LiangZhu | 良渚
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Volume 4 / Chapitre 2
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Le lendemain, en route vers la forêt, quand Liang et ses amis passèrent chez Zhu, elle refusa de se joindre à eux. Elle préférait se cloîtrer, leur dit-elle, pour fabriquer des vêtements. Une fois seule, elle s’allongea sur son lit et se mit à pleurer. La veille, le chef était venu lui rendre visite… 

À l’approche du printemps, les filles en âge d’être échangées allaient devoir quitter la tribu. 

« Mais ne t’inquiète pas, Zhu », lui avait dit le chef. « De toutes les filles, c’est toi la plus talentueuse. Où que tu sois, tu n’auras aucun mal à épouser le plus vaillant des chasseurs. » 

« Mais pourquoi nous échanger ? », demanda-t-elle, envahie de tristesse. 

« Pour garder notre lignée forte et vigoureuse, et pour satisfaire les Esprits. Il en va de la survie de la tribu. » 

« Et sinon ? » 

« Sinon, le courroux des Esprits s’abattra, et balayera notre tribu de la surface de la Terre. » 

Elle baissa la tête pour dissimuler son trouble. 

« Tel est votre destin, d’être échangées », conclut-il, « pour que nos chasseurs puissent s’accoupler avec des filles d’ailleurs et assurer notre prospérité », et à ces mots, il s’en alla prévenir une autre famille. 

Elle ne ferma pas l’œil de la nuit. Elle se sentait si dérisoire face aux lois implacables de la tribu, et tremblante à l’idée de devoir s’accoupler à un inconnu, pendant que Liang, lui… 

L’idée que, bientôt, ils devraient se quitter lui était insupportable, mais elle craignait plus que tout d’être délaissée par les Esprits. 

Du soir à l’aurore, murée dans son silence, elle continua à fabriquer la veste à plume qu’elle comptait lui offrir ; pour que, quoiqu’il arrive et à jamais, elle l’imagine farouche et flamboyant comme un guerrier. 

… … … 

Dans la forêt, à la tête d’un large groupe de chasseurs, Liang était occupé à pister le léopard, pendant qu’au village, les rondes s’étaient multipliées. 

Après plusieurs jours de traque, ils n’avaient trouvé que de vagues empreintes de félin, et puis plus rien. Pourtant, Liang pressentait que ce fauve – un spécimen d’une grande intelligence -, était parvenu à esquiver la battu, mais restait dans les parages, plus furtif que jamais. Quand, finalement… 

Ils tombèrent sur la carcasse d’une chèvre de montagne, qu’il n’avait pas eu le temps de finir de dévorer. 

« Les plaies sont fraîches », dit Caillou, en se penchant dessus. « Elle vient tout juste d’être déchiquetée. » 

« Il n’est pas loin », dit Liang à l’affût, jetant un œil de tous les côtés. « Peut- être même en train de nous observer. » 

« Il doit être affamé. À battre la forêt tous les jours, on a fait fuir les petits animaux. Il n’a plus rien à se mettre sous la dent », dit Caillou. 

« Tenez-vous prêts », dit Liang, encochant une flèche à son arc. Il craignait une attaque surprise. 

« Tirez ! », cria-t-il soudain, en visant la broussaille. Il sentait qu’il était là, caché dans les hautes herbes. 

Le fauve surgit, vif comme l’éclair, esquiva la nuée de flèches et s’enfuit dans l’autre direction, entraînant le groupe à sa suite. Plus vite que son ombre, ils n’avaient d’ordinaire aucune chance de l’attraper, mais ce léopard semblait traîner la patte. Comme s’il cherchait à les attirer dans son sillage. Quelque chose ne tournait pas rond… 

« C’est une ruse ! », cria Liang. « Faites demi-tour. Retournez près de la carcasse. » 

Là où le fauve avait bondi, ils découvrirent une petite flasque de sang, dont la trace parsemait dans la direction opposée à celle que léopard avait pris. 

« Ça alors ! Il y en a un deuxième », s’écria Caillou. 

« Celui-ci est mal en point. Le premier s’est montré pour nous éloigner de son compère blessé », dit Liang. « Dépêchons-nous de l’attraper. Il n’a pas pu aller bien loin. 

Et en effet, il ne leur fallut pas longtemps pour le débusquer. 

