Riftan a ouvert les yeux sur une douleur atroce. Il n’avait aucune idée de ce qui se passait pendant un bon moment. C’était comme s’il était un poisson tiré de force des profondeurs de la mer. Il lutta rudement pour respirer, c’était comme si son corps avait oublié comment le faire, et hurla lorsqu’une chaleur brûlante frappa ses membres.
“Tiens bon ! Je suis en train de te soigner.”
Il entendit une voix familière contre ses pensées confuses. Riftan tourna les yeux et vit le magicien en train de soigner son bras à moitié déchiré.
Clignant des yeux à cette étrange vision, Riftan gratta le sol avec son autre main alors que ses os et sa chair avaient l’impression de fondre à la brûlure frémissante. Essayant d’échapper à la douleur, tout son corps s’agitait en signe de protestation, mais quelque chose le retenait, empêchant ses mouvements.
Il jeta un coup d’oeil sur son corps avec des pupilles dilatées. Des flammes bleues se balançaient partout dans la grotte sombre et exiguë. Des écritures complexes étaient gravées sur le sol. Bientôt, il se rendit compte que quelque chose comme des racines d’arbre poussant magiquement du sol étaient étroitement enroulées autour de son corps.
Il a senti une sueur froide couler le long de son dos. Ce n’est pas un rituel pour invoquer les démons ? Riftan s’est secoué plus fort.
“Putain de merde ! Qu’est-ce que… tu comptes faire de mon corps ?”
“J’essaie juste de le guérir !”
Alors que les racines noires qui le maintenaient immobile commençaient à se briser, le mage paniqua et appuya fermement sur les épaules de Riftan.
“S’il te plaît, reste tranquille ! Ton corps a été trop endommagé pour que je puisse le guérir avec de la magie ordinaire !” Le visage du sorcier s’est déformé et il a crié férocement. “Sais-tu combien de sang tu as perdu ? Non seulement tes membres ont été écrasés mais tes organes internes ont été endommagés par le choc électrique ! Je n’arrive pas à croire que tu aies pu manier une épée dans cet état… Tu dois être fou.”
Dès que Riftan tenta de réfuter les paroles du mage, une terrible angoisse le submergea, comme un couteau raclant ses os. Riftan a levé la tête. Les os broyés de son bras endommagé se développaient de façon saisissante.
Les muscles déchirés gonflaient et se tordaient ensemble comme de la boue, son corps avait l’impression qu’il allait exploser à tout moment. La douleur était si atroce que mourir lui semblait être un meilleur choix. Il haletait sauvagement et hurlait.
“Arrête… arrête ça !”
“Bon sang, tu t’es réveillé trop tôt. J’ai besoin de plus de temps pour t’aider à récupérer complètement…”
Des malédictions se sont formées dans la bouche de Riftan. Il voulait menacer le mage, lui dire qu’il le tuerait s’il ne s’arrêtait pas à cet instant, mais il ne parvint qu’à laisser échapper un gémissement de douleur.
Riftan serra les dents, il avait traversé toutes sortes d’épreuves depuis qu’il avait quitté sa maison, mais il n’avait jamais connu une douleur aussi terrible jusqu’alors. Quand il ne put la supporter plus longtemps, il essaya de se mordre la langue mais Ruth hurla, tenant fermement la tête de Riftan.
“Non ! Tu dois l’endurer !”
Riftan l’a regardé fixement comme s’il pouvait le tuer avec ses yeux injectés de sang. Le mage, qui se mordait les lèvres avec anxiété, parla bientôt comme s’il avait pris une décision.
“Je vais te lancer un sort d’hallucination pour que tu oublies la douleur. Pense à quelque chose… quelque chose d’amusant, ou quelque chose qui te rende heureux.”
Riftan le regarda d’un air ahuri et toutes sortes de malédictions sortirent de sa bouche. Pour qu’il puisse penser à des souvenirs heureux dans cette situation, il devait avoir complètement perdu la tête. Cependant, le sorcier rayonnait de détermination.
“Pour que les hallucinations soient induites efficacement, tu dois penser à des souvenirs positifs. Si je le lance comme ça, tu feras des cauchemars qui t’étoufferont l’esprit.”
“Ça n’a pas d’importance, fais-le !”
“Non ! Si ça arrive, ton cerveau sera en état de choc et tu pourrais ne plus jamais te réveiller ! La magie d’hallucination est conçue exprès pour confondre les ennemis…”
“P… putain fais-le ! Je te le dis, laisse-moi mourir !”
Riftan secoua frénétiquement la tête et réussit tant bien que mal à s’agiter à nouveau, son corps cherchant de manière innée un exutoire causé par la douleur. Le sorcier a crié d’urgence, essayant de le faire se calmer.
