entretenir.
Un autre fait distinctif était que la matière normale – comme la chair – n’était pas un combustible. Ainsi, Naga se débarrassait continuellement de la chair incinérée jusqu’à ce que la flamme verte soit enfin éteinte. Sa vivacité d’esprit et sa mutation unique lui avaient permis de rester en vie.
Une fois sortie, elle commença à rassembler les subordonnés qui avaient survécu. Au total, il restait mille huit cents personnes après le naufrage de l’ancien vaisseau. Après un petit moment, les rois vert et noir la rejoignirent avec leurs propres forces. Les trois se séparèrent pour discuter.
« Naga, tu es vivante. C’est une nouvelle stupéfiante. » La voix de Toad, qui ressemblait à celle d’une grenouille, lui parla en croassant, ce qui contrastait fortement avec son style de discours de gentleman. Il garda sa voix basse. « Ça s’est passé comme prévu ? »
La réponse de Naga était tout aussi discrète. « Personne ne sait rien. »
« Bien. C’est mieux, pour sa sécurité. Cela doit rester strictement confidentiel – pas plus loin que nous trois. » Une lumière étrange et conspiratrice brillait dans les yeux de Toad.
Canker rejoignit enfin la conversation. « D’autres arrivent. »
Les trois mutants regardèrent au loin, où des dizaines d’habitants du désert s’approchaient. Ils étaient menés par les figures reconnaissables des Trois Géants de l’Armée des enfers : Natessa, Dumont, et Eckard. Bien que la bataille ait été longue et éreintante, les forces de l’Alliance des Terres Sauvages n’avaient pas subi de pertes insurmontables.
C’était comme Natessa s’y attendait.
Sa perte au sein du corps expéditionnaire n’était que partiellement due au commandement adroit de Cloudhawk. Elle avait l’intention d’échouer. Elle avait choisi cet endroit, ces montagnes vallonnées, pour que son peuple puisse se cacher. Les villes et les colonies qu’ils laissaient derrière eux ne l’intéressaient pas.
Elles devaient être rasées. Sinon, comment les habitants du désert deviendraient-ils plus dociles ? Une fois que les Élyséens leur auront tout pris, ils seront prêts à tout pour rejoindre le Conclave et être sous son commandement.
De plus, la destruction de ces villages sans valeur serait un exploit loué à Skycloud. Une fois l’affaire réglée, Arcturus n’aurait plus besoin de se battre contre les Barrens du Nord. Cela éviterait toute friction interne ou conflit mutuel supplémentaire.
Le corps expéditionnaire ferait comme prévu, scellant la défaite tout en imaginant la victoire. Et les terres désolées, qui semblaient écrasées en surface, seraient les vrais gagnants de ce conflit. Les leaders des deux camps gisaient morts, et c’était parfait. Tout s’était passé plus facilement que Natessa ne l’avait prévu. Tout ce qui restait était la famille Cloude.
Elle s’approcha de Naga, qu’elle voyait pour la première fois. « Les terres désolées sont dans une lutte critique pour leur survie. Nous devons travailler ensemble. Le Crimson One est tombé, mais nous ne laisserons pas cette défaite écraser l’alliance qu’il a construite. »
« N’en dites pas plus, je sais ce qui doit être fait. » Naga toussa, sa voix était rauque. « Mes hommes et moi acceptons de rejoindre le Conclave du Jugement. »
Trois des quatre terribles rois mutants des Barrens du Nord avaient rejoint l’appel. Cela inspirerait sûrement d’autres organisations à suivre leur exemple. L’Alliance des Terres Sauvages allait croître en nombre, en puissance et en influence.
Naga avait la réputation d’être une scientifique des Terres Sauvages. Ses connaissances étaient vastes et approfondies, et elle possédait une douzaine d’ateliers répartis dans les régions désertiques où elle pratiquait son art. Toute grande organisation qui aspirait à la grandeur avait besoin de scientifiques et de laboratoires pour atteindre ses objectifs.
Squall avait Araignée à Trois Yeux. Wolfblade avait Hellflower. Maintenant, l’Alliance des Terres Sauvages avait son propre scientifique en la personne de Naga.
« Pourquoi le quatrième roi ne s’est-il pas montré ? »
« Son identité est… unique. Même nous ne pouvons pas le contacter. »
« C’est ainsi ? Quel dommage… »
Natessa savait qu’il y avait plus que ce qu’ils partageaient avec elle, mais le décor était planté, et personne n’allait le changer. Une fois que ces habitants des friches seraient retournés dans leurs villes en ruines, ils supplieraient pour avoir un rôle dans leur jeune alliance.
L’Alliance des Terres Désolées n’avait plus de leader. Au lieu de cela, elle serait dirigée par un conseil : les trois géants de l’Armée des enfers et les trois rois des Barrens. En outre, il y en avait quatre autres, de puissants leaders des terres désolées. Au total, dix membres constituaient ce qu’on allait appeler l’Assemblée du Conclave. Ils constituaient l’autorité suprême de l’alliance.
Le chef de l’Assemblée agissait également en tant que commandant de leurs forces armées. Natessa, alors, était la seule option. Les Barrens du Nord avaient fait un pas de plus vers l’unification, forgée dans les feux de la guerre.