Nefolwyrth
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Chapitre 15­ – Plus fort que la mort
Chapitre 14 – La présence de ceux qui manquent Menu Chapitre 16 – Le temple de la solitude

 

Le tonnerre grondait et les nuages devaient être si denses que l’on peinait à croire qu’il s’agissait d’une nuit de pleine lune.

Les portes de l’entrée du manoir des Gedulas s’ouvrit en un grincement.

Ellébore, qui avait eu le temps de se changer, sortit la première. Je la suivais de près.

Après quelques pas en direction du cimetière, nous l’avions déjà retrouvé.

Notre hôte était agenouillé devant une tombe, et semblait parler seul. Il n’avait plus grand chose à voir avec l’homme souriant qui nous avait accueilli. Nous étions sur nos gardes.

Ellébore déglutit face à cette macabre vision.

Monsieur Gedulas savait que nous étions juste à quelques mètres de son dos, et il ne prit pas la peine de se retourner.

Semion : « Alors, c’est ainsi. »

Il se leva, sans s’arrêter de fixer la pierre tombale face à lui. Sa voix était posée. Son calme avait quelque chose de perturbant.

Semion : « J’ai pourtant tenté de vous en dissuader. Mais bien sûr, les gens comme toi n’écoutent pas, ils ne pensent qu’à alléger leur peine. Je peux le sentir, tu convoites la pierre. »

Je grimaçais. Je n’étais pas sûr de pouvoir affirmer le contraire, peu importe à quel point je me faisais violence.

Semion : « Les gens comme toi ne reculent devant rien pour se débarrasser de ce fardeau, quitte à l’infliger aux autres. Si je vous laisse partir, vous reviendrez la chercher. C’est seulement pour cette raison…que vous n’irez plus nulle part. »

Bien que ça me navrait, je savais d’instinct qu’il me fallait dégainer Caresse. Il n’était pas prêt à écouter. Ellébore tenta malgré tout de lui parler. Elle ne pouvait pas accepter que notre hôte devienne un ennemi.

Ellébore : « Nous n’y allons pas pour ça, monsieur Semion ! Nous allons porter secours à ceux qui s’y sont aventurés ! »

Semion : « Non… Peut-être que tu ne le réalises pas, mais ton ami s’est laissé envoûter par la pierre. S’il prétend le contraire, il n’est qu’un menteur. »

Je baissai les yeux, presque honteux. Je n’avais pourtant pas considéré sérieusement l’utiliser. Mais peut-être qu’encore une fois, je me mentais à moi-même.

Ellébore : « Lucéard n’a pas menti ! Je sais qu’il ne se laissera pas abuser par ce qu’on raconte sur la pierre ! »

Je tournais la tête vers Ellébore, stupéfait de sa réaction. Elle n’avait pas hésité un seul instant à prendre ma défense.

Semion : « Tu me déçois beaucoup… Tu comprends pourtant bien que je ne peux laisser aucun de vous deux repartir. »

Il attrapa son propre visage, comme s’il souffrait.

Semion : « Tant pis, vos vies vont me servir à la ramener… ! »

Il se tourna dans notre direction, ses bras s’embrasèrent d’un pourpre profond. Les flammes qui émanaient de lui semblaient venir de l’au-delà et plongèrent le cimetière entier dans une atmosphère infernale.

Lucéard : « C’est quoi ça, encore… ? »

Je ressentis une secousse presque imperceptible. Un bras surgit de la terre et se cramponna au sol comme pour tenter de hisser le reste de son corps à sa seule force. D’autres membres s’exhumèrent d’eux-mêmes tout autour du manoir.

Ellébore : « Oh pitié… Tout sauf ça… »

Lucéard : « Eh, c’est ma réplique. »

La jeune fille se rapprocha de moi, presque sanglotante. Le moment que je redoutais était déjà là. Cette fois-ci, je devais la protéger.

Certains de ces morts-vivants portaient des armes qu’ils devaient garder avec eux dans leur ultime demeure. Ils nous fixaient.

Semion : « Attrapez-les. »

Celui qui dictait ces ordres avait véritablement la carrure pour mener une telle armée. La froideur dans sa voix et son regard étaient sublimés par les reflets violets du feu qui semblait consumer ses poignets.

