Livre 3, Chapitre 36 – À mon tour de jouer
Barb se leva soudainement du sol et lança sa baguette d’exorciste vers visage rouge. Le bandit esquiva facilement son attaque. Il avança vers l’arrière en laissant une paire de tranchées dans le sable. Il était juste trop rapide, trop habile. Elle n’avait même pas réussi à accrocher ses vêtements pendant toute cette épreuve.
Elle était dans une mauvaise passe. Un filet de sang coulait de ses cheveux ébouriffés sur son front. Elle ressemblait à une femme sauvage, couverte de saleté et de blessures. C’est à ce moment du conflit qu’une étrange pensée se glissa dans son esprit.
Les terres élyséennes étaient-elles vraiment l’utopie qu’elle pensait être ?
Les habitants des friches le pensaient. La plupart des Élyséens aussi. Barb, cependant… elle n’était pas convaincue.
Les Élyséens étaient des personnes, comme tout le monde, et les personnes étaient imparfaites. Ils étaient capables de faire des choses terribles, inadmissibles au nom de la cupidité et de l’égoïsme. C’était juste la façon dont le cœur des hommes était fait. Les habitants des terres désolées portaient cette partie sombre d’eux-mêmes au grand jour, mais les Élyséens l’avaient supprimée au nom de la piété.
Supprimée, pas effacée.
Il ne peut y avoir de lumière sans ombre.
L’hiver avait été froid cette année-là dans la ville frontalière. Une jeune fille au visage et aux mains rouges à cause du froid errait dans les rues. Son corps mince était couvert de chiffons usés. C’était la seule chose qui la protégeait des intempéries pendant qu’elle mendiait. Sa mère, très malade, se trouvait à l’intérieur de leur modeste maison, souffrant de la maladie qui consumait ses poumons. Son père était un voyou bien connu en ville. Il avait été charpentier, et un bon charpentier. Mais le jeu et l’alcool l’avaient consumé. Finalement, ces deux vices avaient volé le peu qu’ils avaient pour nourrir et habiller leur petite famille.
Les premiers souvenirs que la fille avait de son père étaient qu’il trébuchait ivre dans leur maison et les battait, elle et sa mère.
Elle ne l’avait jamais compris. Sa mère était une beauté célèbre. Pourquoi s’était-elle mariée avec une ordure alcoolique et violente comme lui ? Elle ne comprenait pas pourquoi son père ne pouvait pas mieux les traiter comme toutes les autres familles.
En fait… Elle n’était pas du tout la fille de son père.
Son père biologique était un chasseur de démons qui avait quitté leur ville il y a quelque temps – le plus grand membre de leur communauté depuis une décennie. Comme toutes les autres filles de la ville, sa mère s’était entichée de lui.
Le chasseur de démons avait fini par s’enfuir à Skycloud à la recherche d’un meilleur avenir. Là-bas, il avait épousé une noble femme issue d’une famille respectée. Avec des perspectives aussi illustres, il n’y avait aucun intérêt pour lui à garder une humble villageoise. Ainsi, comme dans toute histoire d’amour cliché, la villageoise au grand cœur avait été mise de côté. Pour se protéger, le chasseur de démons avait utilisé son statut prestigieux pour répandre des rumeurs et traîner le nom de la femme dans la boue.
Quand il en a eu fini avec elle, le village l’avait rejetée. Elle était une tache sur leur honneur, une chose ternie à laquelle personne n’osait s’associer. L’église ne lui permettait même pas de prier entre ses murs.
Finalement, elle avait épousé le joueur en dernier recours. C’était un ivrogne méprisable, mais il ramenait au moins de la nourriture à la maison de temps en temps.
L’inquiétude et la fatigue poursuivaient la femme et finissaient par se manifester sous forme de maladie. Jour après jour, elle la consumait de l’intérieur. Le médecin de la ville était indifférent et ne voulait même pas voir la petite fille lorsqu’elle s’était fêlée la tête.
La nouvelle était encore plus triste lorsque celui qu’elle appelait son père avait été retrouvé mort dans un tas d’ordures. Il s’était enivré jusqu’à la stupeur et avait été retrouvé trois jours plus tard. Elle se souvenait de l’odeur quand ils l’avaient ramené à la maison.
Elle ne pouvait plus la supporter.
Sa mère avait tenu quelques mois de plus. Quand la maladie l’avait presque emportée, elle avait ouvert une malle rangée dans un coin de leur masure. Au fond, il y avait une belle robe blanche, le seul vêtement décent qu’elle possédait. Pour la première fois depuis des années, elle s’habilla, se maquilla et se coiffa.
Elle s’était assise devant son miroir, se remémorant des jours passés, tandis que des larmes coulaient sur son visage. Ces souvenirs la transportèrent dans l’obscurité alors qu’elle buvait une fiole de poison qu’elle gardait à son chevet.
