Livre 4, Chapitre 17 – La conspiration de l’Ancien
Tout s’explique en un seul mot : conspiration !
La Vallée boisée était séparée du monde et adhérait aux lois de leur foi, loyale au Berger. Pendant mille ans, ils avaient contrôlé leur taux de natalité et protégé l’écologie de leur paradis, et à ce titre, les dons de leur dieu étaient éternels. Ils n’avaient jamais manqué de nourriture ou de confort et n’avaient subi aucun désastre. En conséquence, leur peuple n’avait jamais eu besoin d’apprendre l’art du combat car ils n’avaient jamais eu à se défendre. Cela les rendait faibles et vulnérables. Comme tout ce qu’ils pouvaient désirer était facilement disponible, le côté laid de l’humanité était enfermé. Les Valites étaient un peuple gentil et bon.
Et puis, il y a plusieurs années, tout a changé.
Tout a commencé quand le patriarche et la matriarche de leur tribu sont morts. Peu après, Brier s’est enfui, emportant l’artefact le plus précieux de son peuple.
La mort des chefs de leur tribu était inhabituelle, mais telle était la nature des membres de la tribu qu’ils n’y voyaient qu’une tragédie malheureuse. La trahison de Brier, bien que déplorable, n’était pas non plus la première fois. Il y avait eu d’autres cas dans l’histoire de la tribu où quelqu’un s’était lassé de vivre sous le joug du Berger et avait commis des péchés odieux. Plusieurs d’entre eux avaient trouvé leur propre moyen de s’échapper vers le monde extérieur.
Brier était un ancien, il n’était donc pas inhabituel qu’il ait le pouvoir de faire ce qu’il a fait. Les transfuges n’étaient pas non plus inconnus. Ce qui a rendu son péché particulièrement grave, c’est l’objet qu’il a emporté en partant.
Depuis sa disparition, la Vallée boisée a commencé à connaître des phénomènes étranges. Les plus effrayants étaient les apparitions de créatures comme celle-ci, des prédateurs mortels dans une terre jusqu’alors paisible. Les habitants de la vallée en étaient venus à les appeler des dragons.
Ils croyaient que ces monstres étaient une punition envoyée par leur dieu patron pour la perte de cet artefact. Les dragons se nourrissaient du fruit de l’ebonycrs et avaient un goût prononcé pour la cervelle et la moelle humaine. Leur force écrasante et leurs écailles impénétrables étaient trop grandes pour les armes primitives des Valites. Depuis leur arrivée, les dragons venaient chez eux tous les deux jours pour se nourrir.
Les Valites n’étaient pas des combattants. Ils ne pouvaient pas protéger leur village.
Ils ont payé leur prix dans la mort. Les dragons continuaient leur chasse mortelle sans entrave, se nourrissant de cervelle à leur guise. Face à la destruction imminente de sa tribu, Autumn avait pris les espoirs des Valites sur ses frêles épaules. Elle avait été envoyée dans le monde impitoyable avec une poignée de protecteurs courageux mais inefficaces.
Cependant, ce n’était qu’une partie de l’histoire. La réalité était un peu plus compliquée.
Tout était chargé d’intrigues. Ce n’était que maintenant qu’elle avait commencé à remonter à la surface, et l’origine de cette méchanceté était l’ancien de la tribu lui-même.
Ce fut un choc terrible pour Autumn quand elle apprit que le noble aîné qu’elle avait connu toute sa vie cachait un cœur si cupide. Elle n’aurait jamais cru que l’homme qu’elle respectait si profondément aurait pu commettre des actes aussi horribles.
Il avait assassiné ses parents.
Autumn aurait été la suivante.
Quand elle est née, la tribu avait appris qu’elle savait jouer de la flûte et avait accordé une grande importance à la fille. Cependant, l’aîné envisageait un avenir différent pour son peuple. Il connaissait la valeur des ebonycrs dans le monde extérieur et voulait l’utiliser pour rendre son peuple riche et fort. Il ne permettrait pas à la vieille garde de tenir en otage le progrès de leur tribu plus longtemps.
Et puis, Brier vola l’artefact quand il quitta le Vale. Il l’a fait uniquement pour protéger Autumn, car sans la flûte, elle n’était plus un danger pour l’aîné. Il ne ressentirait plus le besoin de s’occuper d’elle, du moins pas tout de suite. Elle pourrait même lui être utile à l’avenir.
C’est à ce moment-là que les dragons sont apparus. L’ancien ne savait pas pourquoi, seulement que leur arrivée avait plongé sa tribu dans le chaos et l’avait terrorisée.
Son but était simple : ouvrir la Vallée boisée au monde !
