Fuku No Ikari
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Chapitre 25 – Keshi
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Dans cette sombre bibliothèque, Keshi Kotone, sans doute l’une des plus grandes harpistes de sa génération, me regarde d’un air terrifiant. J’ai l’impression que les livres qui m’entourent me fixent tous et attendent le moment propice pour rire de cette situation dramatique. Je prends mon courage avec les mains qu’il me reste et je lui répète avec angoisse.

— Ai Tsubaki.

La jeune fille s’assied, plonge son crâne dans sa paume et ferme ses paupières délicatement. Elle inspire, puis expire un grand coup et me demande.

— Tu as ce genre de relation avec Ai ?

— Je crois. Oui.

Le dernier mot que je prononce crée une bourrasque d’une violence phénoménale à ses oreilles. Ses cheveux flottent, puis ondulent. Keshi me regarde avec deux yeux globuleux, mais vides. Elle se lève, pose ses mains contre la table et s’écrie.

— Qu’est-ce que vous avez fait tous les deux ?

Je place mon index contre mes lèvres et la supplie.

— Fait moins de bruit, on est dans une bibliothèque s’il te plait.

Keshi s’assied de nouveau. Son parfum ne cesse de traverser mes narines et de me rappeler celui d’Ai Tsubaki, qui possède le même. Son visage semble détruit, son corps est mou, et son regard est attristé.

La falaise s’est écrasée sur sa personne.

— Depuis quand ?

— Hier, c’est tout récent.

Keshi ravale sa salive, fronce les sourcils et se masse le front avec deux doigts

— Depuis que je suis à l’école primaire, mes parents, mes amis et Ai ne cessaient de me dire que je devais être belle. « Possessions » « argent » « amour ». Ce sont des mots qui retentissent sans cesse au sein dans ma tête. Mais je n’en comprends pas le sens. Moi, ça me fatigue que tout le monde souhaite que je sois sur un piédestal. « Sois forte ». J’en ai assez d’entendre cette phrase. J’ai beau être inexpérimentée ou même incertaine. J’ai l’impression de ne plus être digne de mon destin. C’est comme s’il me manquait quelque chose, rien que parler pourrait arranger cette situation. Mais regarde ce que toi tu fais pendant que moi, je me démène pour que tu me remarques, ne serait-ce qu’une fois. Qu’est-ce qui t’a perturbé à ce point ?

La harpiste se ronge les ongles et continue.

— Malgré tes nombreux caprices, je ne t’ai jamais détesté ! Moi aussi je suivais le troupeau d’imbéciles qui t’insultait et j’ai été stupide ! Mais désormais, je ne peux rattraper les aiguilles du temps. Elles sont trop éloignées, elles ne sont plus à ma portée. Et pourtant, même si tu me disais de faire ceci ou cela, même si tu me demandais de t’aimer sans aucune raison. Mon innocence l’aurait faite. Les rapports de mes parents ont toujours été ingérables. Ma vision des relations est morose. Et malgré ça, je ne souhaitais qu’être avec toi.

Keshi serre son poing jusqu’à en craquer ses phalanges puis me regarde en fronçant les sourcils.

— Mais toi, combien de fois comptes-tu user de ces lourdes paroles que tu ne penses même pas ? Combien de fois comptes-tu mentir avec tes douces phrases et tes mots angéliques ? J’en ai assez de ces mots qu’emporte mon talon. N’oublie pas de faire attention si tu ne souhaites pas que la pluie tombe. Tu n’avais peut-être pas tort finalement, tu n’es pas humain. Tu chantonnes être conçu tel quel, mais qu’en est-il vraiment ? Et comprends-tu ce que je ressens ici, me demande-t-elle en empoignant sa poitrine. Quelle est cette histoire avec Ai ? Ça me rend confuse. Et pourquoi ne me réponds-tu pas ? Pourquoi restes-tu silencieux ? Je ne représente rien pour toi au point que tu préfères me laisser douter comme une idiote ? Dis-moi ce qu’est le plus important, que je puisse enfin être rassurée !

La jeune fille pointe les fenêtres et s’écrie.

— Regarde cette pluie sucrée. C’est mon état d’âme en ce moment même. La patience a vraiment été une erreur. Quand Ai m’a abandonné, j’ai fermé les paupières, j’ai souhaité changer et je me suis prise pour une adulte. Mais finalement, j’ai perdu des choses et n’ai pu revenir en arrière. Et maintenant, c’est encore quelqu’un qui va me mettre de côté, dit-elle d’une voix cassée.

