Lancelot demeurait ferme sur sa position, il soutenait énergétiquement l’emploi des reliques du Néant. Mais il ne parvint pas à convaincre ses deux interlocuteurs de la justesse de ses arguments. Le débat n’évolua pas sur une évolution de l’opinion parmi les membres du trio.
Merlin pensait alors que l’avenir des royaumes elfiques reposait sur ses épaules, qu’il devait étudier d’arrache-pied les reliques pour découvrir leurs secrets et le moyen de les purifier durablement de leur magie corruptrice, de leur lien avec des énergies amenant la folie, la déchéance morale et dans certains cas des changements physiques monstrueux. Il se focalisa surtout sur l’épée du Néant, car c’était l’artefact qui semblait avoir la préférence d’Arthur.
Toutes les reliques avaient une grande puissance mystique, mais certaines n’étaient pas adaptées pour le champ de bataille à cause de leurs pouvoirs, ou d’un aspect qui risquait de couvrir de ridicule leur utilisateur. Merlin s’acharna comme un forcené afin de découvrir le maximum de renseignements sur l’épée. Cependant même en travaillant d’arrache-pied, il ne parvenait pas à extirper complètement la corruption des reliques. Il contribua à la conception de sceaux protecteurs amenuisant les effets pernicieux de ces objets ; toutefois il était dans l’incapacité de bloquer totalement leurs effets corrupteurs. Ainsi un individu avec une faible volonté qui maniait l’épée du Néant tomberait facilement dans la dépravation sur le long terme.
Morgane était hostile aux reliques car leur voisinage lui donnait l’impression de devenir monstrueuse. Sa partie sombre se révélait plus active quand elle se trouvait à proximité d’un artefact en rapport avec le Néant. Elle lui murmurait des mots horribles, d’oublier tout patriotisme pour s’adonner à des activités sexuelles dans le seul but de renforcer son influence personnelle.
Elle lui suggérait d’abandonner toute foi dans le genre masculin, de travailler à la mise en place de dynasties royales exclusivement féminines chez les elfes et ailleurs. Son féminisme déjà par moment exacerbé se rapprochait de fanatique à cause des reliques. Ainsi sa partie méchante suggérait des actes non seulement de discrimination mais aussi des mesures sanglantes contre les hommes qui refuseraient la domination sans conteste de la femme, le recours à la torture, la création de prisons spéciales, bref un panel d’idées assez dangereux pour la gente masculine.
Mais le plus dérangeant ne venait pas des appels au massacre ou aux supplices sur des hommes, le plus perturbant était que la partie sombre dénaturait des souvenirs chers au cœur de Morgane, et soufflait avec véhémence que le juge Gérard Intègre ne l’avait jamais aimé, qu’il n’était intéressé que par son physique. Ce genre d’attaques mentales incita Morgane à voir les reliques comme des objets purement maléfiques.
Malheureusement l’artefact appelé les bottes du Néant fut volé par un humain. Il était exposé dans un endroit réputé très sûr, car Merlin et ses prédécesseurs jetèrent des centaines de sortilèges de dissimulation dans les lieux. De plus les bottes n’avaient pas une allure spécialement remarquable, elles ressemblaient à des chaussures marrons de cuir comme il en existait des centaines. Arthur posa des questions à Merlin dans la tente des complots afin de découvrir une piste sur le larcin. Il était franchement paniqué à l’idée que les bottes puissent servir des desseins nuisibles contre les elfes.
Arthur : Qui sont les voleurs des bottes du Néant ?
Merlin : Pour l’instant on n’a réussi à identifier de manière certaine qu’un seul bandit. En recoupant les témoignages du personnel j’ai réussi à découvrir le visage d’un voleur. Voici son portrait.
Arthur : Mais c’est Alphonse l’imbécile, il doit s’agir d’une erreur. Le visage que je vois appartient à un des plus grands bêtas que j’ai rencontré.
Merlin : La personne que vous voyez n’est pas forcément Alphonse, il peut s’agir d’un sosie ou d’un frère jumeau.
Arthur : As-tu une idée même vague de qui pourrait être le commanditaire du vol ?
Merlin : Le commanditaire reste inconnu, mais le voleur identifié chaussé des bottes du Néant a été aperçu jouant les bandits de grand chemin dans la forêt d’Imis.
Arthur : Très bien je vais me rendre dans ces bois.
