Le Bureau Administratif de la Cité Sans Hiver s’étant agrandi, la salle de réunion était de plus en plus encombrée. Beaucoup de fonctionnaires étaient assis sur des bancs derrière leurs ministres et sous-ministres et les greffiers et assistants forcés de s’adosser au mur. Il y avait environ deux cent personnes.
Roland se dit qu’il était grand temps d’en construire une plus grande, car lorsque les responsables locaux viendraient dans la capitale faire leur rapport, il devrait certainement les recevoir à l’étage.
Il en prit note sur son carnet et frappa dans ses mains pour réclamer le silence.
– « Je pense que vous avez tous appris le succès du projet Flambeau, qui s’est étalé sur environ dix mois. Comme nous avons éradiqué les Diables et élargi notre territoire aux Plaines Fertiles, désormais, au lieu d’être une terre désertes pleine de pièges, ces plaines seront pour nous sources de nourriture. » Roland marqua une courte pause avant d’ajouter : « Croyez-moi, cette terre plus vaste que les Quatre Royaumes réunis sera, pour les cent prochaines années, la direction de développement de Graycastle. »
Un tonnerre d’applaudissements retentit dans la salle.
L’expansion du territoire était considérée comme la tâche la plus importante pour un Roi et le moyen le plus rapide pour les fonctionnaires d’obtenir des avantages. Les civils eux-mêmes tireraient également avantage de ces terres infiniment plus vastes que l’actuel territoire du Royaume.
– « Les “Quatre Royaumes” feront probablement partie de l’histoire dans quelques années », déclara Barov, ravi, en se caressant la barbe. « Graycastle est bien plus puissant que les trois autres. »
– « C’est vrai ! Il serait vraiment ridicule de continuer à parler des Quatre Royaumes pour documenter notre histoire. »
– « Pourquoi pas un grand et trois petits royaumes ? »
– « Ce titre est un peu trop lourd, je préférerais un nouveau nom. »
– « Je suis d’accord. J’ai l’intime conviction que le mot “Empire” conviendrait mieux à notre statut actuel. »
Roland laissa un temps les ministres débattre de cette question houleuse et se réjouir des conséquences de leur victoire contre les Diables puis recentra le débat.
– « J’espère que vous avez tous compris que cette victoire n’était que le début de la guerre. Certes nous avons chassé les Diables des Plaines Fertiles mais cela ne signifie pas qu’ils ne reviendront pas. Cette paix n’est que temporaire car dès qu’apparaîtra la Lune Sanglante, la bataille de la Divine Volonté commencera et je suis persuadé que nos ennemis mettront tout en œuvre pour l’emporter. Nous devons donc nous préparer sérieusement ! Autrement dit, il ne faut pas nous relâcher mais au contraire redoubler d’efforts, comprenez-vous ? »
– « Oui votre Majesté! » S’écria l’assistance.
Roland inspecta la pièce et fit un signe de tête à Rossignol qui tira le rideau accroché au mur dévoilant un immense tableau sur lequel n’était écrit qu’un mot : population.
– « Voilà ce que je veux », annonça lentement Roland.
La paix était revenue dans la Région de l’Ouest et avec le retour de l’armée et la consolidation de l’administration locale dans diverses municipalités, les citoyens de Graycastle étaient désormais unis comme jamais. Roland avait beaucoup de projets mais le plus important restait l’augmentation de la population et il faisait passer la mise en œuvre de cette politique avant même l’analyse d’après-guerre.
En effet, le plus gros problème pour le Cité Sans Hiver était sans aucun doute sa faible population car si la Première Armée avait pu bénéficier d’une unité blindée durant le projet Flambeau, elle aurait facilement pu repousser, à l’aide d’un simple véhicule de combat d’infanterie, les Diables qui avaient lancé une embuscade contre les sorcières.
Même s’il n’était pas nécessairement idéal d’utiliser la première génération de moteurs à pistons pour fabriquer un véhicule de combat d’infanterie, c’était mieux que rien, car les usines de la Cité Sans Hiver ne pouvaient produire davantage d’acier.
La bataille leur avait coûté 90 % des obus qu’ils avaient fabriqués durant toutes ces années et la voie ferrée, qui serpentait à travers la plaine, consommé quasiment tout l’acier à leur disposition.
Ayesha avait également l’impression qu’il était de plus en plus difficile de suivre le rythme de production d’acide à l’usine et les RPG avaient épuisé tout le stock de munitions.
Dans de nombreux domaines, ils étaient désormais acculés et Roland avait besoin davantage de personnel, que ce soit pour la production ou le développement de nouveaux projets. Pour mettre son plan à exécution, il lui fallait beaucoup plus de monde dans ses différents départements.
Pour l’heure, la population de la Cité Sans Hiver augmentait à un rythme soutenu et s’élevait désormais à 200 000 âmes. Comparé à d’autres villes, ce nombre était astronomique mais la ville aurait certainement besoin d’une décennie pour devenir une métropole d’un million d’habitants.
Si les Diables ne s’étaient pas comportés de manière aussi imprévisible lors de la dernière guerre, Roland aurait certainement été plus serein face à cette victoire, mais il restait inquiet devant le mystérieux comportement de l’ennemi. Il aurait préféré assister sur six mois, à une âpre bataille à Taquila entre la Première Armée et les Diables et perdre la moitié de ses soldats.
Il aurait voulu prolonger cette campagne mais les Diables ne lui en avaient pas laissé l’occasion.
Les choses ne s’étant pas passées comme il l’avait anticipé au départ, au retour de l’armée, ses craintes grandissant, il était contraint de prendre des mesures inhabituelles.
– « Le Bureau Administratif s’en est occupé, Votre Majesté », dit Barov en se levant. « Selon les statistiques, la ville accueille des immigrants chaque année. À mon avis, d’ici cinq ans, leur nombre aura doublé. »
– « Je ne peux pas attendre aussi longtemps. », répliqua Roland. « J’espère que cette année il y aura plus d’immigrants que prévu initialement ! »
L’assistance en eut le souffle coupé.
– « 200 000 personnes de plus en un an ? Je crains fort, Votre Majesté, que cela soit possible… Pour cela il faudrait une famine ou une émeute. »
– « Dans des circonstances normales peut-être, mais je compte émettre un ordre administratif. Cet objectif ne sera pas difficile à atteindre si nous obligeons les gens à déménager. En bref, nous pouvons développer ce plan en trois étapes : la relocalisation, le recrutement frontalier et une politique d’incitation à la procréation. Voici sur quoi vous allez devoir travailler. »