Livre 3, Chapitre 74 – Araignée à trois yeux
Lorsque Cloudhawk se réveilla, il se trouva allongé sur une sorte de table d’opération. Les lumières environnantes étaient si intenses qu’il avait du mal à ouvrir les yeux. Le couinement nerveux d’Oddball attira son attention, cependant. Il était à proximité, dans une cage faite d’un matériau inconnu, trop solide pour que l’oiseau puisse s’en libérer.
La pièce était remplie d’hommes en blouse blanche immaculée, ainsi que de quelques visages familiers. Vulture et Greenscale, ainsi qu’une poignée d’autres soldats, se trouvaient juste au-delà de la périphérie des lumières. Ils doivent être là pour m’arrêter si je tente de m’échapper, pensa-t-il.
Il n’avait jamais pensé qu’il se ferait prendre.
Toutes ses affaires avaient disparu, même la modeste pierre qu’il gardait autour de son cou. La pierre de phase était la chose la plus précieuse qu’il possédait, et pour la première fois depuis qu’il l’avait obtenue, elle n’était pas à sa portée. Ce seul fait le mettait intensément mal à l’aise.
Mais, le pouls. Il sentait toujours le pouls. La pierre était proche.
Quand sa vision fut adaptée à la lumière, il tourna la tête vers la résonance de la pierre. Il aperçut l’un des scientifiques, probablement le plus haut gradé de la pièce, debout au-dessus d’une pile d’objets. C’était un homme intéressant qui était vraiment hideux en apparence. Le plus remarquable était un œil fermé au centre de ses sourcils. Les cheveux gris ébouriffés sur sa tête dépassaient dans toutes les directions comme une forêt flétrie. Ses mains noueuses examinaient ses affaires, plus précisément la pierre de phase.
Cloudhawk cria d’irritation : « Qu’est-ce que vous faites ? »
« Cet homme a tué des membres importants de notre groupe ! » Vulture fut surpris de trouver Cloudhawk déjà réveillé. Il parlait au scientifique à trois yeux. « On devrait juste lui trancher la gorge et en finir avec lui ! »
Le vieil homme agita dédaigneusement la main. Ne voyant aucun moyen de manipuler la pierre dans sa main, il la jeta dans une boîte en fer et l’oublia. C’est alors que le troisième œil sur son front s’ouvrit et concentra son regard vibrant sur Cloudhawk.
Soudain, le gardien sut comment il avait été attrapé. L’œil du vieil homme était spécial. Il le sentait. Il n’avait jamais vu quelqu’un avec une mutation comme celle-ci, capable de voir à travers des choses comme sa cape d’invisibilité.
Bien sûr, Dark Atom avait des maîtres cachés. Ce scientifique à trois yeux n’avait pas participé à l’attaque de la Vallée des enfers, il était donc resté inconnu. Il travaillait manifestement avec l’organisation terroriste depuis des années, mais rien dans les souvenirs de Cloudhawk ne suggérait son existence. Il était sans nom. En revanche, Skycloud avait pas mal d’informations sur Wolfblade. S’il n’était qu’un chercheur quelconque, ce serait une chose, mais il était évident que c’était quelqu’un d’important.
Vulture était un membre respecté et de haut rang de Dark Atom, et même lui s’en remettait au scientifique. Le vieil homme devait être aussi important pour la cause que Wolfblade, ou presque.
Il lutta contre ses liens pendant un moment, en vain. Quand il se calma, il essaya de parler à nouveau. « Qui êtes-vous ? »
Le scientifique aux trois yeux était calme et offrait sa réponse sans détour. « Je suis le scientifique principal de Dark Atom, Araignée à trois yeux. »
En tant qu’organisation de chercheurs, les scientifiques étaient des membres respectés de Dark Atom. Ce type, Araignée à trois yeux, prétendait être un scientifique en chef, ce qui signifiait que même Wolfblade devait le traiter avec respect.