Les râles des revenants étaient tout aussi angoissants. Je m’empressai de leur trancher les membres. J’avais déjà connu une situation similaire.

Ils sont relativement faibles, mais si je les laisse s’agglutiner autour de nous, nous ne pourrons plus rien faire. Je dois absolument être sur l’offensive si je veux qu’Ellébore reste saine et sauve. Même si j’aurai préféré ne pas avoir à m’en prendre à ces pauvres gens.

Ellébore : « Vous êtes nécromancien… ? »

Chagrinée par cette scène déchirante, Ellébore s’exprimait la gorge nouée. Elle s’était rendue compte que j’aurai pu tenter de m’en prendre à Semion dès le début, pour mettre aussitôt fin au combat.

Semion : « C’est exact. Mais rassure-toi, je ne prends que la vie de ceux qui tentent de pénétrer dans le temple. Et avec votre énergie vitale, je pourrais rendre la vie à ma femme. Après tout, ce n’est que justice. C’est à cause de vous qu’elle est morte ! »

Quand il perdit son sang-froid, ses flammes s’embrasèrent plus fort encore. Les marionnettes de chair que je combattais devenaient de plus en plus robustes. L’impression que j’avais de pourfendre de la viande en décomposition me répugnait, mais quelque chose clochait.

Au sol, il n’y avait que des squelettes démembrés. Après m’être montré plus observateur, j’aperçus l’un de ces morts-vivants redevenir un simple tas d’os. Cette apparence qu’ils avaient tant qu’ils étaient animés était factice. Cela devait être dû à la magie de mon adversaire.

Lucéard : « Je n’affronte encore une fois que des squelettes, il semblerait. »

Semion : « Ils sont bien plus que ça. Ce sont les corps des valeureux guerriers qui ont affronté les créatures damnées qui ont élu domicile dans ce satané temple. »

Un revenant avec une hache avait pris pour cible Ellébore. Celle-ci peinait à sortir sa dague. Elle n’était pas prête à brandir une arme.

Lucéard : « Ellébore, recule ! »

Je la rejoins aussi vite que je ne le pus. Je me rendais compte que de m’être éloigné d’elle était imprudent. Plus puissant que ses congénères, le guerrier disparu asséna un coup que je tentai de parer. Cette position en fin de course ne me permettait pas d’avoir l’équilibre nécessaire pour encaisser le choc, et je me retrouvai projeté au sol.

L’aberration n’avait pas de conscience et n’eut pas à hésiter quand il put me donner le coup de grâce.

Ellébore : « Lucéard ! »

La demoiselle tenta désespérément de me porter secours, bien qu’elle n’avait aucune chance de réussite. Semion nous observait, imperturbable, jusqu’à ce que ses flammes ne s’amenuisent. Il n’y avait plus qu’une aura incandescente sur sa peau. Le veuf paraissait surpris.

Semion : « M-meila ? »

Tous les morts s’étaient stoppés.

La jeune fille était entre le guerrier et moi.

Mon amie m’aidait à me relever, nous ne parvenions pas à détourner les yeux de cette scène.

Semion : « Qu-que fais-tu ici ? Tu devrais dormir. »

Meila : « … »

La fillette avançait, sans un mot, sans expression.

Semion : « J-je fais ça pour maman, tu sais ? Si je réussis, on pourra vivre tous les trois comme avant, ça ne serait pas parfait, Meila ? »

Il tendait les bras pour accueillir son enfant. Semion était plus tourmenté que jamais.

Lucéard : « C’est impossible de ramener les morts… »

Je souffrais plus d’entendre mes mots que quiconque, mais je poursuivis.

Lucéard : « Si ce pouvoir existait, cela ferait longtemps qu’on le saurait, après tout. Le seul pouvoir qu’il vous faut, c’est d’accepter. »

Semion : « Je ne veux rien entendre de quelqu’un qui s’est laissé envoûté par la pierre !! J’ai promis à ma fille que j’obtiendrai ce pouvoir ! »

Obsédé par ses plus noirs désirs, la folie prenait forme sur ses traits.

Ellébore baissait la tête, peinée.