“N’importe quoi fera l’affaire. N’importe quel souvenir ou moment qui t’a rendu heureux… tout est bon, alors pense à ça maintenant ! Cela fera disparaître la douleur immédiatement !”
Riftan gratta le sol et gémit comme une bête. Tu peux échapper à la douleur. Je peux échapper à la douleur. Il se creusait désespérément le cerveau en panique en répétant les mots dans sa tête.
Un souvenir heureux. Un moment où je me suis senti heureux. Merde, ma tête est vide.
Il ne pouvait ridiculement pas penser à quelque chose. Tout ce dont il se souvenait était le corps sans vie de sa mère accroché à une poutre, l’image de son beau-père pleurant dans le noir, la puanteur de la faim et de la saleté, la sensation inconfortable de poignarder une personne pour la première fois, les plusieurs moments où il a failli mourir… il n’avait que des souvenirs misérables. Soudain, un rire étrange sortit de ses lèvres.
C’est incroyable que je n’ai jamais eu un seul bonheur dans toute ma vie.
Riftan, qui versait un rire désolé comme un fou, lâcha soudain un mot alors qu’un souvenir lui revenait en mémoire. “L-la fille…”
“Une fille ?”
Ne manquant pas son doux murmure, le mage demanda d’urgence. Riftan a à peine réussi à en dire plus sur l’histoire.
“Il y avait une fille. Je l’ai sauvée…”
Soudain, la douleur agonisante s’est intensifiée. Il se frappa l’arrière de la tête contre le sol et Ruth l’attrapa alors qu’il était sur le point de perdre son self-control.
“Continue à parler ! Est-ce que la sauver était un bon souvenir pour toi ?”
“Elle m’a donné… une couronne de fleurs… pour l’avoir sauvée.”
“Imagine-la clairement dans ta tête.”
Riftan a parcouru sa mémoire alors qu’il pouvait à peine s’accrocher.
Des cheveux duveteux comme des nuages, des yeux qui brillaient d’argent dans la lumière du soleil, des épaules étroites et toujours voûtées…
Avec le temps, une lumière floue a recouvert sa vision et la douleur atroce qui semblait déchirer son corps s’estompa comme un mensonge. Il tituba, incapable de suivre le changement soudain de ses sens. Son corps avait l’impression de flotter dans l’air, se posant doucement dans un endroit où une brume brumeuse soulignait son corps. Riftan a inconsciemment traversé le brouillard.
Au bout d’un moment, il aperçut un champ. En s’approchant, le paysage familier devint plus clair et il cligna des yeux. Au milieu d’un magnifique jardin rempli de fleurs colorées, une fille tressait une couronne de fleurs. Une brise légère soufflait sur ses cheveux, et un chien noir assis avec ses pattes à côté d’elle, baillait et allongeait sa tête.
Il ne pouvait pas détacher ses yeux de cette vue paisible, même pour une seconde. La jeune fille a placé la couronne de fleurs sur la tête du chien et celui-ci a léché sa joue en remuant sa queue poilue. Un gloussement a résonné doucement dans ses oreilles.
“C’est juste…”
La brise printanière a soufflé quelques pétales des fleurs, chatouillant sa joue. Des émotions étranges et variées qui ne pourraient jamais être expliquées par des mots se sont élevées dans son coeur. C’était lui qui la regardait.
Était-ce le seul réconfort que j’avais dans ma vie ? Cet humble souvenir était-il la seule lumière de toute ma vie ?
Il frissonna et se tint le visage. C’était un fantasme, mais il révélait à quel point sa vie avait été désolée. Une fille qui avait l’air aussi solitaire que lui : sa présence était la seule chaleur qui soulageait ses difficultés à ce moment-là.
Il a lentement fermé les yeux pour les ouvrir à nouveau. Des pétales collaient à ses joues humides. Son humble paradis souriait avec éclat, entouré d’une faible lueur de couleurs dorées. Il se tenait là comme s’il voulait y rester pour toujours. Jusqu’à ce que…
***
Il se sentait somnolent et tout son corps était lourd comme s’il s’agissait d’un coton trempé. Riftan, dont les yeux vacillaient dans son état de faiblesse, reprit lentement conscience et tourna la tête. Le sorcier était assis à l’entrée de la grotte avec un feu de camp exigu. Il tourna la tête comme s’il avait senti le regard de Riftan et poussa un soupir de soulagement.
“Oh, tu viens de reprendre tes esprits.”
