Nefolwyrth
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Chapitre 16 – Le temple de la solitude
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À la lueur de la lampe à huile qui m’avait accompagné lors de ma première visite de grotte, Ellébore et moi descendions les longs escaliers, sans pouvoir deviner combien de marches la lumière allait révéler avant que nous n’atteignions notre destination. La tension qui s’accumulait à chaque pas affectait la résolution que nous avions prise.

Lucéard : « Nous sommes si près du but… Mais si loin… »

Ellébore : « Oui, comme tu dis. Qui sait ce qui nous attend en bas…? Tous les disparus à l’exception d’Amiel sont sains et saufs. J’espère qu’il tient bon. »

Lucéard : « Amiel, tu dis ? C’est une des personnes que tu recherchais ? »

Ellébore : « C’est le fils d’un ami de mon père. Il n’était pas parmi les personnes enfermées par Monsieur Semion. Je suis inquiète… »

Elle semblait en effet l’être. La demoiselle débordait d’humanité, même après s’être enfoncée aussi profondément dans les ténèbres. Ellébore finit malgré tout par sourire, paisiblement.

Ellébore : « Pourtant, j’ai l’impression au fond de moi que tout va bien se passer puisque tu es là. »

Mon pas ralentit sensiblement, je ne savais pas quoi dire. Je finis par soupirer.

Lucéard : « Je ne suis toujours qu’un débutant, tu sais ? Que ce soit en combat ou en magie… »

Ellébore : « Tu penses que je ne te regardais pas ? »

Ne comprenant pas le sens de sa question, je fronçais les sourcils, perplexe.

Ellébore : « Devoir dire la vérité à Monsieur Semion était difficile, mais je n’arrivais pas non plus à être totalement concentrée. Je m’inquiétais pour toi, et je n’arrêtais pas de jeter des coups d’œil sur ton duel. »

Son expression souriante en disait long sur ce qu’elle avait vu.

Ellébore : « Un débutant ne viendrait jamais à bout du héros qui a sauvé tout un village. »

A l’extérieur du souterrain, une claymore gisait au sol, à côté de son porteur. Semion se recueillait devant lui tandis que ses anciens captifs creusaient un autre trou, plus large que le précédent.

Ellébore : « Mais toi, tu l’as fait. »

Son air complice me forçait à lui répondre par de la gêne. J’avais réussi à vaincre Gearan Gréim alors que le nécromancien lui avait insufflé autant de magie que possible. Je ne pouvais que voir ça comme un coup de chance, et je minimisais ma victoire. Ce n’était qu’un mort-vivant après tout. Mais qu’Ellébore dise une telle chose fit naître en moi une certaine fierté.

La jeune fille semblait chercher ses mots.

Ellébore : « Tu sais, j’ai entendu parler de toi comme un amoureux de la musique, et, heu… »

Lucéard : « Et comme d’un prince détestable et misanthrope ? »

Elle semblait indignée que je puisse dire de telles choses sur moi. Mais l’embarras d’aborder un sujet difficile dominait dans ses gestes et sa voix.

Ellébore : « Non, non… Ce que je voulais dire, c’est que je ne t’ai encore jamais entendu jouer de musique. »

Je levais les yeux au plafond pour considérer ce qui venait d’être dit.

Lucéard : « En effet. Parfois, j’ai l’impression que mon ancien moi est mort pour de bon. Pour le meilleur et pour le pire… C’est quand même impensable de se dire que toute l’identité que l’on se construit peut être détruite en si peu de temps. »

Mes mots avaient jeté un froid. L’envie de me proposer de lui jouer un morceau l’avait totalement abandonnée.

Ellébore : « Désolée… Je n’aurai pas dû en parler… »

Lucéard : « Il ne faut pas. D’une certaine façon, quand je repense à qui j’étais, je me dis “Bon débarras”. »

Ellébore ne saurait dire si je plaisantais ou si ce sujet de discussion me touchait vraiment.

Ellébore : « Tu es bien tel que tu es, je trouve. »

On s’arrêta tous deux.

Lucéard : « C’est gentil de me dire ça, mais on dirait que tu allais ajouter quelque chose. »

Elle introduit sa réponse par un rire gêné.

Ellébore : « À vrai dire, c’est vrai que je n’avais pas une très bonne image de toi quand je ne te connaissais pas. »

Je pouffai de rire. La demoiselle paniquait à l’idée que je prenne mal cette remarque.

Ellébore : « Mais, mais ! Je ne t’avais jamais adressé la parole ! Maintenant que je sais qui tu es, je te trouve très gentil ! »

Lucéard : « Tu n’as pas besoin de te justifier comme ça ! Je suis plus flatté qu’autre chose, tu sais ? »

On se remit en marche. La détective retrouvait bien assez tôt son calme. Elle semblait pensive.

Ellébore : « Je tenais absolument à t’accompagner, mais j’ai peur que ma présence ne fasse que nous mettre en danger. J’ai envie de me rendre utile, mais peut-être que j’aurai dû être plus raisonnable… »

Je n’aurai pas su quoi lui répondre il y a quelques jours, mais aujourd’hui, ce que j’avais à lui dire était clair comme de l’eau de roche.

Lucéard : « Ne sois pas bête, sans toi, on ne serait même pas là. »

Toujours plongée dans ses incertitudes, le visage qu’elle me montrait arborait son étonnement. Je poursuivis.

Lucéard : « Depuis que nous sommes à Absenoldeb, tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir pour que tout se passe pour le mieux. Je n’aurai jamais pu donner lieu à ce que tu as accompli cette nuit, au cimetière. C’est grâce à toutes tes qualités et tes efforts que tu as pu obtenir ce résultat. Ce n’est peut être pas aussi impressionnant que des faits d’armes, à première vue, mais ces dernières heures, je trouve que tu as été héroïque. »

Puisque je ne l’entendis pas répondre, je tournais le regard vers elle. La demoiselle était rouge comme une tomate et fixait les marches sous ses pieds.

