Xia Lei fut occupé par son travail jusqu’à dix heures du soir et il faisait nuit depuis longtemps lorsqu’il quitta la société. Liang Si-Yao passa en fin d’après-midi pour lui demander de rentrer avec elle, mais il l’avait rejetée à cause du travail. C’était également raisonnable – il ne pouvait pas continuer à aller chez son maître alors qu’il avait son propre appartement.
Il conduisait seul sur la route avec seulement les lumières des bâtiments et les néons devant lui. Xia Lei était également en proie à des pensées qu’il ne pouvait pas apaiser.
« Je n’ai terminé qu’environ 3 % de la machine après une longue journée de travail. Il me faudra plus d’un mois pour pouvoir terminer toute la machine et j’aurai alors un tour intelligent… »
Pouvoir achever un tour intelligent en un mois était un exploit qu’aucun machiniste ne pouvait réaliser seul. Cependant, Xia Lei était différent. Il pouvait traiter des pièces de haute précision avec des tours normaux en utilisant la puissance de son œil et se souvenir de tous les dessins et circuits en une seule fois. Il était peut-être seul, mais son rendement n’était certainement pas inférieur à celui d’une équipe professionnelle !
Le Groupe Industriel chinois disposait de tous les dessins et logiciels nécessaires et construisait donc le tour intelligent que Josef avait conçu. Ils avaient certainement une équipe d’élite qui travaillait dessus. Mais ils ne progresseraient peut-être pas plus vite que Xia Lei.
« Je pensais que le Groupe Industriel chinois viendrait me chercher après mon retour d’Allemagne. Peut-être pas une visite personnelle de Mu Jian-Feng, mais au moins la visite d’un chef de département comme Zhou Wei ou Jiang Xin. Mais personne n’est venu. Pas même un coup de téléphone. Qu’est-ce que cela signifie ?
Mu Jian-Feng a passé une grosse commande normale la dernière fois et un mois s’est écoulé depuis. La commande a été complétée il y a cinq jours, mais il n’y a plus eu de nouvelles commandes normales de la part de leur groupe. Est-ce qu’ils coupent des liens ? Ou ne donnent-ils même pas à ma petite entreprise un deuxième essai ? Le fait de travailler avec ma Manufacture du Cheval Fracassant est-il une source d’embarras pour eux ? Ont-ils cessé tout contact maintenant qu’ils estiment qu’ils n’auront plus besoin de moi ? »
Ces pensées tournaient dans sa tête et le sentiment d’être abandonné le mettait mal à l’aise.
Il était revenu dans son quartier avant de s’en rendre compte et s’était garé. Il descendit ensuite de son véhicule.
« Oh mon Dieu, n’est-ce pas Lei ? », dit soudainement une douce voix féminine.
Xia Lei jeta un coup d’oeil et vit Jiang Ru-Yi sur son balcon. Il s’approcha d’elle et sourit en disant : « Que fais-tu debout si tard, tu ne dors pas ? »
« J’ai acheté une canne selfie. Je prends des photos. »
Jiang Ru-Yi agita la canne dans sa main et avait l’air plutôt fière d’elle.
« Tu te prends en selfie si tard dans la nuit ? N’as-tu pas peur que les photos effraient les gens ? »
« Sois maudit. Je suis magnifique. Je suis belle sous tous les angles. »
Jiang Ru-Yi roula des yeux face à Xia Lei.
« Toi, par contre, n’as-tu pas été fiancé à la famille Liang ? Tu t’es fait virer après une dispute avec ta femme ? »
Le sourire de Xia Lei se figea sur son visage. En plus de vingt ans de disputes avec Jiang Ru-Yi, ses victoires sur elle se comptaient sur les doigts des mains. Cette personne malfaisante était sa némésis dans la vie.
Le regard de Jiang Ru-Yi tomba sur le sac de courses que Xia Lei tenait à la main. Ses yeux ronds et sombres se mirent à briller.
