Mode Nuit Mode Jour

Voyageurs du lointain | 天涯客
A+ a-
Extra 3 – Vie passée, vie présente
Extra 2 – Un Confident, Un Bien-Aimé (bis) Menu Extra 3 – Vie passée, vie présente (bis)

Extra 3 – Vie passée, vie présente

 

(Une histoire annexe de Ah Xiang et Xiao Cao, en hommage.)

 

Certaines personnes, après leur mort, lorsqu’elles repensent à leur vie, réalisent qu’elles n’ont plus de liens ni d’attaches. Alors, leurs trois âmes et sept esprits commencent à se dissiper, et elles suivent les messagers des âmes dans un état de confusion le long du chemin vers le fleuve jaune. À chaque pas, elles oublient un peu plus, et ne savent plus quel jour ou quelle époque elles traversent, jusqu’à ce qu’elles atteignent le pont de Nao (NT: Pont de l’oubli). Elles boivent alors un bol d’eau d’oubli, et leur vie passée s’efface entièrement.

Pour ceux qui ont accompli de bonnes actions, leurs mérites sont comptés. Ceux qui ont fait du mal descendent aux enfers. Certains se réincarnent pour commencer une nouvelle vie, d’autres entrent à nouveau dans le cycle des renaissances, l’esprit pur comme la neige, prêts à recommencer depuis le début.

C’est pourquoi, avant que quelqu’un ne ferme les yeux pour toujours, les vivants essaient toujours de satisfaire leurs derniers souhaits, afin qu’ils ne souffrent pas trop en chemin vers le fleuve jaune.

Il y a ceux dont les esprits sont encore hantés par des attachements au moment de leur mort. Leur âme continue à marcher, bien que réticente, attachée à la gloire et à la richesse de leur vie passée. Ces âmes doivent alors être nettoyées dans le fleuve jaune, pour réfléchir, et une fois qu’elles auront compris, le passeur les ramènera pour leur permettre de se réincarner.

Les affaires des vivants n’intéressent pas les morts.La route vers le fleuve jaune est aussi longue que nécessaire pour permettre à l’âme de tout oublier. Cependant, ceux qui ne peuvent oublier l’amour errent sur une distance de 4 444 zhang (NT: environ 15 km. Le chiffre 4 (四, – sì) a une prononciation similaire au mot ‘mort’ (死, – sǐ) ) et est donc associé à la malchance), tournant toujours la tête en arrière, attendant la personne qu’ils espèrent revoir. Parfois, ils attendent un jour ou deux, parfois vingt ans, et parfois toute une vie humaine.

Si la personne attendue arrive enfin, elle est souvent confuse, ne se souvenant plus d’elle-même. Parfois, même si elle se souvient, l’un est encore jeune et l’autre est déjà vieux. Même s’ils se rencontrent, ils ne se reconnaissent plus. Ils se tiennent la main, les yeux en larmes, et les messagers de la mort les poussent doucement: «Il est temps, en route!» L’amour et les promesses faites dans ce monde ne durent qu’une trentaine d’années. Une fois que la mort survient et que le cycle recommence, tout change. N’est-ce pas risible quand on y pense?

Ces paroles, Cao Weining les entendait en étant assis près du pont Nao (NT: pont que les âmes doivent traverser après la mort pour atteindre l’au-delà puis se réincarner), écoutant un messager des âmes parler avec la vieille femme Meng Po (NT: la déesse de l’oubli, qui sert la soupe de l’oubli). Le messager disait qu’il s’appelait Hu Jia de son vivant (NT: nom symbolique exprimant l’exil ou la nostalgie), et qu’il avait l’habitude de méditer ainsi. Cao Weining écoutait alors qu’il discutait sans cesse avec la vieille Meng Po, qui restait silencieuse, se contentant de servir la soupe. Le pont  Nao ne cessait de changer. On disait que le nombre de bols de soupe d’oubli distribués déterminait la largeur du pont. Chaque bol effaçait le passé, laissant la poussière retourner à la poussière et la terre retourner à la terre.

Hu Jia, après avoir bavardé pendant longtemps, ne voyant pas la vieille Meng Po lever la tête, se tourna alors vers Cao Weining: «Jeune homme, pourquoi ne bois-tu pas la soupe? Es-tu en train d’attendre quelqu’un?» Les mortels ont souvent des vies banales et éphémères, mais parfois une âme plus lucide mérite que même les esprits du monde souterrain s’attardent un moment à converser.

«Ah…» Cao Weining, un peu surpris de parler à un messager de la mort pour la première fois, répondit maladroitement: «Oui, c’est ça… Vous êtes…»

Hu Jia n’avait pas l’intention de l’écouter, cherchant simplement quelqu’un pour vider son sac. Il l’interrompit brusquement et dit: «Il y a eu une personne ici autrefois, qui attendait quelqu’un. Il a attendu pendant trois cents ans.» (NT: référence au roman ‘Lord Seventh’ du même auteur)

Cao Weining, stupéfait, demanda en tremblant: «Trois… trois cents ans? Mais qui peut vivre aussi longtemps? Et la personne qu’il attendait, elle ne s’appelait pas Ye, par hasard?»

