À cause de l’enfer brûlant dans leurs pupilles, ceux qui pratiquaient les Yeux Divins du Neuvième Enfer perdaient au fil du temps leur sensibilité aux couleurs jusqu’à ce que le monde ne fût que de noir et de blanc.
Ce symptôme était irréversible en raison de sa nature, il n’y avait aucun remède.
Ce détail n’était pas reflété par la Bibliothèque de la Voie Céleste, mais grâce à sa profonde compréhension de la Voie de la Médecine et de la cultivation, Zhang Xuan pouvait établir ce diagnostic.
– « Achro… Quoi ? » Le Sage Kui était perplexe devant ce terme qui lui était étranger.
– « Vous ne savez pas ce que c’est ? » Le prodige lui aussi fut surpris, puis comprit.
Ce monde était différent, des notions précises sur des problèmes de vue n’étaient sans doute pas aussi connues ici-bas.
Il réfléchit un moment avant de décider comment il lui expliquerait ce concept. « L’achromatopsie fait référence au manque de sensibilité des yeux à percevoir les couleurs. Prenez mes vêtements par exemple, quelle couleur voyez-vous ? »
– « Gris. »
– « Ils sont bleu clair, pas gris. »
– « Bleu clair ? » Le Sage Kui fronça les sourcils.
Il se moque de moi ?
– « Laissez-moi vous poser une autre question. Combien de couleurs y a-t-il dans un arc-en-ciel ? » Zhang Xuan agita alors la main et créa de ces ponts à sept couleurs au-dessus d’eux.
– « Euh… Il ne semble pas y avoir sept couleurs dans celui-ci. Et puis, elles sont trop similaires, je ne sais pas trop… » Fixant intensément l’illusion d’optique, le Doyen eut un choc.
Il avait vu beaucoup d’arcs-en-ciel dans sa jeunesse, et il avait pu distinguer avec précision toutes leurs nuances. Mais là, il ne pouvait identifier que trois couleurs, et la différence entre elles était très vague. Se pouvait-il qu’il souffrît d’achromatopsie ?
Était-ce vraiment un effet secondaire de la pratique des Yeux Divins du Neuvième Enfer, le chef-d’œuvre de son professeur ?
Pendant tant d’années, il avait conservé une foi absolue dans cet art optique. Cependant, l’analyse pertinente du jeune homme le força à le remettre en question.
– « Alors… y a-t-il un moyen de résoudre ce problème ? » demanda-t-il.
– « Jusqu’à présent, je n’ai réussi qu’à analyser les défauts de la technique. Je n’ai pas encore trouvé le moyen de les résoudre… »
La Bibliothèque de la Voie Céleste ne reflétait que les failles, et Zhang Xuan n’avait jamais été en contact avec des manuels traitant d’arts optiques, il n’avait donc rien à compiler avec les Yeux Divins du Neuvième Enfer pour les perfectionner.
– « Cependant, puisque nous avons identifié le problème, trouver une solution n’est qu’une question de temps! »
Tant qu’il parvenait à trouver suffisamment d’ouvrages, rien ne lui était impossible.
Précédemment, il avait trouvé de nombreux défauts dans la Paume du Grand Démon Céleste Attristé de l’Ancien Sage Qiu Wu, et la pratique de la technique aurait également pu le rendre aveugle. Néanmoins, en le compilant avec de nombreuses autres techniques, il avait résolu ce problème.
– « Espérons… » Son interlocuteur hocha la tête. « Alors, allez-vous apprendre les Yeux Divins du Neuvième Enfer ? » Il savait à quel point l’Oeil de la Perspicacité était puissant, il serait donc regrettable de perdre la vue en s’y risquant.
– « Je pense attendre un peu. Je vais essayer d’en résoudre les problèmes avant de m’y mettre. »
Malgré ses défauts, cette technique de combat était formidable. Il brûlait d’envie de trouver un moyen d’accéder aux manuels nécessaires à son perfectionnement.
Mais il ne devait pas non plus se précipiter. Ce qui lui manquait le plus à ce moment-là, ce n’était pas les techniques de combat, mais de cultivation.
Si son niveau était trop bas, peu importait le nombre d’arts formidables en sa possession, il serait incapable de faire vaciller le Clan Zhang et le Clan Luo.
– « Oui, il vaut mieux. Pendant les trois prochains jours, essayez d’acquérir une compréhension plus complète des Yeux Divins du Neuvième Enfer. Je n’aurai plus l’occasion de répondre à vos interrogations une fois que vous aurez quitté ces lieux! »
– « Merci, Doyen! » Après quoi, Zhang Xuan s’assit par terre.