Lucéard : « Ellébore… ? »

Ellébore : « Je… »

Elle semblait quelque peu déboussolée. Je ne devinais pas ce qu’elle avait à l’esprit.

Lucéard : « Je… ? »

J’entendis presque son poing se serrer alors qu’elle redressa la tête, énergiquement.

Ellébore : « Allons sauver Amiel ! »

Je ne me souviens pas avoir lancé un Pugna Moralis. Qu’est-ce qui lui prend ?

Déterminée, mon amie hâta le pas, je la suivis sans trop d’effort. Il n’empêche que l’obscurité qui régnait ici-bas aurait presque pu nous rendre somnolent.

-2-

C’était à la force de notre volonté que nous luttions pour ne pas céder à la fatigue qui nous accablait. Notre manque de sommeil allait jouer contre nous.

Ces escaliers sont sans fin… ?

Alors que la lassitude me gagnait, nous vîmes enfin le bout des marches. Le sanctuaire se résumait à une seule pièce, totalement vide d’intérêt.

Lucéard : « Tout ça pour ça… »

Ellébore : « Il y a une grotte derrière l’autel, comme si quelqu’un avait creusé encore plus profondément. »

Lucéard : « Ça ne me dit rien de devoir descendre, et descendre encore. Il fait froid ici. »

Avec ce genre de propos, j’aurais pu lui saper le morale, et nous n’avions pas besoin de ça.

Lucéard : « Mais un peu de fraîcheur devrait nous tenir éveillés. Avançons prudemment. »

On s’approcha de la cavité, méfiants.

Lucéard : « On ne sait pas ce qui nous attend en bas, au moindre danger, tu remontes en courant sans te retourner, d’accord ? »

Mon sérieux était soudain, mais ne l’affectait pas.

Ellébore : « N’y compte pas trop. »

Dit-elle, me tirant presque la langue.

Lucéard : « Je vois que j’ai affaire à une tête de mule. »

Après quelques pas, nous avions l’impression d’être à nouveau dans un monument, puisque la roche avait laissé place au marbre taillé. Il s’agissait d’un long couloir. Quelque chose dans l’atmosphère devenait de plus en plus lourd. La flamme dans ma lampe n’éclairait plus aussi fort, comme si les ténèbres ici parvenaient à être plus denses qu’elles ne le devraient.

Une impression désagréable s’immisçait en moi. J’avais la sensation d’être plus lent, et un bourdonnement, encore supportable, m’irritait.

La lumière qui nous éclairait était devenue bleue. Je ne m’en étais même pas rendu compte.

Nous traversions une salle, tout droit, sans pouvoir apercevoir les murs qui nous encerclaient. La pierre usée au sol nous indiquait qu’il fallait continuer tout droit pour pouvoir en sortir.

J’avais cru voir ma sœur se faire transpercer par la hallebarde, quelques mètres devant moi. Ce que je ressentais ici était similaire. La vaste salle vide et les ténèbres qui dévoraient ma vue : tout me ramenait à ce jour.

Mon pas était hésitant, j’étais en train de me perdre.

Nojùcénie : « … »

C’était sa voix… J’ai entendu la voix de Nojù…

Elle était droit devant moi. Je ne me sentais plus marcher, mais d’une manière ou d’une autre, je continuais d’avancer.

Ellébore : « Lucéard, arrête-toi ! »

La demoiselle à côté de moi venait de pousser un cri qui me sortit de ma torpeur. Elle était visiblement mal à l’aise. Nous nous arrêtâmes tous deux.

Ellébore : « Il y a quelque chose au fond du couloir… »

Je me rendis compte que nous n’étions plus dans une pièce, mais dans un large couloir, cerné par les pierres.

Ellébore : « M-montrez-vous ! »

Je soupirai, tout en me tenant le crâne d’une main.

Lucéard : « Si c’est un monstre, il ne nous répondra pas… »

Nous n’étions plus amusés, ni l’un ni l’autre. La fatigue me tiraillait.

Il n’y avait personne.

Lucéard : « Continuons. »

On repartit en silence. J’entendais pourtant des chuchotements, et des éclats de voix distants, comme si je plongeais dans la confusion du sommeil.

Ellébore : « Encore une salle… »

La jeune fille n’avait pas bonne mine, elle respirait de plus en plus fort.

Il y avait quelque chose dans la pièce, outre les torches bleues éparses encastrées dans les parois de manière irrégulière.

Une créature se tenait en face de moi. Elle semblait faire défaillir la faible lumière qui l’entourait. Je pouvais pourtant bien voir qu’en largeur comme en hauteur, elle faisait la taille d’un carrosse. De nombreux bras s’agitaient autour d’elle.

Cette chose s’approchait de moi, menaçante, mais dans le silence le plus complet. Je n’étais pas en pleine possession de mes moyens, et ne parvenais pas à réagir.

Je paniquais. Étais-je seul contre ce monstre ?

L’horreur disparut soudainement, comme si elle venait de s’évaporer. A la place, il y avait Ellébore, qui était en train de piétiner une grosse larve dont l’unique œil luisait mystérieusement. Elle était passablement irritée.

Ellébore : « Qu’est-ce que tu fais ? Cette bestiole allait t’attaquer ! »

Sa mauvaise humeur était contagieuse.

Lucéard : « Tu pouvais bien t’en débarrasser seule, non ? C’est sûrement la seule abomination que tu sois capable de vaincre ! »

Ellébore : « Quoi ?! Mais ce n’est pas à moi de me battre ! »

Lucéard : « On est d’accord. Alors reste derrière à l’avenir. »

Le sifflement dans ma tête n’était pas près de s’arrêter. J’étais exaspéré.

