Tous les regards se posèrent sur Cauchemar.
Valkries, de son vrai nom, était le plus spécial de tous les Seigneurs. Premier promu, il avait guidé la plupart des autres dans leur évolution et, au cours de la première Bataille de la Divine Volonté, avait noué d’étroites relations avec les humains. Selon certaines rumeurs, il y aurait encore des croyants dans les villes humaines. Bien qu’il ne fût pas le plus puissant des Seigneurs, il l’était suffisamment pour modifier son apparence physique. Cependant, il semblait préférer l’apparence qu’il avait acquise après sa mise à niveau : peau bleue avec une corne sur la tête et un troisième œil sur le front.
Bien qu’il n’eût pas une apparence très humaine, il était vêtu, parlait et se comportait comme un humain et était d’ailleurs le premier Seigneur à avoir appris le langage des hommes.
Pour tout dire, Cauchemar était à l’opposé de Désastre Silencieux. Sa robe blanche et fine le distinguait nettement des autres.
Quoiqu’il semblât détendu et indifférent, Hackzord savait pertinemment qu’il avait une étonnante compréhension du Royaume de l’Esprit. Si Cauchemar avait paru surpris quelques instants auparavant, jamais il ne se serait plaint. Pour tout dire, c’était le seul Seigneur qu’Hackzord ne parvenait pas à comprendre.
Si l’un des autres Seigneurs siégeait ainsi, avec aussi peu de cérémonial, Hackzord aurait douté de sa loyauté mais cela ne semblait pas du tout affecter le Roi.
– « Eh bien, qu’avez-vous trouvé ? »
– « Je me demandais simplement si une telle chose était possible », répondit Valkries en se redressant. « Qu’il existe ou non une méthode d’amélioration inconnue, en supposant simplement qu’un homme possède une capacité semblable à celle d’une sorcière, celle-ci est certainement avec le Royaume de l’Esprit sans quoi le Seigneur Silencieux n’aurait pas été ainsi pétrifié. »
Une lumière rouge brillait sous le casque dudit Seigneur :
– « Voilà deux cents ans que je suis gardien des fragments d’héritage et j’ai rencontré de nombreux humains. La plupart d’entre eux se sont enfuis ou ont été engloutis. Une seule personne, il y a deux ans, a réussi à me faire face mais c’était une femme.
« Les sorcières pourraient peut-être y parvenir, mais je ne me soucie pas vraiment de savoir si c’est un homme ou une femme. Ce qui me préoccupe, c’est surtout sa capacité. Cet homme ne s’est peut-être même pas aperçu qu’il était puissant au point de laisser une trace dans le Royaume de l’Esprit. »
– « Je suis d’accord avec vous », dit Hackzord qui était un spécialiste du Royaume de l’Esprit. « Mais je ne vois pas vraiment l’intérêt. Le royaume de l’esprit est si vaste qu’il est presque impossible d’y trouver la trace d’un individu spécifique. »
– « Peut-être », répondit évasivement Valkries. « Mais je vais essayer en utilisant la connexion entre les différents fragments d’héritage. Qu’en pensez-vous ? »
– « Parce que vous pouvez ressentir la connexion entre les fragments ? » Demanda Hackzord, légèrement pris au dépourvu.
La défaite de la civilisation souterraine ayant considérablement augmenté le pouvoir magique de cette race, ils pouvaient désormais déceler les Tours de Naissance et avaient peu à peu compris que la communication avec ces tours comme avec les fragments passait par le Royaume de l’Esprit. En théorie, ils pouvaient donc, partant d’une extrémité de la ligne de communication, identifier ce qui se trouvait à l’autre bout.
Mais cela restait une hypothèse, le Royaume de l’Esprit étant aussi chaotique et aléatoire que la Mer Tourbillonnante. Il était extrêmement difficile de rechercher un mince fil dissimulé sous la surface de l’eau car à mesure que l’on descendait dans les profondeurs, plus il était susceptible d’être affecté par les courants. Hackzord avait déjà du mal de maintenir sa position dans le Royaume alors rechercher une connexion à peine perceptible…
Il n’avait jamais pensé à utiliser cette méthode.
