L’Aigle à Quatre Ailes, qui ne s’attendait sans doute pas à ce que ses adversaires passent à l’attaque, laissa échapper un son aigu très particulier.
Sans prendre la peine d’esquiver, il ouvrit aussitôt le bec.
Ce qui se passa alors stupéfia les spectateurs.
En un instant, Loélia prit l’apparence d’un énorme loup du désert et frappa l’étrange oiseau en pleine tête avec une puissance étourdissante. La tête de l’aigle pencha sur le côté et son bec, à l’origine en mesure de soulever facilement une personne adulte, se détacha d’un coup.
L’hybride démoniaque n’ayant pas eu le temps de reprendre son équilibre, les deux créatures se heurtèrent de plein fouet.
À nouveau, Loélia cracha un peu de sang, mais elle s’agrippa à la bête démoniaque et enfonça profondément ses dents dans sa chair.
Consciente du danger, la créature battit désespérément des ailes pour tenter de prendre son envol, mais le poids du loup, équivalent au sien, l’en empêchait.
– « Andrea! » Cria Cendres.
– « Je savais bien que vous auriez besoin de moi », répondit l’interpelée.
Sur ce, elle lança son fusil à Echo et sauta dans l’arène en invoquant son Grand Arc Magique au moment même où les deux bêtes retombaient lourdement sur la plateforme.
Soudain, dans un éclair blanc, le Loup du Désert, qui était assis sur le dos de l’Aigle à Quatre Ailes, disparut. Cendres comprit que Loélia avait atteint ses limites. Fort heureusement, l’issue du combat était proche. Elle arracha sa tunique au cadavre d’un guerrier du Peuple des Sables et se précipita vers la bête démoniaque.
En y regardant de plus près, elle vit que le dos et la carapace abdominale de la créature étaient couverts de blessures, sans doute causées par la Première Armée, certaines étant de simples égratignures tandis que d’autres avaient l’apparence de petits trous desquels s’écoulaient un mucus vert et du sang bleu. Cependant, aucune n’avait infligé de dommages mortels au monstre.
Très vite, elle aperçut la Princesse Loélia immobile dans l’espace séparant les ailes et la porta jusqu’à la plateforme où elle vit, du coin de l’œil, le Grand Arc d’Andrea briller d’une lumière dorée.
De son côté, la bête démoniaque blessée et dont la tête vacillait sur le sol, aperçut face à elle quelque chose qui ressemblait à un soleil d’or.
– « Que regardez-vous ? » S’écria Andrea avec un rire moqueur. « Qu’attendez-vous pour vous envoler ? »
La créature retrouva soudain ses esprits et, paniquée, tenta de déployer ses ailes pour s’enfuir. Mais il était trop tard.
Un rayon aveuglant jaillit de l’Arc Magique et, avec un sifflement strident, lui traversa le corps. D’innombrables faisceaux d’or fusèrent de toutes parts : on aurait dit qu’un soleil cherchait à s’échapper du corps de la bête hybride et l’engloutissait de sa lumière.
Il y eu un bruit assourdissant et un cratère circulaire de plusieurs mètres de large apparut au milieu de la plate-forme. Il ne restait plus de l’Aigle à Quatre Ailes qu’un petit morceau de son corps au bord du trou, tandis que le reste retombait partout comme de minuscules gouttelettes de pluie.
Andrea se tenait fièrement sous cette pluie torrentielle de chair et de sang, son arc doré qui se reflétait dans ses cheveux conférant à sa silhouette une allure particulièrement séduisante.
– « Pourquoi continuez-vous à matérialiser votre Arc ? Voulez-vous gaspiller votre pouvoir magique ? » Demanda Cendres, agacée, en se levant.
– « C’est pour que l’assistance se souvienne de mon apparence héroïque …Oh Zut! » Dit-elle soudain en se couvrant la bouche. « Mais cessez donc de me faire parler! Je risquerai d’avaler de la viande d’oiseau! »
Cendres leva les yeux au ciel.