Alors qu’il paraissait regarder les mots dans les airs, il était en réalité plongé dans ses pensées, essayant de saisir pleinement tout ce qui concernait cette technique.
Il y a plus de trente défauts dans l’art optique, et chacun d’entre eux inflige de graves blessures au corps.
Après un moment de réflexion, il se frotta le visage, impuissant.
Ce n’était pas qu’il ne voulait pas pratiquer la technique, mais qu’il y avait tout simplement bien trop de défauts! Comment un perfectionniste comme lui pouvait-il l’avaler ?
S’il se forçait, il pourrait très bien mourir, révulsé, avant même de souffrir de ces contrecoups annoncés.
Voyant qu’il était immobile depuis un certain temps, le Sage Kui s’enquit d’un sourire aimable : « Alors ? Y a-t-il quelque chose qui vous trouble ? Je peux sans doute vous aider. »
Zhang Xuan hésita un moment avant de secouer la tête. « Certains aspects de l’art optique me troublent, en effet, mais ne vous inquiétez pas. Je ne pense pas que vous puissiez m’éclairer. »
Ce n’était pas qu’il le prenait de haut, mais même l’Ancien Sage Bo Shang lui-même aurait probablement été incapable de l’aider! Sinon, comment aurait-il pu devenir aveugle ?
– « Vous dites que je suis incapable de vous porter assistance ? » Le Sage fronça les sourcils, mécontent. « J’ai passé plusieurs siècles à le cultiver, et j’ai même atteint le second niveau. Je suis certain d’être raisonnablement compétent sur sa pratique! »
Il savait que ce jeune homme possédait un discernement exceptionnel, au point qu’il avait été capable de remarquer un défaut majeur dans l’art optique en un clin d’œil. Néanmoins, il avait lui-même suivi cette technique pendant de nombreuses années, sans parler du fait qu’il avait été très puissant. Il avait confiance en sa compréhension approfondie de la technique de combat, il serait capable de répondre à la moindre des questions de ce candidat!
– « Vraiment ? » Voyant son air confiant, Zhang Xuan roula des yeux et sourit. « Très bien, je vous serais très reconnaissant si vous pouviez m’éclairer sur quelques points. Premièrement, pour le Regard des Déités et des Démons, quelle forme devrait exactement prendre les apparitions ? S’il ne s’agit que d’une interprétation personnelle, l’efficacité de l’art optique n’en sera-t-elle pas affectée ? »
– « Ce… » Le fragment d’âme fut pris par surprise.
Personne n’avait vu une vraie divinité auparavant, bonne ou mauvaise, naturellement ces êtres étaient extrêmement difficiles à imaginer pour un simple humain.
En fait, chaque fois que le Sage Kui avait utilisé cette technique, il avait instinctivement imaginé le carnage et le sang, dans l’intention d’utiliser la soif de sang comme substitut à ce concept et pour instiller la peur dans le cœur de ses adversaires.
Alors qu’il était sur le point de lui avouer sa méthode personnelle, le jeune homme ajouta : « Si nous n’imaginons qu’un simple massacre, lorsque la soif de sang a rongé toute conscience, en quoi sommes-nous différents des démons de l’Autre Monde ? Utiliser la barbarie pour remplacer la suprématie, n’est-ce pas une mauvaise interprétation de la technique ? »
Le visage du brin de volonté pâlit.
Il avait raison. À force de se baigner lui-même fréquemment dans des images sanglantes et meurtrières, il fut temps où il avait été incapable de contrôler sa soif de sang. Il avait alors courut dans la galerie souterraine pour massacrer des démons de l’Autre Monde jusqu’à plus soif.
En un sens, déformer la technique ainsi en faisait un art dépravé, en totale contradiction avec les croyances d’un Maître Enseignant.
– « Deuxième question! » Le voyant incapable de répondre, Zhang Xuan continua. « Le Regard des Déités et des Démons utilise les yeux pour attaquer l’âme d’une cible. Mais pour réussir, il faut d’abord absorber un soupçon d’énergie de celle-ci pour viser précisément son Esprit Primordial. Mais si l’adversaire en est conscient, il peut saisir cette opportunité pour submerger l’âme du lanceur et le mettre dans une position délicate. En outre, si l’Esprit Primordial de la cible est bien trop fort, se forcer à utiliser cette attaque infligera un important contrecoup! »
Le Sage Kui resta silencieux, incapable de prononcer un seul mot.