Valkries l’aurait-il surpassé dans la compréhension de la Source de la Magie ?
– « Peut-être », répondit tranquillement ce dernier. « Mais pour le savoir, il faut essayer. Si je pouvais trouver la marque laissée par cet homme, nous aurions probablement la réponse. »
Pour Hackzord, cette marque ne serait pas d’une grande aide, l’esprit étant quelque chose de terriblement complexe. Déjà qu’il fallait faire de nombreuses recherches et déductions pour un esprit de la même race, s’il fallait rechercher celui d’une autre espèce… Se frayer un chemin dans un tel esprit mènerait inévitablement à la folie et au chaos. Hackzord aurait voulu avoir une conversation sensée avec Cauchemar mais à la vue de la robe blanche de Valkries, ses mots restèrent sur le bout de sa langue.
Et si le Seigneur Cauchemar avait trouvé un moyen d’y parvenir ?
– « C’est désormais le Seigneur Céleste qui veille sur les fragments d’héritage », dit le Roi. « C’est à lui qu’il faut vous adresser. »
– « Comme il vous plaira », répondit Valkries, la main sur le cœur. « Cependant, je vous préviens que nous ne sommes pas certains de trouver la réponse avant l’évolution de l’humanité. Il y a beaucoup d’inconnues et il nous faudra du temps pour les recherches. Il est possible que cette évolution nous cause de terribles dommages. Le Seigneur Céleste a certainement prévu un plan de secours après la perte de Taquila! Mais si ce plan échoue, tout ce que nous avons fait depuis quatre cents ans aura été vain. »
– « Vous êtes trop prudent… », dit le Conquérant Sanglant.
– « J’ai organisé la cérémonie d’évolution Ursrook et lui en ai beaucoup appris sur les humains », répondit doucement Valkries en refermant les yeux. « Il était vraiment doué aussi je doute que son avertissement soit une parole en l’air. Je soutiens donc sa suggestion d’envoyer davantage de troupes dans les Plaines Fertiles. »
– « Moi de même », intervint Désastre Silencieux.
Le Roi demeura un court instant silencieux et, s’adressant aux deux commandants, dont Conquérant Sanglant :
– « Êtes-vous en mesure, tout en maintenant notre défense actuelle, de multiplier par dix nos effectifs ? »
– « Sire… »
– « Je vous demande si vous pouvez ou non. »
Il y eut un bref silence dans la salle qui, à la surprise de Hackzord, fut brisé par le Masque :
– « Oui, Sire, je peux me débrouiller. Si vous me fournissez davantage de ressources pour mes recherches, je pourrai développer des Diables symbiotiques plus puissants et diversifiés qui ne seront pas limités par leurs parents et seront beaucoup plus forts que les subalternes. Dix fois plus puissants! Plus important encore : ils n’affecteront pas la bataille au front. »
– « Mais il va vous falloir beaucoup de Pierres du Châtiment Divin », répondit Cœur Aigri avec appréhension. « Si jamais nous perdons le contrôle, les conséquences seront dévastatrices. »
– « Quand nous aurons éradiqué ces créatures inférieures, nous en récupérerons beaucoup! »
– « Êtes-vous certain que vous serez dans les temps ? » Rétorqua le Conquérant Sanglant, irrité.
– « Eh bien, il me sera un peu difficile de fournir autant de démons symbiotiques à la fois, mais je ne pense pas que les êtres humains réagiront aussi vite. Nous pourrions peut-être les vaincre avec seulement la moitié du nombre suggéré et économiser une grande partie de nos ressources. Ce serait mieux que rien… »
– « Assez! » Coupa le Roi. « Faisons ce que le Masque a dit. De toute façon, nous ne pouvons-nous permettre de laisser les humains vivre au Pays de l’Aurore pendant encore quatre cents ans. Cette bataille de la Divine Volonté terminée, nous devons absolument devenir maîtres de tout le continent! »
– « Vos désirs sont des ordres! » répondirent en chœur tous les Seigneurs en inclinant la tête.