Fuku No Ikari
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Chapitre 26 – Imposteur
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Mes pas sont lourds et la moindre bourrasque me fait sursauter. L’allée pavée du quartier semble angoissante. Les commerces et leurs volets sont fermés. Les lumières sont éteintes et le soleil se dissimule derrière ces larges nuages blanchâtres. Je ne sens aucune odeur. J’erre dans les ruelles et me dirige au parc, le lieu de notre destin.

Ce fil rouge m’étrangle.

— Si je me souviens bien, l’acteur qui accompagnait Tsubaki pendant sa publicité a joué les imposteurs. Il cache sa vraie identité pour une raison qui m’échappe encore. Ai est tombée sous son charme, car elle pensait que c’était le petit garçon rondelet qu’elle a aimé secrètement à l’école primaire.

Je me gratte le crâne et continue de développer mon monologue.

— Cependant, il souhaite voir Ai aujourd’hui sans doute pour se déclarer. C’est le plus probable, non ? Si je ne dis pas d’idiotie, Ai veut y aller pour mettre un terme à leurs liens bancals.

Après tout, vivre dans une relation submergée de mensonge n’est qu’une quintessence de stupidité. La toxicité d’un couple n’est-elle pas le centre d’une fissure ? N’est-elle pas à fuir comme la peste ? Et pourquoi me posè-je des questions rhétoriques ?

Je balaie le paysage du regard et n’aperçois personne. Je m’assieds sur la balançoire et commence à m’élancer.

— Et moi, pourquoi dois-je venir ici ?

J’écrase mon pied contre le sable, admire la splendeur du soleil et médite.

Ai-je réellement envie de tenir le rôle du petit copain ?

— Fuku !

Je tourne le visage en direction de la voix qui m’appelle.

— Ai, salut.

La grande actrice porte une robe blanche, ondulée avec des motifs qui représente des fleurs de cerisier. Elle a également un ruban rosâtre qui attache sa taille et un bracelet tressé d’une seule couleur qui coiffent ses longs cheveux blonds.

Le rouge.

Je me lève de la balançoire et elle me propose, en dressant un large sourire.

— On s’installe sur le banc là-bas ?

Ses dents blanches rendraient jalouse une colombe.

— Si tu veux.

Elle s’assied à côté de moi et son odeur se déverse dans mes narines et me plonge dans un court voyage sur une île magnifique où poussent des tonnes de mangues qui possèdent un sucre divin.

— Tu ne te sens pas trop angoissé ?

— Je ne sais pas trop ce que je fais ici, donc ça peut aller. Et toi ?

— Comment ça, s’énerve-t-elle. Oublies-tu que tu es mon petit ami maintenant ? C’est normal que tu m’accompagnes ! J’ai bien plus peur aujourd’hui que pendant mes premières auditions.

— Oui, oui. Je resterais sage comme une image à tes côtés jusqu’à ce qu’il parte.

— Merci, s’écrie-t-elle en attrapant mon bras.

Sa peau est d’une douceur qui calme mes pensées négatives.

Les filles sont-elles toutes conçues ainsi ?

Dans notre dos, nous entendons une branche se briser et des pas traverser des tas de feuilles. Nous nous retournons et remarquons l’imposteur.

— Tu ne peux pas emprunter la route comme tout le monde, soupire-t-elle.

— Ton noble chevalier s’est égaré dans cette large forêt, princesse, s’écrie-t-il en s’agenouillant devant Ai.

C’est légal de se ridiculiser autant ?

— Au lieu de jouer les héros, tu ne voudrais pas me dire pourquoi tu m’as convoqué ici.

— Avant ça, Ai Tsubaki, peux-tu me dire ce que cet idiot fait à notre rencard ?

— L’idiot dont tu parles est mon petit ami. Et tu es tellement flippant que je me voyais très mal rester seul avec toi.

La gravité emporte le bassin de l’imposteur au sol. Il ne cesse de nous dévisager du regard et murmure, d’une voix morose.

— J’ai échoué ? J’ai encore une fois échoué ?

Le jeune homme se recroqueville et se gratte les genoux en répétant inlassablement.

— Échec, tu n’es qu’un échec.

Je me lève et tente de le réconforter en déposant ma main contre son bras.