Ellébore : « J’ai entendu parler d’une tragédie qui avait eu lieu dans ce comté. Une attaque de monstres en plein jour dans un village. Tous les guerriers avaient été décimés, et bien qu’ils aient repoussé les créatures, la moitié des habitants avaient déjà été tués. C’était à Absenoldeb, n’est-ce pas ? Et votre femme… ? »

Semion : « Ma femme était la gardienne du temple. »

Écœuré de se souvenir de ce jour tragique, la voix de Semion faiblit.

Semion : « Elle accompagnait chaque jour des personnes endeuillées jusqu’à la pierre. Ce rite était vraiment difficile à voir, mais Kotrina faisait tout ce qu’elle pouvait pour que nos invités trouvent la paix. Tous les sentiments terribles qui s’accumulaient dans ce temple finirent par attirer de mauvais esprits, des monstres en tout genre. Nous n’en avions pas vraiment conscience. Ils se cachaient. Et quand ils furent assez forts et nombreux, ils profitèrent d’un jour d’orage pour sortir au grand air et détruire notre village. Évidemment, ma femme fut leur toute première victime. Sa mort n’a pu permettre qu’à certains de fuir. Ce jour-là… J’étais totalement impuissant. »

Je baissai mon arme vers le sol, et me plongeais moi-même dans mes souvenirs les plus douloureux.

Semion : « Voilà pourquoi j’ai fait cette promesse à ma fille. Voilà pourquoi je suis devenu le nécromancien que je suis aujourd’hui. Voilà pourquoi je vous déteste tous. Voilà pourquoi je vous ferai payer, vous qui apportez le malheur sur le village qui m’a accepté ! Quitte à ce que vous mourriez, autant que votre désespoir n’alimente pas les ténèbres de ce temple ! »

Une porte claqua à l’arrière du manoir.

Un homme particulièrement imposant venait de faire son entrée. Il portait une claymore avec une aisance inquiétante. Son corps était marqué par les cicatrices de son vivant.

Maintenant que les flammes pourpres étaient de retour, je pouvais voir le regard injecté de sang que me lançait Semion.

Semion : « Gearan Grèim, le sauveur du village. L’homme qui est resté se battre jusqu’au bout, qui a refusé de mourir avant que le village soit débarrassé des monstres. L’homme qui, quelque jours plus tard, a été emporté par les blessures et le chagrin. Ma création la plus parfaite. Et bientôt, grâce à vos vies, je pourrais réussir le plus grand des miracles ! »

Les autres revenants rentrèrent dans leurs tombes. Meila regardait ce qu’il restait du héros, tandis qu’il s’avançait vers moi.

Semion : « Tu dois t’en aller, Meila… »

La fillette n’osait ni répondre ni signifier son refus.

Ellébore me fixait, inquiète.

Lucéard : « Sois prudent, Lucéard. Et si tu peux, ne fais pas de mal à monsieur Semion. »

Cette fille avait vraiment le cœur pur. Je ne pouvais pas la laisser tomber.

Hélas, je me trouvais actuellement confronté à mes propres démons. Si je n’étais pas capable de faire taire le conflit qui sévissait dans mon esprit, je n’avais aucune chance de vaincre par le fer.

Les dimensions intimidantes de sa claymore me rappelaient mon entraînement de la veille. Je n’avais pas été à la hauteur. Et aujourd’hui, j’allais affronter le guerrier qui avait sauvé tout un village. J’expirai lentement, comme pour faire sortir tout ce qu’il y avait de nocif en moi.

Lucéard : « Je vais faire mieux que ça. »

Les sourcils de mon amie se levèrent.

Lucéard : « Ce combat, je vais le gagner ! »

 

2

Le premier échange se solda par le fracas du fer. Contre un tel adversaire, je me retrouvais contraint d’utiliser mon cimeterre à l’aide de mes deux mains. Ses coups étaient brutaux, mais étrangement, je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’il les retenait. Ce n’était ni plus ni moins qu’un cadavre maintenu debout avec de la magie, après tout.

Néanmoins, je voyais la différence qu’il y avait entre lui et mes précédents adversaires. Jusque là, n’importe quel apprenti escrimeur, même après avoir fait l’expérience de l’épée pendant ne serait-ce qu’un an aurait pu sortir vainqueur des combats que j’avais dû mener. Il me restait encore un gouffre à franchir avant de pouvoir me considérer comme un épéiste. Mais aujourd’hui, le défi était plus grand. Heureusement, de forts sentiments me poussaient à aller au-delà de mes limites.