« Qu’y a-t-il dans le sac, Lei ? »
Xia Lei souleva le sac, le fit tourner devant Jiang Ru-Yi et dit lentement : « C’est une robe que j’ai achetée à Uniqlo à Jing-Du. J’allais te la donner, mais j’ai changé d’avis. »
Jiang Ru-Yi était devenue anxieuse : « Pourquoi ? »
« Tu m’as maudit tout à l’heure. Pourquoi devrais-je te la donner ? Je vais la garder et la donner à Xue quand elle aura pris un peu de poids. »
« Tu me traites de grosse ? »
Jiang Ru-Yi fixa Xia Lei du regard et sembla sur le point d’exploser, mais elle sourit à l’instant suivant.
« Je plaisante, Grand Frère Lei. Donne-moi la robe et laisse-moi l’essayer. Je vais prendre une photo et l’envoyer à mes amies – ces garces vont être tellement jalouses ! »
Xia Lei remit le sac à Jiang Ru-Yi.
Cette dernière prit le sac et dit : « Entre. Je vais t’ouvrir la porte. »
« Il est déjà si tard… »
Xia Lei avait l’air embarrassé.
« Je vais aller à ton appartement si tu ne viens pas au mien. Lequel tu préfères ? »
« Ouvre la porte. »
Après avoir ouvert la porte, Jiang Ru-Yi mit son téléphone et sa canne selfie dans les mains de Xia Lei et se mit à courir se changer dans sa chambre, le sac à la main.
Xia Lei retourna la canne selfie dans ses mains, en sortit à la longueur maximale, puis le raccourcit. Une pensée lui vint subitement : « Cette canne ne peut être qu’allongée et raccourcie. L’ombre de la canne selfie est visible sur de nombreuses photos et cela affecte la beauté de l’image. Ne vaudrait-il pas mieux qu’elle puisse se courber ? »
Avec cette idée en tête, il attacha le téléphone de Jiang Ru-Yi sur la canne et prit plusieurs photos sous différents angles. Chaque photo avait pris l’ombre du bâton, ce qui n’était pas très éstétique.
Il avait ensuite sorti son téléphone, ouvert le client JD (NdT : site chinois équivalent à Amazon) et entra « canne selfie » dans la barre de recherche. Une longue liste de cannes selfie apparut sur son écran. Les bâtons ordinaires se vendaient entre 80 et 90 yuans, tandis que les meilleurs étaient vendus à plus de 100. En termes de coût de matériel, il fallait moins de 10 yuans pour produire chaque canne !
C’était un produit rentable !
Plus important encore, il n’existait pas encore de canne selfie entièrement réglable sur le marché !
Sous le coup de cette aspiration, un grand plan fut vite conçu. Xia Lei était très content de lui et il se dit : « Je vais dessiner le dessin sur papier quand je rentrerai et je l’apporterai à l’office des brevets. Ce petit produit se vendra sûrement très bien. »
Jiang Ru-Yi sortit de sa chambre à ce moment-là.
Xia Lei lui avait acheté une longue robe rouge moulante à encolure basse.
Jiang Ru-Yi regarda Xia Lei et gloussa.
« Lei, tu m’as regardée dans la douche ou quoi ? »
Xia Lei se figea.
« Ne dis pas de bêtises. Quand est-ce que je t’ai regardé dans la douche ? »
« Comment as-tu réussi à prendre mes mensurations si tu ne m’as pas regardée ? Si cette robe avait été coupée un peu différemment, elle aurait été trop grande ou trop petite. Comment peut-elle être aussi bien ajustée ? »
Xia Lei fit une toux sèche.
« J’ai demandé de l’aide à la vendeuse. J’ai décrit ta silhouette et la personne m’a recommandé cette robe. La vendeuse a été très professionnelle. »
En fait, il n’y avait jamais eu de vendeuse. Il avait regardé le corps de Jiang Ru-Yi plusieurs fois avec sa vision aux rayons X. Il savait mieux qu’elle quelles étaient ses mensurations, il n’y avait donc aucune chance qu’il se trompe de taille. C’était la même chose avec Liang Si-Yao, mais elle ne lui avait pas posé ce genre de questions.
Jiang Ru-Yi s’était retournée, exposant un dos enneigé à Xia Lei.
« Aide-moi à remonter ma fermeture éclair. »
Xia Lei la regarda et vit qu’elle n’avait pas de soutien-gorge.
« Tu… Pourquoi tu ne portes pas de soutien-gorge ? », demanda-t-il maladroitement.
