Parfois, lorsqu’elle ne voulait plus s’entraîner, elle se glissait au plus profond du labyrinthe pour voir le noyau magique dans lequel les survivantes de Taquila avaient placé tant d’espoirs.

– « Est-ce là l’instrument de la Rétribution Divine que vous avez entièrement réparé ? Etes-vous certaine que ce soit très utile ? »

Le plus gros noyau, qui avait à peu près la taille d’une tour expérimentale réservée aux Sorcières Senior, ressemblait à un simple fuseau mitotique . Semblables à des côtes, des dizaines de nervures blanches y injectaient du pouvoir magique. Il était très particulier en ce qu’il flottait dans les airs au sein du labyrinthe, sans aucun support. Ce noyau émettait une lumière froide qui modifiait quelque peu la couleur rouge feu du sol.

Une créature informe descendit du sommet et utilisa ses tentacules pour atterrir près d’elle :

– « Bien sûr! Voilà trois cent quatre-vingt-cinq ans que je l’étudie! Et plus je l’observe, plus j’ai le sentiment qu’il s’agit d’une création divine. Comparés à ce noyau, les sujets d’observation de la Société de Recherches, tels les Sceaux de Pierres Magiques, n’étaient ni plus ni moins que de la broutille. Ils n’étaient pas si proches de l’essence même du pouvoir magique. Si nous avions trouvé ces vestiges il y a quatre cents ans, la seconde Bataille de la Divine Volonté n’aurait jamais eu lieu. »

Lorsqu’elle évoquait le noyau magique, Céline était toujours extrêmement excitée.

Elle tapota sa peau rugueuse et demanda : « Avez-vous vérifié les autres noyaux ? »

– « Bien sûr! Pasha a même utilisé l’instrument à illusions pour créer un miracle dans le royaume extrêmement éloigné des gens ordinaires. Vous deviez probablement dormir à ce moment-là, aussi vous n’avez pas pu le voir. »

– « À cette distance ? » Demanda-t-elle, surprise.  

– « Tout à fait », répondit Céline en secouant ses tentacules. « Aucune capacité ne saurait aller aussi loin, pas même le Sceau de l’Infini. Ceci est dû à la puissance du noyau magique, capable de décupler le pouvoir d’une sorcière au-delà de ses limites. Cette personne ordinaire qui, devant le miracle en question, est tombée à genoux, stupéfaite, en est la meilleure preuve. Nous aurions dû concentrer nos efforts autour de ce noyau magique, bénie soit Dame Natalia! »

– « Mais sans ce projet, nous n’aurions pas survécu jusqu’ici », souligna-t-elle.

« Dans ce cas…. Que Dame Alice soit également louée », murmura Céline à contrecœur.

– « Ceci dit, j’ai entendu dire par Pasha que pour activer l’instrument de la Rétribution Divine, la présence de l’Élue est également requise. Je me trompe ? »

– « Exactement, il faut l’Élue. Sans elle, cet immense noyau magique, beaucoup trop complexe, ne serait qu’un objet inerte, incapable de devenir une nouvelle divinité! »  Céline tendit un tentacule et lui prit la main : « C’est pourquoi tous nos espoirs reposent sur vous. Vous devez absolument la trouver. »

– « Si toutefois elle existe. »

À ces mots, la créature prit une voix grave :  

– « En effet …si elle existe. Pourquoi ne serait-ce pas moi ? »

– « J’ai entendu dire que la Cité des Météores avait été vaincue par des mortels! »  

Soudain, le magma se mit à bouillonner et les Dormeuses comme les Veilleuses agitèrent leurs tentacules pour exprimer leur enthousiasme.   

Mais cette nouvelle ne réjouissait pas tout le monde.

Althéa, par exemple, dont la danse exprimait à la fois la surprise et la colère, s’écria :

– « Vaincus par des gens ordinaires ? Comment est-ce possible ? »

– « L’information est-elle fiable ? » demanda quelqu’un ?

– « Je demanderai à la Chambre de Commerce de l’Aube d’enquêter sur cette affaire », répondit Pasha en agitant ses tentacules pour réclamer le calme. « Tenez-vous correctement, enfin! Cessez donc de vous agiter ainsi, vous secouez toute la caverne! »

Toutes avaient une apparence similaire : d’énormes masses informes dotées de tentacules. Pourtant, elle était en mesure de les reconnaître très facilement.

