Livre 1 chapitre 119 – Excitation
L’académicien Roste alluma une bougie, dont la frêle lumière se répandit dans la chambre noire. Il retira de son cou le collier en os du doigt et frotta soigneusement chacun d’eux. Il était clair que cet étrange choix de bijoux et la douzaine d’os qui le composaient étaient spéciaux pour lui.
Violé par des bandits… femme tuée… frère mangé vivant par des mutants… un fils mort de faim… une fille tuée par la maladie… et son professeur pris de vieillesse.
De la jeunesse ignorante au vieil homme hagard, Roste avait vécu une vie dure que personne ne pouvait connaître. Tous ceux qui étaient importants pour lui étaient morts, et à chaque fois, il avait gardé un seul os de doigt pour se souvenir d’eux. Finalement, il en avait rassemblé assez pour fabriquer son collier, qu’il portait tous les jours. Ceux qu’il avait aimés et perdus étaient toujours avec lui, leurs histoires faisant partie des siennes.
Pourquoi les humains étaient-ils si fragiles ? Si faibles ?
La moindre blessure ou maladie pouvait les emporter. Les catastrophes naturelles ou celles causées par l’homme pouvaient les anéantir en un clin d’œil.
Alors qu’il ruminait ses pensées amères, Roste caressa les os un par un. Il ne savait pas si c’était sa vision floue ou un tour de la lumière de bougie, mais il pouvait presque voir les visages souriants de ceux qu’il avait perdus derrière le voile séparant la vie et la mort. Cela faisait des années, mais chaque détail se détachait nettement dans son esprit comme s’ils étaient juste devant lui.
Bonheur, tristesse, douceur, désespoir, douleur, confusion, hésitation…
Ces émotions compliquées et intenses vivaient dans les souvenirs. Elles voyageaient avec Roste à travers chaque jour de ses luttes.
« Je vais réussir ! Je vais créer la créature la plus puissante du monde, une créature qui ne vieillit pas, ne tombe pas malade et ne meurt pas. Ma création sera invincible ! Peu importe que personne ne comprenne. Je n’ai pas besoin que quelqu’un comprenne parce que le chemin de la grandeur est un chemin solitaire. Un jour, ils le sauront. Mon travail est pour le bien de l’humanité. Mes recherches vont inverser notre triste destin et sauver ce monde brisé ! Je vais effacer l’histoire et créer un nouvel avenir ! »
Roste ne craignait pas la mort, car il ne restait plus rien dans ce monde qui l’intéressait. Il était prêt à sacrifier n’importe quoi et n’importe qui à la poursuite de son rêve. Ne répondant à personne, lui seul allait transformer l’avenir de la planète et créer quelque chose de nouveau !
Il avait déjà appris tous les secrets des terres désolées. Il était temps qu’il se tourne vers les terres élyséennes. Une fois ces deux réalités disparates réunies, un nouvel âge d’or allait naître.
« Voyez-vous ? Mon travail est presque terminé ! Je vous demande d’être avec moi. »
Il se retourna, toussant en serrant le poing. Les profondes crevasses creusées dans son visage s’approfondirent à mesure qu’il grimaçait contre la tension. Quand il put respirer à nouveau, il remit les os autour de son cou. Des pas s’approchaient de lui par-derrière, et d’après le son, il pouvait dire à qui ils appartenaient. Cette démarche était rapide et sans retenue, ce qui signifiait que la personne lui était familière. C’était quelqu’un qui portait de bonnes nouvelles.
Chimp apparut avec un sourire sur le visage. « La tolérance de ce gamin est bien meilleure que ce à quoi nous nous attendions. Il a déjà pris une série de médicaments, et le processus avance rapidement. Il est fort. Nous pouvons probablement commencer la prochaine phase. »
Roste était préparé à cette éventualité depuis un certain temps. Il sortit une boîte et la remit à Chimp. “Allez”.
Ce dernier prit la boîte avec révérence et la tint fermement dans ses mains. Soudain, il eut une idée. « Académicien, que va-t-on faire de Hellflower et de Hyène ? »
Roste connaissait les désirs qui vivaient dans le cœur noir de Chimp. « Nous effaçons leurs esprits. Je te laisse t’occuper de ça. »
Un sourire tordu fendit le visage de Chimp. Un des laboratoires était déjà préparé à cet effet. Une fois que les drogues auraient brisé leurs volontés, tous les deux seraient aussi dociles que le reste de leurs soldats mutants. Hyène lui importait peu, mais il convoitait depuis longtemps la chair souple de Hellflower. Bientôt, elle le servirait de la manière qu’il souhaitait. Le simple fait d’y penser le faisait saliver.