Aujourd’hui encore, la jeune fille se souvient d’avoir tenu sa mère dans ses bras, inondée de sang et de larmes. Dans son dernier souffle, elle s’était excusée pour sa vie. Chaque jour qui passait était un jour de plus où elle tenait sa fille dans ses bras. Elle avait dit à la petite fille qu’elle ne devait compter que sur elle-même. Ne laisse personne te retenir. Laissez-les répandre leurs rumeurs. Sèche tes larmes. Les dieux connaisse la vérité. Ne t’accroche pas à la haine, car la haine n’a jamais rien apporté de bon.
Sa mère ne voulait pas de funérailles. La fille l’avait enveloppée dans une natte de paille et avait apporté son corps à l’église pour obtenir de l’aide. Bien que Skycloud ait beaucoup de bonnes âmes, aucune n’était intéressée à aider une fille pitoyable, sans espoir et sa mère morte.
Sous le soleil d’hiver, la mendiante avait disparu. Il n’y avait qu’une enfant qui était désespérée d’enterrer sa propre mère.
Sa mère était une fervente croyante, même si les dieux semblaient l’avoir abandonnée. La jeune fille ne supportait pas de l’enterrer dans la nature, alors elle essaya d’organiser des funérailles modestes malgré les souhaits de sa mère.
Mais, qui s’abaisserait à aider cette fille sale et tragique ? Qui voudrait subir l’ire des autres et gaspiller du temps, des efforts et de l’argent pour ces parias ? Les ecclésiastiques de la ville étaient les amis du chasseur de démons qui avait tant calomnié sa mère et qui lui refuserait des funérailles même si elle avait l’argent.
La fille était perdue. N’ayant nulle part où aller, nulle part où se tourner, elle s’agenouilla au détour d’un carrefour animé de la ville, ses suppliques gravées sur une planche de charbon de bois tachée de larmes.
Un groupe de garçons d’environ son âge l’avait repérée. Ils l’avaient maudite, se moquaient d’elle, et traitaient sa mère de pute. Demander qu’une pécheresse comme elle soit enterrée dans une église était plus qu’éhonté.
La fille s’était défendue. Sa mère n’était pas une putain, avait-elle crié. C’était la faute de cet homme. Ils lui crachaient dessus et lui riaient au visage. L’un d’eux prit sa planche et la réduisit en miettes. C’était plus qu’elle ne pouvait en supporter. Quand elle perdait son calme, elle se jeta sur eux comme un ouragan de griffes et de dents. Mais ils étaient plus nombreux qu’elle. Six garçons la poussèrent au sol et la frappèrent avec leurs mains et leurs pieds.
Elle s’était mise en boule et s’était couvert la tête. Mais elle ne pleurait plus.
« Stop ! »
Le son se fracassa sur eux, aussi tranchant que leurs coups. Il était fort, plein de puissance et de commandement.
Un somptueux carrosse passait par là et était la source de la voix. Quand les garçons l’entendirent, ils se dispersèrent. Un homme d’âge moyen vêtu d’un manteau blanc sortit de la voiture. La fille pensait qu’il avait l’air aussi pur que de la neige fraîche. Il était élégant, noble, presque inhumain, et partout où il passait, le monde semblait juste un peu plus lumineux.
Ses yeux étaient profonds et remplis de perspicacité et de sagesse. Il n’y avait aucun sentiment de tyrannie en lui, mais les yeux étaient inexorablement attirés vers lui.
La jeune fille n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi incroyable.
Il n’a d’abord rien dit. Il regardait son tableau noir, puis revenait vers elle. Finalement, il lui avait demandé de partager son histoire.
Plus tard ce jour-là, la mère de la jeune fille avait été amenée dans l’église et absoute de ses péchés. Elle avait eu droit à des funérailles solennelles et respectueuses auxquelles presque tous les habitants de la ville avaient assisté. Tout cela était si différent du jour précédent.
Et les garçons qui l’avaient battue ? Un par un, ils avaient été fessés publiquement, et leurs parents étaient venus avec des cadeaux de nourriture et d’argent pour implorer son pardon. Mais les manifestations de remords les plus extravagantes étaient venues des plus hautes sphères de la ville. L’aumônier, le commandant de la garnison et le maire – des hommes que la jeune fille n’osait même pas regarder directement – avaient passé une bonne partie de la nuit à genoux devant sa porte. Ils ne partiraient pas tant qu’elle ne leur aurait pas donné son pardon. Le lendemain, ils avaient tous été démis de leurs fonctions pour leur corruption méprisable.
Lorsque l’homme en blanc réapparut devant elle, il lui dit simplement : « Je peux réaliser tous tes souhaits. Il suffit de dire ce que ton cœur désire. »
La jeune fille ne savait pas qui il était, mais elle savait qu’il devait être quelqu’un de spécial. Ces mots étaient restés avec elle pour le reste de sa vie. Bien qu’elle ne sache pas pourquoi, un désir s’était cristallisé dans son esprit.
