Pour aider Qin Mu, Apothicaire suggéra la méthode suivante. « Faisons-lui boire autant de sang spirituel que possible. Noyons-le dedans si nécessaire! À défaut de réveiller son Corps Spirituel, ça le rendra plus fort physiquement. Au point de devenir plus puissant que n’importe quel Corps Spirituel! »
« Et capable de tuer un dragon d’un seul uppercut », plaisanta le Chef. « Un truc pareil suffirait à terrifier pour de bon ces racailles, à l’extérieur des Grandes Ruines. »
Jubilant à cette idée, ils se regardèrent l’un l’autre en souriant. Puis Apothicaire sortit de la pièce et ferma la porte derrière lui.
Le lendemain, les villageois réussirent à capturer d’autres Tigres aux Os de Fer, d’autres Serpents Dragon-Verts, d’autres Oiseaux de l’Éclair et d’autres Tortues Dorées. Mobilisés par ce nouvel objectif, ils ne ménageaient par leurs efforts, à tel point qu’Apothicaire finit par s’énerver.
« Qin Mu va finir par s’étouffer, si vous le faites boire autant de sang d’un seul coup! »
Muet le forgeron, qui trainait derrière lui deux Oiseaux de l’Éclair, ouvrit grand la bouche et sourit, d’un air narquois. Il n’avait plus de langue.
« Pas de panique », dit mamie Si. « Notre petit Mu est parfaitement capable de tout ingurgiter. »
Inquiet, Apothicaire les laissa faire en silence. Puis il sortit les larves et raffina le sang. Mais les choses prirent soudain une mauvaise tournure: Qin Mu fit une overdose, comme il le craignait. Son corps se mit à grossir et à se dilater comme un ballon de baudruche et, pendant un moment, les villageois eurent vraiment peur qu’il n’éclate avec un grand BANG.
Par chance, Apothicaire eut la présence d’esprit de prendre des aiguilles creuses en argent et de les planter dans son dos et sur sa tête, laissant s’échapper du gaz rouge, bleu et violet par les embouts.
Après que le gaz se soit tari, Apothicaire retira les aiguilles et, très en colère, se tourna vers les villageois. « Faite les choses lentement et méthodiquement. À vouloir l’engraisser comme une oie, vous allez finir par le tuer. Regardez comme il est repu et tout gonflé maintenant. Pour l’aider à digérer, il lui faut plusieurs séances d’entraînement aux techniques de combat au couteau, avec Boucher, de coup de poing, avec vieux Ma, et de jeu de jambe, avec Boiteux. »
« Viens donc un peu par ici, mon p’tit Mu. On va jouer au couteau, toi et moi. »
Boucha frappa violemment le sol de ses deux mains et, d’un grand bond, prit son envol, avant d’atterrir sur un grand tas de bois. Comme il n’avait plus de jambes, il était à peu près aussi grand que Mu, sur son tas.
Puis il sortit une paire de Couteaux à Égorger le Cochon. D’ordinaire, ce type de couteau possédait une lame en forme de croissant de lune, un manche en bois cylindrique et faisait à peu près la taille d’un pied.
Ceux de Boucher étaient conçus de la même façon, mais en beaucoup plus grands. Leurs lames faisaient près d’un mètre de long. Le dos de la lame était épais et le devant très acéré. Le métal brillait et étincelait. Plantés côte à côte, ils prenaient la forme d’une grande porte voûtée. Ils étaient terriblement intimidants.
Qin Mu, lui, n’avait qu’un seul couteau, mais il faisait la même taille que celui de Boucher et pesait plus de dix kilos. En temps normal, même en s’acharnant, Qin Mu avait du mal à le soulever, mais après avoir avalé le sang des quatre esprits, ses forces étaient décuplées et il pouvait maintenant manier son arme d’une seule main presque sans effort.
« Regarde un peu, papi! »
Qin Mu brandit son couteau et s’avança vers Boucher. Celui-ci éclata bruyamment de rire, juché sur son tas de bois. Bien qu’il n’était qu’un cul-de-jatte, une aura héroïque émanait de son corps mutilé.
La Bataille de Minuit à travers les Cités Tempétueuses!
Tandis qu’il fondait sur Boucher, Qin Mu mania son couteau en de grands mouvements verticaux. La lame projeta des éclairs à un rythme de plus en plus effréné et leva des tourbillons tout autour.
