Un soleil perçant les accueille de l’autre côté. Loin de la douceur printanière de Glyndal, l’ambiance suffocante d’Arozon les prend à la gorge. Un vent sec balaye l’environnement rocheux dépourvu de végétation. Peu décidés à admirer le paysage, ils se dirigent vers le campement des pionniers mentionné par le bureaucrate. Des galets irréguliers recouvrent le sol, rendant chacun de leur pas pénible.
Ils s’engagent à travers un défilé rocailleux. De chaque côté, deux immenses murs de pierres naturels les encadrent dans leur progression. L’aspect du terrain dérange Yann, de part sa forme propice à une embuscade. Son âme de soldat imagine à son insu un sombre scénario. Il déguise son malaise pour ne pas inquiéter Lucie. Aux aguets, il n’abandonne ce qui-vive qu’à la fin de la formation géologique, deux kilomètres plus loin. Il se relâche, content de se tromper.
Au loin, ils devinent le camp des pionniers. Des fanions flottants au vent marquent son emplacement. Une heure après leur arrivée, ils pénètrent dans un campement incomparable à celui de Glyndal. Là où ce dernier était de bric et de brocs avec un aspect improvisé, celui-ci, au contraire, à des airs de ville-champignon avec des bâtiments sans esthétisme en bois. De plus, il fourmille d’une activité à l’organisation quasi-militaire. Chaque personne se dirige d’un point à un autre sans aucune supervision. Tous connaissent leur rôle à la perfection. Un groupe se charge de préparer le prochain repas quand un autre, composé de forgerons, assure l’entretien des outils. A Glyndal, les assignations tournaient entre les pionniers selon l’humeur de chacun. Ici, au contraire, la spécialisation implique de ne se concentrer que sur une unique tâche. Le nombre de pionniers s’élève bien au-delà de la centaine, ce qui explique la nécessité de ce système. Yann face à cette quantité impressionnante, s’abstient de toute estimation.
Ils traversent la palissade encerclant la ville. Deux gardes en faction les interpellent :
« Eh vous, vous êtes bien des explorateurs ?
– C’est exact, répond Yann.
– Ah tant mieux, le capitaine nous a ordonné de vous amener à lui lors de votre arrivée. Si vous voulez bien me suivre. »
Le plus grand des gardes leur indique de le suivre. Ils s’exécutent sans discuter. Il les amène au pied du plus grand bâtiment du village. A l’intérieur, la simplicité du décors démontre que seul la rapidité a compté lors de sa construction. Le garde toque à la première porte de droite. Il s’écrie en même temps :
« Capitaine ! Ce sont les explorateurs que vous attendez..
– Parfait, qu’ils entrent !
Le garde, s’écarte pour leur donner accès à la pièce. A l’intérieur, un homme vers la fin de la trentaine, le visage marqué par les cernes, les attend. A ses côtés, repose un monticule de parchemin qu’il trie. Sans quitter les yeux de son travail, il fait signe au garde de retourner à son poste puis les interroge :
– Déclinez votre identité je vous prie.
– Bonjour, moi c’est Lucie et lui, Yann.
– Bien, Yann et Lucie. Moi c’est le capitaine Fadric. Je suis responsable de tout ce qui touche à la sécurité sur ce camp. Vous êtes donc placés sous mon autorité. Je serais bref, le temps me manque. Vous, avec la deuxième équipe d’explorateurs, devrez localiser trois emplacements qui nous intéresse. Premièrement, celui du gardien. Nous avons une petite idée de sa localisation mais elle n’est guère aisée à atteindre. Pour le moment, nous pensons cette objectif inatteignable mais qui sait… Si vous voulez plus de détails, concertez-vous avec la deuxième équipe tant qu’elle est encore dans le camp. Deuxièmement, signalez-nous toute concentration anormale de créatures qui implique la présence d’endroit intéressant pour nous. Il s’agit soit de gisement de ressources précieuses soit d’oasis. Dernier point, nous voulons installer un avant-poste avancé dans le nord pour faciliter la suite des opérations. Si, sur place, un endroit vous y semble propice n’hésitez pas à nous le signaler. Des questions ?