Ellébore m’observait tandis que je faisais retentir l’acier contre Gearan. Je jouais de ma mobilité, profitant de la rigidité handicapante de mon adversaire. Semion se désintéressa bien vite de mon combat, il affichait sur son visage un dégoût qu’il vouait probablement à lui-même.

Semion : « Pourquoi viens-tu à chaque fois, Meila… ? Je ne veux pas que tu me voies…comme ça. Je ne veux pas que tu voies ce que je fais. »

Meila : « Papa… Arrête… »

La faible voix de l’enfant atténua l’intensité du feu macabre de son père. Celui-ci était tiraillé par des sentiments contraires.

Je prenais l’avantage sur le guerrier, et frappai avec toute ma vigueur.

Lucéard : « Aaaah ! »

Sa cuirasse rouillée céda sous mes coups. Et sans relâcher ma vigilance, je frappai et frappai encore. Ma volonté submergeait cette créature sans âme ni but.

Semion : « Va dans ta chambre… Maintenant ! »

Les bras du veuf s’illuminèrent d’un violet d’outre-tombe, ce qui ne surprit pas sa fille, qui continuait de regarder dans le vide.

Ellébore : « Mais oui… ! »

Le guerrier était de retour, plus fort que jamais. Ellébore s’était montrée attentive, et venait de découvrir le point faible de notre adversaire. Elle s’avança vers Semion.

Le héros revenu d’entre les morts m’acculait à son tour. Il poussait des hurlements morbides, et s’acharnait sur moi, comme si j’étais l’un des monstres qui avait détruit sa vie, et celle des siens. Je finis par être désarmé, mon avant-bras était engourdi par le choc.

Il se rendit compte de la présence d’Ellébore et la prit pour cible. La jeune fille tourna la tête, et écarquilla les yeux en voyant l’horreur macabre s’approcher férocement.

Ellébore : « Euaah ! »

Surprise de voir le héros s’en prendre à elle, la demoiselle ne put que mettre ses bras devant elle par réflexe. Elle ferma les yeux aussi fort qu’elle ne le put.

Lucéard : « MAGNA LAMINA EIUS. »

En un claquement de doigt, la lame de lumière créa la surprise générale et trancha le bras armé de Gearan. Celui-ci finit au sol quelques mètres plus loin.

Lucéard : « Ton adversaire, c’est moi ! »

Les yeux d’Ellébore s’illuminèrent en m’entendant pousser ce cri. Elle regardait dans ma direction, pour apercevoir un jeune homme, plus confiant que furieux. Le mort-vivant me vit récupérer Caresse au sol, et foncer à nouveau sur lui.

Ellébore : « Merci Lucéard ! »

Sur ces mots, elle accourut jusqu’à Semion.

Semion : « Tu étais donc un mage ?! »

Le nécromancien conféra encore plus de sa force à sa chose, qui récupéra sa claymore et fit usage de son dernier bras pour revenir à l’assaut. Pouvais-je résister à un guerrier aussi féroce ?

Ses coups me firent reculer, je ne pouvais que l’imaginer briser ma garde et mettre fin à mes jours. Sans me laisser abattre, je pris mes distances et tentai de m’aider des pierres tombales pour prendre l’avantage sur lui. Ce cadavre ambulant n’avait pas une mobilité supérieure à la mienne, et je pariais sur ce point faible pour tenter de retourner la situation.

Bondissant derrière les stèles funéraires, je pouvais temporiser, reprendre mon souffle, et préparer ma prochaine attaque. En l’absence d’un bras, je pouvais exploiter ses angles morts. L’endurance du mort-vivant devait être illimitée, je ne pouvais pas perdre davantage de temps. Derrière moi, j’entendis la voix d’Ellébore.

Ellébore : « Monsieur Semion… Je suis désolée que vous deviez porter ce fardeau, que vous deviez vous occuper d’un endroit qui vous rappelle d’aussi terribles souvenirs. Mais comme vous l’avez si justement dit, si un moyen de faire revenir les morts existait, nous le saurions depuis longtemps… »

Semion : « … »

La douce voix d’Ellébore ne suffisait pas à le calmer, mais la tristesse profonde dans les mots de la jeune fille attirait son attention.