Ghazi avait le visage gris lorsque Cendres lui remit gentiment sa fille. Les épaules légèrement tremblantes, il demanda :
– « Loélia est-elle… »
– « Elle est toujours en vie », répondit l’Extraordinaire, « mais elle n’a pas l’air bien. Il faudrait que nous la soignions au plus vite, sans quoi même les meilleurs remèdes à base de plantes ne feront que retarder sa mort. »
– « Vous… connaissez un moyen de la guérir ? »
– « Tout à fait! Et de lui rendre la santé qu’elle avait avant le duel. »
Les yeux écarquillés, le chef du clan du Feu Ravageur fixa un long moment la sorcière. Puis, ouvrant lentement la bouche, il demanda :
– « Quel… quel en sera le prix ? »
– « Vous le saurez bien assez tôt », répondit Cendres. « Cependant, je voudrais savoir : reconnaissez-vous les résultats du Duel Sacré ? »
– « Le clan du Feu Ravageur n’a rien à voir avec celui de la Cravache de Fer. Jamais nous ne nierons une victoire que vous avez remportée dans le sang et l’honneur. En outre… » Ghazi soupira : « Nul ne peut nier que vous êtes actuellement le plus fort parmi tous les clans. Si vous en doutez, écoutez plutôt… »
En effet, sur la plateforme comme sur la Route Brûlante, tous criaient à l’unisson :
« Osha! Osha! Osha! »
Sous ces acclamations, Echo monta jusqu’à l’arène.
« Je suis Sandra Lune D’Argent, chef du clan Osha, mais on m’appelle aussi Echo, de l’Association des Sorcières de Graycastle! » Dit-elle d’une voix claire que tous purent entendre au-delà du brouhaha de la foule. « Depuis la trahison du clan de la Cravache de Fer, j’ai tout perdu. Non seulement mon clan a été exilé, mais j’ai été vendue comme esclave et transférée du Port des Eaux Claires à la Cité du Roi de Graycastle. J’ai eu la chance d’être secourue par une organisation de sorcière et conduite dans une petite ville de la Région de l’Ouest où j’ai pris le nom d’Echo. »
Elle marqua une courte pause et reprit : « Je préfère de loin ce nom à celui de Sandra Lune D’Argent car même si j’ai vécu des expériences douloureuses, je suis infiniment plus heureuse aujourd’hui que je ne l’ai jamais été dans le désert. La ville où je réside, qui autrefois était une petite ville frontalière désolée, est devenue une cité très animée, en grande partie grâce à son Seigneur, Sa Majesté Roland Wimbledon, de Graycastle, qui a également changé ma destinée! »
– « Mais…ce n’est pas le discours qu’elle avait répété! » S’exclama Cendres, atterrée.
– « Eh bien », répondit Andrea avec un léger rire, « elle a dit ce qui lui tenait le plus à cœur. Il ne nous reste plus qu’à l’applaudir. »
Echo, qui au départ semblait un peu nerveuse, gagna en confiance sitôt qu’elle se mit à parler du style de vie passionnant que les gens menaient à la Cité Sans Hiver.
– « Vous êtes sans doute curieux de savoir pourquoi je vous dis toutes ces choses. Après tout, aussi belle que soit cette ville, elle se trouve quelque part dans le Nord et n’a rien à voir avec nous, le Peuple des Sables. En fait… c’était peut-être vrai autrefois mais aujourd’hui, les choses ont changé! »
« Sa Majesté a coutume de dire qu’à la Cité Sans Hiver, personne ne subira jamais de discrimination en raison de ses origines. Du reste, la population est composée de gens de tous horizons : des gens ordinaires originaires de Graycastle, des sorcières et même des membres de clans étrangers. Je pense que cela suffit à montrer la bonté et la bienveillance du Roi. Il a maintenant l’intention de sauver le Peuple des Sables et le clan Mojin de ce désert stérile et imprégné de sang afin de vous offrir à tous une vie meilleure, exactement comme il l’a fait pour les sorcières. C’est de la part de Sa Majesté et au nom du clan le plus puissant que je vous annonce qu’il a décidé de devenir le chef du clan Mojin afin d’unifier le désert. Nous serons désormais son peuple! »