– Euh, oui, ose Lucie, vous ne nous donnez pas de consignes particulières ?
– Éviter de mourir, la paperasse est plutôt laborieuse pour ce genre d’histoire…
– Et à part ça, rien d’autre ?
– Non, je n’ai pas le temps de m’occuper de gens comme vous. Je vous donne ce que nous voulons, à vous de remplir votre mission. Vous gérez comme vous le souhaitez. Allez voir le responsable de l’entrepôt, il vous approvisionnera avec ce que vous lui demanderez dans la limite du raisonnable et après, c’est vous qui vous débrouillez. Vous voulez partir une semaine en expédition ? Grand bien vous fasse, tant que vous revenez avec des résultats et en vie si possible. Compris ?
– Compris, capitaine ! S’exclame Lucie.
– Dans ce cas, exécution ! Pas loin d’ici, vous trouverez un petit bâtiment dédié aux explorateurs, pareil que pour le reste, vous le gérez comme vous voulez tant que vous ne me causer aucun ennui. Je compte sur vous ! »
Sur ces paroles, il retourne à son travail. Intimidé par son attitude, le duo reste paralyser quelques secondes avant de se décider à partir. Ils trouvent sans difficulté le lieu mentionné par le capitaine. Ils y rentrent. Soudain, une créature verdâtre apparaît sous leur yeux. Par réflexe, Yann dégaine son pieu et s’apprête à la transpercer avant que Lucie ne s’interpose :
« Attends ! »
La créature, stoïque, le fixe d’un air contrarié :
– Eh bien allez-y ! Plantez-moi tant que vous y êtes !
Yann, surpris par l’attitude de sa camarade, abaisse la pointe de son arme. Il dévisage la créature avant de demander à Lucie :
– Qu’est-ce que c’est que cette chose ?
– C’est un gobelin, voyons ça se voit non ?
– Je veux bien le croire mais ce n’est pas une créature ?
– En voilà des manières ! S’indigne le gobelin.
– Non, non, c’est une race qui vit dans certains mondes, comme les humains sur Terre où à Yrcor.
– Ah, mais ils ne sont pas censés être dangereux ?
– Pas plus que les humains… Certes, ils ont une mauvaise réputation mais ils ne sont pas méchants à proprement parler. Dans les mondes épars, il n’est pas rare de croiser d’autres races… Surtout dans les groupes d’explorateurs, propices à ce genre de mélange.
– Ah je crois comprendre… Désolé monsieur le gobelin, je ne voulais pas vous effrayé.
– Ne vous inquiétez pas, il a l’habitude, n’est-ce pas, Gueudar ? S’invite une femme à l’apparence humaine.
– Mais quand même, je ne pensais pas recevoir ce genre de traitement par mes pairs… Enfin, maintenant que ce malentendu est dissipé, autant se présenter. Comme le disais mon compagnon, je me prénomme Gueudar et comme vous l’avez deviné, je suis un gobelin.
– Quant à moi, c’est Mélida, demi-elfe, pour vous servir. Il manque nos deux compagnons humains, Adrel et Noti.
– Chez nous, le grand gaillard énervé c’est Yann et moi je suis Lucie. Nous sommes tous deux des humains. Je suppose que vous êtes le deuxième groupe d’explorateurs dont nous a parlé le capitaine ?
– C’est exact ! Bienvenue, Lucie et Yann à Arozon, s’exclame Mélida.
Maintenant qu’il l’observe, Yann découvre la particularité de son visage. De ses longs cheveux roux tressés, sortent le bout pointu de ses oreilles. Sa face, sans aspérité ni défaut, lui donne une sensation de perfection surnaturelle qui, à la fois le dérange et le fascine. Les yeux noisettes de la demi-elfe, plus grand que ceux d’un humain amplifient cette impression surréelle. Décontenancé, il fuit son regard. Elle remarque son attitude avec tristesse :
– Votre ami à un problème avec les non-humains ?