Ellébore : « Nous avons vu votre femme tout à l’heure… »

Hein… ?

L’homme perdait patience.

Semion : « Qu’est-ce que tu dis ? je ne l’ai jamais invoquée. »

Ellébore : « Elle a essayé de nous dire quelque chose. Elle pleurait… »

Les flammes pourpres se calmaient à peine.

Semion : « Comment… ? Kotrina… »

Ellébore : « Meila m’a montré un de vos portraits de famille… Devant un pont. C’est là que j’ai compris. »

Tout le corps d’Ellébore tremblait à l’idée de poursuivre. Elle était prête à fondre en larmes à tout moment. Mon amie osait à peine regarder Semion dans les yeux. Ce qu’elle s’apprêtait à dire était bien trop difficile.

Ellébore : « Votre fille avait pratiquement son âge actuel sur ce portrait… Mais le pont derrière elle… Il n’existe plus depuis des années. »

J’écarquillai les yeux, pensant comprendre où Ellébore voulait en venir. Mais je n’arrivais pas à y croire.

Semion : « Qu’est-ce que ça signifie… ? »

Le père de famille serrait les dents. Des larmes coulaient le long des joues d’Ellébore.

Ellébore : « Votre fille vous a quitté le jour de la tragédie d’Absenoldeb n’est-ce pas ? »

Lucéard : « …Non… »

Le guerrier s’immobilisa un instant. Et moi aussi. C’était bien ce que je craignais, mais comment était-ce possible ? Semion fixait sa fille, pris d’une angoisse terrible. Il haussa le ton.

Semion : « Tu vois bien qu’elle est juste là ! Durant ces six dernières années, nous avons vécu tous les deux. Ne dis pas des choses comme ça, enfin ! »

Ellébore : « Monsieur Semion, je suis…tellement désolée… »

La demoiselle s’en voulait de ne pas avoir pu lui annoncer plus délicatement. Semion était hors de lui.

Semion : « ELLE VIT ! »

Les flammes devinrent incontrôlable, tout son corps semblait s’embraser.

Gearan hurla de rage comme s’il partageait les sentiments de son invocateur. Les larmes aux yeux, il plongea sa claymore sur moi, et bien que je fusse pris de court, je pus esquiver le coup qui créa une onde de choc tout autour de lui. Avec une vélocité qu’il n’avait jamais montrée, il me rattrapa et me frappa désespérément. Je ne pouvais rien faire contre un tel adversaire.

Lucéard : « AUXILIA EIUS ! »

Mes parades étaient insuffisantes et le bouclier magique se fissura au contact de l’arme de Gearan. J’en profitai pour contre-attaquer.

Ellébore : « Monsieur Semion, arrêtez, je vous en prie ! Vous le savez, votre fille devrait avoir mon âge ! »

Semion : « Laissez ma fille en dehors de ça ! Tout ce qu’on a vécu ces dernières années, c’était aussi réel que ça peut l’être. Comment osez-vous remettre toutes ces années en question ?! Vous ne m’enlèverez pas tout ce que j’ai vécu avec Meila ! Elle est tout ce qu’il me reste !! »

Ellébore s’écartait, impressionnée par la fureur du nécromancien.

Une main se posa sur celle de Semion. Il tourna la tête, le visage ravagé par la folie.

Meila était à ses côtés, elle levait ses yeux humides vers son père.

Meila : « Papa… »

La voix de Semion s’adoucit.

Semion : « Ne pleure pas, Meila… Ils mentent… Tu n’as pas à les écouter. »

Avec une tendresse qu’on ne lui connaissait pas, sa fille répondit.

Meila : « Papa, je t’aime… »

Les flammes se turent. Le pauvre homme esquissa un sourire comme s’il ne parvenait plus à comprendre. Dans les mots de son enfant, il avait pourtant été rappelé à la réalité. Il resta immobile quelques instants, tiraillé par une vérité bien trop cruelle. Ses lèvres tremblantes finirent par se délier.

