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La salle de réunion au deuxième étage était l’endroit où Père organisait sa conférence annuelle avec des personnalités importantes du monde entier.
Mamie et Mère étaient toutes les deux effrayées par l’apparition soudaine de grand-père.
Grand-père ferma la porte de la salle de réunion, atténuant efficacement les chants et les louanges à l’extérieur.
Je m’étais installé tranquillement à mon siège.
Grand-père s’était dirigé lentement vers le siège principal.
« Une personne désire la crémation ? »
Maman acquiesça de la tête.
« L’autre désire un enterrement direct ? »
Mamie hocha la tête.
« Ces méthodes sont trop populaires. Je veux un enterrement céleste », avait commenté Grand-père.
Les visages de grand-mère et de mère avaient changé.
« Je suis l’aîné ici et je suis le plus qualifié. Je suppose que personne n’a d’objection ? »
Maman se leva mais n’osa pas parler.
Mamie aussi s’était levée, mais elle n’avait rien dit.
A ce moment-là, grand-père s’était rendu compte qu’il n’avait aucun droit de véto sur cette question.
Son ton ferme s’était un peu adouci quand il avait demandé :
« Depuis combien de temps Ansheng est-il mort ? »
« Six jours. Demain, ce sera le septième », répondit Mère.
« Demain… c’est parfait. Je vais appeler mon frère, alors s’il vous plaît, organisez le transport aérien. Neuf heures devraient suffire pour atteindre le Tibet. Il devrait être de retour à temps pour l’enterrement céleste d’Ansheng », avait dit Grand-père.
Mère s’y était immédiatement opposée.
« Pourquoi pas ? », demanda grand-père.
« Tu ne peux pas faire ça. Je veux qu’il soit enterré pour que nous puissions nous souvenir de lui et lui rendre visite chaque année. Si nous allons jusqu’à l’enterrement céleste, ne restera-t-il rien de lui ? », avait dit mamie
« Comment peux-tu dire ça ? L’idée derrière l’enterrement céleste est de permettre à l’âme de se réincarner. Il ne sera jamais détruit. La mort n’est qu’une séparation entre l’âme et le corps expiré. Les vautours ramèneront le corps à Bouddha. C’est la doctrine bouddhiste, alors qu’est-ce que tu veux dire par là ? »
Grand-père répondit avant de regarder au loin en silence.
Mamie était tombée dans un court silence avant de répondre :
« Donnes-moi un peu de temps. Je vais appeler les experts pour vérifier si l’enterrement céleste affectera le feng shui à la maison. »
Elle prit son téléphone et passa l’appel devant tout le monde.
En voyant cela, l’expression de Mère avait légèrement changé. Elle était allée s’asseoir sur un tabouret sur le côté.
Elle savait qu’elle n’avait pas le droit de parole dans cette pièce.
C’était pour ça qu’elle nous avait appelés, grand-père et moi.
Elle avait besoin de plus de soutien pour changer la vision de grand-mère.
Cependant, en paniquant, elle avait oublié que moi aussi, je n’avais rien à dire dans cette histoire.
Ou pourquoi mon propre père m’avait-il envoyé dans une autre partie du monde et m’avait-il laissé sans pouvoir de résistance ?
Grand-père était la personne qu’elle n’aurait pas dû appeler.
Père n’avait jamais été capable de s’occuper des pitreries de grand-père.
Grand-père était un esprit libre. Personne ne pouvait le contrôler.
Selon lui, la prairie du Tibet était sa maison.
Peut-être avait-il vu une espèce unique de papillon dans cette prairie, et il l’avait pourchassé. C’était une poursuite qui avait duré quarante ans.
Plus tard, Père s’était enrichi et Grand-père avait finalement pu trouver son propre passe-temps – chercher des prairies dans le monde entier.
Tout au long de ses recherches, il n’avait jamais osé rentrer chez lui car beaucoup de choses avaient changé en quarante ans.
Les gens, les choses, les paysages.
Bien sûr, il n’était pas disposé à rentrer chez lui, non pas parce qu’il n’était jamais rentré auparavant.
C’était parce que son père, sa mère, son grand-père et sa grand-mère étaient tous partis.
C’était son frère qui les avait tous renvoyés, un par un.
Il les avait lavés et avait choisi les falaises.