« Je veux être une chasseuse de démons. »
L’homme l’a regarda de haut. Ses vêtements étaient toujours d’un blanc immaculé. Ils reflétaient la lumière et l’enveloppaient de brillance. Ce n’était pas inconfortable. Au contraire, être en sa présence lui apportait un sentiment de confort. « Très bien, tu sembles avoir l’aptitude. Je vais t’apprendre. »
Les années passèrent. La fille était devenue une femme. Avec l’aide de la ville, elle avait été admise à la formation de chasseur de démons.
Après des années d’enquête, la jeune fille apprit qui était venu à elle toutes ces années auparavant. Il s’appelait Baldur Cloude, l’un des trois maîtres chasseurs de démons de Skycloud et Chevalier-commandant des chasseurs de démons de la Ligue des chasseurs de démons. Il était un véritable et légendaire paladin des dieux.
Une autre triste nouvelle arriva à la jeune fille la veille de sa remise de diplôme. Baldur était mort ! Mais comment ? Qu’est-ce qui avait pu tuer un homme aussi incroyable ?
Après avoir obtenu son diplôme, des familles riches comme les Lunaes étaient intéressées pour l’accueillir. Il y avait aussi des familles militaires qui voulaient la rejoindre, mais elle les avait toutes refusées. Elle avait choisi d’entrer dans la Ligue des chasseurs de démons pour honorer la mémoire de l’homme qui lui avait sauvé la vie.
Quand Barb rouvrit les yeux, la peur et l’incertitude avaient disparu. Ce qui restait était un calme parfait. Son cœur était aussi placide que la surface d’un lac. Dans des mouvements lents et fluides, elle dirigea sa baguette d’exorciste vers son ennemi. À cet instant, la vigueur d’un millier de guerriers l’emplit.
Visage rouge le vit et eut peur.
Elle était blessée, il le savait. Cependant, elle avait encore la force de se lever et de se battre. Se tenir debout était une chose, mais cette aura… même l’infâme bandit du désert réprima un tremblement.
« Hmph ! C’est une balle usée qui essaie juste de se gonfler. Un coup de plus et le combat est terminé. »
Visage rouge balança ses marteaux pour soulever une autre tempête de sable et de vent. Ils ne semblaient jamais s’arrêter alors qu’il se ruait sur le chasseur de démons.
Barb se tenait debout devant l’assaut sauvage, et de ses lèvres teintées de sang jaillit un cri de guerre qui fit trembler les murs de terre de l’hôtel. Sans même voir sa cible, elle libéra un souffle d’énergie facilement deux fois plus fort que ce dont elle était normalement capable.
Elle se leva comme si elle ne pesait rien, la pointe de ses pieds étant encore sur le sol. Elle fit sept pas en avant, et à chaque pas, elle laissa derrière elle un bassin d’énergie. Ses pas scintillaient comme des étoiles tandis que l’énergie s’épanouissait comme des fleurs de lotus. Avec son dernier pas, le sol céda, laissant un cratère dans son sillage.
Il tremblait.
Un pouvoir qu’il avait du mal à croire se déversait de cette simple fille, un véritable pouvoir puisé dans chaque cellule de son être. A chaque pas, elle le puisait au plus profond d’elle-même, et au septième pas, elle était une source de force terrifiante. Combinée à la puissance concentrée de ses pouvoirs de chasseuse de démons, elle était une force inarrêtable.
Mais, avec l’âge vient la sagesse. Il avait survécu à d’innombrables combats contre toutes sortes d’adversaires. Sa réponse était rapide et efficace. Il tourna sur le côté juste à temps pour éviter d’être empalé en plein cœur par le bâton et le repoussa avec son marteau. Le maillet qu’il tenait dans sa main gauche s’écrasa sur son flanc.
Les deux s’envolèrent loin l’un de l’autre.
Il toucha le sol et roula sur quelques mètres avant de se remettre sur ses pieds. Sa rencontre avec la mort l’avait laissé secoué et trempé d’une sueur froide. Il était au bord de l’effondrement. Quand elle toucha le sol, elle était épuisée. Il ne lui restait plus rien pour se remettre sur pied.
« Tut, tut, tut … Je croyais que tu étais un chaton ! Il s’avère que tu es une tigresse. » Il se mit à brandir ses marteaux en se dirigeant vers elle. « Je vais commencer par paralyser tes mains. On va voir si tu vas encore ramasser une arme. »
CLANG !
Le son du métal sur le métal perça l’air. Le marteau de Visage rouge était maintenu par une lame noire.
Une silhouette émergea progressivement devant lui, une ombre faible qui se révéla finalement être un homme portant un masque fantôme argenté. Ses cheveux noirs en bataille et sa cape grise en lambeaux bruissaient sous l’impact de leurs armes.
Cloudhawk regarda le bandit dans les yeux avec une hostilité terrifiante. Sa voix traversait le masque comme le sifflement d’un spectre. « Ça ne sert pas à grand chose de frapper une fille. C’est à mon tour de jouer. »