Je continuais d’avancer. Le sol n’était plus droit. Rien n’était plus droit.

Alors que je n’entendais plus mes pas, je sentis un main frôler la mienne.

Je restais paralysé un instant.

C’était Nojù… J’en suis sûr…

J’étais troublé. Ma respiration continuait d’accélérer.

Autour de moi, il n’y avait que l’obscurité. Je m’adossai à un mur.

Non, c’est vrai… Je suis seul ici…

Je me laissais glisser le long des pierres jusqu’à être assis. À moitié avachi, je m’apitoyais sur mon sort.

Lucéard : « Nojù… »

Après quelques instants de silence, j’entendis une voix furibonde.

Ellébore : « Qu’est-ce que tu fais encore ? Continue d’avancer ! »

Je passais de la solitude à la colère en une fraction de secondes.

Lucéard : « Tais-toi. Tu ne sais pas ce que je vis. Ce n’est certainement pas une fille à papa qui joue à l’apprentie détective qui va me dire ce que je dois faire. »

Ellébore : « Quoi ?! Mais c’est la meilleure ! Monsieur le Prince fait le malheureux alors que n’importe qui tuerait pour être à sa place ! Mais il ne pense qu’à sa sœur, ce pleurnichard ! »

Lucéard : « Ne parle plus jamais d’elle ! A vrai dire, je ne veux plus jamais t’entendre ! Même toi tu es capable de marcher en te taisant ! »

Le ton était monté très vite. Tout ça était absurde.

Ellébore : « Parfait ! Continue de discuter avec tes stupides hallucinations, alors ! »

On se remit en marche. J’étais hors de moi. Je sentais pourtant un fond de culpabilité, sans savoir pourquoi.

Je ne faisais plus la différence entre un endroit et un autre, je continuais d’avancer.

Des monstres nous bloquaient le passage. Ils avaient une forme humanoïde. Depuis combien de temps les avais-je remarqué ? Je ne savais pas. Je n’étais pas surpris.

Je ne savais pas non plus si j’avais dégainé une arme, mais je commençais à frapper. Tout était silencieux, mais paradoxalement, un brouhaha sévissait dans ma tête. Je brandis et brandis encore ce que j’avais entre les mains, sans savoir ce qu’il se passait, sans savoir si les monstres mourraient, sans savoir s’ils étaient seulement là. À mesure que j’agitais les bras, les ténèbres se refermaient sur moi comme une mâchoire.

Le combat n’avait aucun sens, mais il s’éternisait. J’ignorais ce que j’étais en train de faire. Je luttais seul, contre rien.

Un son strident réveilla mes sens.

J’étais toujours dans ce temple, sombre et froid.

Ma lame s’était plantée dans un mur, quelques centimètres au-dessus de l’épaule d’Ellébore, qui me fixait, incrédule. Les larmes aux yeux, sa voix était devenue un sanglot.

Ellébore : « Tu… Tu as voulu me tuer… ? »

Cette vision était particulièrement douloureuse, suffisamment pour qu’elle se grave à jamais dans ma mémoire. Qu’avais-je fait ?

J’étais perdu. J’étais aussi terrifié qu’elle. Je voulais lui répondre, mais rien ne venait. Ma bouche s’ouvrait et se fermait, sans que je ne puisse produire un son.

Elle me poussa de toutes ses forces avant de s’enfuir en courant, sans se retourner.

Ma concentration était provisoirement revenue. Je me rendis compte que ma lampe avait disparu. Je ne me souvenais de toute façon plus de la raison qui m’avait poussé à venir ici. Je n’avais plus en tête que le regard plein de détresse qu’elle m’avait lancé avant de partir.

Je fis encore quelques pas. Je n’étais plus sûr d’être debout.

Je crois que j’avais fini par m’effondrer. La pièce tournait sur elle-même, je restais plaqué contre le sol, attendant que cette torture s’arrête.

-3-

J’étais à présent sur le ventre. Il n’y avait aucune lumière là où j’étais, et pourtant, je distinguais tous les murs, il n’y avait pas de porte, peut-être que l’endroit d’où je venais était derrière moi, mais je ne me retournai pas. Je voyais nettement la pierre qui était posée sur une stèle à quelques mètres de moi. Elle était si bien polie qu’on pouvait certainement y voir son reflet.

C’est elle…

Je me redressais sur mes deux pieds, luttant pour garder l’équilibre. Le silence ici était parfait. Jusqu’à ce que…

???: « Qu’attends-tu ? »

Une voix sans forme m’attirait. Elle ne semblait pas avoir d’origine, et était dépourvue d’émotion, à l’exception peut-être d’une seule. Le sentiment d’un vide qui ne se comblerait jamais.

Lucéard : « Si je la touche, je vais… »

J’étais très affaibli, et peinais à parler. Mais la voix m’intriguait. Je me sentais proche d’elle.

???: « Si tu la touches, tu pourras revoir Nojù, ainsi que Mère. »

Je souris en coin, séduit par ses paroles.

Lucéard : « Mais qui es-tu pour parler ainsi d’elles ? »

Mon corps s’engourdit encore.

???: « Je suis Lucéard de Lucécie, ménestrel en devenir. »

Je pensais l’apercevoir à présent. Il y avait bien une silhouette debout. Je ne savais pourtant pas où elle était.

???: « Ce monde est pathétique, seul l’art est beau. Les gens sont ridicules, et ils mènent une vie vide de sens. Seule Nojù me comprend. Même si ce n’est que du bout des doigts, je veux sentir sa présence. Encore. Et encore. Touche la pierre. »

Je m’approchais de l’objet de ma convoitise, envoûté. Je levai la main. Mais dans le reflet de la roche, la main que je voyais était plus petite, plus fine.

