Riftan s’arrêta, jetant un regard féroce à l’homme. Evan Triden avait une expression méprisablement sérieuse écrite sur son visage. Est-ce qu’il me prend pour un idiot ?
Seul un petit nombre de chevaliers pouvait posséder des châteaux et des terres. Même les nobles étaient souvent chassés de leurs propres domaines à cause de conflits d’héritage, il n’y avait aucune chance pour un immigrant au sang païen comme lui de devenir un seigneur. Riftan grimaça sarcastiquement et porta son sac sur ses épaules.
“Vous autres, allez-y et mourez de froid en essayant de construire votre honneurs vous-mêmes. Pour tout ce qui concerne cela, je ne suis pas intéressé.”
“Alors qu’est-ce qui t’a poussé à rejoindre la compétition d’épée ?” ( Ah ? Il sait ce qu’il fait ce monsieur )
L’homme fronça les sourcils comme s’il ne comprenait pas les paroles et les actions contradictoires de Riftan et il sentit ses joues brûler. Riftan ne pouvait pas admettre ouvertement qu’il s’était donné tout ce mal juste pour voir la fille de ses souvenirs d’enfance. Il fixa l’homme de manière significative, affirmant du regard que ce n’était pas ses affaires et se retourna pour partir. Mais le chevalier aux cheveux écarlates, qui écoutait tranquillement leur conversation, lui bloqua le passage.
“Si tu laisses ta fierté t’empêcher d’avoir la chance de monter en grade, tu es un imbécile complet.”
“…Si tu ne bouge pas, je t’égorge.”
“Je ne sais pas du tout pourquoi tu es si fermement têtu. Ne sais-tu pas qu’il n’y a pas beaucoup de chevaleries qui traitent les mercenaires comme nous sans les rabaisser ? Et même si ces chevaleries t’acceptent, elles ne te feront faire que le sale boulot et te jetteront comme un déchet après t’avoir utilisé.”
“Tu n’es pas exactement ce genre de personnes ?”
Alors qu’il commentait avec un sarcasme cynique, le chevalier ouvrit la bouche comme pour hurler quelque chose de frustré, mais au lieu de cela, il fit claquer sa langue.
“Il ne sert à rien de te convaincre avec des mots. Viens nous rejoindre et vois par toi-même. Tu n’as nulle part où aller de toute façon, n’est-ce pas ? Frère, tu as crié en disant qu’être mercenaire permet de mieux vivre, mais c’était à l’époque où tu étais dans un groupe de mercenaires. Il n’y a aucun idiot qui confierait une grosse somme d’argent à un épéiste errant comme toi.” Le chevalier n’a craché que les faits et la vérité. “À moins que tu ne rejoignes un autre groupe de mercenaires, tu ne pourras pas gagner correctement ta vie. Dans ces conditions, il serait préférable pour toi de rejoindre une chevalerie. Je te garantis qu’une fois que tu nous auras rejoints, tu finiras par aimer ça.”
“Pourquoi devrais-je écouter un homme qui m’a attaqué de nulle part ?”
Riftan a répliqué froidement. Le chevalier se mit à rire, ne montrant même pas un signe de honte.
“Mettons cela dans le passé. Je voulais simplement voir tes véritables compétences. La façon dont les duels étaient menés lors de la compétition ne semble pas être de ton goût, mon frère.”
“Je n’ai pas non plus de goût pour les attaques en embuscade.”
“Je ferai attention à mes actions la prochaine fois.”
Il n’y aura pas de prochaine fois. Riftan sentit ses nerfs battre sur les côtés de sa tête et se détourna d’eux. Cependant, alors que les rues grises et brumeuses arrivaient à sa vue, il commença à se demander ce qu’il essayait bien d’éviter. Le chef des chevaliers ouvrit la bouche, lui jetant un regard contemplatif et calme, comme s’il pouvait lire l’hésitation de Riftan.
“Sans doute notre approche est-elle trop soudaine.” Il a fait un pas en arrière. “Et si nous abordions la question avec une autre option ? Essaye d’abord de passer trois mois au sein des Chevaliers Remdragon. Si ce n’est pas à ton goût, tu pourras partir quand tu le souhaiteras. Dans tous les cas, si tu rejoins la chevalerie, tu devras suivre un apprentissage, nous te prendrons en tant que membre temporaire.”