«Eh, peu importe son nom. Que ce soit un empereur ou un roi dans cette vie, il pourrait bien être un cochon ou un chien dans la prochaine. Qui peut le dire?» Hu Jia agita la main avec désinvolture et montra la Pierre des Trois Vies (NT: les trois cycles de l’existence: vie passée, vie présente et vie future): «Il est resté assis là, pendant trois cents ans, attendant à l’endroit même où il avait rencontré cette personne pour la première fois. Et ensuite, devine quoi?»

Cao Weining demanda, en guise de courtoisie: «Quoi donc?»

«Elle s’était déjà trouvé un autre compagnon.» Hu Jia soupira profondément.

À ce moment-là, la vieille Meng Po leva enfin les yeux pour le regarder et dit d’un ton impassible: «Messager Hu, surveillez vos propos.»

Hu Jia fit un petit «hmph», puis ajouta: «Eh bien, cet homme était de la lignée des rois et des ministres, son destin était fixé. Que dire de plus? Jeune homme, toi, tu attends qui donc?»

Cao Weining répondit: «J’attends ma femme.»

Hu Jia ne fut pas surpris et demanda simplement: «Quel âge avait ta femme quand tu es mort?»

Cao Weining répondit honnêtement: «Dix-sept ans.»

« Seize ans… Quand je suis mort, ma petite épouse avait aussi dix-sept ans. Hélas… » Hu Jia secoua la tête. Tant d’années avaient passé qu’il ne pouvait plus se souvenir de son apparence. Il dit à Cao Weining: « Je te conseille de ne pas attendre. Elle a encore une longue vie devant elle. Quand elle te rejoindra, elle sera une vieille dame de soixante-dix ou quatre-vingts ans et elle aura depuis longtemps oublié l’homme qu’elle aimait quand elle avait seize ou dix-sept ans. J’ai vu tant de gens qui attendent pour rien, espérant un moment qui leur brise finalement le cœur. Toi, tu devrais oublier ça, bois une bonne gorgée de la soupe de la vieille Meng et oublie toutes ces histoires de femme ou de concubine. »

La vieille Meng leva à nouveau la tête, impassible, et dit: « Messager Hu, surveillez vos paroles. »

Hu Jia se tut, l’air penaud, mais il remarqua que Cao Weining souriait et disait: « C’est parfait, c’est exactement ce que j’espère. Ce serait bien qu’elle ne se souvienne pas du tout de mon apparence. Si elle peut passer devant moi sans attachement et avec un sourire, alors je n’aurai plus de regrets. »

Hu Jia s’étonna: « Tu ne trouves pas ça injuste? »

Cao Weining le regarda bizarrement et répondit: « Pourquoi ce serait injuste? C’est ma femme, pas mon ennemie. Si je la vois heureuse, pourquoi ne le serais-je pas moi-même? »

Hu Jia resta un moment sans voix, puis éclata de rire: « Tu es vraiment détaché. »

Cao Weining se gratta la tête, un peu gêné, et dit: « C’est vrai. Je n’ai pas beaucoup d’avantages dans la vie, mais au moins je suis quelqu’un qui accepte les choses facilement… Mais il y a une chose. C’est mon maître qui m’a tué, et j’ai peur que ma femme ne puisse jamais lui pardonner et qu’elle cherche à se venger. »

Hu Jia demanda, curieux: « Qu’est-ce que tu as fait de si terrible pour que ton maître te tue? »

Cao Weining répondit: « Eh bien, c’est toujours la même histoire:  l’incapacité des justes et des démoniaques à coexister. Mon maître pensait que ma femme était une méchante personne du clan des Fantômes, mais je voulais rester avec elle. Mon maître s’est énervé et ne pouvait plus faire marche arrière, alors il m’a tué. »

Il dit cela avec un tel ton léger, comme s’il ne faisait que raconter une histoire banale. Hu Jia, intrigué, s’accroupit à côté de lui et demanda: « Tu ne lui en veux pas? »

Cao Weining désigna un messager des âmes à côté, qui flottait en direction de l’endroit où ils se trouvaient, et dit: « Tout le long du chemin, j’ai entendu ce monsieur murmurer ‘la poussière retourne à la poussière, la terre à la terre’, et je me suis dit, quelle que soit la rancune, elle n’a plus d’importance. C’est inutile de nourrir de la haine une fois qu’on est enterré, cela ne fait que nous torturer nous-mêmes, non? »

Hu Jia regarda en direction du messager des âmes, et vit l’envoyé Accrocheur d’Ames flotter lentement devant eux avec son visage noir. Il murmura doucement: « Ah, ne les écoute pas. Nos messagers des âmes de l’au-delà répètent toujours la même phrase, encore et encore, depuis des milliers d’années, sans jamais rien changer… »

Le regard de la vieille Meng Po se tourna à nouveau vers eux, elle fixa Hu Jia d’un œil sévère et répéta pour la troisième fois, impassible: « Messager Hu, surveillez vos paroles. »



Rejoignez-nous et devenez correcteur de Chireads Discord []~( ̄▽ ̄)~*
Extra 2 – Un Confident, Un Bien-Aimé (bis) Menu Extra 3 – Vie passée, vie présente (bis)