Ils chantèrent et attendirent que les vautours emmènent leurs corps au ciel.
C’était ça l’enterrement céleste.
À l’époque, son frère n’avait pas d’argent puisqu’ils avaient tout utilisé pour faire avancer les études de grand-père.
Grand-père s’en était aussi bien sorti en entrant à l’université, sauf qu’il avait décidé de chasser les papillons.
Le frère de mon grand-père ne pouvait chanter et jeûner que trois jours parce qu’il n’avait pas d’argent, à chaque série de perles de prière, il reprenait ses chants jusqu’à ce qu’il atteigne la quatre-vingt-unième fois, ce qui lui prit trois jours entiers.
Il n’était donc pas surprenant que le frère de mon grand-père déteste les enterrements célestes.
Néanmoins, il avait répété le processus quatre fois.
Grand-père l’avait laissé seul tout ce temps.
Sa poursuite avait duré plus de quarante ans et quand il était finalement rentré chez lui avec de l’argent, tout avait changé.
Grand-père avait donné beaucoup d’argent à son frère, mais ce dernier ne lui avait jamais pardonné.
« Je te préparerai un enterrement céleste après ta mort, alors j’espère que tu feras la même chose pour moi si j’y vais en premier », avait dit son frère.
C’était l’histoire de grand-père.
Mamie avait mis fin à son appel et avait annoncé :
« C’est bon, ont dit les experts. L’enterrement céleste ne fait pas partie des cinq éléments, donc notre feng shui ne sera pas affecté. C’est la bénédiction de Bouddha. L’enterrement céleste est une bonne chose. »
Grand-père avait pris son téléphone et avait composé un numéro familier.
Il n’avait jamais sauvegardé le numéro vu qu’il faisait confiance en sa mémoire.
Mais cette fois… la ligne était occupée.
Grand-père était abasourdi. Il avait regardé attentivement les onze chiffres.
Il avait encore une fois appelé.
Longtemps après, un message vocal en langue tibétaine avait été entendu.
On n’en comprenait pas un mot, mais grand-père s’était mis à pleurer.
A beugler, en fait.
Mamie demanda tranquillement :
« Qu’y a-t-il, vieil homme ? »
Comme un enfant lésé, il répondit :
« Ça fait six mois que mon frère est mort. »
Tout le monde était devenu silencieux, stupéfait. Grand-mère secoua la tête.
« Il y a six mois, tu parcourais la terre. Tu avais arrangé des horaires de voyage étranges et volé dans des avions plus que tu n’avais le temps de t’amuser. Pendant ce temps, tu n’étais pas joignable. Demande à ta belle-fille si tu ne me crois pas. Combien de fois a-t-elle essayé de t’appeler ? Tu n’as probablement pas pensé que nous aurions tous pu être très inquiet, n’est-ce pas ? »
Maman acquiesça de la tête.
« Je t’ai appelé sans arrêt pendant une demi-journée, mais la ligne était occupée. C’était mieux que Luqiao, quand même, puisqu’il avait éteint son portable. Sans ma lettre, je doute qu’il y ait beaucoup de monde aujourd’hui. »
Grand-père raccrocha le téléphone et sortit de la pièce, laissant tout le monde sans savoir quoi faire.
« Ce sera alors un enterrement direct. Pas d’incinération. Je vais d’abord m’occuper de lui », avait dit mamie avant de courir après grand-père.
Maman s’asseya sur le même tabouret, la tête baissée.
Je m’étais levé.
« Je sors en premier, maman. Je tiendrai son portrait demain, d’accord ? »
Sans lever la tête, elle fit signe de la main.
Alors que j’allais me retourner et partir, maman ajouta :
« Ton père était probablement au courant de son état et il avait préparé un testament à l’avance. Il dit que vingt pour cent seront partagés entre ta grand-mère et ton grand-père, et le reste te sera laissé. Ta grand-mère te donne sa part et moi aussi, mais comme tu es encore jeune, on va tout te donner après que tu aies obtenu ton diplôme. »
J’hochai la tête.
Mère avait poursuivi :
« Il a aussi écrit qu’il avait une lettre qu’il voulait que vous lisiez vous-même, donc nous ne l’avons pas touchée. C’est sur votre table, alors vas jeter un coup d’œil. »
J’avais encore hoché la tête, maman n’avait rien d’autre à ajouter.