En sang, acculé au pied d’un arbre par les chasseurs, son regard d’ambre étincelait de rage. Il rugissait, bestial – pour les intimider et signaler sa position -, révélant ses quatre crocs acérés et horrifiants. Puis, puissamment, il passa à l’attaque, indifférent aux flèches qui s’abattaient sur lui, et d’un grand bon, les couvrit de son ombre, tel un nuage funeste. 

Pire, pendant qu’ils tiraient, l’autre léopard était venu en renfort. 

Ils commençaient à perdre pied. Pour la première fois, ils affrontaient deux léopards en combat rapproché ; pour la première fois, deux léopards qui refusaient de fuir ; pour la première fois, deux léopards qui – comme Liang le craignait – étaient venus pour se venger… 

« Tirer en salves ! Tenez vos positions ! Ne paniquez pas ! », cria Liang. 

Aussitôt, les chasseurs formèrent deux cercles concentriques et décochèrent successivement. 

Les deux fauves s’étaient rejoints et, collés l’un à l’autre, poussaient des grondements rauques et menaçants. Liang savaient que, si tous deux chargeaient en même temps, ce serait le désastre. Dès que les flèches cesseraient, à la première occasion, ils feraient montre de leur vitesse et de leur intelligence. 

« Tirez ! Continuez à tirer ! » 

« Tirez en salve ! » 

« Soyez précis ! », commandait Liang avec aplomb. 

De sa queue, le grand léopard balayait les flèches en rugissant ; puis, vif comme l’éclair, se jeta bondissant parmi eux, suivi par le second. 

Trop près pour tirer à l’arc, Liang saisit son arbalète et décocha. Touché à l’œil, l’un des fauves hurla de douleur. Fou de rage, l’autre bondit à sa rescousse et, balayant sa queue, se jeta sur une proie. Il égorgea l’un des chasseurs instantanément. Tous pour un, les autres tentèrent alors d’encercler l’assaillant, pour secourir leur camarade qui agonisait, laissant s’évader l’animal éborgné. 

À la vie à la mort, de leurs lances acérées, ils pressèrent l’animal qui, acculé, broya l’épaule d’un second, en déchiqueta un troisième, avant d’être finalement aveuglé par Caillou d’une fléchette. Pour l’achever, Liang lui transperça le flanc d’un coup de javelot. 

À l’issu de ce féroce combat, deux d’entre eux avaient perdu la vie, deux autres étaient blessés et l’un des léopards avait pris fuite. Quant au grand fauve, il gisait là, sa fourrure lacérée par les entailles et criblée de flèches. 

Les chasseurs s’agenouillèrent et, en silence, pleurèrent leurs camarades morts au combat, puis remercièrent les Esprits de leur protection. Si, depuis toujours, la chasse était périlleuse et fatale parfois, jamais n’avaient-ils eu à affronter un léopard si près du village. 

Leur retour plongea la tribu dans une ambiance de deuil et de chagrin, à la vue des dépouilles et de la carcasse du fauve. Ordonnées par le chef, tous assistèrent aux funérailles sur la grande place des cérémonies où, en l’honneur des chasseurs tombés dans la forêt, la nouvelle sorcière marmonna des paroles magiques, puis dansa et chanta pour célébrer leur départ vers la Montagne Sacrée. 

Aux claquements des peaux de bête dans le grand vent, aux roulements lents et solennels des tambours, au chant sombre et plaintif de la corne, du sourd frémissement de la Terre endeuillée, s’éleva sa voix : 

« Aux sommets bleus et enneigés / Vers la forêt luxuriante / Les chasseurs s’en retournent. 

Parés des splendeurs de la Lune / Bercés par les rivières / Célébrés par les vents / Les chasseurs s’en retournent. 

Escortés par les Esprits / En avant et sûrement / Sous le Soleil et sous la Lune / Les chasseurs s’en retournent. 

Là-haut, sur la Montagne Sacrée / Par delà les saisons et la résurrection / Les chasseurs s’en retournent. 

Que les Esprits soient loués. » 

De son élégie, elle célébra leur bravoure, la fragilité de la vie et l’inéluctabilité de la mort. En héros, ils s’envolaient vers la Montagne Sacrée, libérés des vicissitudes de l’existence. 



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