Il s’agissait d’un autre des défauts du Regard des Déités et des Démons. Même son professeur, l’Ancien Sage Bo Shang, avait été incapable de le résoudre.
Toutefois, vu la vitesse d’un affrontement, rares pouvaient le remarquer et l’utiliser contre eux.
Ce ne pouvait être considéré comme une large ouverture.
Mais… Puisqu’il avait pu le pointer du doigt, il ne pouvait balayer son analyse en prétendant que ce problème était négligeable.
– « Troisième question. Pour cultiver la Colère d’Asura, il faut utiliser les flammes pour reforger ses yeux et la glace pour les tempérer. Grâce à l’union du chaud et du froid, un équilibre est formé dans les yeux. Mais bien que le contraste de ces deux puissances puisse augmenter la force des formations et renforcer les lignes de perspicacité, la force de l’âme s’en trouve affaiblie, comme piégée derrière un sceau, d’où une régression de l’Esprit Primordial… »
Zhang Xuan posa toutes ses questions l’une après l’autre.
A chacune d’elles, le visage du Sage devenait plus pâle encore. À la dixième question, sa silhouette était déjà devenue si transparente qu’il semblait être sur le point de disparaître.
Il n’était plus choqué. Il était horrifié.
Les Yeux Divins du Neuvième Enfer avaient été créés par son professeur, mais ils avaient inévitablement des défauts. Néanmoins, ils n’étaient pas frappants, et ne causaient généralement pas de problèmes en combat.
Mais d’un seul regard, ce jeune homme les avait tous vu, les récitant l’un derrière l’autre sans erreur. S’il avait été un ennemi, cette simple connaissance lui aurait permis de le vaincre et de l’aveugler en un unique échange!
Le réaliser lui donna des sueurs froides.
Il avait pensé qu’après avoir appris les Yeux Divins du Neuvième Enfer, presque personne dans ce monde n’était plus à sa hauteur, et que dans n’importe quelle bataille, tant qu’il utilisait l’art optique, sa victoire était assurée.
Mais là, il réalisa que la seule raison pour laquelle il était resté invaincu si longtemps était qu’il n’avait jamais rencontré un véritable expert. S’il avait rencontré un ennemi du calibre de ce jeune prodige, aurait-il encore ses deux yeux ?
“Les nageurs les plus compétents peuvent se noyer.” La complaisance avait fini par le prendre à revers.
Il est capable de voir tant de défauts d’un simple regard… et j’ai essayé de lui donner des conseils…
Son corps se raidit. Il se sentait si mal qu’il ne pouvait même pas prononcer le moindre mot.
Juste un instant plus tôt, il avait déclaré avec confiance qu’il allait le guider, mais il n’avait pu répondre à une seule de ses questions.
La sensation de honte lui donnait l’envie de se jeter dans un trou.
– « Treizième question… Bref, restons-en là. Doyen, avez-vous réfléchi à une solution pour un des problèmes soulevés ? »
Il y eut un long moment de silence. Le prodige ajouta alors d’une voix réconfortante : « Inutile de se précipiter, prenez le temps d’y réfléchir. Nous avons encore deux jours devant nous. Je vais d’abord faire une sieste. Sentez-vous libre de me réveiller quand vous aurez fini, et je continuerai à vous poser mes autres questions. »
Tousse tousse! Le Sage Kui grimaça sauvagement tandis que sa silhouette vacillait.
C’était lui qui était censé clarifier ses troubles! Pourquoi lui semblait-il que ce jeune homme lui faisait la leçon ?
Pire encore… Il lui était impossible de répondre!
Même son professeur n’aurait pas pu le faire! Si celui-ci en avait vraiment été capable, les Yeux auraient déjà été améliorés.
Même deux années d’intense réflexion auraient été insuffisantes, alors deux jours ?!
Il était là en temps qu’éclat de volonté pour évaluer les générations venant après lui, et il avait fini par se retrouver dans la position de l’élève à qui on confiait un exercice.
D’où sortait ce monstre ?
Après s’être longuement plongé dans ses pensées et être arrivé à la conclusion qu’il lui était impossible de trouver quelque chose à répondre à la moindre de ses questions, le Sage Kui tourna son regard vers le jeune homme, impuissant. Il le vit alors, allongé et profondément endormi. De la bave dégoulinait de sa bouche ouverte, un sourire béat illuminant son visage, comme s’il faisait de beaux rêves.
Ce petit… Qui entre nous deux est le premier Maître de S anctuaire ?
Sa vision devint floue. Il était si frustré que son être vacilla, sur le point de se dissiper.