Ma Yang resta un instant interdit, puis ses yeux s’embuèrent.
“Frère Qian… même après tout ce désastre, tu continues de croire en moi. Je… je ne sais que dire…”
Pei Qian posa une main ferme sur l’épaule de Ma Yang, puis tourna son regard vers Zhang Yuan.
“N’oubliez jamais ceci : j’ai toujours placé en vous deux, de grands espoirs. Rien n’a changé ! Et alors ? Même si nous perdons trois cent mille par mois, ce n’est qu’une broutille ! Tengda est désormais une grande entreprise, et l’argent dormant ne sert à rien. Il faut le mettre à profit !”
Il reprit d’une voix claire, presque solennelle :
“Je le répète : le cybercafé Attrape-pigeon est une étape cruciale pour le groupe Tengda. Je mise énormément sur ce projet, voilà pourquoi je vous l’ai confié. Oubliez complètement la question des bénéfices. Interdit de baisser nos tarifs ! Votre seule mission, c’est de maintenir le cap, compris ?”
Il se tourna vers Ma Yang.
“Ne t’arrête pas à ces trois cent mille. Même si c’étaient trois millions, ou trente millions… tant que tu suis mes instructions à la lettre, même si nous sombrons dans des pertes abyssales, je ne sourcillerai pas !”
Sa voix résonna comme une promesse inébranlable :
“Ayez confiance et osez. Peu importe l’ampleur des pertes, je prendrai tout sur mes épaules !”
Puis Pei Qian laissa son regard balayer les employés anxieux du cybercafé.
“Cela vaut pour vous aussi. Je ne veux pas que vous portiez le moindre fardeau moral. Je vous garantis ici et maintenant : quelles que soient les pertes du cybercafé Attrape-pigeon, jamais je ne renverrai l’un de vous, mes frères !”
Un murmure parcourut la salle, mais Pei Qian éleva encore le ton, animé d’un feu intérieur :
“Tous, sans exception, vous recevrez une augmentation générale de trente pour cent. J’espère que chacun d’entre vous gardera cette flamme et offrira à chaque client le meilleur service possible !”
Puis il conclut, comme pour sceller l’avenir :
“Le mois prochain, nous ouvrirons de nouveaux cybercafés à Jingzhou. Et ce jour-là, chacun de vous aura la possibilité de devenir directeur d’une nouvelle succursale !”
Les paroles de Pei Qian, vibrantes de passion et d’assurance, enflammèrent les cœurs et firent jaillir un élan d’enthousiasme irrésistible parmi tous les présents.
Les quelques serveurs présents eurent soudain les yeux brillants d’enthousiasme.
Une augmentation générale !
Et mieux encore : de nouvelles succursales allaient bientôt ouvrir, et les futurs directeurs seraient choisis parmi les employés actuels !
Incroyable ! Complètement insensé !
Jusqu’alors, tous craignaient que le patron Pei ne finisse par renoncer à cette aventure, à cause des pertes incessantes qu’accumulait le cybercafé. Ils redoutaient de se retrouver un jour privés de ce travail si envié. Et voilà qu’au lieu d’abandonner, Patron Pei voulait entraîner tout le monde avec lui, élever chacun d’eux sans exception !
À présent, tous n’avaient plus qu’une seule pensée au cœur : se dévouer corps et âme au Patron Pei !
“Très bien, je rentre maintenant. Je vous laisse le cybercafé, je n’ai aucune inquiétude” déclara Pei Qian en donnant une tape amicale sur le bras de Ma Yang, avant de tourner les talons.
Ils le regardèrent s’installer dans la Cayenne de l’assistant Xin et s’éloigner.
Ma Yang sentit son cœur se gonfler d’émotion :
“Je trouverai de nouvelles idées, je le jure ! Je ne perdrai pas face à Huang Sibo !
Zhang Yuan, lui aussi, débordait d’ardeur.
“La nuit tombe… ce soir je chanterai encore quelques chansons de plus. J’attirerai davantage de clients, et je les ferai consommer plus d’alcool !
Dans la voiture…
Pei Qian savait parfaitement quel effet ses paroles enflammées et ses encouragements allaient avoir sur les employés du Cybercafé Attrappe Pigeon .