Un sentiment de soulagement m’envahit.

Lucéard : « Alors c’était vrai… ? »

???: « Le vrai Lucéard est toujours là. Celui qui a vécu seize années dans ce corps, à maudire le monde. Je sais que je désire le faire plus que tout. Il ne reste plus que ça. Touche la pierre. »

Ces mots me semblaient doux à l’oreille, comme s’ils voulaient me réconforter.

???: « Tu n’es pas toi. Tu n’es qu’une épave, tu n’es qu’une coquille vide. Retrouve celui que je suis. Retrouve Lucéard. Retrouve ma sœur. Touche la pierre. »

Mes doigts tremblaient, ils n’avançaient plus. Je les fixais, dans l’incompréhension.

Lucéard : « Je le sais. Je ne pense toujours qu’à la revoir. Je sais très bien tout ce que je ressens, même aujourd’hui. Rien n’a changé, elle me hante toujours. Alors… Pourquoi… ? Pourquoi ma main ne bouge pas ? »

???: « Elle est tout près. Tu n’as plus qu’à tendre le bras. Elle est là. Touche la pierre. »

Lucéard : « Tu… Tu es celui que j’étais, n’est-ce pas… ? »

???: « Je suis le seul Lucéard qui soit. »

Je ne quittais plus des yeux cet énigmatique reflet.

Lucéard : « Il a fallu que tu attendes ses derniers jours pour enfin te rendre compte à quel point tu tenais à elle. Toi aussi, tu regrettes de ne pas l’avoir réalisé plus tôt… De ne pas avoir profité de sa compagnie tant qu’elle était là… ? »

De la douleur apparut dans ma voix. Je me servais presque de cette voix pour me forcer à prendre conscience de ce que je n’avais pas osé me dire à moi-même jusque là. Pourtant, je savais. Même dans cet état, je ne pouvais qu’y penser. C’était un des regrets qui me retenaient toujours esclave de mon malheur.

???: « Touche la pierre. »

Je pouvais presque l’apercevoir, la précieuse famille de l’autre côté. Je restais immobile quelques instants, me contentant de contempler.

Ma main ne tremblait plus. Ma voix devint paisible.

Lucéard : « En vérité, elle ne m’a jamais réellement comprise elle non plus. Elle m’a juste accepté. Elle était la seule à me pousser à devenir quelqu’un de bien. Peut-être même qu’elle croyait que je l’étais. Mais j’ai rejeté tous les autres pendant si longtemps… »

???: « Oui, sans elle, tu es seul… »

J’étais en train de retrouver mes esprits.

Lucéard : « Tu n’es pas mort parce que tu l’as perdue, tu sais ? Tu es mort parce que le Lucéard que j’étais ne pouvait plus la rendre fière. Parce que simplement survivre n’aurait pas été un hommage digne d’elle. Parce que si elle peut encore voir ma vie, je veux lui montrer ce que j’ai de meilleur. »

???: « Elle est ta seule raison d’agir. Si tu l’oublies, tu es tout seul. »

Ses mots étaient froids, et quand je les entendis, un visage m’apparut.

Lucéard : « Je sais, oui… »

Une lueur revint dans mes yeux.

Lucéard : « Mais suis-je vraiment seul ? »

L’entité se rapprocha, sans un bruit. Quelque chose d’atroce se dégageait d’elle.

???: « Laisse-moi te guider. Tu te laisses berner par ton désespoir. Tu es seul, et il n’y a qu’un seul remède à cette solitude qui te ronge. »

Mon collier se mit à luire, cette chose ne parvenait plus à avancer.

Lucéard : « Toute ma famille me soutient… Comment puis-je prétendre être seul ? »

???: « Un être vous manque et tout est dépeuplé. Sans Nojù, tu seras seul toute ta vie. Tu ne pourras pas l’oublier, et à chaque fois que tu penseras à elle, tu te souviendras qu’il n’y a personne d’autre. »

J’étais toujours en proie au doute, mais une image me revint en mémoire.

Lucéard : « Non… Il y a quelqu’un d’autre que je dois retrouver. Elle m’a accompagnée jusqu’ici… Je m’en veux terriblement. »

???: « Tu l’avais oublié jusqu’à présent. N’est-ce pas la preuve qu’elle ne compte pas pour toi ? Ce que tu ressens n’est rien qu’une illusion que tu t’infliges. »

Lucéard : « Je m’en veux de l’avoir oublié. De m’être cru seul alors qu’elle était à mes côtés tout ce temps. »

???: « Il n’y a qu’en touchant la pierre que tu pourras tout arranger. Nojù est la seule que tu veux réellement retrouver. Alors. Touche. La. Pierre. »

J’agitais calmement la tête de gauche à droite.

Lucéard : « Elle ne voudrait pas que je la touche. Nous sommes descendus ici tous les deux, ensemble, pour que plus personne n’ait à souffrir de la solitude. Pour sauver ceux qui en sont devenus la proie. C’est aussi ce que Nojù voudrait. Elle voudrait que je détruise la pierre ! »

Mon humanité revenait plus forte que jamais.

???: « Alors, tu ne pourras plus jamais être avec Nojù… »

Je posai en guise de réponse ma main contre ma poitrine, délicatement.

Lucéard : « Si. »

Le sol se mit à trembler, un œil jaune venait de s’ouvrir sur la silhouette. Sa forme se dissipa, et enveloppa finalement toute la pièce. Une magie maléfique envahit mon corps sans que je ne puisse lutter. J’étais plongé dans le noir, je ne voyais plus que la pierre.