J’avais trouvé la lettre et je l’avais ouverte lentement.
J’avais pris une grande respiration avant de commencer à la lire sérieusement.
Après la première ligne, je me sentais impuissant.
Non pas parce que c’était trop touchant, mais parce qu’il n’y avait qu’une seule ligne.
Le lendemain matin à six heures, maman m’avait réveillé.
La famille se rendit d’urgence au cimetière de Phoenix.
Tout le monde est réuni ensemble et grand-père avait l’air d’aller beaucoup mieux.
Avec un sourire amer, il dit :
« Tout est arrangé. Je ferai un voyage au Tibet une fois que ton père sera enterré. »
Mamie n’avait fait que sourire sans rien dire.
Il y avait une expression étrange sur le visage de maman, mais elle s’était forcée à sourire.
Cimetière Phoenix.
Le cercueil était déjà là.
Maman m’avait remis le portrait de Père avant de me chuchoter :
« Fils, plus tard je serai avec tes grands-parents, alors mets-le dans son cercueil avant qu’il ne soit couvert. »
Elle m’avait fourré un pot de porcelaine froid dans les mains.
Il était cylindrique et avait un bouchon en porcelaine pour sceller le pot.
Je l’avais gardé dans la poche de mon parka. Le pot était encombrant mais heureusement invisible.
« Maman ? As-tu incinéré papa ? Tu… »
Maman tendit sa main pour me couvrir la bouche.
« Sois un bon garçon et écoute-moi. »
J’avais hoché la tête.
Maman sourit et ne dit rien d’autre.
Tout au long du processus, j’avais tenu son portrait, mais j’avais ses cendres dans ma poche.
Il était temps de descendre le cercueil.
Maman avait mis grand-père et grand-mère de côté pour les distraire.
Quand la musique des funérailles résonna, il n’y avait que des chants et pas de chansons.
J’avais dit au personnel :
« Attendez, je dois mettre quelque chose à l’intérieur. »
Le personnel avait arrêté ce qu’il faisait et la personne chargée de clouer le cercueil avait fait de même.
J’avais ouvert une petite fente et placé mon collier dedans.
C’était un cadeau de maman que j’avais eu à mes 18 ans.
Bien sûr, je savais que maman avait menti en disant que c’était un cadeau de mon père, ce n’était pas du tout son style.
Je me disais que puisqu’il s’agissait d’un cercueil vide, je pourrais tout aussi bien mettre quelque chose en commémoration et ainsi donner à Mère une tranquillité d’esprit.
***
Epilogue.
Hangzhou, West Lake.
3H30 DU MATIN.
J’étais sorti lentement de la voiture.
J’observais l’endroit depuis longtemps. C’était l’endroit le plus sûr puisqu’il y avait le moins de passants.
C’était une nuit hivernale et il faisait incroyablement froid.
J’enlevais le couvercle en porcelaine.
La poudre blanchâtre-grise était en effet des cendres d’os.
Je sortais un gant et je commençais à asperger les cendres vers le lac, sans oublier de faire attention aux policiers qui patrouillaient.
Papa, pourquoi me fais-tu faire ça ?
Les cendres n’avaient pas pu être vérifiées et je n’avais pas l’appui de personnes influentes.
J’avais dit à maman que j’allais à l’étranger pour voyager. Il m’avait fallu deux jours pour me rendre de Beijing à Hangzhou, j’avais aussi fait de nombreuses escales en cours de route.
Quand les cendres avaient été dispersées, je jetais le pot de porcelaine dans le lac aussi.
Face au lac, j’ai crié :
« T’es content, papa ? »
« C’est quoi ce bruit ? Qu’est-ce que tu fais ? »
J’avais entendu un appel de loin.
Je vis une lumière qui brillait sur mon visage par un policier
J’avais utilisé mon chapeau hivernal pour me couvrir la tête et j’avais vite couru dans la direction opposée.
« Chen Ansheng, Chen Ansheng. J’ai seulement entendu parler de fils qui laissaient tomber leur père. N’est-ce pas la première fois que les rôles s’inversent ? », demandai-je avec indignation.
Il n’y avait qu’une ligne dans son testament.
Fiston, incinère-moi d’abord si possible et jette mes cendres dans le West Lake.