« Es-tu bête ? Les robes comme celles-ci ne nécessitent pas de soutien-gorge. »
Jiang Ru-Yi n’était pas du tout timide.
« Dépêche-toi de me remonter la fermeture éclair. Oses-tu prendre le risque de me regarder ? », lui dit-elle.
« Est-ce que j’ai encore besoin de jeter un coup d’œil ? Je l’ai déjà vu… », grogna silencieusement Xia Lei.
« Qu’est-ce que tu as dit ? »
« Euh, j’ai dit que tu as une belle silhouette. »
« Hee hee. Dépêche-toi. »
Xia Lei fit attention et réussit à fermer la fermeture éclair de Jiang Ru-Yi.
Celle-ci prit des selfies avec sa canne et les envoya à ses amis de son groupe WeChat.
« Combien as-tu payé la canne selfie ? », demanda Xia Lei.
« 88 yuans. Je peux te la vendre pour 100 si tu la veux, et je m’en achèterai une nouvelle », dit Jiang Ru-Yi.
Xia Lei était irrité : « Sais-tu que la robe que je t’ai achetée a coûté 2 000 yuans ? Et tu vas quand même me demander 100 yuans ? »
« Je plaisantais, c’est tout. Prends-la si tu l’aimes. J’ai de toute façon déjà pris assez de photo. Ces filles… Eh, elles demandent qui est à côté de moi. Comment dois-je répondre ? », dit Jiang Ru-Yi en souriant.
Xia Lei regarda l’écran du téléphone et s’aperçut qu’il était sur toutes les photos qu’elle avait prises. Certaines filles qui avaient l’âge de Jiang Ru-Yi lui demandaient qui il était. L’une d’entre elles était également officier de police, à en juger par leurs photos de profil.
À ce moment-là, Jiang Ru-Yi tapa rapidement les mots : petit ami.
Les filles avaient tout de suite renvoyé des messages.
« Merde, quand as-tu eu un si beau petit ami ? »
« Pourquoi tu ne l’as pas amené afin qu’on puisse le rencontrer ? »
« Je vais te le voler ! »
« Je te donnerai de l’argent en échange. Qu’est-ce que tu en dis ? »
Quand il vit ces messages, Xia Lei ne savait pas s’il fallait rire ou pleurer. Il détourna le regard et fit semblant de ne pas avoir vu ce que ces filles avaient écrit.
« Ru-Yi, prête-moi la canne selfie. Je te la rendrai demain. »
« Où vas-tu ? »
Les doigts de Jiang Ru-Yi volèrent sur l’écran de son téléphone.
« À la maison, bien sûr. Je ne vais quand même pas passer la nuit chez toi ? », dit Xia Lei.
Jiang Ru-Yi lui fit rouler les yeux.
« Ha ! Tu avais donc une arrière-pensée quand tu m’as acheté cette robe, espèce de pervers. »
Xia Lei resta sans voix.
De retour chez lui, Xia Lei fut accueilli par un foyer froid. Personne n’avait fait le ménage en un mois et les meubles étaient couverts d’une couche de poussière. Xia Lei se dirigea vers le meuble de télévision et utilisa un chiffon pour nettoyer la photo de famille.
La bouteille de verre était toujours derrière la photo de famille et la pilule se trouvait tranquillement dans le fond. Elle semblait avoir une histoire cachée.
Le regard de Xia Lei s’était posé sur le fond de la bouteille en verre. Il vit alors un mot russe – осторожно.
Ce mot signifiait : « prudence. »
Lorsqu’il avait poursuivi cet homme mystérieux il y a plus d’un mois dans ce café, l’homme avait laissé ce mot russe sur la table. Il voyait maintenant ce même mot chez lui. Cela signifiait que cet homme était entré chez lui !
La tête de Xia Lei tourbillonnait. Serait-ce… C’est vraiment mon père ? Mais… Pourquoi ne veut-il pas me rencontrer ? Quelle est son identité ?
Le visage de cet homme mystérieux apparut de nouveau dans sa tête et il regarda la photo de son père, Xia Chang-He. Les deux visages, comparés côte à côte dans la vision de son œil gauche, correspondaient à 100% !
Xia Lei allait sûrement passer la nuit sans dormir.