Je gardais difficilement l’équilibre, l’humanité dans mes yeux s’évanouissait. Je restais dans le vague quelques instants.

Qui suis-je… ?

Je ne sentais plus rien, je n’avais plus aucun souvenir. Je ne pouvais qu’interroger la présence en moi.

???: « Je suis Lucéard. Je vais retrouver Nojù, ma petite sœur. C’est la seule chose qui compte pour moi. C’est la seule. »

En réalité, une solitude écrasante s’était substituée à tous mes sens. Il n’y avait plus que ça en moi.

Lucéard : « Il suffit que je touche cette roche ? »

Avec la candeur d’un nouveau-né, je me laissais guider par la voix.

???: « C’est cela… Touche. La. Pierre. »

Alors que je levais la main, je me rendis compte qu’il y avait un cimeterre au bout.

Je m’étais trompé. Il y avait toujours autre chose en moi, qui brûlait à la vue de cette arme.

Lucéard : « Je…la reconnais… »

???: « Non. »

Lucéard : « La dernière fois où j’ai ressenti une telle solitude, quelqu’un m’a sauvé. Pas un miracle, ni un mirage, ni même une promesse. Quelqu’un m’a sauvé. »

???: « Non ! »

Jusque là un murmure, la voix se muait en menace.

Lucéard : « Personne n’échappe à la solitude. »

Je sentais à nouveau la chaleur se diffuser dans tout mon corps.

Lucéard : « Mais lorsqu’on est prêt à la vaincre pour quelqu’un, alors on n’est déjà plus seul. »

???: « Ne fais pas ça ! »

Je levai Caresse vers le plafond, elle semblait s’illuminer. J’étais entièrement de retour.

Lucéard : « Mon maître m’a sauvé de ce deuil bien trop cruel. Et pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’être aussi bien entourés que moi, pour tous ceux qui ont souffert comme moi, je vais briser cette illusion ! »

???: « Ma pierre ! »

Lucéard : « Aaah ! »

Je plongeai la lame de toutes mes forces, et la lumière qui en résulta pourfendit cet objet maudit, le réduisant à néant.

Des torches au mur s’allumèrent, brillant d’un rouge orangé tout à fait commun, ce qui éclairait à peine la pièce. Mon cimeterre tomba au sol, je m’écroulai juste après, me retrouvant assis face à la stèle. Ma respiration était haletante. ma voix n’atteignait plus mes lèvres.

C’est…fini…

-4-

Il y avait une présence derrière moi. Alors que je me retournai, mon cœur se serra.

Ellébore se tenait debout face à moi, avec une expression complexe.

Ellébore : « Lucéard… »

Le soulagement dans sa voix était immense, et dans la mienne aussi.

Lucéard : « Ellébore… »

Sans plus attendre, elle accourut vers moi et se mit à genoux à quelques centimètres de mes pieds. Mon amie pleurait à chaudes larmes.

Ellébore : « Je suis tellement désolée ! J’ai eu si peur qu’il t’arrive quelque chose ! Je ne sais pas ce qui m’a pris ! Tout était confus, et je t’ai abandonné dans cet endroit affreux. J’ai été odieuse avec toi… »

De mon côté aussi, j’étais soudain débordé par les émotions.

Lucéard : « C’est moi qui suis désolé ! J’ai beau savoir que nous étions ensorcelés, j’ai quand même failli te blesser, et je n’ai fait que t’oublier, et t’oublier encore, sans pouvoir résister. Je m’en veux énormément. »

On restait assis, face à face, énumérant nos raisons de culpabiliser. Quelque chose de maléfique avait corrompu notre esprit, et même si tout était encore partiellement confus, je tentais d’identifier la chose avec laquelle j’avais parlé dans cette salle.

Ellébore s’essuyait les yeux, elle avait encore le nez et les joues rouges.

Ellébore : « Je suis si soulagée de t’avoir retrouvé… Cela fait des heures que je te cherche, j’ai cru que je ne te retrouverai jamais… »

J’étais perplexe.

Des heures… ? Je n’ai pas l’impression qu’autant de temps soit passé après notre séparation.

Ellébore : « Dis Lucéard… Et la pierre ? »

Quand la réponse à cette question me vint à l’esprit, je me sentis en paix.

Lucéard : « C’est fini. Il n’y a plus de pierre. »

Ellébore sourit un instant avant de prendre un air plus grave.

Ellébore : « Mais nous n’avons pas encore retrouvé Amiel… »

Je pointais du doigt derrière moi.

Lucéard : « C’est bien lui, non ? »

Dans un angle de cette pièce, un homme était recroquevillé sur lui-même, et semblait dormir. Il n’avait pas l’air en grande forme, mais ne présentait aucun symptôme réellement inquiétant.

Ellébore : « Je… Je ne l’avais même pas remarqué… Ça ne me ressemble pas… »

La détective s’étonnait de son inattention.

Lucéard : « Ramenons-le à la surface, j’ai assez vu cet endroit. Je ne sais même pas combien de temps on a passé sous terre. Encore moins la distance qu’on a parcouru. »

Ellébore : « Moi non plus… »

Elle soupira.

Ellébore : « Décidément, j’ai eu ma dose d’émotion forte pour cette semaine. »

Lucéard : « De ce que je sais de ta semaine, tu en as eu assez pour toute ta vie, non ? »

Ironisais-je. La demoiselle répondit pourtant par un sourire espiègle.

Ellébore : « Non, je ne vais pas renoncer à ce genre d’émotion d’aussitôt. Et puis, ça va déjà mieux maintenant que l’on s’est retrouvés. »

Je détournai le regard, le sourire en coin.