“… Quel genre d’ordres vas-tu me donner pendant ces trois mois ?”
“Oh, mon Dieu. C’est l’homme le plus têtu et le plus cynique du monde !”
Le chevalier élancé perdit patience et s’exclama de frustration. Le commandant leva la main comme pour le retenir et continua à parler.
“Tu ne recevras aucun ordre tant que tu ne seras pas un chevalier engagé. Au lieu de cela, si tu acceptes cette offre, je te prendrai sous mes ailes pour apprendre les tactiques de base et maîtriser l’équitation. La plupart des apprentis chevaliers passent par le même processus pour être engagés comme chevaliers.” ( Ça se voit qu’ils veulent vraiment Riftan )
“…….”
“Bien sûr, ce sera à toi de décider si tu souhaite terminer les trois mois. Si tu n’aime pas la chevalerie, tu pourras abandonner à tout moment et partir, ou rester si tu veux devenir un chevalier à part entière. Tu n’as rien à perdre.”
“…qu’est-ce qui te pousse à vouloir que je m’engage à ce point ?”
“Disons que tes compétences extraordinaires sont extrêmement convoitées.” L’homme caressa sa barbe sombre bien soignée, un sourire insouciant affiché sur ses lèvres. “Une autre raison peut-être est que notre roi t’apprécie beaucoup. Tu es un joyau rare. Avec un bon entraînement, il ne fait aucun doute que tu peux devenir un grand chevalier. Il semble aussi que le roi ait décidé qu’il valait mieux t’accueillir avant qu’un autre pays ne puisse t’arracher à lui.”
Riftan fixa intensément les yeux noisette de l’homme, essayant de chercher des arrière-pensées. Cependant, l’homme n’affichait rien, il était plutôt vague comme du brouillard et illisible.
Riftan a serré les lèvres. Il n’arrivait pas à comprendre ce qui le rendait si lâche et nerveux. Comme l’avait dit l’homme, l’offre lui était bénéfique. Il avait l’intention de quitter Balbon de toute façon et s’il se trouvait ne pas aimer les chevaliers Remdragon, il avait le choix de partir tout de suite.
“…Bien. Je vais accepter ton offre.”
Un sourire satisfait se répandit sur le visage de l’homme. “Tu as bien réfléchi.”
C’est alors que le brouillard et la brume s’estompèrent progressivement, les rayons du soleil perçant les nuages. L’homme se tourna vers la direction du grand temple et parla.
“Ensuite, je vais te présenter aux autres membres de la chevalerie. Dirigeons-nous vers l’auberge où nous résidons.”
Riftan surveilla le dos de l’homme et le suivit uniquement. Puis, le mage, qui observait de loin, le suivit. Ce n’est qu’ensuite que les chevaliers se sont tournés vers Ruth pour l’interroger.
“Est-ce que vous vous connaissez ?”
“Oui, je suis le sorcier de Sir Calypse.”
Ruth a levé la tête et a répondu avec raideur. Riftan fixa Ruth comme s’il avait dit quelque chose qui n’avait aucun sens. Depuis quand cette sangsue est-elle devenue mon sorcier ?
Le malaise baignait le jeune visage du sorcier qui tentait sans relâche de se débarrasser des hommes. Riftan serra les dents. Il détestait la façon dont il le mettait mal à l’aise.
Merde… Riftan s’ébouriffa les cheveux en arrière. Bien sûr. Au moins, ce type est fiable, malgré le fait qu’il m’embête à répandre des rumeurs et à irriter les bavards. se dit-il en hésitant, puis finit par cracher ses mots sans ménagement.
“Oui, c’est mon magicien.”
“Charmant. Je cherchais un sorcier de toute façon. Je serai prévenant et je l’accueillerai aussi.”
Après l’annonce de l’homme d’une voix joyeuse, le mage commença à parler vainement de ses compétences. Riftan s’avança, agacé par la voix de Ruth qui racontait à quel point il était un excellent sorcier. Riftan pria avec ferveur pour un bon présage alors que les nuages se dissipaient et que le soleil doré éclairait faiblement toutes les directions.
***
Le temps s’écoula comme un torrent furieux. Riftan menait sa cavalerie à travers les canyons quand il entendit le hurlement aigu d’un faucon, ce qui le fit s’arrêter. L’oiseau était Agalde, le messager royal qui l’avait favorisé poliment. Il volait dans la vallée avec grâce, cherchant un support sur lequel se poser.
