Une mission ?

– « Je vous en prie, parlez, Seigneur César! » Dit Linley, en proie à la confusion.

César était L’un des grands fondateurs de l’organisation “Sabre”, l’une des quatre principales guildes d’assassin du continent Yulan. Pour les affaires courantes, ses propres compétences suffisaient amplement. S’il lui demandait de l’aide, c’était sans aucun doute parce que l’affaire en question n’était pas simple.

– « Linley, vous vous souvenez qu’il n’y a pas si longtemps, ces deux gourmands d’O’Brien et Catherine ont dit qu’ils voulaient conquérir le monde », dit César.

– « En effet », acquiesça Linley. 

– « Que le monde soit ou non réparti entre vous trois n’est pas mon affaire. Mais sachez que Rosarie et moi avons une… relation… spéciale… », dit César avec un petit rire. « Je la connais parfaitement. Si elle est restée si longtemps au Sanctuaire de la Déesse du Givre, c’est parce qu’elle s’en soucie vraiment. »

En effet, il était évident que Rosarie, qui s’entraînait depuis des milliers d’années, accordait une grande valeur à ce sanctuaire.

Combien parmi ceux, issus de l’Église Radieuse ou du Culte des Ombres, qui s’entraînaient depuis aussi longtemps qu’elle, étaient restés dans leurs églises respectives ? Leur but étant de devenir des divinités, pourquoi éprouver le besoin d’adorer un dieu, qui, nécessairement, exigeait la foi des gens ?

Si Rosarie passait ses journées au Sanctuaire de la Déesse de Givre, ce n’était pas en raison de sa foi mais parce qu’elle s’était attachée à la Déesse.  

– « Ce jour-là, O’Brien a émis le souhait que les Dix-Huit Duchés du Nord lui reviennent », dit César, démuni, en secouant la tête. « Personnellement, cela m’est égal, mais vous savez sans doute que le règlement intérieur de l’Empire O’Brien interdit tout autre culte que celui du Dieu de la Guerre. »

Linley acquiesça. En effet, au sein de cet Empire, l’Église Radieuse et le Culte des Ombres, n’osant pas faire de prosélytisme, avaient dû se contenter d’établir des réseaux de renseignements.

– « S’il acquiert les Dix-Huit Duchés, le Dieu de la Guerre, dont les règles sont draconiennes, supprimera le Sanctuaire de la Déesse de Givre. » Fronçant les sourcils, il ajouta : « J’ai bien peur que Rosarie ne s’emporte et tente de combattre l’Empire O’Brien. »  

Linley commençait à comprendre.

– « Seigneur César », dit-il en souriant, « pourquoi êtes-vous si préoccupé ? À mon avis, tant que vous serez en vie, le Dieu de la Guerre devra réfréner ses actes. »

– « C’est vrai, mais si jamais je mourais au cours de ce périple à la Nécropole des Dieux, qu’arriverait-il ? Pensez-vous que le Dieu de la Guerre serait toujours aussi courtois envers le Sanctuaire ? », souligna-t-il, le visage contrit.

– « Eh bien… » Linley demeura un moment silencieux : « Seigneur César, pourquoi manquez-vous à ce point de confiance en vous ? »  

– « Vous ne comprenez pas, Linley », répondit César. « Certes nous sommes tous les quatre des Demi-Dieux, mais cela ne signifie pas que nous soyons de même niveau. Regardez les Saints : un débutant pourrait-il rivaliser avec vous ? »

Un débutant ? Rivaliser avec Linley qui avait tué comme un rien des millions de Démons à Lames des Abysses ? Ils étaient aussi éloignés de lui que les Cieux pouvaient l’être de la Terre.

« De nous quatre, je suis le plus faible. Dylin, qui est Demi-Dieu depuis des milliers d’années, est sur le point de devenir un Dieu à part entière », reprit César, qui n’était lui-même qu’un débutant.

Quant aux autres… le Dieu de la Guerre avait acquis le niveau Divin cinq mille ans auparavant et le Grand Prêtre était Dieu depuis plus de dix mille ans.

« Je suis donc celui qui a le plus de risques de mourir dans la Nécropole des Dieux » ; conclut-il.

– « Dans ce cas, Seigneur, pourquoi y aller ? »

– « D’abord parce que j’y suis obligé et ensuite… » Les yeux de César s’illuminèrent, « parce que je commence à me lasser de rester oisif. Je voudrais connaître à nouveau l’excitation des combats où l’on risque sa vie.  Autrefois, lorsque j’étais avec Armand, nous prenions des risques inimaginables et mon métier d’assassin, qui était lui aussi très excitant, me manque beaucoup. »

Linley comprit que César avait toujours l’âme d’un guerrier et ce genre de personne ne pouvait pas s’engluer dans une petite vie tranquille. Les guerriers avaient besoin de combats, d’activités palpitantes, de franchir sans cesse de nouveaux niveaux.

– « Linley, êtes-vous disposé à aider Rosarie dans ses éventuelles difficultés ? » Demanda César de but en blanc.  

