Après le massacre libérateur que Marlon perpétra, il dormit comme un loir dans l’une des tentes de ses victimes. Avoir les corps à quelques mètres de lui ne le dérangeait nullement, et pendant quelques secondes après son réveil, il se dit que quelque chose était brisé en lui. Peut-être son humanité qui disparaissait ?
Mais il n’avait aucune envie de s’adonner à une introspection personnelle, aussi chassa-t-il ces pensées aussi vite qu’elles étaient apparues.
Au réveil, des insectes commençaient à rôder autour des corps, aussi ne s’attarda-t-il pas. Il récupéra cependant ce qu’il trouva d’utile. Un couteau bien aiguisé qui lui servirait pour dépecer les créatures, quelques fioles vides, ainsi que deux pièges à loup non armés qui étaient posés négligemment près du foyer maintenant éteint.
Même avec son insensibilité, il eut quand même du mal avec les odeurs métalliques et de putréfaction qui commençaient à se dégager de la scène macabre. Une fois sûr qu’il n’avait rien laissé d’important derrière lui, il se remit en route.
Direction les rives du lac et les hameaux qu’il avait aperçus là-bas.
Au bout d’une ou deux heures de marche, et après s’être lavé sommairement dans le cours d’eau, il se retrouva devant l’entrée des vergers gigantesques vus auparavant, et il décida d’acheter quelques fruits frais, histoire de changer un peu son régime alimentaire.
Aussi loin que son regard pouvait porter, de grands arbres se dressaient tels des mastodontes. Tous étaient chargés de fruits de couleurs différentes. Certains étaient jaunes, d’autres violets. Il en vit même qui étaient aussi noirs que le jais.
Ce qui semblaient être des humains s’affairaient dans les grandes allées qui séparaient les diverses variétés de fruits, les transportant dans des sortes de chariots roulant en bois. Malgré leur rythme effréné, aucun chargement ne tomba, ce qui tenait du miracle vu leur taille. Lui-même aurait du mal à pousser une de ces brouettes sans la faire chavirer.
A quelques mètres de l’entrée, une sorte de bâtisse ouverte aux quatre vents faisait office de marché couvert, et un homme semblait le tenir. De nombreuses caisses contenant des légumes et des fruits étaient éparpillés sur des rayons en bois massifs et Marlon fut émerveillé par le choix qu’il y avait.
Il n’avait jamais vu de toute son existence autant de produits frais !
S’avançant vers l’homme qui lui jetait un regard amorphe et machait quelque chose avec force, il afficha un sourire modeste et demanda d’un ton humble :
« Bonjour, monsieur. Je suis impressionné par tous ces produits que vous avez ! J’aimerais vous en acheter quelques-uns, cela serait-il possible ? »
L’homme continua à le regarder de haut en bas et il cracha vulgairement ce qu’il machait jusque-là à l’extérieur de l’entrepôt couvert.
« Mouais, ça devrait pouvoir se faire…qu’est ce qui veut, l’rupin ? »
Le fort accent avec lequel s’exprimait l’individu qui lui faisait face surprit le jeune homme mais il ne laissa rien paraître sur son visage.
« Quelques fruits et légumes provenant du verger, mettez donc un peu de tout. J’ai dix pièces de cuivre seulement, donc je serais ravi de vous acheter tout ça pour un montant inférieur. »
Les yeux du bonhomme luirent d’avidité et son état amorphe se transforma soudain en entrain dynamisant.
« Haha, mais pour sûr, m’sieur ! J’vas vous chercher tout ça, bouge donc pas ! Par contre ici, c’est tout payé d’avance. On n’aime point trop les voleurs, i s’comprend, non ? »
Même si Marlon mit quelques secondes à déchiffrer ce que lui avait dit le paysan, il ne rechigna pas et tendit les dix pièces qui disparurent en moins d’une seconde dans les mains de son interlocuteur.
Ce dernier s’inclina et partit sans se presser vers l’extérieur du bâtiment. Ne comprenant pas pourquoi il s’était sauvé alors que les denrées étaient apparemment toutes là, le jeune homme prit son mal en patience et poireauta.
Au bout de quelques minutes, quelqu’un arriva depuis le verger et vint prendre la place du vendeur. Sauf que ce n’était pas le même homme. Il regarda Marlon avec la même morgue que le précédent et ne dit rien, se contentant de le dévisager.