La cachette de la Vallée n’était pas parfaite. De temps en temps, des failles apparaissaient, de petites poches qui permettaient à ceux qui cherchaient à fuir le Vale de le faire. Mais pour les exploiter, il fallait être au bon endroit au bon moment. Brier et ceux qui le précédaient savaient comment s’y prendre.
Mais ces lacunes dans la protection ne pouvaient être contrôlées. Le seul moyen pour l’Ancien d’ouvrir complètement la Vallée boisée sur l’extérieur était d’ouvrir le passage de pierre. Cependant, un tel acte était contraire à la volonté du dieu berger. Les prophéties annonçaient qu’une fois la porte ouverte, une ère de chaos serait invitée dans leur royaume.
Personne d’autre que les anciens n’avait le droit d’ouvrir les portes. Même s’ils le voulaient, ils ne pouvaient le faire qu’avec l’approbation de toute la tribu. Malgré toute la noblesse du chef des anciens et ses paroles persuasives, il n’avait pas réussi à convaincre la tribu de suivre son plan.
La menace d’extinction des dragons était juste ce dont il avait besoin pour galvaniser le peuple derrière lui. Sans aucun moyen de se protéger, ils devaient se tourner vers le monde extérieur.
C’est là que la chance d’Autumn lui est venue en aide.
Sous couvert de l’envoyer récupérer la flûte, l’ancien avait en fait prévu de la faire assassiner. Une fois la porte ouverte, Autumn ne serait plus d’aucune utilité, et comme la tuer dans le Vale serait trop suspect, il s’était arrangé pour que cela se passe dans le désert.
Mais le destin avait conspiré pour lui sauver la vie, et avant que les hommes de l’aîné ne puissent passer à l’acte, une tempête de sable les avait dispersés à travers le désert. Quand avaient-ils connu un tel phénomène naturel ? Beaucoup sont morts, étouffés par les sables. Les autres n’avaient jamais été revus.
Autumn erra sans but jusqu’à ce qu’elle arrive à Sandbar Station et tombe sur la boutique de Cloudhawk. Il connaissait l’histoire depuis ce moment-là.
« C’est le dragon dont tu parlais ? »
Cloudhawk donna un coup de pied dans le crâne vide de la bête.
« À ton avis ? Si ce n’est pas ça, alors quoi ? » Autumn le réprimanda. « Oui, bien sûr ! »
Cloudhawk souriait, mais en même temps, il sentait qu’il y avait quelque chose d’étrange. « C’est une chose désagréable, mais pas inarrêtable. Ce vieil ivrogne s’en est occupé assez facilement, alors pourquoi le problème n’a-t-il pas encore été résolu ? »
Le vieil homme déboucha une carafe d’alcool et en prit une gorgée, pour découvrir que son contenu était sec depuis longtemps. Il en huma longuement l’odeur avant de replacer le bouchon avec une grimace amère. « En comptant celui-ci, j’ai abattu huit de ces bêtes. Gabby en a tué deux. Barb s’est occupée d’une autre elle-même. Donc onze au total. »
« Onze ? » répondit Cloudhawk. « Vous êtes en train de me dire qu’il y a plus de ces choses ? Combien ? »
Le vieux combattant secoua la tête. « Je n’en suis pas sûr. Une estimation prudente… Je dirais jusqu’à cinq cents. »
Ces mots firent apparaître une expression sombre sur le visage d’Autumn. Les autres soupiraient avec découragement.
Cloudhawk faillit vomir. « Tu exagères, n’est-ce pas ? S’il y avait 500 de ces choses, toute ta tribu serait déjà morte. Merde, s’ils sont cinq cents, pourquoi s’embêter à trouver de l’aide extérieure ? Il suffit de ramasser et de bouger. Cet endroit leur appartient maintenant. Tu peux peut-être garder certains des tiens en vie. »
Cloudhawk venait d’apprendre à quel point une seule de ces choses était forte.
Ils étaient résistants aux attaques énergétiques des reliques. Le feu, la glace, la foudre, la corrosion, même la malédiction de pierre du Basilisk – il serait difficile d’infliger des dégâts durables avec une attaque de ce genre. La force brute était le meilleur moyen d’y faire face.
Cloudhawk pensait que, aussi fort qu’il était maintenant, il pouvait probablement s’occuper de trois dragons à la fois. Plus que ça et les choses deviendraient très dangereuses pour lui. Le vieil homme disait qu’ils étaient peut-être cinq cents. Comment étaient-ils censés s’en occuper ? !
Autumn fut immédiatement irrité par la réponse paniquée de Cloudhawk. « Au début, il n’y avait qu’une seule de ces créatures qui menaçait la tribu. Une fois que je suis revenu avec la flûte, notre aîné a montré son vrai visage. Heureusement, il a sous-estimé la force de l’oncle, de Gabriel et de Barb. Nous avons pu nous échapper sains et saufs. Depuis ce temps, les dragons sont devenus plus audacieux et plus nombreux. Je pense que 500 est une estimation basse. »
Cloudhawk la dévisagea ouvertement, ne sachant que répondre.