Merlin : Votre haute-majesté, vous prenez de très gros risques. Celui qui chausse les bottes du Néant dispose d’une vitesse surhumaine qui lui permet de ridiculiser en vitesse les chevaux les plus rapides, et possède des réflexes incroyables.
Arthur : J’ai une part de responsabilités dans le vol des bottes du Néant. Si j’avais plus insisté, la sécurité aurait pu être suffisante pour empêcher le cambriolage.
Merlin : Je tiens à vous accompagner, nous ne serons pas trop de deux dans l’aventure dans laquelle vous vous engagez.
Après deux heures de déambulation, Arthur et Merlin tombèrent sur Alphonse le voleur. Ils cheminèrent à pied dans une forêt de pins, ils remarquèrent d’ailleurs des signes de corruption magique chez leur interlocuteur. Alphonse dégageait une aura malfaisante d’un très haut niveau. De plus les alentours de la maison du voleur présentaient des signes inquiétants, la végétation était déformée par la magie noire, elle adoptait des couleurs particulières.
Par exemple certains pins s’avéraient avoir des épines bleues, ils développèrent aussi des crocs et des griffes, bientôt ils risquaient de se transformer en des plantes carnivores très agressives.
Mais le plus exposé à la corruption s’avérait Alphonse, il ne le savait pas forcément, mais son âme était presque souillée de manière irrémédiable par la sorcellerie du Néant. Encore quelques jours voire heures et son esprit serait conditionné pour être privé de son libre-arbitre. Il ne se révélerait plus qu’un jouet entre les mains d’une puissance maléfique.
Pourtant le voleur avait l’air très heureux, il rayonnait de bonheur à la perspective d’exercer une vengeance possible contre Arthur. De son côté le vampire ne savait pas comment réagir, il avait envie de frapper son ennemi, cependant il ressentait dans le même temps une immense pitié. Il estimait que son adversaire ne méritait pas de la haine, cependant il éprouvait un pressentiment qu’Alphonse représenterait un jour ou l’autre une menace tangible, s’il était épargné. Alors le vampire hésitait sur la conduite à adopter à son égard, il oscillait entre le laisser en vie, ou bien lui offrir la mort s’il le vainquait.
Par contre Merlin était certain de l’attitude à adopter, il fallait torturer très lentement l’ennemi afin de lui faire regretter ses actes. Il serait nécessaire de le tourmenter avec une minutie particulièrement poussée. Tant pis si les lois elfiques interdisaient le recours au supplice. Si d’autres personnes apprenaient le vol de la relique du Néant et qu’Arthur se montrait clément, il y aurait une recrudescence des tentatives de dérober des artefacts précieux.
Merlin pensait que la situation nécessitait des démarches exceptionnelles. De toute façon la victime de torture serait un humain, et le ressentiment des elfes serait suffisant pour qu’ils applaudissent des mesures exemplaires contre un voleur qui mettait en péril l’intégrité des royaumes elfiques. Il fallait violer Alphonse par l’intermédiaire de chiens en chaleur, puis lui ôter très lentement toute sa peau afin de l’écorcher vif, et seulement enfin le tuer.
Puis Merlin eut un intense sentiment de honte le submergeant, certes il subissait l’influence d’une puissante sorcellerie, mais ce n’était pas une raison pour excuser des pensées vues comme sanguinaires. D’ailleurs il sentait que son interlocuteur Arthur se maîtrisait mieux que lui. Bien qu’il soit un vampire, un être subissant par moment des élans de méchanceté ou de cruauté très développés, il parvenait pour l’instant à dominer des instincts bestiaux.
Merlin ne pouvait pas lire les pensées, mais il était capable de discerner l’état d’esprit d’une personne en fonction de son aura. Ce qu’il décelait le contrariait, Arthur était un peu tourmenté mais il paraissait avoir des pensées beaucoup moins vicieuses que lui.
De son côté Alphonse exprimait une grande arrogance.
Alphonse : Tiens, tiens Arthur cela fait longtemps, tu te promenais ou tu étais à ma recherche ? Je ne te rouerai pas de coups, si tu me donnes beaucoup de plaisir sexuel.
Merlin : Comment oses-tu être aussi familier avec sa haute-majesté ?
Alphonse : Tiens tranquille ton laquais, sinon je crois que je vais lui couper la langue.
Merlin : Je ne suis pas un serviteur, je suis un conseiller haut-royal et un haut-prince.