– « Bien sûr, Seigneur César. Comment pourrais-je refuser ? » Répondit le Saint avec un petit sourire narquois.

– « Petit voyou! », répondit César en souriant.

S’il était venu solliciter l’aide de Linley, c’est parce que d’une part, celui-ci atteindrait le niveau Divin dans une dizaine d’années, et d’autre part parce qu’il avait une relation privilégiée avec Bébé et Beyrut. Si le Saint acceptait de l’aider, en admettant que le Dieu de la Guerre revienne de la Nécropole des Dieux, jamais il n’oserait s’opposer à Rosarie.

Soudain, une voix âgée retentit dans l’esprit de Linley, qu’entendirent simultanément le Dieu de la Guerre de sa montagne et le Grand Prêtre depuis l’Empire Yulan :

– « Linley, O’Brien, Catherine! »

Linley blêmit : c’était le Seigneur Beyrut!

– « Je sais que vous envisagez de déclencher une guerre sur le continent. Quoi qu’il puisse advenir du reste de Yulan, souvenez-vous qu’en aucun cas vous ne devrez troubler la paix de la Forêt Ténébreuse. Par ailleurs, vos armées ne sont pas autorisées à pénétrer dans les Dix-Huit Duchés du Nord et encore moins à y faire un massacre. C’est bien compris ? »

– « Oui, Seigneur Beyrut », répondirent en chœur le Dieu de la Guerre, le Grand Prêtre et Linley, qui n’auraient jamais osé outrepasser ses ordres.  

Sur ce, Beyrut retira sa présence divine de leurs esprits.

« C’est vraiment terrifiant. Son sens divin est en mesure de couvrir instantanément tout le continent Yulan », soupira Linley, pris d’une admiration sans bornes. « Le Seigneur Beyrut est infiniment plus puissant que le Dieu de la Guerre. »  

– « Que se passe-t-il ? » Demanda César, confus, en le voyant perdu dans ses pensées.

Linley comprit alors que le Dieu leur avait parlé mentalement, à l’insu des autres experts.

– « Seigneur César, n’étiez-vous pas en train de me dire que vous étiez inquiet pour Rosarie ? » Demanda-t-il en souriant.

César acquiesça et le regarda d’un air interrogateur.

– « Dans ce cas, rassurez-vous », dit Linley.

– « Pourquoi ? Que se passe-t-il ? » Demanda César, quelque peu dérouté.

– « Le Seigneur Beyrut vient d’entrer en communication télépathique avec moi ainsi qu’avec le Grand Prêtre et le Dieu de la Guerre pour nous faire savoir qu’il nous était strictement interdit d’envoyer nos armées sur les terres des Dix-Huit Duchés du Nord », répondit Linley en souriant. « Cela devrait vous rassurer. »  

César laissa échapper un long soupir et sourit.

– « Ceci dit, je ne comprends pas pourquoi Lord Beyrut fait cela ? Se pourrait-il que ce soit pour moi ? Pourtant, je ne suis pas très important. »  

– « Dans ce cas, ne cherchez pas à comprendre », répondit Linley en riant.

– « Vous avez raison », répondit César en l’imitant. « Puisque c’est ainsi, je ne vais pas vous déranger plus longtemps. »

Malgré sa puissance, Linley eut à peine le temps de le voir prendre une apparence floue et disparaître.  

« Il peut devenir invisible grâce à sa technique ‘Corps Ethérique’! C’est incroyable! » Soupira Linley, admiratif.

Décidément, cette nuit n’était pas ordinaire.  

Peu de temps après le départ de César, une autre personne fit son apparition dans le bureau de Linley. Mais plongé dans sa lecture, celui-ci ne remarqua sa présence qu’au bout de quelques pages.

Son cœur fit un bond et il se leva aussitôt :

– « Seigneur Beyrut! »

– « Attendons Bébé. Ensuite nous parlerons », dit le Roi du continent Yulan, toujours vêtu de sa longue tunique aussi noire que sa barbe et ses cheveux.   

– « Bébé ? » S’exclama Linley, confus.

Quelques secondes plus tard surgit une ombre noire. La Créature Magique se posa juste devant Beyrut :

– « Grand Père Beyrut! » dit-il. « Que faites-vous ici ? »

En le voyant, Beyrut parut si rayonnant que ses yeux rapetissèrent. Il avait eu une vie très longue, mais de tous ses descendants, seul Bébé était un Rat Mangeur de Dieux. Autant dire qu’il lui était aussi précieux que la vie.

– « Si je suis venu aujourd’hui, c’est pour ramener Bébé dans la Forêt Ténébreuse », dit-il avec un regard bienveillant pour la Créature Magique.

– « La Forêt Ténébreuse ? Mais pourquoi ? Je me plais bien ici! » Répondit Bébé.

Une pensée traversa soudain l’esprit de Linley : pour agir ainsi, le Seigneur Beyrut devait avoir une bonne raison.

– « Pourrais-je, Seigneur, vous demander la raison de cette décision ? » Demanda-t-il.