Lucéard : « Allons bon… »

En un flash, tout venait de changer autour de nous. Nous étions de retour dans la première pièce du temple. Le trou par lequel nous étions descendus n’était plus là. Nous nous demandions même s’il avait vraiment existé. Des torches tout ce qu’il y avait de plus banal éclairait cette salle. Ne venions-nous pas d’être téléportés ?

Ellébore : « J-je rêve ? Tu vois ce que je vois ? »

S’agitait Ellébore tout en se levant d’un bond.

Lucéard : « Oui, ça alors. »

Avec un certain détachement, je me relevai aussi. La jeune fille retrouva assez vite son grand sourire.

Ellébore : « Ah, j’ai cru que nous étions encore bons pour subir toutes sortes de maléfices. Mais si toi aussi tu as vu ce que j’ai vu, j’en déduis que ce n’est pas une illusion. »

Lucéard : « Bon, on sort ? »

Ellébore : « Tu ne veux même pas savoir ce qu’il vient de se passer ? »

Lucéard : « Ce que je veux savoir, c’est si Semion nous laissera encore dormir chez lui, parce que je tombe de fatigue, là. »

Elle hocha la tête, convaincue.

Ellébore : « C’est vrai que nous n’avons toujours pas dormi. Enfin, je crois… »

Elle semblait prête à fournir l’effort, bien que son corps signalait le contraire.

Ellébore : « Rien que l’idée de retourner m’affaler dans ces grosses couvertures me donne un surplus d’énergie. »

Lucéard : « C’est bon à entendre, ça ! Parce qu’il va falloir soulever Amiel pour le ramener à la surface. »

Je lisais dans les yeux d’Ellébore qu’elle m’implorait pour que je le porte moi.

Après seulement quelques dizaines de marches, je ne pensais qu’à laisser cet homme à son sort. C’était tout sauf une vie de prince. J’étais seulement reconnaissant d’avoir développé mon corps avec Heraldos. Néanmoins, j’étais encore loin d’avoir une silhouette d’athlète. Et je ne me souvenais pas m’être déjà senti en si petite forme. Cette journée et cette nuit avait été éprouvante physiquement, et moralement.

Un râle macabre me sortit de mes pensées. J’étais déjà lassé.

Lucéard : « Oooh, quoi encore ? »

En bas des escaliers, des bras fantomatiques ondulaient vigoureusement.

Ellébore : « Mais… Qu’est-ce que c’est ? »

Lucéard : « On dirait la créature que j’ai vu tout à l’heure ! »

Je lançai un regard inquisiteur à Ellébore.

Lucéard : « …Et que tu n’as pas vu apparemment. »

La demoiselle poussa à son tour un râle. Elle n’avait pas envie qu’on lui rappelle ce qui s’était passé à ce moment-là.

Lucéard : « Bon, il va falloir l’affronter, on dirait… »

Ellébore : « Crois-en mon expérience, nous ferions peut-être mieux de fuir. »

Lucéard : « Depuis quand tu as une expérience en matière de monstre ? Et puis, je pense qu’avec Amiel sur le dos, il nous rattrapera en moins de deux. »

Analysai-je, avant de chercher à attraper ma flûte-double. Je basculai avec notre porté disparu.

Amiel : « Ah, mais faites attention ! »

Un silence d’une poignée de secondes nous permit, à tous les trois, de prendre conscience de l’évolution de cette situation.

Amiel : « Je ne sais pas trop où on est, mais ça serait pas le moment de décamper en vitesse ? »

Affichant en surface un certain flegme, Amiel venait de donner le signal. Nous partîmes tous en courant.

L’homme supposé être en détresse montait les marches plus vite que nous. Ellébore et moi n’avions même plus l’adrénaline pour faire de telles accélérations.

L’horreur derrière nous distordait la lumière, et sans qu’on puisse deviner la forme exacte qui se trouvait au bout de ses bras éthérés, nous pûmes le voir réduire l’écart progressivement. Ses mains s’accrochaient à chaque paroi, et il semblait s’y hisser avec une rage prodigieuse.

Lucéard : « Allez, il faut qu’on atteigne la lumière ! »

Les escaliers devenaient de plus en plus larges, la sortie n’était plus loin, il faisait apparemment jour. Elle ne nous suivrait probablement pas à l’extérieur.

Si je devais recourir à la magie, je sacrifierai ce qu’il me restait d’énergie, et, même si je pouvais sauver ces deux-là, je prenais le risque d’y rester.

Mes jambes étaient si lourdes. Je devais être le plus fort de nous trois, mais toute ma force avait été siphonnée. Plutôt que de voir mon cœur s’emballer, tout semblait devenir calme à l’intérieur de moi, ce qui était plus inquiétant encore. Mon corps était en train d’abandonner.

Je ne voyais ni la sortie, ni ceux qui me précédaient. Ma vision ne faisait que s’obscurcir. Mes jambes ne répondaient plus. Je me laissais basculer en avant sans pouvoir lutter.

Non… Si près…

Je venais de tomber sur une épaule solide.

Disparu 4 : « Allons-y ! On remonte ! »

Trois des plus robustes disparus étaient venus à notre secours, et nous épaulaient pour conclure cette ascension. Je venais de passer à côté de Semion, qui se tenait immobile face à la créature venue des profondeurs.

Son regard était serein, et pourtant, incandescent. Ses vêtements se mirent à s’agiter comme si une violente bourrasque soufflait en dessous de lui.

Lucéard : « Non… Non ! »

Son attitude ne se prêtait pas à l’interprétation, il allait affronter la chose de front.

Ellébore : « Monsieur Semion, pas ça ! »

Nous nous éloignions de lui, soulevés par nos bienfaiteurs. Le monstre était plus furieux que jamais, il ne voulait laisser s’échapper aucun de nous. Mais Semion restait calme.