Alphonse : Moi je suis le plus grand voleur de tous les temps. J’ai réussi un coup que mes amis qualifiaient d’impossible. J’ai volé les bottes du Néant, et je suis devenu si rapide que je peux faire le tour du monde en quelques secondes.
Arthur : Ne te réjouis pas trop vite, je parie que tu n’as pratiquement aucun mérite dans le vol que tu as commis, qu’en fait tu as été guidé par le Néant.
Alphonse : Il est vrai que j’ai eu des visions qui m’ont été très utiles, mais mon mérite reste grand.
Arthur : Plutôt ta stupidité, une personne avec une intelligence et une volonté faibles telle que toi, est condamnée à devenir sur le court terme un esclave du Néant.
Alphonse : Je ne suis pas un misérable esclave, mais un élu destiné à régner un jour sur le monde. Tu serviras d’ailleurs à mes plans, je compte tirer de toi et de ton ami une belle rançon.
Arthur : Pour que tes projets d’enlèvement aboutissent, il faudrait déjà que tu représentes une menace pour moi et Merlin.
Alphonse : Cela m’arrange que tu refuses de coopérer, j’avais très envie de te taper dessus.
Arthur : À ta place j’enlèverai les bottes immédiatement, même toi tu dois te rendre compte que tu es en train de changer, que tu perds le contrôle de ton corps.
Alphonse : Tu as raison et tort, je change mais il s’agit d’une modification voulue. Pour entrer dans la légende il fallait que j’endurcisse mon cœur, que je n’ai pas peur de commettre des massacres.
Arthur : Tu es plus pathétique que je le pensais, tu repousses chaque jour les limites de ce que l’humanité a connu de pire en matière de personnes pitoyables. Dans un dictionnaire illustré, il y a ton portrait à côté du mot lamentable.
Alphonse : Tout ce que tes insultes te vaudront c’est une dérouillée plus longue, je vais prendre un malin plaisir à te rouer de coups Arthur.
Arthur : Essaie toujours petit larbin du Néant.
Arthur le vampire visa une corde sensible, en présentant Alphonse le voleur comme un larbin. En effet le scélérat détestait plus que tout que quelqu’un le dénigre comme une personne corvéable à merci. Alphonse était très fier de se considérer comme un homme indépendant, responsable et surtout important. Il voulait que le monde le voie comme un individu influent, et non un sbire de seconde zone. Résultat le voleur modifia ses plans concernant le vampire, il choisit de le tuer après avoir touché une rançon. Il hésitait sur le sort de Merlin le haut-mage, puis il se dit que moins il laisserait de témoin, plus il lui sera facile de rester libre. De plus cela affecterait durement Arthur de voir le haut-mage mourir.
Alphonse essaya de frapper avec un bâton en bois Merlin et Arthur, mais un sort du haut-magicien le protégeait des coups, et le haut-roi parait aisément les attaques du bandit avec l’épée du Néant. Le voleur ne désespérait pas de prendre sa revanche sur le vampire. D’ici un à deux mois il serait devenu beaucoup plus puissant. Tant qu’il aurait ses bottes magiques, il s’avérerait un interlocuteur privilégié de l’entité appelée Néant. En effet l’informe couvrait de cadeaux surnaturels Alphonse, chaque jour il recevait au moins deux pouvoirs magiques, et un accroissement de ses caractéristiques physiques et intellectuelles. Ainsi il pouvait soulever sans effort un rocher de vingt tonnes, il apprenait trente fois plus vite qu’avant, il mémorisait un texte de dix mille mots en moins d’une heure.
Cependant Arthur avait raison sur le point que la volonté du voleur diminuait avec le temps, qu’il se changeait en pantin sans âme. Ceux qui se laissaient volontairement corrompre par le Néant, et ne cherchaient pas à combattre leur souillure, petit à petit se transformaient en marionnettes. L’entité était dominatrice, et elle n’aimait pas les volontés fortes, sauf exception particulière elle s’arrangeait pour que ses adeptes soient très obéissants.
Alphonse pouvait recourir à des milliers d’attaques en quelques secondes, mais il dut admettre que ses coups de bâton ne faisaient pas grand effet sur ses adversaires, aussi il résolut de battre en retraite quelques minutes.
Alphonse : Je vois que vous avez pris tous les deux des précautions. Mais je vais bientôt trouver la faille dans votre défense.
Merlin : Temps stoppe-toi.