Mais cela ne l’inquiétait nullement. Tant de choses avaient déjà mal tourné… Quoi qu’ils fassent désormais, leurs efforts étaient voués à l’échec.
Ma Yang pouvait bien s’enthousiasmer : et après ?
Pei Qian n’avait pas la moindre inquiétude : jamais ils ne parviendraient à faire quoi que ce soit de remarquable.
Que Zhang Yuan chante avec plus de fougue et redouble d’efforts pour écouler davantage d’alcool… et alors ?
Que les serveurs traitent chaque client comme un roi… et alors ?
Le positionnement et les tarifs du CyberCafé Attrappe pigeon suffisaient à eux seuls à dissuader la grande majorité des clients potentiels.
À ce niveau de prix, les flambeurs ne viendraient pas, et les gens ordinaires n’en avaient tout simplement pas les moyens. Rien ne changerait vraiment.
Et d’ailleurs, le mois prochain, quand Pei Qian commencerait à ouvrir de nouvelles succursales, les pertes ne feraient que s’amplifier. À ce rythme-là, les choses n’iraient-elles pas encore mieux ?
De retour à son bureau, Pei Qian avait le sentiment de n’avoir plus rien à faire. Il attendait tranquillement que la clôture des comptes arrive. Cette fois-ci, les employés avaient eu carte blanche : qu’ils fassent ce qu’ils voulaient.
Pourtant, en entrant dans les locaux ce jour-là, il perçut quelque chose d’inhabituel.
L’atmosphère lui parut… trop animée !
Un petit attroupement s’était formé autour de Lu Mingliang. Pei Qian ignorait ce qui captivait tant l’attention, mais tout le monde arborait un large sourire. Plus étonnant encore : il aperçut Huang Sibo et Zhu Xiaoce au milieu du groupe.
Que faisaient donc ces deux-là ici ?
Pei Qian se raidit aussitôt. L’instinct lui criait méfiance.
Ces deux individus portaient malheur : chaque fois qu’il croisait leur route, il savait qu’aucune bonne nouvelle n’en ressortirait !
« Attends… ai-je laissé échapper quelque chose ? » pensa-t-il, sur ses gardes.
Game Designer avait déjà gagné en popularité. La Vie quotidienne du Patron Pei également.
Je revenais tout juste du cybercafé : il sombrait dans les pertes de la manière la plus magnifique qui soit, tout allait donc pour le mieux, non ?
Patron Pei, c’était déjà un homme « enterré », condamné à l’avance ; quelle autre mauvaise nouvelle pouvait-il bien y avoir ? Alors… qu’est-ce que ce groupe de gens manigançait à voix basse ?
Un malaise diffus s’empara de lui…
“Patron Pei est de retour !” lança soudain quelqu’un.
Huang Sibo s’avança vers lui, les traits illuminés d’enthousiasme.
“Patron Pei, jamais je n’aurais pensé que vous ayez préparé le terrain avec une telle perfection ! J’ai une admiration sans borne pour vous !”
Lu Mingliang renchérit, tout ému :
“En effet, qui aurait pu imaginer qu’une remarque en apparence anodine du Patron Pei recelait en réalité une signification aussi profonde !”
Ma Yiqun leva le pouce en signe de respect.
“Élaborer une stratégie victorieuse à mille lieues du champ de bataille… Voilà qui décrit Patron Pei à la perfection !”
Accablé d’éloges, Pei Qian sentit son esprit devenir un écran blanc.
De quoi parlaient-ils donc ?
Pourquoi n’y comprenait-il rien ?
Il s’efforça de garder contenance.
“Qu’est-ce qu’il s’est passé ?” demanda-t-il d’une voix posée.
Alors Bao Xu s’avança. Lui d’ordinaire si calme, si mesuré, avait le visage empli d’admiration.
“Patron Pei, vous nous aviez dit autrefois de ne jamais révéler votre véritable identité, ni d’ébruiter les avantages et les salaires des employés de Tengda. Au début, je n’avais compris que la première couche de votre intention cachée.