Semion : « Papa aussi t’aime… Il t’aime plus que tout au monde ! »

Semion éclata en sanglots dans les bras de sa fille. Ellébore, déjà en proie aux larmes, était prête à les rejoindre d’un instant à l’autre.

La fille étreignait affectueusement son père.

Meila : « Je ne peux plus rester… »

Au désespoir, Semion la retint contre lui à la force de ses bras.

Semion : « Si, si ! Tu peux rester ! Tu peux rester avec moi, comme pendant ces six dernières années ! »

Meila : « Mais ça fait si mal… »

Le chagrin dans la voix de sa fille le tiraillait.

Semion : « Je ne veux pas te perdre à nouveau ! »

Je m’approchai à mon tour d’eux, plein de compassion.

Lucéard : « Vous savez, votre fille n’est pas un fantôme. »

Semion leva les yeux, abattu.

Semion : « Comment… ? »

Lucéard : « Je peux le ressentir maintenant. De la magie émane d’elle… Votre magie… Vous avez en quelque sorte tenu votre promesse… »

Semion : « De la nécromancie… »

Le pauvre veuf venait de se rendre compte de l’horreur de ses actes.

Semion : « Je me souviens de tout, à présent… »

Il venait de retrouver sa lucidité. Semion avait toute notre attention. Il restait silencieux encore quelques instants, il peinait à réaliser.

 

3

Semion : « Ma femme et ma fille se sont faites massacrer ce jour-là, je n’ai rien pu faire d’autre que de fuir avec le corps de Meila… »

Il semblait révulsé contre lui-même.

Semion : « Je me suis enfermé dans notre sous-sol, et j’ai pleuré, pleuré. Peut-être pendant des jours. Je n’étais plus la même personne. J’ai fini par récupérer les grimoires de nécromancie de la famille de ma femme. Je me suis mis en tête de les ressusciter. »

Il grimaçait davantage.

Semion : « Je n’ai pas vraiment vécu ces dernières années. Je n’ai fait que jouer à la poupée avec ma propre fille. J’ai tout inventé. Ce n’est pas ce que j’ai cru vivre. Je ne sais même plus ce que je devrais croire… Ma fille…n’est qu’un mort-vivant ? »

Je ne savais pas quoi lui dire. Je me sentais terriblement mal pour lui.

Ellébore : « Non, monsieur Semion. »

Ellébore s’agenouilla devant lui, délicatement.

Ellébore : « Tout à l’heure, quand j’ai découvert la vérité, j’étais paniquée. J’avais la certitude que votre fille n’était plus de ce monde, et elle s’est approchée de moi. J’ai pensé que ma vie allait prendre fin. Puis Meila m’a tendu la main, et m’a dit : »

 

«Merci de m’avoir consolée. »

 

En se souvenant de l’humanité qu’elle avait vu dans les yeux de la fillette, Ellébore sourit.

Ellébore : « Je ne sais pas comment c’est possible, mais même si elle n’est plus vivante… Vous avez ramené le cœur de votre fille en ce monde. »

Semion était en état de choc.

Lucéard : « Vous êtes un père exemplaire… Repousser les limites de la magie par amour, c’est une chose merveilleuse. »

Ellébore s’étonnait de m’entendre prononcer un tel discours, et me sourit affectueusement.

Semion : « Mais je n’ai fait que la blesser, et j’ai aussi dû blesser ma femme si elle a dû assister à tout ça… »

Semion était en train d’accepter, aussi douloureux que ce fut.

Semion : « Nous ne pouvons pas être ensemble, après tout, Meila… »

La fillette qui profitait une dernière fois de la chaleur de son père s’écarta un instant.

Meila : « Si… »

Elle posa sa main sur la poitrine de Semion, tendrement.

Les nuages se dissipèrent, l’astre lunaire éclairait à présent tout le village, ainsi que chacun de nous.

Semion : « J’ai compris… Même si tu dois partir, nous ne nous séparerons jamais. »

Meila esquissa pour la première fois un sourire. Un sourire si charmant qu’il fit fondre le cœur brisé de son père. Elle se laissa tomber doucement dans les bras de Semion, et ferma calmement les yeux.

