L’entrée des sorcières dans la majorité avait toujours lieu à minuit. C’était là un mystère encore non résolu car comment expliquer que le pouvoir magique soit plus actif à ce moment alors qu’il était disponible partout ?
Certaines sorcières, comme Anna, qui possédaient d’immenses réserves magiques, pouvaient épuiser complètement leur pouvoir et se rétablir intégralement une heure ou deux après minuit. Par contre, si elles récupéraient uniquement durant le jour, il faudrait certainement plus d’une semaine pour leur permettre de reprendre des forces.
Ceci dit, la plupart des sorcières, y compris les survivantes de Taquila, ne s’en souciaient pas. Roland les ayant interrogées à ce sujet, leurs réponses semblaient dire : « N’est-ce pas simplement parce qu’une nouvelle journée commence ? » Pour certaines, le temps était divisé en jours, aussi, tout comme la météo change chaque jour, la magie du jour devait être dépensée dans la journée, ce qui, en soi, n’avait rien d’étrange.
Mais Roland savait pertinemment que les jours n’étaient qu’un concept inventé par les hommes pour des raison pratiques, ce qui avait conduit à l’instauration de l’année bissextile. Pour corriger cette erreur, on avait inventé le mois bissextile et, avec l’amélioration des appareils de mesure du temps, les secondes intercalaires.* En gros, les gens inventaient ce qui pouvait leur faciliter la vie.
Cela dit, il était étrange que le pouvoir magique des sorcières ne se renforce que dans un certain laps de temps. On aurait dit que chacune avait une horloge biologique lui permettant de toujours rester en phase avec le flux du temps, ceci quelle que soit sa date de naissance. Qu’elle vive sur le Plateau d’Hermès ou dans la Région de l’Extrême Sud, elle ne pouvait échapper à ce phénomène.
Malheureusement, en raison de l’absence de dispositifs d’observation sophistiqués, de recherches plus approfondies sur le pouvoir magique ou de mesure précise du temps, cette théorie ne resterait jamais qu’une théorie.
Soudain, la voix de Wendy le ramena à la réalité.
– « Votre Majesté, souhaitez-vous ajouter quelque chose aux mesures susmentionnées ? »
Ces fameuses mesures, qui, depuis le passage à la majorité de Lucia, avaient été intégrées au protocole standard de l’Association des Sorcières, visaient principalement à faire face aux dangers susceptibles de résulter de la consolidation du pouvoir magique.
Et Taquila n’était guère en mesure de donner des conseils sur ce point.
– « Procédons selon ton plan. » Roland réfléchit quelques secondes et ajouta : « Au fait, pensez à prévenir Margaret et Sander Flyingbird. Je pense qu’ils se seraient rassurés de savoir que Foudre est passée dans l’âge adulte saine et sauve. »
Wendy parut un peu surprise :
– « Pour Mme Margaret, cela ne posera pas de problème, mais pour Mr Flyingbird… »
– « Tout ira bien », répondit doucement Roland.
– « Très bien », dit alors Wendy qui, voyant son expression, accepta aussitôt.
La nuit était tombée depuis longtemps, mais le dernier étage de la Résidence des Sorcières était aussi lumineux qu’en plein jour.
Les sorcières avaient réservé cet étage, composé de deux pièces suffisamment grandes pour accueillir des visiteurs et doté d’un mur amovible, pour les passages à l’âge adulte. Ainsi, si la magie venait à être libérée, il suffirait d’ouvrir les deux panneaux, évitant ainsi au mur d’éclater comme la fois précédente.
Allongée sur un grand lit moelleux, Foudre semblait particulièrement enthousiaste, contrairement à Lucia qui était très nerveuse le jour de son entrée dans l’âge adulte. Visiblement, la jeune exploratrice attendait ce moment depuis très longtemps.
À côté du lit se trouvait une table de bois à laquelle sa main, tenant le Sceau de la Divine Volonté, était attachée. Selon Lucia, lorsqu’elle commencerait à ressentir les contractions douloureuses dans tout son corps, il lui faudrait déverser son pouvoir magique dans le Sceau et si l’on avait attaché sa main, c’était pour éviter que, sous l’intensité de la douleur, elle ne perde le contrôle et dirige accidentellement celui-ci vers les personnes présentes. Ce danger écarté, l’absence de la Comtesse Sephora et de ses pouvoirs n’était plus si importante.
Foudre était entourée d’amies venues lui rendre visite.
– « Vais-je éveiller une capacité dérivée ? Si elle me permet de résoudre le problème du poids, je pourrai alors survoler le Pays de l’Aurore avec beaucoup plus de nourriture et d’outils! »
Toute la nuit, elles discutèrent de sujets similaires et les yeux flottants de Foudre semblaient briller à mesure qu’elle énumérait toutes les possibilités. On aurait dit Roland lorsqu’enfant, il essayait de deviner quels cadeaux il recevrait pour son anniversaire.
Mais la plupart du temps, il était déçu, comme lorsqu’il espérait recevoir un énorme Transformer et se voyait offrir un livre d’études contenant trois cents exercices.
