Tous les avions d’entraînement étaient déployés en ligne au bout de la piste et les 30 stagiaires officiels écoutaient attentivement les instructions de la princesse Tilly. Un peu plus loin, les élèves qui n’avaient pas réussi l’examen ou ceux qui venaient de rejoindre l’équipe étaient assis près de la piste, attendant d’assister à la prochaine série de vols d’essai.
“À partir d’aujourd’hui, votre formation va entrer dans une nouvelle phase !” proclama Tilly en faisant des allers et retours devant ces élèves beaucoup plus grands qu’elle. “Maintenant, dites-moi ce que vous avez appris au cours du dernier mois ! Patter, commencez !”
“Le décollage, Votre Altesse !” répondit avec excitation l’élève nommé Patter.
“Ensuite?”
“Le vol stationnaire !”
” Le film magique !”
“Quoi ?”, demanda brusquement Tilly.
“Excusez-moi, je voulais dire l’équilibre !” bégaya l’étudiant.
“Etrange, la Princesse Tilly semble plus aimable ces derniers jours.” murmura Finkin.
“Vraiment ?” chuchota Hinds. “Elle ne nous dispensera pas de punition en cas d’erreur. Vous devez avoir la mémoire courte ! On vient de nettoyer les toilettes pendant un mois.”
“Je ne dis pas ça”, murmura Finkin en regardant vers Good. “Qu’est-ce que vous en pensez ?”
Good hocha la tête :
“J’ai le même sentiment.” Cela faisait longtemps qu’il sentait la Princesse Tilly très anxieuse, mais cela devait être à cause des mauvaises performances des Chevaliers de l’Air en formation. En effet, sur 200 élèves, seuls 30 avaient réussi l’examen.
De plus il n’y avait que six avions utilisables dans le hangar. Les autres s’étaient tous écrasés durant l’entraînement. Comme l’avait dit l’instructeur Face d’Aigle, un avion était encore plus cher qu’un navire, qui coûtait déjà plus d’un millier de Royals d’or. Pas étonnant que Tilly fût si maussade et d’aussi mauvaise humeur.
Néanmoins, la situation semblait avoir un peu changé. Bien que la princesse fût toujours très stricte avec eux, elle était moins renfrognée.
Cependant beaucoup d’avions s’écrasaient encore régulièrement.
“Finkin, à votre tour “, dit Tilly.
L’interpellé se redressa puis dit :
“La discipline, Votre Altesse, j’ai appris l’importance de la discipline !”
“Et de la responsabilité !” cria Hinds.
Il y eut un grand éclat de rire.
“Il y a longtemps, j’ai dit à la Princesse Tilly que nous devrions d’abord envoyer ces gars à l’armée et les discipliner.”
“Ne perdez pas de temps avec eux. Ce sont tous des civils.”
Les autres étudiants échangèrent des murmures. Apparemment, la nouvelle selon laquelle Finkin, Hinds et Good avaient reçu l’ordre de nettoyer les toilettes durant un mois en guise de punition s’était répandue dans toute l’école comme une traînée de poudre. Cependant, les élèves qui étaient eux aussi d’anciens civils s’étaient simplement moqués d’eux. Ceux qui les méprisaient le plus et voulaient les envoyer à la Mine du Versant Nord étaient, pour la plupart, des soldats de la Première Armée.
Tilly ne releva pas:
“Suivant”.
Good répondit solennellement :
“La Passion.”
Une autre vague de chuchotements balaya la foule.
“Quelles sont encore ces sottises ?”
“Peut-être qu’il n’a rien trouvé d’autre…”
Good pensait que la Princesse ne serait pas satisfaite de sa réponse mais contre toute attente et après une courte pause, elle se tourna vers l’élève suivant.
Lorsque tous eurent donné leur réponse, Tilly hocha la tête :
“Vous n’avez pas reçu beaucoup de formation, mais vous avez beaucoup appris ! Il ne vous reste plus qu’à mettre tout cela en application. Vous devez être fort et utiliser les techniques de vol que l’on vous a enseignées !
“Oui, Votre Altesse !” crièrent tous ses élèves.
“Maintenant, je vais vous diviser en deux groupes de trois unités pour simuler un combat ! La règle en est très simple. Si vous réussissez à garder l’adversaire dans votre champ de tir pendant 10 secondes sans qu’il ne vous sème, je considérerai que vous avez atteint votre cible. Vous n’aviez appris à tirer que sur une cible fixe au sol. Vous allez maintenant découvrir à quoi ressemble une véritable bataille aérienne !”
Cette nouvelle enthousiasma tout le monde
“Votre Altesse !” cria un étudiant en levant la main.
“Oui ?”
“La mitrailleuse est… déchargé, n’est-ce pas ?”
“Quel idiot”, fit Finkin en riant
“Bien sûr”, répondit Tilly en secouant la tête. “En fait, il n’y a pas d’arme… Celles que vous voyez montées sur l’avion sont fictives donc aucune inquiétude, vous ne risquez pas de tuer vos camarades si vous pressez sur la détente.”
Tous les étudiants éclatèrent de rire.
“De plus, il est beaucoup plus compliqué de tirer en l’air que sur le sol. Avoir une cible dans votre viseur ne signifie pas nécessairement que vous la toucherez. Même avec des balles, vous la manqueriez probablement”, expliqua Tilly en haussant les épaules. “D’autres questions ?”