Semion : « Meila… Meila… ? »

Les larmes lui revinrent, et coulèrent malgré lui. Il la serra contre lui une dernière fois.

Ellébore posa sa main sur l’épaule de l’homme, elle sanglotait silencieusement à ses côtés. Je m’assis aussi à côté de lui pour lui apporter mon soutien. Nous restions ainsi tous ensemble pendant quelques minutes.

J’eus l’impression de voir une autre main, pâle, caressant délicatement la joue du veuf. La tristesse de Semion était insondable, mais je pouvais voir dans son regard qu’il était à présent en paix.

Semion : « Kotrina… Il me faut enterrer notre fille, maintenant… »

Ellébore : « Laissez-nous vous aider. »

L’homme venait de se lever, il tenait sa fille entre ses bras comme s’il ne voulait pas la réveiller, et souriait en coin.

Semion : « Après ce que je vous ai fait subir, vous feriez une chose pareille… ? Vous êtes vraiment à part, Lucéard, Ellébore. »

Son visage était grave à nouveau.

Semion : « Mais vous devez partir. »

Avant qu’Ellébore n’insiste, il poursuivit.

Semion : « Vous en avez bien assez fait pour nous. Et je vous en serai éternellement reconnaissant. Tout ce qui était incohérent dans mon esprit est en train de se remettre en place. Les visiteurs qui sont venus, je n’en ai tué aucun. »

Lucéard : « Mais…vous nous aviez pourtant dit… »

Semion : « Oui, et même en pensant que je l’avais fait, vous ne m’avez pas froidement abattu. »

Son rire était empreint de fatigue.

Semion : « Je n’en étais pas conscient, mais je les retiens captifs dans le sous-sol. Je les nourrissais et récoltais régulièrement de leur énergie vitale. Même dans mon état pathétique, je n’ai pas pu me résoudre à recourir à l’extraction totale… »

Les yeux d’Ellébore s’illuminèrent.

Ellébore : « Mais alors… ! »

Semion fronçait les sourcils.

Semion : « Cependant, l’un d’entre eux a échappé à ma vigilance il y a quelques jours. Je ne l’ai pas vu ressortir depuis. Je vous en prie, il faut que vous alliez le secourir, s’il n’est pas déjà trop tard. Même si… Je n’ai aucun droit de vous demander votre aide après ce que j’ai fait… »

Ellébore : « Monsieur Semion… »

Lucéard : « Ne perdons pas un instant ! Ellébore, nous partons ! »

Dominée par le chagrin, Ellébore s’étonna de mon aplomb. Je venais d’apprendre quelque chose qui nourrissait mon âme d’une résolution inébranlable.

Lucéard : « Quand nous reviendrons, nous nous recueillerons tous ensemble sur la tombe de Meila. »

Ellébore : « Lucéard… »

Les yeux de mon amie s’illuminèrent de nouveau. Semion aussi souriait.

Semion : « Oui, je suis sûr qu’elle sera ravie. »

 

4

Je m’empressai de remonter là-haut faire nos préparatifs. Pendant ce temps, Ellébore était allée libérer les disparus.

À ma grande surprise, j’assistai à une scène étrange une fois sorti du manoir. Le vieil homme de tout à l’heure était là, face à Semion.

Vieil homme : « On dirait que le moment est enfin venu. »

Le vieillard semblait en paix.

Semion : « Vous étiez au courant ? Ne me dites pas que vous avez assisté à tout ça ? »

Vieil homme : « Oh, si. J’ai toujours su. Le jour du drame, je m’étais absenté. Et à mon retour, toute ma famille était introuvable. D’ici qu’on soit convié à retrouver les corps des nôtres, j’ai pris mon mal en patience, et j’ai fabriqué autant de cercueils que j’ai pu. Mais mon petit-fils n’a jamais été retrouvé… »

Ce menuisier semblait s’être fait une raison, et on pouvait à peine deviner son chagrin.

Vieil homme : « Toute la famille de ma femme m’a tourné le dos. Sans mes voisins, je n’aurai probablement jamais pu tourner la page. Dont vous, Semion, même si je voyais bien que vous portiez un sombre secret. J’aurai aimé pouvoir vous aider plus tôt. Mais voilà tout ce que ce pauvre vieillard peut vous offrir. »

Il pointait du doigt un cercueil adossé à la façade de son atelier. Il était trop petit pour un adulte, mais pour Meila, il semblait avoir été fait sur mesure.