Riftan a levé son bras revêtu d’une armure. Agalde se posa sur son bras et griffa son gantelet. Il calma la créature avec son toucher habile et détacha la pochette attachée à ses chevilles. Il en sortit un petit morceau de parchemin et ses yeux lurent les lignes écrites. Uslin Rikaido s’est approché de lui, lui demandant avec impatience.
“Comment est la situation ?”
Riftan froissa le parchemin d’une main et répondit avec désinvolture. “Tous les vestiges du front nord-est ont été anéantis. On nous ordonne maintenant de retourner à Whedon.”
“Cela signifie…”
“Nous avons réussi.”
Dès qu’il eut fini de parler, environ cent quarante chevaliers crièrent de fortes acclamations. Riftan avait un léger sourire qui jouait autour de sa bouche. Cela faisait une demi-année qu’ils patrouillaient aux frontières en éliminant les pilleurs de Dristan, tout le monde était impatient de recevoir l’ordre de rentrer enfin dans leur patrie. Riftan s’est exclamé d’une voix forte.
“Cap à l’est ! Dépêche-toi et rejoint le commandant.” Agalde s’éleva vigoureusement dans le ciel, comme s’il avait compris ses paroles.
Il dirigea son cheval vers le vent mordant et lui emboîta le pas. Lorsqu’ils quittèrent enfin le long canyon, deux cents hommes de cavalerie les accueillirent, chevauchant dans les vastes étendues sauvages. Riftan soupira de soulagement en apercevant le drapeau bleu qui flottait dans le vent.
“Heureusement, il semble qu’il n’y ait pas eu beaucoup de pertes.”
“Si vous pouvez être vaincus par une bande de simples bandits, vous ne méritez pas de faire partie des Chevaliers de Remdragon. ”
Uslin, qui a remué son cheval à côté de lui, a prononcé d’une voix fière. Riftan avait un regard distant sur son visage. Cela faisait quatre ans qu’il avait rejoint l’ordre des Chevaliers Remdragon et depuis, l’ordre s’était développé à un rythme effrayant, atteignant le nombre de plus de 400 hommes. Ils sont devenus célèbres en étant les gardiens du front de l’est, attirant l’attention des nobles. Le deuxième fils du comte Rikaido, l’une des familles les plus prestigieuses de Whedon, s’est même porté volontaire pour s’engager dans l’ordre.
“À notre retour, nous aurons quelques mois de repos. As-tu l’intention de rester à Anatol à nouveau ?”
Uslin Rikaido l’a regardé de travers et a demandé. Riftan répondit vaguement en marmonnant.
” Pas sûr… ”
“Que dirais-tu de rester dans la capitale cette fois-ci ? Sa Majesté a l’intention de donner à Sir Calypse le titre de Baron. Pour qu’il puisse l’accorder, il faudra…”
“Tu me dis de trembler devant les nobles et d’obéir comme un agneau ?” Riftan a lâché un rire méprisant. “Je m’excuse, mais je n’ai pas l’intention de faire des choses hors de mon goût juste pour obtenir un titre. Pour moi, il me suffit d’être ordonné chevalier et de posséder une terre.”
“La terre n’est rien d’autre qu’une concession officielle à Sir Calypse pour qu’il puisse prendre le poste de vice-commandant. Un titre approprié et un meilleur territoire…”
“Tu es une plaie.”
Uslin a pressé sa bouche fermée avec une expression déçue sur son visage. Riftan fit mine de ne pas le remarquer et dirigea son cheval vers le commandant.
“As-tu été blessé quelque part ?”
“Comment oses-tu me poser une question aussi insultante ?”
Evan Triden, qui commandait les chevaliers, grogna et retira le casque de sa tête. Le faucon qui volait sans but dans le ciel, se posa gracieusement sur son épaule. Le commandant jeta un morceau de viande à Agalde et sourit de manière détendue.
“Je n’ai pas l’âge d’être traité comme ça par toi.”
“Les symptômes de ta dernière blessure n’ont toujours pas complètement disparu.”
“Eh bien, tout cela n’est rien pour moi. Tôt ou tard, je te montrerai que je suis fort et que j’ai encore de la puissance en moi.”