Semion : « J’ai déjà l’occasion de vous rendre la pareille, et c’est bien ce que je compte faire. »

Il tourna la tête dans notre direction, malgré l’urgence, et nous sourit.

Semion : « Vous pouvez rester chez moi autant que vous le voudrez. Considérez cet endroit comme chez vous. »

Puis il revint face à l’horreur.

Semion : « Merci pour tout. »

Ses bras s’embrasèrent d’un pourpre féroce. Les flammes étaient si fortes qu’il disparut de notre vision au milieu de cette déflagration éblouissante. Ma conscience sombra l’instant d’après.

-5-

Je me réveillai dans un lit peu familier au premier abord. J’avais pourtant déjà essayé d’y dormir. J’étais toujours chez les Gedulas. Le soleil se couchait déjà. Sans perdre un instant, je me précipitai maladroitement devant la chambre d’Ellébore. Je toquais à la porte, impatient. J’attendis à peine une réponse pour ouvrir.

Lucéard : « Ellébore ! »

Elle était là, dans son lit, les cheveux en pagaille, les yeux encore clos. Elle se redressait néanmoins, toujours somnolente. Sa voix était toute faible.

Ellébore : « …Oui ? »

Je venais de me souvenir que nous avions en effet été tirés d’affaires.

Lucéard : « Oh désolé… Je voulais voir comment tu te portais. »

La jeune fille se frottait les yeux. Ses derniers souvenirs lui revinrent aussi.

Ellébore : « Monsieur Semion… »

Elle était réveillée pour de bon. Et c’est avec mélancolie qu’elle se souvint de sa dernière vision.

Ellébore : « Je suis contente de voir que tu vas bien, Lucéard. »

La demoiselle sortit les pieds de ses draps, et me regardait, esquissant son premier sourire de la journée.

Lucéard : « Moi aussi, je suis content. Allons voir Semion quand tu seras prête. »

Ellébore pinçait ses lèvres, inquiète.

Ellébore : « Tu penses…qu’il s’en est sorti ? »

C’était aussi ce que je voulais vérifier, mais je ne voulais pas inquiéter mon amie.

Lucéard : « Je ne pense pas que se sacrifier aurait été la solution. »

On sortit dehors, après l’avoir cherché en vain dans le manoir.

Ellébore : « Lucéard, Lucéard ! »

Elle attirait mon attention vers une tombe. Quelqu’un de bien habillé s’y tenait au pied.

Lucéard : « …Semion ? »

Ellébore : « Semion ! »

La jeune fille accourut vers notre hôte, qui finit par se retourner pour apercevoir le soulagement d’Ellébore.

Semion : « Qu’est-ce qu’il y a ? On dirait que vous avez vu un fantôme. »

C’est de mauvais goût.

Ellébore : « Nous nous faisions un sang d’encre pour vous. Heureuse de voir que vous êtes sain et sauf ! »

J’étais aussi surpris de le voir, sachant qu’il avait fait face à un monstre. Il nous gratifia d’un maigre sourire.

Semion : « Vous m’aviez dit que l’on irait se recueillir sur la tombe de ma petite Meila tous ensemble à votre retour. Si je n’avais pas été au rendez-vous, je n’aurais pas été un bon père. »

Lucéard : « Nous voilà rassurés. »

Semion : « Je le suis aussi. Vous m’avez l’air en forme. Et puis, je suis content que tu ne m’appelles plus monsieur, Ellébore. »

Le visage d’Ellébore se crispa quand elle réalisa avoir été plus familière qu’elle ne l’aurait voulu, ce qui fit rire Semion.

Semion : « Et toi Lucéard, tu m’as l’air d’avoir appris certaines choses en bas. Tu m’as l’air différent. »

Je hochais la tête, me demandant s’il était aussi clairvoyant que sa remarque ne le suggérait.

Semion : « Et… Tu l’as détruite, n’est-ce pas ? »

Lucéard : « Oui. »

Semion : « Eh bien, eh bien. Que diriez-vous que l’on dîne ensemble pour se raconter tout ça. »

Lucéard : « Bien sûr. Il est trop tard pour repartir, et puis, je suis curieux de savoir comment vous avez pu vaincre ce monstre tout seul. »

Il sourit en coin en entendant mes mots, puis apposa la paume de sa main contre son cœur.

Semion : « Mais je n’étais pas seul. »

Je ne m’attendais pas à ce que sa réponse me fasse autant plaisir.

Nous étions à présent tous les trois devant la pierre tombale. Le nom Meila Gedulas y avait été soigneusement gravé. Quelques feuilles mortes avaient déjà eu le temps de couvrir la terre battue.

Ellébore : « Meila, je suis très heureuse d’avoir pu faire la rencontre d’une fillette aussi chou que toi. J’espère que nous continuerons d’être amies pour toujours ! »

Laissant transparaître son affection plus qu’autre chose, Ellébore fut la première à lui adresser ses sentiments.

Lucéard : « Même si ce fut bref, je n’oublierai jamais les moments que nous avons passés ensemble, Meila. »

Semion : « Tu n’as plus à t’en faire pour ton papa désormais ! Il va tout faire pour se montrer aussi courageux que nos deux amis. Il ne laissera plus de malheur arriver en sa présence, et il rendra la vie à ce village de la bonne façon ! Bien sûr, il continuera de te consacrer beaucoup de temps et d’amour. »

Après ce moment solennel, on se recueillit tous les trois, profitant du silence pour se rendre compte de la paix qui nous habitait.

Cependant, des bruits de pas nous rappelèrent bien assez tôt à la réalité. Nous savions déjà de qui il s’agissait.

Tous les disparus étaient rassemblés, au grand complet. Ils étaient tous en forme et nous faisaient des signes de mains avant de s’approcher. Ils discutaient joyeusement entre eux. Je souris en les apercevant.