« Mais, notre travail passe avant tout. Ne gâche pas tout ce à quoi nous nous sommes consacrés. »
« Ne vous inquiétez pas, Académicien. Je superviserai personnellement le processus de Cloudhawk. Je garantis qu’il n’y aura aucun problème. »
Le corps frêle de l’académicien Roste disparut.
Chimp s’inclina devant la forme de retraite de son chef. Son respect et sa loyauté étaient absolus. Il était différent de Hyène et de Hellflower qui avaient rejoint la cause plus tard. Il avait été l’un des premiers à suivre Roste. Bien qu’il fût un homme lascif et timide, il croyait en l’Académicien de toutes les fibres de son être.
Ce n’était pas seulement que Roste était son professeur. Après tant d’années, il savait que le cœur du vieil homme était vrai. Il n’était pas mauvais ou ambitieux pour le plaisir de l’ambition. Chimp croyait pleinement à sa mission de transformer les terres désolées et le destin de l’humanité.
Il y en avait beaucoup dans cette base, même autour de l’académicien lui-même, qui n’avaient d’autre choix que de servir la volonté du savant. Cependant, Chimp était certain dans sa croyance qu’un jour, Roste serait salué comme un sauveur. Son nom resterait à jamais gravé dans les mémoires dans le bel avenir qu’ils envisageaient ensemble.
Et cette salope de Hellflower… elle avait osé essayer de voler les recherches du grand homme ? On peut en rire !
Les réalisations de l’académicien Roste étaient le résultat de décennies d’études minutieuses. Il était le seul au monde capable de mener à bien ces recherches. Essayer de voler son travail important pour un gain égoïste était un péché impardonnable !
« Hmph, elle devra attendre. Pour l’instant, le travail de l’académicien est plus important que tout autre chose. »
Quand leur travail avec Cloudhawk serait terminé, il ferait comprendre à cette femme ce qu’est le désespoir. Il lui enseignerait le sens de la douleur. Il laisserait Roste s’amuser, puis, lorsque sa volonté serait brisée, les traîtres seraient punis. Enfin, il pourrait exprimer sa haine.
Il amena plusieurs scientifiques avec lui dans la cage. À leur arrivée, ils le trouvèrent accroupi à l’intérieur, les mains serrées l’une contre l’autre. Il disait quelque chose, trop silencieusement pour que les autres l’entendent. Peut-être parlait-il avec son dieu, bien que ce ne soit pas la posture ou le style typique de la prière.
Il avait été maintenu dans un état d’esprit confus pendant plusieurs jours.
« Il n’a pas perdu l’esprit, n’est-ce pas… ? »
Il essayait désespérément de réveiller la pierre, mais pendant toute la nuit, peu importe ses efforts ou ses actes, il n’y avait aucune réaction de sa part. Il était tellement rempli de rage et de ressentiment que lorsqu’il l’entendit arriver, il l’aurait déchiqueté avec ses dents s’il n’avait pas été enchaîné.
« Il a encore ses facultés ? Bien, c’est bien. » Il fit un geste des mains et les gardes ouvrirent la cage. Ils l’avaient forcé à rester au sol assez longtemps pour que le scientifique lui injecte un sédatif, et une fois de plus, il fut rendu impuissant. « Prenez-le », ordonna Chimp.
Est-ce que tout recommençait ? Est-ce qu’aujourd’hui aller être un autre jour de tourment ?
Les drogues lui donnaient l’impression que ses muscles avaient été remplacés par de la boue. Son esprit était clair, mais son corps ne voulait pas coopérer. La première chose qu’il remarqua fut qu’ils ne l’amenèrent pas au laboratoire qu’ils utilisaient normalement. Cette pièce était différente, étroite, et remplie d’équipements rudimentaires des terrains vagues.
Des cuves transparentes remplies de liquides colorés tapissaient les murs et un réservoir vide reposait au milieu.
« Aujourd’hui, nous commençons la première phase de transformation. »
Chimp ne perdit pas de temps à parler. À son commandement, deux des gardes sortirent des poignards et découpèrent les vêtements du garçon. Ils lui mirent un masque respiratoire sur le visage, le contraignirent à entrer dans le réservoir et scellèrent le couvercle.
Pendant ce temps, Cloudhawk était parfaitement conscient de tout ce qui se passait. Il fut forcé de regarder sans aucun moyen de se protéger ou de se défendre.