– « Bébé est une Créature Magique qui va bientôt passer à l’âge adulte », répondit le sage en caressant affectueusement le Rat Mangeur de Dieux. « Ce faisant, il atteindra naturellement le niveau Divin, et ce moment est très important pour lui. »

– « Une Divinité ? Moi ? » S’exclama Bébé, à la fois surpris et ravi.

– « D’ici une dizaine d’années, à mon avis. Mais ces dix ans seront les plus importants de toute ta vie », répondit Beyrut d’un air grave.   

Beyrut étant lui-même un Rat Mangeur de Dieux, c’était sans doute celui qui en savait le plus au sujet de toutes les créatures des multiples plans de l’univers. Bébé comptait beaucoup aux yeux de Linley et tout ce qu’il souhaitait, c’était que son compagnon magique se développe correctement et gagne en puissance.

– « Je te conseille vivement d’y aller Bébé. Pour ma part, je vais également devoir m’isoler pour m’entraîner durant une période similaire. »  

Linley le regarda, et après un moment de silence, acquiesça :

– « Très bien, Patron », répondit-il. « Mais lorsque vous en aurez la possibilité, pensez à me parler télépathiquement. »

– « Entendu », répondit Linley en riant.

Beyrut, qui était très satisfait du comportement du Saint, eut un sourire.  

– « Linley, j’ai quelque chose à vous dire. »

Le cœur de Linley se serra :

– « Parlez, Seigneur Beyrut », dit-il respectueusement.

Beyrut hocha la tête :

– « J’ai appris que vous vous prépariez tous à attaquer les autres empires et à unifier le continent yulan. Il y a quelques décennies ou quelques siècles, cela aurait été simple, mais à présent… »

Linley en fut surpris. En principe, Beyrut ne se trompait jamais, mais à en croire le plan élaboré par le Dieu de la Guerre et les autres, il ne devait pas y avoir de problème puisqu’ils avaient exterminé les Saints ennemis. Après avoir envoyé leurs armées et, au besoin, leurs propres Saints pour effrayer l’adversaire avec des sorts de niveau Interdit…..

– « Seigneur Beyrut, que voulez-vous dire ? »

– « Seulement que cette guerre ne sera pas aussi simple que vous l’imaginez. Je vous recommande de ne pas vous montrer trop ambitieux. Bon, j’ai dit ce que j’avais à dire. Je dois partir à présent. »  

– « Au revoir, Patron », dit Bébé en agitant la patte.

Sur ce Beyrut le prit dans ses bras et disparut à une vitesse telle que Linley n’aurait su dire quelle technique il avait utilisée. Quoi qu’il en soit, elle était d’un niveau bien supérieur à celle de César.

Resté seul dans son bureau, le Saint se mit à réfléchir :

« Pourquoi cet avertissement ?  Se pourrait-il que quelque chose d’inattendu se produise ? Il m’a bien recommandé de ne pas me montrer trop ambitieux… »

Soudain, quelque chose lui revint à l’esprit : « Le Seigneur Beyrut nous a également ordonné de ne pas attaquer les Dix-Huit Duchés du Nord. »

L’un dans l’autre, tous ses problèmes le stressaient :

« Nous allons devoir être très prudents dans cette guerre et y aller doucement », pensa-t-il. « Dès demain matin, j’irai voir Cena pour lui donner des instructions.  Jusqu’ici… »

Située tout au fond de la Vallée Brumeuse, la Chaîne de Montagne des Créatures Magiques avait été autrefois le repaire du Dragon-Sanglier en Armure dont Linley avait réussi à avaler le sang ainsi que le cristal afin d’activer en lui le pouvoir du Sang de Dragon issu de sa lignée, devenant ainsi un Guerrier au Sang de Dragon. C’était également là que Dylin et ses trois fils, les Lions Ni Dorés à Six Yeux, avaient été relâchés après qu’il ait arraché Sang Pourpre.

Là, l’espace se mit soudain à onduler comme de l’eau, de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’un grand trou se forme. Huit personnages d’apparence humanoïde en jaillirent, certains portant des cornes, d’autres des robes en lambeaux. Ils ne semblaient pas dans une forme éblouissante mais avaient tous l’air ravi.

– « Ahhh …cette aura élémentale … c’est merveilleux », dit l’un d’eux, un être de puissante stature portant sur la tête une paire de cornes de bœuf. Il était si excité qu’il en tremblait.

– « Enfin de retour! »  Dit un second en s’agenouillant sur le sol avec des larmes d’émotion. « Maudit endroit! Mais je suis vivant! L’odeur de la terre est si enivrante! »

Tous semblaient très excités.

– « Maintenant que nous avons tous réussi à fuir la Prison du Plan de Gebados, rentrons chez-nous », dit un bel homme aux oreilles pointues et aux longs cheveux vert jade en éclatant de rire.

– « Haha, après avoir vécu la terreur durant des milliers d’années, il est grand temps de nous dégourdir un peu. »

Sur ce, les huit personnages quittèrent le sol, chacun prenant une direction différente.