Dark Atom était une organisation plusieurs fois plus grande et plus forte que Blackwater. Il était sûr de supposer que ce vieux type était tout aussi capable que l’Académicien l’avait été – peut-être plus. Il se souvenait toujours de quelque chose que Hellflower lui avait dit un jour, que s’il y avait quelqu’un dans les terres désolées qui pouvait l’aider à découvrir la vérité sur Trespasser, ce serait Dark Atom.
C’était exactement la raison pour laquelle il avait fait tout ce chemin jusqu’ici.
« Écoutez, tout ça est une erreur. »
« Une erreur ? Oh oui, en effet. » Le visage hideux du vieil homme se transforma en grognement. Sa voix était étrange, presque chantante, comme celle d’un mauvais chanteur d’opéra. « Vous avez détruit mon plus important sujet de test. Ce spécimen avait un millier d’années. Savez-vous combien de temps et d’efforts ont été dépensés pour lui ? ! Vous avez certainement fait une erreur. »
Un spécimen vieux de mille ans… ? Magmesa !
Donc, Dark Atom avait utilisé une sorte d’équipement ou de technique pour que cette chose géante garde leur porte de derrière, hein ? Cette satanée chose était facilement capable de mettre en pièces un chasseur de démons vétéran, alors il l’avait cru quand le vieil homme avait dit que cela représentait beaucoup d’efforts.
La destruction de Magmesa était certainement une perte majeure pour Dark Atom, mais c’était particulièrement insultant pour le scientifique à trois yeux. Une erreur ? C’était personnel !
Il s’empressa d’essayer d’expliquer. « C’était juste un monstre, non ? Je trouverai un moyen de me faire pardonner. Je te rembourserai. »
Le visage du vieil homme continuait de s’assombrir, mais un sourire sinistre peignait toujours son visage. « Avez-vous la moindre idée de la valeur de cette créature ? Elle était immortelle – une bête qui pouvait vivre éternellement, tout comme les dieux. Son système nerveux était une combinaison spéciale d’annulaire et de dendritique – absolument singulier et irremplaçable ! Dans son corps se trouvait le secret de la vie éternelle – un secret que vous avez effacé ! Sa valeur était incalculable ! »
La plupart des créatures du monde avaient un système nerveux dendritique, dans lequel leurs cellules nerveuses se déployaient comme des branches et communiquaient par des dendrites avec les nerfs qui l’entouraient. Tout cela reposait sur un point central. Par exemple, le cerveau. Si ce point central était détruit, alors la créature mourrait. Magmesa était unique parce que son système nerveux était itératif. Sa structure nerveuse en forme d’anneau était conçue de telle sorte qu’elle n’avait pas de point central. Si la structure primaire était endommagée, une autre prenait sa place, rendant le monstre effectivement immortel. Comme de nouvelles cellules remplaçaient continuellement les anciennes, une créature comme Magmesa ne vieillissait jamais vraiment et pouvait, en théorie, vivre éternellement.
Il n’y avait pas non plus de distinction de sexe. Les bêtes de ce type étaient souvent limitées dans la progéniture qu’elles pouvaient produire, mais elles pouvaient théoriquement vivre éternellement tout en continuant à se renforcer.
En le jetant dans la lave, Cloudhawk avait complètement détruit toute trace de son système nerveux et s’était assuré qu’il ne reviendrait pas. Magmesa et tout ce qu’il promettait était mort.
Les petits insectes qu’il avait libérés influenceront ces montagnes pour des générations à venir, mais aucun d’entre eux n’était un sujet scientifique aussi précieux que leur mère. Ce n’était pas comme si les chercheurs pouvaient attendre un millier d’années pour qu’ils arrivent à maturité.
Il ne savait rien de tout ça, bien sûr. Mais il était clair qu’en tuant Magmesa, il n’avait aucune chance de s’attirer les faveurs de ces scientifiques.
Vulture et les autres observaient depuis les environs avec des sourires meurtriers sur le visage.
Araignée à trois yeux, dans sa quête d’immortalité, avait passé plus de vingt ans à faire des recherches sur Magmesa. Il avait détruit ses espoirs à lui tout seul. Comment pouvait-il pardonner à ce salaud ? Il ne connaissait pas l’étendue des techniques du scientifique, mais il allait l’apprendre à ses dépens. D’ici peu, le garçon suppliera de mourir.