“J’avais cru, poursuivit Bao Xu, que vous vouliez simplement éviter que les avantages extraordinaires offerts par Tengda n’aient un impact négatif sur l’ensemble de l’industrie vidéoludique nationale. Mais à présent, je comprends : il y avait un second niveau caché à votre stratégie !
Il tendit son téléphone.
“Patron Pei, regardez donc cet article !”
Sur l’écran s’affichait un titre :
« Plongée au cœur de l’énigmatique Tengda Games : l’utopie de l’industrie vidéoludique nationale ! »
Les sourcils de Pei Qian se haussèrent d’eux-mêmes.
Quoi ?!
Qui avait osé écrire ça ?!
Il parcourut rapidement l’article, le souffle suspendu, avant de laisser échapper un soupir de soulagement.
Bon. Les dégâts n’étaient pas trop graves.
Ni son véritable nom, ni les avantages de Tengda n’étaient mentionnés. L’article ne précisait même pas qui avait été interviewé : tout cela paraissait bien peu fiable. Mais alors… qu’est-ce qui rendait tout le monde si joyeux ?
À peine eut-il terminé sa lecture que Bao Xu, incapable de se contenir davantage, reprit la parole. Lui qui n’était pas du genre à fanfaronner, brûlait aujourd’hui de le faire. D’un côté, il espérait gagner la reconnaissance du Patron Pei. De l’autre, il voulait absolument partager avec tous la beauté de ce plan si subtil !
“Patron Pei, dit-il avec ferveur, vous avez volontairement masqué votre véritable identité, ainsi que les avantages de Tengda. Cette stratégie pour tromper l’ennemi… c’est tout simplement du génie ! Game Designer s’est appuyé sur sa qualité exceptionnelle et sur ce style marketing « performance artistique » pour bâtir une réputation inégalée dans tout le pays.”
“Pendant ce temps, poursuivit Bao Xu avec exaltation, La Vie quotidienne du Patron Pei avait également suscité un immense intérêt dans l’industrie de la vidéo courte, déclenchant mille débats. Pourtant, jamais je n’aurais imaginé que ces deux projets faisaient en réalité partie d’une seule et même stratégie !”
“ Game Designer et La Vie quotidienne du Patron Pei sont comme deux flammes ardentes, dit-il en agitant les mains avec fougue. Il a suffi que Patron Pei y jette une étincelle… et elles se sont embrasées, fusionnant en un brasier encore plus éclatant !”
“Cette étincelle… c’était votre stratégie de diversion !”
Les yeux brillants, il enchaîna sans reprendre son souffle :
“Depuis la publication de cet article, joueurs et spectateurs de vidéos courtes se sont mis à s’intéresser davantage à notre société ! S’il s’était agi d’un article sérieux, peut-être que leur enthousiasme n’aurait pas duré.”
“Mais justement ! Le caractère trompeur de ce papier a provoqué une avalanche de spéculations : le vrai et le faux se sont entremêlés, et le sujet est devenu brûlant d’un coup !”
“ Tengda Games est désormais un thème en vogue sur Weibo. Une foule de curieux y ont afflué : certains vers nos jeux, d’autres vers la série de vidéos courtes ! Et ces deux derniers jours, la popularité de tous nos titres a grimpé en flèche, même The lonely desert road a bénéficié d’un regain d’attention !
“Quant aux vidéos courtes, leur succès est encore plus éclatant : chaque épisode a gagné entre trois et quatre cent mille spectateurs supplémentaires. Beaucoup se demandent déjà : « Le patron de Tengda ressemble-t-il vraiment à ce Patron Pei que l’on voit dans les vidéos ? »”
Bao Xu marqua une pause, puis conclut avec des étoiles dans les yeux :
“Je suis convaincu que, le jour où la véritable identité du Patron Pei sera révélée, ce sera comme dégoupiller une grenade : une vague encore plus immense déferlera ! Peut-être que vous réservez ce coup de maître pour la sortie de notre prochain jeu ? J’attends ce moment avec impatience !”
Devant cette avalanche de flatteries, Pei Qian resta sidéré, pétrifié jusqu’au tréfonds de son être.
Qu’est-ce que cela signifiait ? J’étais déjà censé être six pieds sous terre… Et voilà que ces gens ont encore l’audace de déterrer mon cadavre ?!