– « Peut-être n’aurez-vous pas de compétence dérivée », murmura Lune Mystérieuse. « Ce n’est pas si facile à obtenir, la preuve, seules quelques personnes ont ce talent dans toutes la Cité Sans Hiver. »
– « Surveillez vos paroles! » S’exclama Lily.
– « Lune Mystérieuse n’a pas totalement tort », dit Ayesha en riant. « D’après les recherches statistiques de l’Union, une sorcière sur cent développe une capacité dérivée lors de son passage à l’âge adulte, ce qui n’est rien comparé à son évolution dans la hiérarchie. Le plus important pour une sorcière est la capacité ultime d’étendre leur pouvoir magique principal, aussi, ne vous inquiétez pas outre mesure à ce sujet et concentrez-vous sur la consolidation de ce pouvoir. »
– « À propos », intervint Sophia, « les sorcières de l’Association n’ont-elles pas tenté d’analyser le processus de passage à l’âge adulte ? Quels sont les résultats ? »
– « Nos déductions ne peuvent être utilisées qu’à titre de référence », répondit Wendy. « Nous n’avons pas suffisamment d’exemples pour les vérifier. » Elle regarda dans son carnet de notes et ajouta : « Ceci dit, le score de Foudre est de 85,9 points, ce qui est vraiment élevé. »
– « Pardon ? De quoi s’agit-il ? » Demanda Andréa, intriguée.
– « Nous avons mis au point une méthode d’évaluation », expliqua Ayesha, « basée également sur une révélation de Lucia. La montée en puissance du pouvoir magique à l’âge adulte étant particulièrement évidente, théoriquement, il devrait être plus facile à consolider. Nous avons procédé à une évaluation préliminaire sur toute la promotion des Sorcières Senior. Quatre facteurs sont pris en compte pour déterminer le score : le pouvoir magique total, les résultats scolaires, la capacité de contrôle du pouvoir et la volonté personnelle. Mais pour le moment, nous n’en sommes encore qu’au stade des conjectures. »
– « Les résultats scolaires ? »
– « Oui. C’est la plus grande partie de l’évaluation. »
– « Je vois… Je connais quelqu’un qui ne dépassera jamais le stade d’Extraordinaire de toute sa vie », dit Andrea en jetant un coup d’œil compatissant à Cendres qui se contenta de hausser les épaules.
– « C’est fou… » Soupira soudain Phyllis.
– « Qu’est-ce qui ne va pas ? » Demanda Roland en se tournant vers elle.
– « À l’époque de Taquila, l’évolution de haut niveau était une chose extrêmement sacrée pour toutes les sorcières. Toutes étaient désireuses de gagner la faveur des divinités mais aucune n’osait en parler ouvertement. Ce rêve semblait si lointain que si une sorcière osait dire aux autres qu’elle était confiante dans le développement de ses pouvoirs, elle aurait à coup sûr été ridiculisée par les autres. Mais maintenant… » Phyllis mit un moment avant de reprendre ses esprits. « Veuillez m’excuser, je ne dis pas que ce n’est pas bon, mais le contraste entre les deux situations m’a fait penser… »
– « Je comprends », répondit Roland avec un léger sourire. « C’est comme si un commerçant se réveillait un beau matin pour découvrir que l’argent qu’il avait économisé aux prix de son sang et de sa sueur n’avait plus aucune valeur. Il aurait certainement du mal à s’en remettre. »
– « Sur ce point, je ne saurais me comparer à Dame Ayesha », murmura Phyllis. « Elle n’est arrivée ici qu’un an avant moi et voilà qu’à présent, elle est déjà responsable des recherches sur le Grand Éveil. Elle est sans aucun doute le génie de l’Association. »
– « En fait, ce n’est pas si difficile à comprendre. Si nous n’étions pas plus forts que nos prédécesseurs, comment pourrions-nous nous améliorer ? » Répondit-il avec franchise. « Tant que nous avancerons, ce genre de scénario continuera de se produire. Regardez-les simplement, cela ne vous donne-t-il pas un sentiment d’espoir ? »
Phyllis suivit son regard jusqu’à la jeune fille allongée sur le lit.
– « Mais plus on a de capacités, mieux c’est, non ? » Dit Foudre avec assurance. « À mon avis, non seulement je vais consolider mon pouvoir magique, mais j’obtiendrai également des compétences dérivées. Ne suis-je pas une exploratrice exceptionnelle ? »
– « C’est vrai! » dit Maggie, qui se tenait à son chevet, en levant les bras pour la soutenir.
– « Ce n’est pas ainsi que la logique fonctionne! » Protesta Lune Mystérieuse.
Soudain, la pièce s’anima. Roland les regarda, secoua la tête en souriant et se dirigea vers la porte.
– « Vous ne voulez pas entrer ? » Demanda-t-il à un homme qui se tenait dans le couloir, adossé au mur, et qui n’était autre que Tonnerre.
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NDT : Les secondes intercalaires sont des secondes ajoutées (ou éventuellement retranchées) au temps universel coordonné (UTC) pour l’adapter aux variations de la vitesse de rotation de la Terre.
Les secondes intercalaires sont ajoutées ou retranchées à la fin de la dernière minute du dernier jour du mois précédant le 1er juillet ou le 1er janvier. (source : Wikipédia)