Il était allongé sur la table, abasourdi par la situation dans laquelle il se trouvait. Il avait fait tout ce chemin jusqu’à ces putains de montagnes pour leur demander de l’aide. Au lieu de cela, il s’était retrouvé à tuer un insecte millénaire et à faire chier le seul vieil homme qui pouvait l’aider à résoudre son problème.
« Hé, hé, hé. Attendez une minute. Ce n’est pas comme si la chose avait votre nom sur son front. Comment j’étais censé savoir quelque chose ? J’ai dit que je trouverai un moyen de me rattraper, mais me tuer ne vous apportera rien. » Cloudhawk cherchait à tâtons n’importe quoi pour gagner ses faveurs. « J’ai des Ebonycrs ! Je peux vous donner tous les Ebonycrs que vous voulez. »
« Qu’est-ce que je suis censé faire avec ça ? Le Nucleus a l’énergie éternelle fournie par ces volcans pour le maintenir en vie. Pensez-vous qu’il a besoin de ces roches insignifiantes ? » L’inquiétant troisième œil du scientifique continuait à évaluer Cloudhawk. Un rire sinistre s’éleva de sa gorge ridée. « De plus, j’ai déjà trouvé un moyen pour que tu me rembourses. Le virus Trespasser dans ton corps est le même que celui sur lequel Roste a travaillé toute sa vie. Ton propre corps sera un remplacement pour celui que tu as détruit. »
Il pâlit. « Que vas-tu faire ? »
Une lueur fervente brilla dans les yeux de Araignée à trois yeux. « Roste, ce vieux fou, était un talent rare. Quand il s’agissait de manipulation biologique, je ne pouvais même pas m’en approcher. Il a réussi dans son grand espoir, celui de créer le corps parfait qui résisterait à toute menace. Le feu, l’eau, l’électricité, la maladie – le virus rend presque tous les dangers sans importance. Je suis sûr que les secrets de ses découvertes sont enfermés dans ton sang, tout comme les secrets de la vie éternelle. La mort est le plus grand fléau de l’humanité. Une fois que j’aurai découvert le moyen de nous libérer de la malédiction d’une durée de vie tronquée, nous prendrons enfin notre place en tant que maîtres de la planète ! »
Ce vieux salaud allait le transformer en cobaye ? Il était fou ! Et obsédé par la vie éternelle tout comme l’Académicien.
Araignée à trois yeux semblait s’être lassée des discours. Il fit signe aux assistants de part et d’autre de la table, qui se rendirent dans une armoire et revinrent avec des seringues. En les voyant arriver, Cloudhawk blanchit. Il ne savait pas ce qu’ils préparaient, mais quoi que ce soit, ça ne pouvait pas être bon. Il ne prit donc pas la peine de demander.
Cependant, le scientifique lui dit quand même.
« Votre corps a jusqu’à présent limité l’efficacité du virus. Mais, peu importe. Je vais galvaniser Trespasser de sorte que dans moins d’une demi-journée, la mutation sera complète. Très bientôt, tu finiras ta transformation et tu deviendras l’entité biologique la plus parfaite du monde ! Même ces rock-heads dehors pâliront en comparaison de ce que ton corps pourra supporter ! Tu es excité ? ! »
Cloudhawk choisit la réponse raisonnable. « J’ai hâte de baiser ta mère, espèce de psychopathe ! »
Il était venu ici pour arrêter Trespasser, et là, ce connard essayait d’empirer les choses ! Les scientifiques se penchèrent sur lui pour amener les seringues vers sa peau quand soudain, une voix enchanteresse appela depuis l’embrasure de la porte. « Arrête-toi là où tu es. »
Araignée à trois yeux ne s’était même pas retournée, bien que son visage se soit instantanément raidi. Il fit signe aux autres de continuer. « Ne faites pas attention à elle ! Obéissez ! »
Bang-bang ! Le son de deux coups de feu explosa dans la pièce !