— Dégage, tu es dégueu, s’écrie-t-il en repoussant mon geste.

Dégueu ?

— Je voulais simplement t’aider, désolé.

— Tu ne comprends jamais ce qu’on te dit, prononce-t-il en serrant son poing.

— Comment ça ?

— Je t’avais déjà confié de ne plus approcher Ai, je te l’ai répété des milliers de fois et regarde ce que tu fais maintenant.

Ai place sa paume devant sa bouche et son expression change instantanément. Elle reste silencieuse, les yeux ronds, globuleux.

— J’hallucine. Toi, Sayuri Fuku, tu as ce genre de relation avec Tsubaki Ai. J’aurais préféré mourir plutôt qu’être au courant de ces conneries.

— Hi, Hiroshi bégaie-t-elle. C’est Hiroshi-kun !

— Bravo, dit-il en riant nerveusement et en applaudissant.

Hiroshi ?

Hiroshi ?

Hiroshi ?

J’agrippe les rondins de bois du banc sous mes fesses et laisse l’angoisse me monter au cerveau. La seconde suivante, le passé me serre la main et me demande.

— Sayuri Fuku, faisons un petit voyage, tous les deux.

[…]

Le jour où ils ont balancé mes cahiers dans la fontaine. Hiroshi était leur leadeur, c’est lui qui proposait à tout le monde de me faire subir ceci ou cela. Et la scène où j’ai essayé de me déclarer, c’est encore lui qui m’a attaqué en me frappant d’un coup de pied dans le ventre. C’est lui le noyau des problèmes de mon ancien moi. C’est par sa faute si j’ai dû endurer les longues séances de sport terrorisant de Ryoota-sama. C’est à cause de lui si j’ai dû encaisser les centaines de brimades d’un tas d’élèves. Et surtout, c’est par son existence que Tsubaki Ai m’a détruit non seulement en rejetant mon amour, mais surtout en prononçant des mots qui sont encore gravés au sein de mon esprit.

Je ne veux plus jamais te revoir.

[…]

Je me lève et serre mon poing. Mon champ de vision se réduit jusqu’au moment où je ne vois que lui, l’imposteur. J’élance mon bras en direction du crâne de cet ennemi de l’humanité. Au même instant, Tsubaki m’attrape et sa voix me murmure.

— Ne laisse pas ta haine se consumer, Fuku.

Je m’interromps et m’assieds à nouveau, le regard vide plongé contre le sol.

Merci, Ai.

— Et pourrais-je comprendre pourquoi tu as pris le nom de Fuku pour m’aborder dans le studio ?

— Tu dois t’en douter. Tout le monde savait que tu étais amoureuse de lui. Seulement, ce que personne n’a pu remarquer c’était que je l’étais aussi. Si je ne fais rien, je t’aurais perdu pour toujours. Quand j’ai entrepris mon plan pour faire de Sayuri-kun le souffre-douleur de l’école et que sa fuite est la conséquence de mes actions, le bonheur m’a conquis. J’avais accès à toi à volonté. Seul moi pouvais te regarder, j’étais devenu unique à tes yeux. Mais, lorsque tu m’as avoué que tu le cherchais alors qu’il était parti depuis plusieurs mois, je me suis senti très mal. Je ne savais plus quoi faire et j’ai donc décidé de prendre la place du petit rondelet pour t’avoir pour moi. Je te connais par cœur, Sayuri-kun. Je suis celui qui organisait toutes les actions pour te démoraliser. C’était finalement très simple pour moi de me dissimuler en toi.

— Va-t’en.

— Tsubaki, je.

Elle se lève avec aplomb, coupe ses mots et lui répète.

— Va-t’en tout de suite !

L’imposteur, sans doute terrorisé par la voix de celle qu’il a longuement aimée, s’enfuit. J’essuie la sueur sur mon front et prononce avant de soupirer.

— C’est une histoire de dingue.

— Je n’arrive pas à y croire. Il est complètement taré dans sa tête.

— À quel point l’homme peut-il être irréfléchi ?

— Je ne sais pas, rit-elle.

Dissimuler son naturel, créer des scénarios dans son esprit est sans doute la stupidité ultime si la personne en face est quelqu’un de censé.



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