Ses yeux scintillent puis une cascade assaille ses joues. Elle n’essaie même pas de les dissimuler.

— S’il te plait, ne tente pas d’interrompre la pluie. C’en est assez ! Mon habitude de lever le talon prendra fin, dit-elle en se relevant. Regarde, c’est orageux aujourd’hui. Ne devrais-je pas laisser mon parapluie ici et rentrer à la maison trempée ? Peut-être que ça éclaircira le ciel.

Keshi sort de la bibliothèque sans que je ne puisse prononcer le moindre mot.

Ses phrases m’assaillent et la falaise s’est écrasée sur ma personne.

Sans conviction, je feuillète le livre que j’ai emprunté et remarque un passage sur les feux d’artifice. Je me penche et lis le contenu.

— Cet évènement est l’une des activités les plus populaires chez les jeunes. Les stands, les jeux et les attractions vous permettront à vous et à votre compagnon de démarrer une réelle aventure !

Mais en ai-je envie ?

— Je dois sans doute te ressembler un petit peu, Keshi. Moi aussi, je suis confus, dis-je en décontractant mon corps contre le siège.

Je soupire et tente, au sein de mon imagination, d’agripper le fil rouge du destin qui se balance au-dessus de mon être. Lorsque j’y parviens, un éclair s’harmonise avec moi.

— Évidemment !

Je sors de la bibliothèque, m’adosse contre un rocher à quelques mètres et attrape mon téléphone.

— Allo, Ai ?

— Oui !

— Dis-moi, ça te plairait d’aller à un feu d’artifice après-demain ?

— Avec grand plaisir ! C’est génial que tu me proposes ça, en plus j’en ai vu que très peu dans ma vie.

— Moi aussi.

— Par contre, n’oublie pas. On a rendez-vous avec l’acteur qui m’a accompagné sur l’une de mes publicités.

— Oui. À quelle heure est-ce ?

— Demain, à seize heures au parc.

— Je l’ai noté, à plus tard !

Je soupire un grand coup et commence à composer le numéro de Keshi. Entre chaque chiffre, je laisse un temps mort, sans doute à cause de l’angoisse qui me ronge. Le silence me semble effrayant, mais il est surement moins violent que ce qu’a pu endurer Keshi ces dernières semaines.

— La messagerie ? Non Keshi ! C’est primordial que tu répondes, car sinon mon plan tombe à l’eau.

À l’eau, hein ?

La tristesse qu’elle éprouve n’est-elle pas si profonde qu’elle ne peut prendre la forme de larmes ?

J’essaie de nombreuses fois de la joindre, mais je n’ai pu connaître la réussite. Je regarde le ciel nuageux et commence à chantonner.

— Hé, je ne suis pas humain, vraiment je suis désolé. Mais je suis conçu pour y ressembler, alors on se trompe souvent.

| Bip |

J’attrape mon mobile et décroche avec hâte

— Tu as essayé de me joindre, me demande-t-elle d’une voix cassée.

— Oui ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

— J’étais fatigué, je viens de me réveiller.

Son mensonge est sans doute aussi imposant que la falaise qui s’est écroulée sur nos personnes.

— Je vois. Je souhaitais savoir si tu étais disponible après-demain.

— Je pense. Pourquoi ?

— Tu veux m’accompagner à un feu d’artifice ?

— Tu plaisantes, j’espère ?

Je ravale ma salive, serre mon poing droit et tente de la convaincre.

— Ne crois-tu pas qu’un feu d’artifice apaisera ces futilités ?

— Tu as l’audace d’appeler ça des « futilités » ? Te rends-tu compte des mots que tu prononces ?

— Excuse-moi, je suis excité à l’idée que tu puisses m’accompagner que ça complique ma réflexion et les phrases qui sortent de ma bouche sont sans doute stupides. Malgré tout, je souhaite réellement que tu sois à mes côtés sous cette nuit obscure durant laquelle les étoiles ne seront plus les seules à nous illuminer.

— C’est ton ultime chance, Fuku. On se voit après-demain. À plus.

Keshi raccroche sans que je ne puisse la remercier. Un sourire se forme sur mon visage grâce à ses dernières paroles. Je lève mon regard vers le ciel azur et médite.

Les couleurs de ce monde seront d’une beauté inimaginable.



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