Chimp actionna un interrupteur, et les cuves qui l’entouraient commencèrent à vider leur fluide dans la capsule scellée. Au bout d’une dizaine de minutes, il était entièrement submergé.
« Injectez les supercellules de l’Académicien. Commencez la phase de culture. »
Il ouvrit personnellement un réfrigérateur à proximité et en retira une seringue. Sans perdre de temps, il enfonça la seringue dans l’orifice d’injection d’un tube et en expulsa lentement le contenu. Pendant ce temps, Cloudhawk flottait dans l’infusion, respirant à l’aide du masque. Il avait l’impression d’être agressé par une centaine de milliers de petites aiguilles. Chaque centimètre de peau, chaque cellule, semblait être découpée.
« Début de la première phase de culture. » Il ordonna aux huit gardes de rester et de s’occuper de lui, ajoutant : « Faites en sorte qu’une centaine de nos meilleurs hommes soient postés dans toute la zone. Absolument rien ne peut aller de travers, ou je m’assurerai que chacun d’entre vous paie pour cela. Vous comprenez ? »
« Oui, monsieur ! »
Le poing de Cloudhawk était encore bien serré. Dans sa paume, la pierre n’avait pas bougé.
Il n’allait pas lâcher cette pierre facilement, pas avant son dernier souffle.
Malgré des échecs répétés, il fit tout son possible pour la réveiller en vain. Il n’y eut aucune réaction.
Puis, il commença à sentir que les choses s’assombrissaient, comme si quelque chose le séparait du monde extérieur. La douleur, les démangeaisons, le chaud et le froid persistaient alors que tous ses sens étaient coupés. Soudain, il se trouva dans un enfer de tourments infiniment sombres. Pas de lumière, pas d’espoir, pas d’avenir. Juste une angoisse sans fin.
Il pouvait sentir quelque chose envahir son corps, une centaine de millions de petites piqûres d’épingle qui poignardaient chaque morceau de sa peau, de ses muscles et de ses os. Était-ce le début de la transformation ?
La colère et la peur avaient disparu. Son esprit s’était vidé comme s’il avait finalement perdu toute force de pensée. Peut-être avait-il abandonné. Il n’y avait aucun moyen de riposter. Était-ce son destin ? Mourir ici, après tant de choses, à mi-chemin de sa route vers les terres élyséennes ? C’était si ridicule qu’il en rirait s’il en avait la force !
En fin de compte, même Cloudhawk avait ses limites. Après des jours d’agonie, sa volonté fut brisée, amenée au bord du gouffre par une semaine de torture et finalement poussée à bout dans l’obscurité de ce réservoir. Il ne voyait aucune issue.
Peu à peu, son corps se détendit.
Peu à peu, il abandonna cette lutte insignifiante.
Seulement, alors que cette immobilité engourdie prenait le dessus sur son esprit, il pouvait sentir quelque chose venir de la pierre. Un pouls suivi d’une lumière pâle qui rayonnait de l’intérieur de son poing serré. Un pouvoir étrange et inexplicable remplissait l’espace autour de lui.
La pierre… la pierre se réveillait !
Tout à coup, il était rempli d’une joie qui menaçait de le rendre fou.
Il n’avait réussi à utiliser la pierre que rarement depuis qu’il l’avait obtenue et jamais quand il le réclamait. C’était l’exception, la seule fois où elle s’était réveillée à sa demande. La différence entre cette pierre étrange et les reliques normales résidait dans le fait que son utilisation était beaucoup plus rigoureuse. Ce n’était que lorsqu’il était dans un état d’immobilité parfaite, où tout le reste était fondu, que sa volonté pouvait entrer en résonance avec elle.
C’était une découverte très importante et très grande ! C’était la première fois que ses tâtonnements désespérés révélaient une quelconque vérité sur la pierre.
La lumière de la pierre devint plus intense, et le fluide autour de lui commença à vibrer. Il grondait comme s’il était en ébullition, suivi d’un bruit de cliquetis intense. D’un seul coup, le réservoir de verre qui le retenait se brisa, envoyant des éclats de verre et du liquide caustique dans toutes les directions.
« Que diable se passe-t-il ? ! »
Deux scientifiques déconcertés s’étaient précipités et avaient jeté un coup d’œil au désordre qui les accueillait. Ils s’étaient précipités pour fouiller les débris, mais ils avaient été encore plus choqués par ce qu’ils avaient trouvé.
Rien ! Cloudhawk avait disparu !