L’ivrogne fit claquer sa langue et poursuivit : « Tout ce qui est inférieur à la moitié des Templiers de Skycloud serait probablement anéanti s’ils essayaient de s’attaquer à ces choses. »
Aw , merde !
Cloudhawk savait que la Vallée boisée ne serait pas facile à conquérir, mais c’était ridicule. Il avait presque envie de se tirer d’ici tout de suite.
« Attends, ces choses sont des animaux, non ? Si ce sont des animaux, pourquoi tu n’utilises pas la flûte ? »
« Si c’était si facile, on n’aurait pas besoin de t’appeler ! » Autumn poussa un long soupir, la frustration se lisant sur son visage. « J’ai longtemps essayé de les contrôler avec la flûte mais j’ai découvert qu’une volonté unificatrice les protège de moi. Tant que je suis bloquée, la flûte est inutile. »
« Vous pensez que c’est l’aîné qui les contrôle ? » demanda-t-il.
« C’est possible. » Autumn n’en était pas sûr, mais la simple pensée de l’Ancien lui faisait froncer les sourcils et grincer des dents. « Si c’est lui, alors comment fait-il ? Et si ce n’est pas lui, alors il doit y avoir un autre pouvoir que nous ne connaissons pas qui manipule les dragons. »
« Eh bien, au moins, nous pouvons être sûrs que cela a quelque chose à voir avec l’ancien. » Cloudhawk cherchait à tâtons un endroit où commencer à chercher. « Où est l’ancien ? Puisqu’il semble que s’occuper des dragons soit plus que ce que nous pouvons gérer pour le moment, notre meilleure chance est de nous occuper de lui. »
« Beaucoup de choses ont changé récemment », expliqua Barb. « C’est trop pour que nous puissions nous en occuper seuls. C’est pourquoi nous avons fait appel à vous. »
Autumn acquiesça. Elle n’aurait pas accepté de demander de l’aide à cette crapule s’il y avait eu une autre option.
Quant à Cloudhawk, s’il avait su très tôt les intentions de la méchante fille, il aurait refusé avec toutes les vilaines malédictions dont il était capable. Pourquoi risquer d’être envahi par des lézards géants mangeurs de cerveau alors qu’il pouvait simplement s’en aller ?
Il alla droit au but. « Qu’est-ce qui a changé ? »
« Une fois que l’enchantement protégeant la Vallée boisée a été surmonté, l’aîné a commencé à mettre son plan à exécution », expliqua Autumn. « Il a discrètement cultivé une relation avec des étrangers. Cette faction étrangère avait récemment été invitée dans le village avec de nombreux combattants forts parmi eux. Nous n’avons pas eu l’occasion de nous en approcher. »
Barb poursuivit : « Votre Excellence connaît très bien cette faction. En fait, je suis sûr que vous connaissez très bien leur représentant. »
« Qui est-ce ? »
« Adder. » Gabriel fut le seul à répondre à sa question.
Le Conclave de la Justice ! Bien sûr que c’est eux !
Adder était déjà en contact avec l’ancien du Vale ?
La Vallée boisée changeait la donne, elle avait assez de pouvoir pour changer radicalement le paysage des terres désolées. Tout le monde voulait la revendiquer, et en l’état actuel des choses, il semblait impossible qu’une seule puissance y parvienne.
L’aîné était un homme ambitieux qui ne voulait pas passer le reste de ses années à dépérir dans cette petite vallée. Il était peu probable qu’il se soumette à une règle extérieure, mais les circonstances étant ce qu’elles étaient, il devait choisir entre Skycloud et le Conclave.
Évidemment, le Conclave était son option préférée. Par rapport aux tendances impérialistes de Skycloud, les forces du Conclave lui convenaient mieux.
Adder était un homme rusé et dangereux. S’il était là à baratiner l’aîné, cela signifiait que les temps étaient durs pour le corps expéditionnaire de Skycloud. Il se souvint des scènes de dévastation et de désastre qui avaient tué tant d’innocents à Skycloud, ainsi que de l’image de la pierre tombale de la mère de Hammont. Un sentiment qu’il n’avait jamais eu auparavant brûlait au plus profond de son cœur.
« Nous ne laisserons pas Adder s’en tirer cette fois-ci. Quoi qu’il arrive, je ne le permettrai pas. »
Cloudhawk fit sa promesse solennelle.
Pour l’instant, le Conclave n’était qu’une vague alliance, rien de plus qu’une coopérative de renégats de Skycloud, d’habitants des friches et de monstres des Barrens du Nord. Ils ne pouvaient pas faire face à toute la puissance du général Skye. Mais s’ils avaient le Vale… ça changerait définitivement les choses.