Elles vivaient là depuis tant d’années qu’elle avait sans doute pu mémoriser chaque détail, de leur fréquence respiratoire aux mouvements de leurs tentacules.

Pasha fléchit son énorme silhouette disparut sous la lave en s’écriant :

– « Pour Taquila! »

Toutes les créatures encore mobiles descendirent et de nombreuses voix lui firent écho :   

– « Pour Taquila! »

Puis le bouillonnement du magma s’apaisa.

– « Si l’information se confirme, je suggère que nous récupérions immédiatement la relique divine », déclara Elena. « La Cité des Météores ne doit pas rester en sa possession. »  

« Dans ce cas, nous devrons inévitablement affronter l’Armée du Châtiment Divin. À mon avis, ils y sont préparés. Le fait qu’ils aient été vaincus par des gens ordinaires ne signifie pas qu’Hermès soit devenue vulnérable », répondit Althéa, dubitative. « Que savons-nous exactement ? Si cela se trouve, ils ont simplement tué quelques soldats du Châtiment Divin et s’imaginent avoir remporté une éclatante victoire! »  

– « C’est une possibilité, en effet. »

– « Je suis également de cet avis. »

Beaucoup exprimèrent leur approbation.

– « Nous en saurons plus grâce à d’autres personnes ordinaires », déclara Pasha. « Le plus important dans l’immédiat est de trouver l’Élue. Banach Lothar a déjà planté le décor : nous n’attendons plus que les acteurs. 

Si elle parvient à le faire au cours de ce voyage, c’en sera terminé des Diables et les sorcières pourront atteindre de nouveaux sommets! »

Arrivée devant la sortie des ruines, elle s’arrêta.

Il y avait là un immense palais à moitié recouvert de terre au centre duquel se dressait un patio surélevé d’au moins dix mètres.

Une lumière blanche et brillante tombait sur ce patio, formant un léger rayon de lumière qui éclairait un bout de terre à ses pieds.

En face se trouvaient deux pierres tombales qui contrastaient avec la saleté et le délabrement de leur environnement en ce sens qu’on n’y voyait aucune trace de poussière.

De toute évidence, une personne avait pris soin de cet endroit depuis des centaines d’années et même planté une fleur blanche à l’intention des personnes enterrées là.  

Elle fléchit le genou.

Ces tombes contenaient les restes des plus grandes sorcières. Quels qu’aient pu être leurs désaccord ou l’intensité de leurs différends, elles avaient agi pour leurs survies. C’est pourquoi, même après la mort, on les avait réunies pour que plus jamais rien ne les sépare.  

Il y avait là deux des trois Chefs de l’Union : Alice, l’invincible Reine de la Cité des Météores et Natalia, l’éblouissante Reine de la Cité des Chasseurs de Soleil.

« Que les divinités soient avec vous », murmura-t-elle.

Sa prière terminée, elle se releva, leva les yeux et inclina la tête :

– « Je suis prête. »

Un tentacule sortit de l’ombre, s’enroula autour de sa taille et s’éleva vers le patio. Le ciel grandissait à vue d’œil. Bientôt, elle ne vit plus que lui.

Elle cligna des yeux, tentant de s’habituer à la lumière, puis les ouvrit lentement et vit ce monde tant attendu s’étaler devant elle.

– « Je ne peux pas aller plus loin » dit Pasha en agitant son tentacule au-dessus du puits de sortie. « Ce corps ne doit pas être exposé au soleil. »  

– « Je sais », répondit-elle en se penchant pour étreindre l’appendice en guise d’au revoir. « J’espère vous donner bientôt de bonnes nouvelles. »  

– « J’oubliais :  vous ne pourrez plus utiliser votre vrai nom. La Chambre de Commerce des gens ordinaires vous créera une nouvelle identité. Désormais, et pour des raisons de commodité, vous vous appellerez N° 76. »

– « Ça sonne bien », dit-elle en riant. « Sur ce, je m’en vais. Prenez bien soin de vous. »  

– « Vous aussi », répondit Pasha.

Un nouveau voyage commençait pour elle, guidé par ce mince espoir.