Riftan fixa le visage ensanglanté du mage et se leva lentement. L’air froid de la nuit mordait probablement la peau de son torse nu, mais il ne sentait pas de frisson. Il bougea ses membres qui étaient attachés à son corps comme si de rien n’était, puis promena ses yeux autour de la grotte, regardant de part et d’autre. Dans la grotte étroite qu’ils utilisaient pour s’abriter de la pluie, il y avait plusieurs motifs complexes qu’il supposait être utilisés pour faire de la magie.
Riftan a inspecté son corps, regardant sa poitrine. Toutes les grandes coupures, et même les petites blessures qui étaient éparpillées dans tout son corps, avaient disparu, mais ce n’était pas seulement cela. Il ressentait en lui quelque chose de dissonant sur lequel il n’arrivait pas à mettre le doigt.
Au moment où il s’en rendit compte, il attrapa sans réfléchir la jambe du sorcier et le poussa contre les murs de la grotte. Pris au dépourvu, Ruth a couiné et toussé. Riftan grogna furieusement, le poussant plus fort.
“Qu’est-ce que tu as fait à mon corps ?”
“Hé, qu’est-ce que tu fais, bon sang ? J’ai juste… ces blessures… !”
“Tu me prends pour un idiot ? Ce n’était pas juste de la magie de guérison. Tu… Rs un sorcier noir ?” Un signe clair d’agitation apparut sur le visage du sorcier et Riftan grinça des dents. “Même si l’influence de l’église n’est plus aussi forte qu’avant, quiconque est découvert en train d’utiliser la magie noire sera condamné et ne pourra vivre nulle part dans ce monde. De plus, si je meurs, mon âme ne sera pas bénie et je ne serai pas enterré !”
“Je n’ai pas utilisé la magie noire !” Ruth s’est écriée comme s’il était accusé à tort. “Oui, c’est une magie dangereuse, mais… ce n’est pas défier une quelconque doctrine !”.
Riftan le regardait avec incrédulité. Ruth essaya de se dégager de son emprise, agitant ses bras et ses jambes pour échapper à l’emprise de Riftan et lançant des paroles injurieuses.
“Bon sang ! Je t’ai sauvé la vie et j’ai utilisé mon mana restant et tu me traites comme ça ? Même en rendant la gentillesse, tu es un être hostile ! Si ce n’était pas pour ma magie, tu serais mort !”
“Je préfère mourir que de me transformer en goule, un mort-vivant errant dans le monde pour le reste de ma vie !”
“Je t’ai dit que ce n’était pas de la magie noire !”
Le visage du sorcier est devenu plus rouge alors qu’il criait. Riftan le regarda comme s’il pouvait tuer avec ses yeux et calma sa prise sur lui.
“Bien, si ce n’est pas de la magie noire, j’irai moi-même à l’église pour vérifier.”
Ruth, qui se frottait le cou, s’est écriée avec un visage bleu.
“Tu vas vraiment faire purger une peine à ton sauveur de vie maintenant ?”
“Sauveur de vies ? Tu transforme les gens en monstres et vous avez l’audace de dire des conneries comme ça… !”
“Je ne t’ai pas soigné avec les parties du corps du monstre ! Je n’avais pas assez de mana pour te guérir, j’ai seulement utilisé la pierre de mana du monstre mais je n’ai utilisé aucune partie de ce monstre ni de magie noire !”
Ruth a pointé du doigt la sortie de la grotte. Au premier regard, il pouvait voir le corps du monstre s’affaisser au milieu de la montagne où les ténèbres l’entouraient.
“Théoriquement, ce n’est pas contre la doctrine de tirer du mana des pierres de mana. Les outils magiques sont aussi faits de pierres de mana !”
“Mais ta magie… est définitivement éloignée des doctrines. Je n’ai jamais entendu parler de ce genre de magie, réparer des corps humains mutilés au bord de la mort ! La magie de guérison ne peut traiter les blessures que jusqu’à un certain point. Cependant, tu as régénéré des parties endommagées au-delà de la réparation de la magie de guérison. Ai-je tort ?”
Le désarroi et la frustration peignaient le visage du mage alors que Riftan le bombardait d’interrogations. Ruth, qui transpirait abondamment comme s’il était acculé, a finalement soupiré et avoué.
“Bien, je vais être honnête avec toi. La magie que j’ai utilisée pour Sir Calypse est une magie taboue, inconnue de la Tour des Sorciers du Continent Ouest. Quand le jour viendra où cette magie sera exposée au monde, je ne serai pas le seul à avoir des problèmes, Sir Calypse aussi. Parce que cette magie…” Comme si Ruth n’était pas sûr de savoir comment expliquer, il s’est arrêté un moment avant de cracher les mots. “C’est une magie conçue à partir de l’étude du pouvoir régénérateur des trolls.”