Good avait désormais la certitude que la Princesse avait changé. Autrefois, elle n’aurait jamais eu l’air aussi détendue.
“J’ai une question”, dit Finkin en levant la main. Sitôt qu’il eût obtenu la permission de parler, il regarda les étudiants de la Première Armée. “Votre Altesse, comment saurons-nous si nous avons gagné ? Et si l’adversaire, même verrouillé, refuse de se rendre ?”
Les élèves n’avaient jamais participé à une vraie bataille aérienne, mais ils en avaient appris l’idée de base en classe: si un Chevalier Aérien veut vaincre son ennemi, il doit faire tout son possible pour le garder dans son viseur. Il y avait bien des mitrailleuses à l’arrière, cependant, en raison des angles de tir limités, celles-ci étaient surtout utilisées pour aider le chevalier aérien à se débarrasser d’éventuels poursuivants.
“Je porterai un jugement en conséquence”, dit Tilly, qui fit venir deux femmes. “Voici mes invitées spéciales. Elles surveilleront chacun de vos mouvements, aussi n’imaginez pas pouvoir tricher.”
“… C’est Mlle Sylvie.”
“L’autre semble être une sorcière des Sortilèges de l’Île Dormante”.
Good entendit les étudiants de la Première Armée chuchoter entre eux.
“Les stagiaires là-bas ne font pas que regarder”, poursuivit Tilly. “Voyez-vous les drapeaux qu’ils agitent ? Nous avons six avions, chacun portant un numéro. Une fois que vous aurez décollé, ils utiliseront les drapeaux de couleur pour indiquer votre statut. Le vert signifie que tout est normal et le rouge que vous avez été abattu. Si vous voyez votre numéro passer au rouge, alors vous devez quitter la zone de combat et retourner à l’aéroport. C’est compris ?”
“Oui !”
“Très bien. Maintenant, je vais diviser le groupe.”
Étonnamment, la Princesse avait déjà dressé une liste. Good et Finkin se retrouvaient dans la même équipe, qui portait le numéro deux.
“Je vous laisse décider de qui pilote et qui tire. Les équipes 1, 2 et 3 devront décoller dans 15 minutes. Ne restez pas en vol stationnaire. Puis ce seront les équipes 4,5 et 6. Une fois que toutes les équipes seront en l’air, la simulation commencera officiellement !” dit Tilly qui frappa dans ses mains: “Montrez-moi ce que vous avez appris !”
Good serra les poings.
Son cœur battait à tout rompre.
“Vous avez remarqué ?” dit Finkin alors qu’il s’approchait.
La princesse Tilly n’avait pas divisé les groupes au hasard. Les trois premières équipes étaient toutes composées d’ancien civils et les trois autres d’étudiants de la Première Armée.
De toute évidence, elle cherchait à savoir qui étaient les meilleurs !
“C’est parfait”, dit Finkin en se frottant le nez. “J’en ai assez d’eux. Puisque nous sommes des Chevaliers de l’Air, réglons cela dans les airs !”
Good ne se souciait pas vraiment de l’issue de cette fausse bataille. Il espérait seulement pouvoir voler autant qu’il le pouvait afin de pouvoir en profiter un peu plus longtemps. Il regarda ses mains tremblantes. Elles semblaient en résonance avec lui et alors qu’il les imaginait sur le levier, il sentit un afflux de chaleur dans tout son corps.
“Je serai le pilote et toi, tu tireras”, dit Finkin en tapotant l’épaule de Good.
“Tu sais que je n’accepterai jamais ça”, répondit aussitôt ce dernier..
Ils se regardèrent longuement puis Finkin se résigna :
“D’accord. Du coup on le fait à l’ancienne”.
Il existait, en effet, une méthode très populaire pour résoudre un conflit. Nul savait d’où elle venait. Certains prétendaient qu’elle avait été inventée par l’Association des Sorcières, tandis que d’autres pensaient que c’était une création de Sa Majesté. Quoi qu’il en fût, cette méthode était plutôt efficace.
“Pierre, ciseaux, papier !”
“J’ai gagné !” dit triomphalement Good en retirant sa main.
Finkin regarda son poing avec incrédulité puis finit par concéder :
“Ok, Cette fois, je te laisse piloter. J’aurai bien d’autres occasions durant l’entraînement”.
Les deux hommes se dirigèrent donc vers le biplan qui leur avait été désigné et montèrent aussitôt à bord.
“Vous pouvez le faire !” dit Hinds en les encourageant de la façon la plus ostensible possible.
Il n’était pas sur la liste, aussi leur souhaitait-il naturellement bonne chance.
“Vous n’allez pas tarder à voir que nous ne nous sommes pas entraînés pour rien”, dit Finkin en enfilant les lunettes. Puis il leva le pouce.
Très vite, on retira l’échelle et alors que la manivelle tournait rapidement, l’hélice fut mise en mouvement.
Lorsque le piston, entrant en contact avec le gaz, se mit à bouger, Good eut l’impression que l’avion tout entier prenait vie.
“La voie est libre, vous pouvez décoller !” l’informa le personnel au sol.
Good leva le bras et fit un salut parfait.
“Avion n°2, allez-y !”
Le biplan glissa sur la piste, accéléra puis s’éleva dans le ciel contre les brises marines.