« Eu…excusez-moi, mais j’ai donné de l’argent au vendeur et il doit m’amener mes fruits. »
« Quessquia ? Lé pas content, l’rupin ? Faut jamais payer avant d’voir la marchandise ! On t’la jamais appris, ça ? Pi s’tu veux, j’te prends ton ptit chaton et jte l’fais griller. I s’ra bien goutu, t’inquiètes pas ! »
Ce type avait le même accent à couper au couteau que celui d’avant, et Marlon commença à comprendre qu’il était en train de se faire arnaquer. Fou de rage qu’on ait pu le prendre à ce point pour un pigeon, il commença à dégainer son épée mais s’arrêta immédiatement lorsqu’il vit une quinzaine d’autres types similaires débarquer de tous les côtés.
« tssss tssss, j’frais pas ça si j’étais toi. T’es ptet un dur à cuire, mais nouzot on est plus de deux cents à trimer dans s’bahut. Tiens tu prends c’ke tu veux la d’dan, et tu files aussi vite que possib. Sinon on t’découpe, dit alors le vendeur en lui lançant une petite caisse pouvant contenir à peine un kilo ou deux de produits. »
Le jeune homme voulait tous les tuer. Il voulait dégainer son épée et foncer dans le tas en faisant le plus de dégâts que possible. Les vider, voir la souffrance et le regret sur leur visage alors qu’il les étriperait dans un concert de hurlements dont il se délecterait.
Cela dut se voir dans son regard, car il sentit tous les hommes lui faisant face se raidir imperceptiblement alors que son intention de tuer transpirait littéralement par tous les pores de sa peau. Mais ils étaient trop nombreux. Marlon savait qu’il pourrait en emmener probablement la moitié avec lui dans la tombe, mais pas plus.
Il se força à se calmer et prit une grande inspiration pour ne pas céder à ses instincts primaires, mais cela fut difficile. Il se faisait arnaquer dans les grandes largeurs, et il ne pouvait strictement rien y faire. Il ne s’était pas attendu à cela, et du coup aucune Rune qu’il aurait pu utiliser n’était prête à servir…
Il s’en mordit les lèvres et le goût du sang lui coula dans la bouche. Son manque de prévoyance venait de lui jouer un sale tour.
Sans s’attarder, plus par peur de céder à la violence et de mourir bêtement que par crainte de ses adversaires, il remplit sa cagette de quelques fruits semblant frais et sortit du verger aussi vite que possible.
Il leur lança un dernier regard en partant et se jura qu’il ne les laisserait pas s’en sortir aussi facilement, dusse-t-il revenir plus tard pour se venger. Tous souriaient indécemment et l’un d’entre eux se permit même de lui faire un petit signe d’au revoir de la main.
Je vais tous les tuer, je le jure !
Cette pensée hanta Marlon de longues minutes après qu’il ait quitté le verger. Il se dirigea vers un arbre à la frondaison de la forêt et sortit son épée. Plein de haine, il se mit à frapper l’arbre en criant sa frustration et sa colère. Ce n’est que quand ses bras furent douloureux et son souffle court qu’il s’arrêta.
A force de le frapper, l’arbre dont il aurait eu du mal à faire le tour avec ses bras était coupé sur la moitié de sa largeur et menaçait de tomber. Son épée qui venait d’être utilisée comme une hache était ébréchée sur quasiment toute sa longueur et il s’en voulut instantanément. Mais il ne pouvait pas contrôler sa colère. Quand elle montait en lui, elle effaçait tout sur son passage. La raison comme l’humanité disparaissaient et ne laissaient plus place qu’à une soif de sang et de violence inextinguible.
Il souffla un bon coup, sentant que l’exercice lui avait fait du bien, puis il se dirigea vers le lac, quittant enfin la prairie relativement monotone dans laquelle il évoluait depuis plus d’une semaine. L’herbe se raréfiait pour se transformer en roche grise et dure parsemée de galets. Certains faisaient la taille d’un ongle, d’autres celle d’un poing.
Marlon aimait beaucoup les différents tons de gris qu’ils avaient, faisant comme une mosaïque contrastée gigantesque. Ce qu’il appréciait beaucoup moins, c’était la douleur qu’il ressentait à chaque pas qu’il faisait.