« Mon Dieu comme tu es lent, mon pauvre Qin Mu! »
C’est alors que Boucher entra dans la danse. Ses lames produisirent une rafale de métal en face de lui. Elles s’entrechoquèrent avec le couteau de Qin Mu dans un fracas assourdissant. On eut dit qu’une tempête traversa le verger de poiriers en fleur.
« Plus vite! Plus vite! Ton couteau doit tourbillonner plus vite. La vitesse est la clé pour gagner la Bataille de Minuit à travers les Cités Tempétueuses. Il doit être aussi rapide qu’une bourrasque, balayant tout sur son passage. Allez accélère! »
Le tourbillon lumineux des couteaux s’accéléra. On eût dit trois dragons d’argent s’affrontant furieusement autour du tas de bois. Le son de l’air déchiré s’amplifia. L’énergie des lames se mit à tourbillonner à l’entour et, chaque fois qu’elle touchait le sol, elle faisait une grande entaille dans la terre.
« Voilà, comme ça! Magnifique! Plus ton couteau est rapide, et plus l’énergie des lames est puissante. Mais tu peux mieux faire. Il faut que tu deviennes rapide au point que tes lames se transforment en feu de l’enfer, incinérant tout sur son passage. »
Pour lui montrer, Boucher mania à nouveau ses couteaux à toute vitesse, et de façon de plus en plus frénétique. Qin Mu était époustouflé.
« Allez brûle! Brûle! Fais brûler tes couteaux! Que ton aura et ton esprit soient en feu! Quand tes couteaux s’enflammeront, tu sauras que tu as atteint l’Art Divin! »
Wouuuch!
Dans un grand fracas tourbillonnant, Boucher fit s’entrechoquer ses couteaux et les frictions des lames projetèrent des étincelles qui finirent par enflammer l’air à l’entour. C’était très impressionnant. On eut dit des dragons de feu en action.
Ces dragons de feu fondirent sur Qin Mu, qui n’était clairement pas en mesure de les arrêter. Mais, à l’instant de le frapper, ils prirent soudain leur envol et déchirèrent la nuit noire au-dessus du Village.
Qin Mu leva les yeux au ciel et, stupéfait, admira un moment ce testament lumineux des prouesses martiales de Boucher.
Mais cela ne dura pas. Très vite, les ténèbres reprirent leur droit sur le Village, dévorant férocement chaque morceau des dragons de feu et de l’énergie des lames qui les avait formés. Furieuses à cet affront des couteaux de Boucher contre elles, elles menacèrent même de trépasser la clôture, prêtes à dévorer les hameaux — quand, soudain, la lueur des statues de pierre, au quatre coins du Village, redoublèrent de luminosité et repoussèrent juste à temps cet assaut de la nuit noire.
« Satanées ténèbres! », hurla Boucher.
Toujours juché sur son tas de bois, il brandit ses couteaux des deux mains vers le ciel. « Le jour est proche où je déchirerai les ténèbres et décimerai tout ce qui bouge! J’ai peut-être perdu mes jambes, mais j’ai toujours ma tête. Je suis encore capable d’un massacre… »
« Papi Boucher pique encore une crise », se dit Qin Mu. « Bon sang, ses couteaux étaient incroyablement rapides aujourd’hui! Combien de temps vais-je devoir m’entraîner pour devenir aussi rapide que lui et atteindre enfin l’Art Divin? »
Il se tourna et regarda respectueusement Boucher, qui était vraiment dans tous ses états. Puis il posa son Couteau à Égorger le Cochon et partit à la rencontre de vieux Ma.
« La technique de combat au couteau que t’enseigne Boucher implique de produire des flammes, pour pouvoir être considérée de l’Art Divin.
Ma technique de coup de poing, elle, implique de produire le grondement du tonnerre! »
Le visage grave, Vieux Ma serra son poing, et on entendit ses os craquer dans tout son corps. « Mon p’tit Mu. Saisir l’éclair dans tes mains n’est rien d’autre qu’une première étape. Les couteaux de Boucher sont très rapides, c’est vrai, mais mon poing, lui, explose avec une puissance inégalée, et surpasse même les limites de l’air et du son! Un seul bras suffit pour acquérir cette technique. Car un bras peut devenir un millier de bras et produire le grondement du tonnerre! »
Boom!