Dans un espace aussi restreint, le son était assourdissant, plus fort que n’importe quelle arme connue de Cloudhawk. Mais quelle sorte d’arme était-ce ? Les balles frappèrent avec plus de force qu’un canon, et le haut des corps des assistants de Araignée à Trois Yeux éclata dans une pluie de sang. Leurs restes peignaient les murs.
Araignée à trois yeux bondit pratiquement hors de sa peau. « T-tu es folle ! Qu’est-ce que tu crois faire ?! »
Une grande silhouette aux courbes harmonieuses entra dans la pièce. Ses jambes étaient longues et galbées, et se terminaient par un derrière effronté. Ses cheveux, d’un gris argenté rarement vu, pendaient dans le bas de son dos. Un charme mature et érudit rendait ses traits encore plus séduisants. Sur le dessus de sa tête était perchée une paire de lunettes de sécurité.
Derrière elle se tenait un homme drapé dans une cape noire. La lumière se glissait juste assez pour faire ressortir son corps métallique.
Hellflower pinça ses lèvres pulpeuses et souffla la fumée qui s’échappait des canons de ses armes. Elle les rangea à sa taille avec une grâce exercée. Ne faisant pas attention à l’expression de Cloudhawk, elle regarda le scientifique en chef et alla droit au but. « Je le prends. »
La tête du vieil homme semblait sur le point d’exploser. « C’est absolument, sans équivoque, hors de question ! »
Hellflower répondit avec un petit rire guttural, « Ce n’est pas à toi de décider. C’est un étranger qui a trouvé son chemin dans Nucleus. Pour la sécurité de notre organisation, nous devons l’interroger et découvrir ce qu’il sait. C’est un ordre direct de Wolfblade. »
« Wolfblade ! Wolfblade ! » Le vieil homme tremblait comme un volcan prêt à entrer en éruption. Il trébuchait sur ses mots, bafouillant avec indignation avant de réussir à en enchaîner quelques-uns. « Tôt ou tard, le Nucleus trouvera la mort entre vos mains ineptes ! Tu m’entends ? ! Votre ignorance sera notre perte ! »
« Quand le nid tombe, tous les œufs partent avec. Si Nucleus meurt, ne pense pas que tu t’en sortiras mieux. Maintenant, arrête de déconner et livre l’homme. »
Hellflower se tenait debout avec ses mains reposant librement sur les poignées de ses armes. L’énorme homme de métal derrière elle avança d’un pas lourd, et les hommes qui se trouvaient sur son chemin s’écartèrent instinctivement de son chemin. Il n’y a pas si longtemps, le golem était l’assistant personnel de Wolfblade, mais dernièrement, il était venu servir cette salope folle. Elle était assez mortelle par elle-même, et maintenant qu’elle parlait avec l’autorité du commandement de Wolfblade, qui oserait essayer de l’arrêter ?
Les liens de Cloudhawk furent défaits.
« Mon oiseau. Et mes affaires. »
« Relax, personne ne veut de tes déchets. »
Cloudhawk s’assura de faire bonne figure en replaçant sa cape, en remettant la pierre de phase autour de son cou, et en sortant Oddball de la cage. Il se pavana hors de la pièce dans le sillage de Hellflower.
« Fils de pute ! Bâtard ! »
La colère du vieil homme finit par exploser, et il jeta ses bras sur une table voisine, éparpillant son contenu. Cette femme l’avait complètement émasculé devant son propre personnel !
Vulture et Greenscale restaient là, se jetant un regard silencieux et soupirant. Finalement, Vulture se rapprocha. « Peu importe. Tout compte fait… »
« Peu importe ?! C’est tout ce que tu as à me dire ? ! Es-tu aveugle ou juste ignorant ? » Araignée à trois yeux se retourna pour leur faire face. « Wolfblade n’est pas lui-même. »
Quand il l’avait dit, les autres avaient tous partagé des regards silencieux. L’expression de Vulture était particulièrement sombre.
Il avait été l’un des favoris de Wolfblade et connaissait bien son chef. C’était vrai. Il avait changé. Il était comme un homme différent.
Araignée à trois yeux continua sa diatribe. « Depuis que cette folle est arrivée, rien ne va plus ! »