Les chausses qu’il portait, cadeau de Selia, n’avaient presque plus de semelle, et il sentait absolument tout sous la plante de ses pieds. Avec les ressources d’Akranio, il n’était pas étonnant que la qualité soit basse, mais il aurait quand même espéré que cela dure un peu plus. A côté de lui, Luna vagabondait joyeusement en poussant occasionnellement quelques miaulements interrogateurs alors qu’il jurait en boitillant sur les galets.
Il fut plus que content d’arriver devant la palissade d’un des hameaux côtiers qu’il avait repéré quelques jours auparavant. Qui aurait cru qu’il aurait fallu autant marcher pour l’atteindre ?
Il n’y avait aucun garde devant l’entrée, et aussitôt qu’il passa les murs, il fut assailli par une très forte odeur de poisson pourri. Si forte que les larmes lui montèrent aux yeux et qu’il faillit vomir.
Sa chimère, elle, faisait des bonds d’excitation en venant lui mordiller la jambe tous les quelques sauts. Il comprit que le poisson devait être un de ses mets favoris, et il se promit d’en chercher un peu pour elle.
Comme pour aller avec l’odeur pestilentielle, les maisons et autres bâtiments du hameau semblaient tous vieux, usés et rongés par le temps. Les toits étaient pour la plupart percés, les murs manquaient d’entretien et les pancartes de boutique paraissaient délabrées. Tout était d’une couleur gris pâle, un peu comme le sol qu’il avait foulé jusque-là.
Çà et là, de grands séchoirs en bois étaient emplis de poissons vidés, et il comprit d’où venait l’odeur.
Il fut surpris par le peu de personnes présentes dans les rues. Il en vit seulement trois ou quatre, qui toutes le regardèrent avec un air de mépris non contenu. Quand il passa à leur hauteur, ils crachèrent même derrière lui et lui lancèrent des injonctions dans un langage qu’il ne comprit pas. Il se souvint de l’avertissement de Selia, encore une fois, et se promit de ne pas traîner dans ce village. L’épisode du verger était marqué au fer rouge dans son esprit et il n’avait pas encore eu d’occasion de se préparer correctement. Il devait rapidement trouver un forgeron, puis une auberge où il pourrait glaner quelques renseignements.
Pour le premier, ce fut rapide. Un signe branlant représentant un marteau qui frappait sur une enclume ornait l’une des maisons à quelques dizaines de mètres de l’entrée du village. Les rues étaient droites et sans détour, ce qui rendait l’orientation très facile. Il vit que la porte était ouverte, aussi ne se gêna-t-il pas et pénétra dans la boutique.
L’odeur de métal chauffé et de cuir le rassurèrent quelque peu, mais ne calmèrent en rien l’humeur relativement massacrante dans laquelle il se trouvait. La boutique en elle-même jurait avec l’extérieur décrépit, et il fut étonné de voir les étagères emplies d’armes et de pièces d’armures diverses, impeccablement alignées et rangées. Derrière un comptoir en bois lustré se trouvait un homme au teint hâlé, et il regarda Marlon avec une légère pointe d’arrogance dans le regard.
-Bien l’bonjour, client ! Qu’est s’que j’peux faire pour vous aider ?
Son accent était moins prononcé que chez les travailleurs du verger rencontrés plus tôt, aussi le jeune homme n’eut pas besoin de décrypter ce qu’il disait. Qui plus est, il était aimable et souriant, aussi se détendit-il légèrement, gardant tout de même un soupçon de méfiance actif dans son esprit.
-Bonjour, monsieur. J’aurais besoin de réparer ma lame, et peut-être de vous acheter quelques fournitures. Cotte de mailles légère ainsi qu’une armure en cuir, si vous avez cela.
Le vendeur parut réfléchir intensément en regardant Marlon, et il finit par hocher la tête.
-Montrez-moi vot’lame, m’sieur.
Il ne se fit pas prier et dès qu’il le fit, un sifflement désapprobateur franchit les lèvres du bonhomme.
-Fiiiiiiiouuuu, vous l’avez frappé contre d’la roche, ou bien ? Sans vous manquer d’respect, c’est pas comme ça qu’on traite une lame ! Va falloir changer la lame, hein. J’peux pas faire d’miracles, m’sieur.