Des explosions feutrées, ressemblant au roulement du tonnerre, en effet, sortirent du poing de Ma chaque fois qu’il frappait l’air en face de lui.
Boom! Boom! Boom!
Qin Mu eut été bien en peine de dire à quelle vitesse le poing de vieux Ma se déplaçait, chaque fois que celui-ci décochait un crochet; car, à l’œil nu, il ne pouvait discerner qu’une sorte de mirage: Ma semblait avoir non pas un mais mille bras.
Vieux Ma se mit à frapper de plus en plus vite et des éclairs jaillirent de chaque paume de son millier de mains, dans un grand fracas de tonnerre à chaque coup porté, et projetant des étincelles dans toutes les directions.
« Cet enchaînement s’appelle les Huit Coups de Tonnerre du Bouddha aux Mille Bras. Quand tes poings passeront le mur du son, tu seras capable de maîtriser le roulement du tonnerre. Un seul coup de cet Art Divin est capable de détruire le corps et l’âme de ton adversaire, et de l’empêcher de se réincarner, en le damnant pour l’éternité. »
Vieux Ma freina son poing. « Allez, à ton tour. Sers-toi des Huit Coups du Tonnerre que je t’ai enseigné et attaque-moi », lança-t-il. « Contrôle l’éclair et le tonnerre dans tes mains pendant l’assaut. »
Qin Mu s’efforça de garder son calme. Ce que grand-père Ma et grand- père Boucher lui enseignaient aujourd’hui était différent des techniques ordinaires de combat au couteau et aux poings qu’ils lui avaient montrés la dernière fois. Cette fois-ci, tous les deux utilisaient le même terme de…
… Art Divin!
C’était la première fois qu’il en entendait parler et il ne comprenait pas très bien ce qu’il voulait dire.
Qin Mu s’exécuta et attaqua vieux Ma avec les Huit Coups. Celui-ci bloqua chaque assaut sans effort avec un seul bras.
Avec Boucher, qui paraissait fou furieux et hors de lui pendant l’entraînement, chacune de leurs confrontations était soigneusement calculée pour ne pas blesser le garçon. Avec vieux Ma, les choses étaient différentes. Il frappait sans merci. Chaque fois qu’il décelait la moindre faiblesse dans la garde de Mu, il portait le coup; et même s’il ne frappait pas de toutes ses forces, Qin Mu termina avec le visage gonflé et le nez en sang.
Vieux Ma ne le laissa se reposer qu’une fois qu’il était à bout de force.
« Les jambes sont le vent, la terre et les racines. Elles sont la source de toutes les autres forces », dit Boiteux, qui se tenait debout appuyé sur une béquille.
Il n’avait qu’une seule jambe; pourtant c’était lui qui enseignait à Qin Mu les techniques de jeu de jambe. Au début, Qin Mu avait eut l’impression que grand-père Boiteux était le plus normal, parmi les villageois. Le vieil homme était chaleureux, il souriait sans cesse et paraissait digne de confiance.
Mais depuis qu’il avait poignardé la femme changée en vache, tout en arborant ce même sourire chaleureux, Qin Mu ne savait plus trop quoi en penser. Que cachait-il derrière son sourire? Un poignard? Et comment être sûr qu’il était sincère?
« Mon p’tit Mu », dit Boiteux en souriant, « Boucher est fier de ses couteaux et vieux Ma de son poing. Mais le véritable Art Divin provient du jeu de jambe. Quand tu ne fais pas le poids face à un adversaire, que fais-tu? Tu pars en courant, évidemment! Car rester vivant est le plus important. Rester vivant quoi qu’il arrive, qu’il fasse beau qu’il pleuve ou qu’il vente, peut aussi être considéré comme une victoire. Si tu cours vite, tu peux sprinter le long des murs, sur l’eau et même dans les airs! Tout, y compris le feu et l’air, peuvent te servir d’appui, si tu cours vite. Le jour où, en courant, tu passeras le mur du son, alors ce jour-là tu auras atteint le niveau de base de la technique du jeu de jambe telle qu’exigée par l’Art Divin. »
« Allez, viens par ici, mon p’tit Mu, et mets ces poids de fer sur tes épaules. »
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