Le commandant répondit fermement, comme s’il en était sûr, et les épaules tendues de Riftan se détendirent.
“Nous nous dirigeons maintenant vers Drchium ?”
“Non, nous nous dirigeons vers le château de Croix. Le duc nous a invités à un banquet de victoire qui durera un mois. ”
Riftan s’est raidi. Il mettait souvent les pieds sur le territoire du duc, car il était fréquemment impliqué dans son conflit avec Dristan, mais il évitait toujours désespérément de se rendre au château. Il a parlé avec un malaise flagrant dans son expression.
“J’ai laissé mon fief vide pendant longtemps. Si le conflit est terminé, j’aimerais avoir la permission de retourner sur mes terres.”
“Qui a dit que le conflit était terminé ? Il y a encore des compensations à régler pour les dommages infligés et des négociations à mener entre Dristan et le Duc. Les ordres de Sa Majesté sont de ne revenir qu’après avoir supervisé les négociations. Dans tous les cas, nous devons rester un mois environ.” Triden sourit amèrement en voyant le malaise de Riftan. “Je suis bien conscient que tu n’es pas à l’aise avec le Duc. Mais tu es un chevalier engagé auprès de Sa Majesté, le Roi. Si le Duc agit de manière insultante, je jure de déposer une plainte officielle, alors viens avec moi pour cette fois.”
Riftan n’a pas évité le château de Croix à cause de l’aversion du Duc. C’était une raison plutôt différente qui enflammait son évitement, mais il ne pouvait pas se résoudre à l’expliquer, et se contentait de soupirer.
“Comme tu veux, commandant.”
Triden a souri et lui a tapé sur les épaules. Ils chevauchèrent en direction des terres sauvages, vers le territoire du Duc. Alors qu’ils chevauchaient sans cesse, Riftan sentit une boule se former dans sa poitrine. L’étrange sensation s’accentua à mesure que les portes du territoire se rapprochaient.
Il contempla ses murs blancs grisâtres, serrant fermement les rênes de son cheval. Peu de temps après être devenu chevalier, il a visité l’endroit par lui-même, mais dès que les portes du château se sont profilées au-dessus de lui, un étrange sentiment de peur pressentie est monté dans sa poitrine. Il s’est retourné en vain et s’est enfui.
Il ne savait toujours pas pourquoi et ce qui l’effrayait exactement. Serait-ce la possibilité de voir son beau-père mener une vie misérable ? Ou avait-il peur que le seul souvenir qui le faisait continuer à vivre s’effondre devant ses yeux comme un mirage ? Il ne le savait pas.
Riftan se moquait de lui-même. Il n’était plus un garçon innocent et immature qui s’accrochait à ses souvenirs. Cela faisait si longtemps qu’il avait cessé de consoler sa solitude en pensant à elle, et il n’avait plus le désir de la voir. Parfois, il ressentait une étrange nostalgie lorsqu’il voyait un champ de fleurs, mais c’était tout. Il était maintenant bien conscient que ses souvenirs chéris n’étaient qu’une simple illusion.
C’est mieux ainsi…
Les souvenirs ont tendance à être glorifiés. Peut-être était-ce le moment de se réveiller de ses illusions. Les yeux de Riftan se promenaient dans le manoir du château, dirigeant son cheval adroitement sur la large route de briques. Les fermiers qui labouraient les champs ont immédiatement baissé la tête. Il les observa attentivement, lorsque le commandant se tourna pour lui parler.
“Je sais que tu as une aversion pour les nobles, mais s’il te plaît, sois aussi prudent que possible avec tes manières. Comme tu le sais, le duc de Croix est le chef des nobles de l’Est. Rien de bon ne sortira du fait qu’il devienne ton ennemi.” ( Si tu savais )
“Il ne sert à rien de s’inquiéter. Cet homme me traite plus bas qu’un être humain.” Riftan a répondu d’un ton sec. “Je ne peux pas être son ennemi alors qu’il ne me considère même pas comme un humain égal à lui.”
Le chef tourna la tête en avant, une expression amère inscrite sur son visage. Ils traversèrent aussitôt les douces collines et arrivèrent devant les portes du château de Crox. Les gardes ouvrirent immédiatement les portes, comme s’ils attendaient leur visite.