-Dans ce cas, vendez-moi une épée, s’il vous plaît…
Son interlocuteur hocha la tête et sortit de son comptoir tout en retirant les équipements que Marlon désirait des étagères. Quand il eut fini, un tas conséquent s’était amoncelé sur une table jusqu’alors vide.
-Voilà, m’sieur. Tout ça, j’vous le fais pour une pièce d’argent et cinquante de cuivres.
Le jeune homme possédait à peu de choses près cent soixante pièces de cuivre qu’il avait durement accumulé pendant son séjour à Akranio, et vu qu’une pièce d’argent en représentait cent de cuivre, il n’aurait plus rien après cette transaction. Mais il en avait besoin.
Il avait décidé de s’équiper un peu plus en conséquence à sa sortie du verger. Il fallait qu’il puisse prendre quelques coups sans forcément être gravement blessé et pouvoir faire face à des adversaires plus nombreux que lui. Et après s’être entraîné durement, il pouvait au moins dessiner quelques runes sur l’armure pour être plus rapide et se protéger davantage.
-Très bien, mais en échange de cette somme, vous auriez un endroit où je pourrais me reposer ?
Marlon avait vu l’escalier négligemment caché derrière une tenture mal dépliée et croisait les doigts pour que cela mène à une chambre. Il avait besoin d’une heure ou deux de tranquillité pour dessiner ses runes, pas plus.
L’homme lui faisant face réfléchit pendant de longues secondes avant d’acquiescer lentement de la tête.
-J’vous prête ma piaule, mais seulement parce que vous êtes un client correct. I faîtes pas le bazar, hein ? J’allais fermer l’échoppe, et j’vais aller me rincer le gosier correctement grâce à vous.
Marlon le suivit et après avoir grimpé l’escalier avec ses achats, il fut promptement abandonné par le vendeur alors qu’il était dans une chambre propre mais spartiate. Aucun meuble à part le lit, des murs de bois nus sans aucune décoration, et une ouverture de fenêtre en bois que venaient clore deux volets abîmés.
Après avoir entendu la porte de la boutique se fermer, il ne perdit pas une seconde et aligna ses nouvelles possessions proprement sur le sol. Il mit de côté ses vieilles chausses trouées et ignora comme il put l’odeur pestilentielle qui s’en échappa lorsqu’il les enleva.
Sur des bouts de tissus qu’il récupéra sur ses vêtements abimés, il traça quelques runes Course et Etincelle, sans les compléter totalement, ce qui lui permettrait de réagir rapidement si le besoin s’en faisait sentir.
Il réussit à en tracer deux de chaque, puis décida que cela serait suffisant.
Epuisé, il se laissa tomber sur le lit de tout son long et laissa son esprit dériver pendant un long moment. Il ne s’endormit pas, et au bout d’un moment il se décida à ranger tout le foutoir qu’il avait laissé, se disant que le vendeur ne serait pas très content de voir sa petite chambre tranquille dans un tel état.
Il ouvrit la fenêtre afin d’aérer la pièce et de faire disparaître la légère odeur métallique du sang qu’il avait utilisé pour tracer les runes, ainsi que celle de ses chausses qui semblait s’accrocher dans l’air avec force.
Il était sur le point de se recoucher lorsqu’il entendit du bruit provenant du rez-de-chaussée. Il se figea et fixa son attention sur ce qu’il entendait mais il ne mit que quelques secondes à comprendre en entendant la voix du vendeur ricaner et parler de la chambre en haut. Ils venaient le dépouiller de toutes ses possessions. Il avait déjà donné tout son argent, il leur fallait maintenant récupérer la marchandise.
Sérieux, je mériterais presque de me faire voler. Selia m’avait clairement prévenu et je ne l’ai pas écouté. Bordel de merde !
Sans perdre une seconde, il tira le lit violemment devant la porte et la bloqua du mieux qu’il pouvait. Puis il commença à enfiler son armure, croisant les doigts pour avoir assez de temps. La rage avait pris possession de lui et il s’en voulait énormément.