J’entendis Ellébore renifler discrètement à côté de moi. Ma pauvre amie avait les larmes aux yeux. La demoiselle essuya ses paupières à l’aide de son bras.

Lucéard : « Beau travail, Détective Ystyr. »

La voix nouée, Ellébore répondit à mon regard.

Ellébore : « J’ai…réussi… ! »

Elle secoua la tête, et me montra un sourire rayonnant.

Ellébore : « Non. Nous avons réussi, Lucéard ! »

Je ne me sentais pas peu fier de ce dénouement, mais elle était évidemment la plus méritante de mon point de vue. Pourtant, en me regardant, mon amie avait des étoiles dans les yeux.

Ellébore : « Tu as été génial. Je vais peut-être dire quelque chose de déplacé, mais… Ta sœur doit être tellement fière de toi, Lucéard ! »

Je ne m’attendais pas du tout à cette remarque, et mon cœur se serra aussitôt. Je fus submergé par l’émotion. Je n’avais aucune idée que d’entendre une telle chose pouvait me faire un tel effet. Je luttais à présent pour ne pas perdre mes moyens en public.

Ellébore : « L-lucéard ? Ah ! Je-je suis désolée ! Ah, mais quelle idiote ! »

Je lui tournais le dos plutôt qu’en montrer davantage, puis je bredouillais une réponse.

Lucéard : « Bien sûr que non tu n’es pas idiote… En plus d’être une excellente détective, tu es une amie formidable. »

J’obtins à nouveau un rougissement de sa part, suivi d’un rire embarrassé.

On se retrouva à dîner tous ensemble, et à trinquer à Ellébore, l’héroïne du jour. Plutôt que d’être gênée, son sourire était indécrochable toute la soirée. On finit par se coucher, trouvant malgré tout la fatigue de dormir une nuit de plus. Le lendemain matin, nous repartirons, et ce, chacun de notre côté.

Amiel : « Dépêchez-vous, Ellébore ! »

Ellébore : « J’arrive ! »

Un chariot partait pour Lucécie, et attendait qu’Ellébore monte à bord. C’était l’heure des adieux.

Lucéard : « Ça va me faire bizarre d’être torturé tout seul. »

Ellébore : « Ne t’en fais pas, on se retrouvera bientôt ! »

Lucéard : « Oui, bien sûr, quand je reviendrai à Lucécie, je ne manquerai pas de venir te rendre visite. »

Les récents événements nous avaient beaucoup rapprochés, et je tentais moi aussi de faire durer cette ultime conversation.

Ellébore : « D’ici que tu rentres, je serai une détective de renom ! »

Lucéard : « Désolé de te décevoir, mais je ne compte pas passer les vingt prochaines années dans une forêt. »

Elle sourit à cette petite taquinerie.

Amiel : « Eh oh ? »

Ellébore soupira.

Ellébore : « Bon, et bien, à la prochaine alors ! »

Lucéard : « Oui, au revoir, Ellébore ! »

On se fit des signes de mains avant qu’elle ne disparaisse dans ce vieux véhicule.

Peu après, je montai à cheval, et attachai le second pour qu’il nous suive. Semion et son voisin me regardaient partir, paisiblement.

Je commençais à m’éloigner d’Absenoldeb. Quand je finis par me retourner, le village était déjà loin, et ce paysage m’inspira un sentiment nouveau.

Quelle histoire. Je me sens un peu plus fort depuis ce matin mais, je me rends aussi compte qu’il me reste énormément à apprendre, dans tous les domaines.

Je me plongeais dans mes pensées pour passer le temps.

Et cette voix au plus profond du temple ? Je devrais en parler au maître. J’ai peut-être vraiment rencontré un démon là-bas. Rien que d’y repenser, je me sens un peu mal.

Je jetai un œil au second canasson.

Ellébore aussi a dû beaucoup souffrir de ce qui s’est passé à Absenoldeb, surtout dans le souterrain.

Je m’inquiétais que la pauvre fille ait traversé de terribles épreuves. Ce qui me fit réaliser quelque chose.

Tiens ? Ça me fait penser que je ne lui ai pas demandé ce qu’elle avait fait pendant que nous étions séparés. Bah, je l’interrogerai la prochaine fois.

Bientôt, la forêt d’Azulith m’accueillait de nouveau. Pendant ce trajet, j’avais renforcé une fois de plus ma résolution de m’entraîner d’arrache-pied pour pouvoir être prêt la prochaine fois que je m’embarquerai dans une telle aventure. Je ne pouvais imaginer quelles seraient mes prochaines péripéties, et j’étais très loin de m’attendre à ce que le destin me réservait…

Sous le clair de lune se trouvait une ancienne cathédrale, perchée sur un rocher qui lui-même dominait une ville. Sur la flèche de cet édifice, une silhouette se tenait debout.

???: « Alors comme ça, il aurait été aperçu à Lucécie. Ah, je m’y attendais. »

Cette voix appartenait à quelqu’un dont la jeunesse s’était déjà manifestement émoussée, mais il débordait toujours d’une certaine énergie, et l’enthousiasme qu’il montrait était celui d’un enfant.

???: « Tout compte fait, je serai déçu si je ne lui rendais pas moi-même une petite visite. »

Il riait de manière dramatique, comme s’il s’était forcé toute sa vie à ce que son hilarité puisse donner des sueurs froides à quiconque l’entendrait.

Derrière lui, de sombres silhouettes attendaient en silence.

Un homme rachitique, une femme aux longs cheveux, un colosse, et des yeux luisants sous d’épais vêtements restaient tapis dans les ténèbres.

???: « Après tout, rien au monde ne me ferait plus plaisir que de te voir mourir de mes mains, Lucéard ! »



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