– Pas du tout, il ne connaît pas grand-chose en dehors de notre monde, intervient Lucie.
– Je suis désolé, je ne voulais pas heurter votre sensibilité. C’est la première fois que je rencontre un elfe et je me disais que les légendes de mon monde sur leur beauté n’étaient pas usurpées…
– Pardon ?! Tu ne peux pas dire ça ! Veuillez le pardonner, il ne connaît pas vos us, il ne pensait pas à mal…
– Ce n’est rien, au contraire, cela fait longtemps que l’on ne m’a pas complimenté de la sorte… rougit-elle.
– Bref, les interrompt Gueudar, nous nous apprêtions à partir en expédition. Nous finalisions nos préparatifs avant que vous arriver nous insulter…
– Bien sûr dans ce cas, nous allons vous laisser en paix. Nous mêmes nous devons nous mettre au travail pour découvrir ce monde.
– Pourquoi ne pas nous accompagner, suggère Mélida.
– Ah non ! Nous avons déjà suffisamment d’incompétents dans notre groupe pour ne pas en ajouter d’autres ! Et puis à part nous ralentir, ils nous serons d’aucune utilité. Laisse-leur le temps de s’acclimater et après nous en rediscuterons.
– Ah… lâche Mélida, déçu par le refus net du gobelin.
– Ne vous inquiétez pas pour nous, nous nous débrouillerons, la rassure Lucie.
– Voilà, tu vois ? Pas la peine de s’inquiéter maintenant, au revoir et à bientôt !
– Au revoir ! S’exclame Lucie et Mélida.
– Au revoir… souffle Yann. »
Le gobelin et la demi-elfe sortent du bâtiment. Les deux explorateurs se dévisagent pendant quelques instants avant de parler de leur curieuse rencontre :
« Pas très agréable ce gobelin, commence Yann.
– En même temps tu ne l’as pas été non plus…
– Comment pouvais-je savoir que c’était un gobelin sympa… Si y a bien un truc que je sais sur le fantastique et les jeux vidéos c’est que les gobelins ne sont jamais gentils…
– Eh bien là, c’est pas le cas…
– Encore que… D’ailleurs pourquoi tout le monde a été choqué par ce que j’ai dis à Mélida ? C’était trop directe ?
– Tu l’as complimentée sur son apparence…
– Et ? Je reconnais que c’est idiot de dire ça dès notre rencontre mais pas au point de provoquer un incident diplomatique, si ?
– Chez les elfes, faire un compliment revient à avoir pitié de quelqu’un. Pour eux, si tu prends la peine de chercher quelque chose de bien chez une personne, c’est qu’elle en a besoin… Autant dire que c’est une insulte pour eux, voire même pire…
– Mais c’est ultra arrogant comme façon de penser…
– Je ne te le fais pas dire…
– D’autant plus que c’est une demi-elfe, peut-être qu’elle ne l’a pas mal pris… Qui sait, elle est peut-être plus proche de son côté humain qu’elfe… Et je ne comprends pas, pourquoi elle a dis que cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas reçu un compliment alors qu’elle est magnifique, non ?
– Pas pour beaucoup de monde, tous les demi-elfes naissent roux et la réputation de cette couleur n’est pas la meilleure, même dans notre monde… Donc ajoute à cela, le fait d’être un mélange entre deux races promptes à exclure ceux qui sont différents, autant dire que sa vie n’a pas été des plus agréables…
– Dit comme ça… Que faisons-nous, nous de notre côté ?
– Comme je leur ai dis, nous allons repérer les alentours et affronter les créatures du coin pour se préparer à la vraie exploration ! En plus, il nous reste même des ressources de notre précédent monde donc nous n’avons même pas de temps à perdre à aller en récupérer à l’entrepôt.
– En route alors. »
A leur tour, ils sortent du bâtiment, non sans y laisser leur affaire les plus encombrantes.