Les gens venus le dérober avaient dû se douter de quelque chose en entendant le vacarme au-dessus de leur tête, et après une tentative infructueuse pour ouvrir la porte de grands coups furent donnés contre. Elle n’était pas très solide, aussi des trous apparurent très rapidement alors que des coups de hache étaient donnés de plus en plus frénétiquement contre la porte.
-C’est bloqué avec ton foutu lit, Turion ! Allez, les gars, on s’dépêche d’éclater ça !
La voix qui avait retenti exsudait la rage et le jeune homme se dit que c’était une très mauvaise idée de traîner. Il se hâta d’enfiler les dernières pièces de son armure et quand ce fut fait, il se prépara à se battre.
Ceux venus le dérober avaient l’air d’être une bonne dizaine, et il sentit une sueur froide lui couler le long du dos. Il s’avança, lame en main, et mit un coup d’estoc le plus fort qu’il put. Il sentit une résistance qui céda rapidement et un borborygme sanglant alors qu’il ramenait sa lame à lui. Elle était maintenant enduite de sang et il fut content d’avoir blessé au moins l’un d’entre eux.
-Les gars, l’cancrelat s’défend ! Arrêtez, i vas nous embrocher comme des papillons si on continue comme ça ! Turion, va chercher deux arbalètes en bas et prends-y aussi vingt carreaux. On va jouer un peu, hahaha !
Marlon se sentit mal alors qu’il entendit la phrase de celui qui devait être le chef. Il ne pouvait qu’entre-apercevoir des silhouettes floues derrière les trous taillés dans la porte, mais il savait pertinemment que s’ils se contentaient de tirer des carreaux à travers, ils finiraient par l’avoir. Le jeune homme commençait à se sentir à court de solutions, mais à aucun moment la panique ne prit possession de lui.
Il fit l’inventaire des solutions qui lui restait, et elles n’étaient pas nombreuses.
Soit il restait et faisait de son mieux pour les tuer. Mais vu l’équipement dont ils disposaient et le nombre qu’ils étaient, les chances de Marlon étaient très faibles.
Il pourrait aussi mettre le feu au bois dont était fait la pièce, mais il s’étoufferait probablement avant eux, ce qui en soit était une très mauvaise idée.
La dernière solution était celle qui lui plaisait le moins, mais il avait une plus grande chance de réussir. Il mettait le feu à la chambre grâce à une rune, puis il sautait par la fenêtre en espérant ne pas se faire trop mal à l’atterrissage. Il y avait une pente sur le toit avant d’atteindre le rebord, mais la hauteur dont il chuterait équivalait quand même à quatre mètres. De quoi se casser un os ou deux s’il atterrissait mal…
Il entendait les pas de quelqu’un remonter les marches, et il savait que le laps de temps dont il disposait était écoulé. Il prit sa décision et sortit une feuille de parchemin de son sac, traçant sans hésitation la rune d’Etincelle avec une intention désespérée mais puissante. Quand il l’acheva et qu’une puissante flamme surgit du parchemin, commençant sans délai à dévorer le bois et à s’étendre, il mit son paquetage sur le dos, finit de tracer un des parchemins de Course avant de l’activer et s’élança comme un lapin vers la fenêtre.
Sa vitesse fut démultipliée par le sort et il brisa les deux volets de bois alors que son saut l’emporta bien plus loin que la pente du toit. Il mit ses bras en avant pour se protéger du choc avec le mur du bâtiment en face qu’il avait rejoint en moins d’une seconde. Qui eut cru que ses runes seraient si efficaces et lui joueraient un tour comme celui-là ?
Le premier impact fut gérable mais lorsqu’il rebondit et atterrit sur le dos, son paquetage absorbant le plus gros du choc, l’air fut chassé de ses poumons et il se retrouva momentanément incapable de respirer. Il entendait maintenant au loin les exclamations de ceux qui voulaient le dépouiller. Ils criaient de rage alors qu’ils croyaient que Marlon grillait dans la fournaise qui commençait à dévorer le bâtiment tout entier. Une fumée noire et épaisse sortait maintenant de la fenêtre et le jeune homme se félicita d’avoir choisi la solution la plus extrême, sans quoi il aurait grillé comme un bout de steak sur un feu de camp. Luna, elle, l’avait suivi d’un pas tranquille en sautant de toit en fenêtre sans aucune difficulté, pas l’air le moins du monde inquiétée par ce qui se passait.