Vieil homme : « Je vous en prie, acceptez-le. »

Semion peinait à lui répondre.

Semion : « …Merci… »

Il se contenta de ce seul mot. Je continuais de regarder à distance, sans un bruit.

Semion : « Vous accepteriez d’assister à son inhumation ? »

Vieil homme : « Ce serait un privilège. »

Un bruit de pelle nous interpella tous. Ellébore était entourée d’une dizaine de gens, équipés de divers outils.

Semion : « … »

Notre hôte était dans l’incompréhension la plus totale.

Disparu 1 : « Allez, les gars ! Et après ça, on ira tous retrouver nos familles ! »

Semion : « Mais qu’est-ce que vous faites… ? »

Disparu 2 : « On va vous aider à creuser une belle tombe pour votre fille, pardi ! »

L’homme éploré n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait sous ses yeux.

Semion : « Je ne peux pas accepter votre aide après tout ce que je vous ai fait ! »

Disparu 3 : « Ne soyez pas désolés ! C’est nous qui le sommes. On a mis votre village en danger à cause de nos lubies idiotes. Et vous nous avez gentiment empêché de rentrer dans cet endroit maudit. »

Ce n’était vraisemblablement pas ainsi que les choses s’étaient passées, et Semion ne pouvait que considérer que ce qu’il avait fait était condamnable à tout point de vue. Un des hommes s’approcha du nécromancien. Il était massif et avait le regard mauvais. Je m’attendais à tout moment à devoir agir. Mais celui-ci posa sa main sur l’épaule du nécromancien.

Disparu 4 : « Au début, je comptais m’enfuir et vous faire payer. C’était l’enfer là-dessous. Tous ensemble dans de telles conditions. Surtout que nous étions tous au comble du désespoir. C’était vraiment pas beau à voir. On ne faisait que ressasser la disparition de nos proches. Il n’y avait dans ce sous-sol que des âmes en peine qui ne faisaient rien d’autre que de se lamenter sur leur sort. »

La façon dont il souriait jurait cruellement avec la teneur de son propos.

Disparu 4 : « Mais y avait ce petit gars parmi nous qui a commencé à parler des gens qu’il aimerait revoir. Tous les gens qu’il avait laissés derrière lui pour rejoindre la seule personne qui lui manquait. Progressivement, nous avons tous arrêté de parler de nos disparus. On ne pensait plus qu’à ceux qui portaient à leur tour le poids de notre absence. »

On imaginait mal un type aussi bourru parler avec autant de bienveillance. Plutôt que d’être d’humeur vindicative, il paraissait reconnaissant. Il lançait un coup d’œil complice à l’un de ses congénères.

Disparu 4 : « C’est peut-être bizarre, mais d’avoir été retenus ici nous a permis de retenir la leçon. »

Je souris malgré moi.

Je reçus une tape dans le dos qui me surprit.

Ellébore était à côté de moi, et me fixait avec un grand sourire.

Ellébore : « Allons-y ! »

Je hochai fermement la tête.

Toutes les personnes rassemblées nous regardaient partir en direction de la grotte.

Disparu 5 : « Soyez prudents ! »

Disparue : « S’il vous plaît, sauvez-le ! »

Disparu 2 : « Lui aussi doit rentrer parmi les siens ! »

Disparu 6 : « On compte sur vous les enfants ! »

Disparu 4 : « Prenez pas de risques inconsidérés ! »

Vieil homme : « Au moindre danger, rebroussez chemin ! »

On faisait de grands signes de mains aux gens derrière nous. Semion nous attendait à l’entrée de la cavité. C’était un euphémisme que de dire que l’homme en avait bavé cette nuit. Il devait être éreinté, mais trouvait la force de nous encourager avec un sourire affectueux.

Semion : « Meila et moi, on vous attend ici. Alors revenez sains et saufs. »

Je lançai un dernier regard à mon amie, qui me rendit le même. Puis nous pénétrâmes là où la lumière de la lune ne pouvait plus nous atteindre. Pour nous, la nuit ne faisait que commencer.

 



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