Lorsqu’il put de nouveau respirer normalement, il se redressa et se mit à courir vers le rivage. Heureusement, il y avait toujours autant de monde dans les rues, et Marlon chargeait comme un taureau enragé dans les rues du hameau. Ses avant-bras le faisaient souffrir, mais il ignora la douleur en espérant qu’il trouverait un bateau vide pour pouvoir filer par les eaux. Ses poursuivants n’allaient pas tarder à se rendre compte qu’il n’avait pas grillé dans la pièce et les deux personnes qu’il croisa eurent un regard si mauvais que le jeune homme n’eut aucun doute sur le fait qu’ils allaient raconter l’avoir vu au premier qui les croiserait.
Il finit la deuxième rune Course et l’activa alors que l’effet de la première s’estompait et il se mit à courir de toutes ses forces.
-Les gars, il est dehors ! Ce taré a sauté !
Ils ont été bien plus rapides que ce que je pensais…allez accélère !
Son sort fut définitivement ce qui lui sauva la vie. Le vent sifflait dans ses oreilles et il allait plus vite que ce qu’un humain normal devrait pouvoir accomplir.
Tchac, Tchac !
Deux carreaux d’arbalète vinrent se ficher dans son paquetage et il sentit leur pression dans son dos, manquant même de trébucher et de tomber sous la force de l’impact. Il l’aurait laissé dans la chambre, il serait déjà mort deux fois !
Ne perdant à aucun moment son rythme, il zigzagua dans la rue pour minimiser les chances d’être encore frappé par les projectiles. Il les entendit siffler à ses oreilles et les vit ricocher sur les murs devant lui. Il prit soudainement à droite alors que la voix de ses poursuivants se faisait de plus en plus lointaine et il vit enfin ce qui allait surement lui sauver la vie : le rivage.
Le hameau n’était pas grand, mais sous le coup de l’adrénaline, il avait l’impression de courir depuis de longues minutes. En réalité, cela avait duré à peine quarante secondes. Il vit deux pontons, un sur sa gauche et l’autre droit devant lui. Voyant que les deux avaient des embarcations amarrées à eux, il fonça sur le plus proche, droit devant, et en un instant il avait tranché l’amarre d’un coup d’épée, poussant de toute ses forces sur le ponton.
La barque, qui n’aurait pas pu embarquer plus de trois personnes, fut comme propulsée vers l’avant et s’éloigna rapidement de la rive. Ses poursuivants, eux, arrivaient loin derrière et quand ils virent où était leur cible, crièrent de rage, l’insultant copieusement.
-Sale lâche, t’ferais mieux d’revenir ! On voulait juste t’voler, pas t’blesser !
Ils semblaient vraiment tristes de laisser une proie de choix comme Marlon s’échapper. Il ne put s’empêcher de penser que ses poursuivants étaient vraiment acharnés et il s’en voulait presque de ne pas les avoir affrontés. Il serait mort, mais cela aurait surement été un combat magnifique ! Il secoua la tête pour chasser ces idées de confrontation qui ne lui auraient valu qu’une fin violente et rapide. Il se retourna et vit que Luna avait sauté dans l’embarcation sans qu’il s’en rendre compte. Ce chat était vraiment incroyable ! A aucun moment le jeune homme ne s’en préoccupa et pourtant il était là, imperturbable, faisant sa toilette comme si rien ne s’était passé.
Il ne perdit pas de temps et attrapa les deux rames vissées sur les côtés du navire avant de se mettre à ramer énergiquement pour s’éloigner encore plus du ponton et des projectiles d’arbalète qui fusaient toujours et ne passaient pas très loin de Marlon.
Une fois que plusieurs dizaines de mètres étaient entre ses poursuivants et lui, le jeune homme se relâcha légèrement et se mit soudainement à trembler de tout son corps alors que l’adrénaline refluait lentement et que la tension nerveuse en lui s’apaisait.
Ce coup-ci, ce n’est vraiment pas passé loin…ils vont me le payer très cher.
Il eut un rire nerveux qui avait une résonance profondément hystérique alors qu’il venait d’échapper à la mort de justesse plusieurs fois de suite. Il sera bien plus attentif aux conseils qu’on lui donne, la prochaine fois…