Elle dormait au fond de l’océan quand elle était fatiguée et reprenait son voyage dès son réveil. Quand elle avait soif, elle buvait de l’eau de pluie et mangeait du poisson lorsqu’elle avait faim.
Joanna ne savait pas depuis combien de temps elle vivait de cette manière.
Au début, elle avait essayé de compter les jours. Cependant, après en avoir raté un ou deux, elle perdit peu à peu le compte puis abandonna finalement. Elle n’avait aucune idée de combien de temps elle avait nagé sans but dans l’océan. Peut-être que cela faisait plus de six mois désormais.
Joanna faillit fondre en larmes à cette pensée. En fait, elle avait pleuré de nombreuses fois, mais ses larmes fusionnaient avec l’eau de mer et devenaient une partie de l’océan.
Elle était fatiguée.
Tellement fatiguée.
Même lorsqu’elle était endormie, elle ne pouvait pas se détendre totalement, sans quoi des requins et d’autres animaux viendraient la manger. Même s’ils ne pouvaient pas l’avaler, leurs picotements étaient tranchants et douloureux. De plus, elle pouvait être vue par les Fantômes de la Mer et ces monstres qui ressemblaient à des bateaux.
Au cours des derniers mois, Joanna les avait rencontrés à de nombreuses reprises.
À chaque fois, elle était morte de peur.
Heureusement, elle avait toujours réussi à fuir, malgré le fait qu’elle recevait parfois des blessures supplémentaires durant sa fuite.
Il y avait de nombreuses coupures dans ses belles écailles dont Sa Majesté avait fait l’éloge. La peau exposée dans l’air était devenue blanche. Comme elle était dans l’eau depuis si longtemps, certaines blessures commençaient à s’infecter. Pire encore, certains vers parasites avaient niché dans ses blessures. Il était extrêmement douloureux de les retirer de son corps.
Son corps qui était si joli auparavant était devenu vraiment laid.
Le lit moelleux de la Cité Sans Hiver lui manquait cruellement ainsi que la vie paisible qui y régnait.
Bien qu’il y ait beaucoup de poissons dans l’océan, elle devait les manger crus. Elle avait l’habitude de le faire tout le temps avant de se rendre à la Cité Sans Hiver, cependant désormais, elle ne pouvait plus s’habituer à l’odeur de poisson qui parfumait son haleine.
Elle voulait manger des ailes de poulet frites faites par Foudre.
Elle cria à nouveau puis continua de nager tandis que ses larmes coulaient.
Combien de temps devrait-elle nager avant de revenir d’où elle venait?
Elle nageait beaucoup plus vite que la plupart des poissons.
Elle était encore plus rapide que le “Vent des Neiges” de Sa Majesté.
Le temps qu’elle avait passé dans l’eau lui aurait permis de faire cinq allers-retours entre la Cité Sans Hiver et les Îles aux Ombres. Cependant, pourquoi ne pouvait-elle pas voir sa destination?
Sa Majesté avait dit que la Terre était ronde. Lui aurait-il menti?
Si Sa Majesté avait vraiment menti, elle lui giflerait le visage si elle avait en avait la chance dans le futur!
Mais elle devait d’abord se rendre à la Cité Sans Hiver …
Joanna prit une profonde inspiration et s’encouragea. Elle se rappela qu’elle ne devait pas abandonner et qu’elle devait retourner à ses amis!
Joanna commença à produire une série de «Ya» au – dessus de la mer.
Un moment plus tard, elle entendit des échos: «Ya, ya. »
Un peu surprise, elle partit dans la direction d’où venaient les échos. Un mince voile de brume imprégnait la surface de l’océan, et elle ne pouvait voir les choses qu’à quelques kilomètres, tout comme près des Îles aux Ombres lorsque l’eau descendait. Puisqu’il n’y avait rien devant, Joanna nagea dans cette direction pendant encore une demi-heure et aperçut finalement quelque chose de noir qui se profilait dans la brume.
On aurait dit… un rocher à la surface de l’eau.
Le visage de Joanna s’illumina.
Elle savait que de nombreux gros objets sur l’océan paraissaient petits de loin. Comme le rocher semblait encore loin, il devait être énorme et puisqu’il reflétait les sons, il ne pouvait s’agir que d’une montagne géante. S’il y avait une montagne, il devrait y avoir des terres autour d’elle.
Était-ce une partie de la Chaîne des Montagnes Infranchissables?
Elle sentit ses forces revenir. Elle accéléra de nouveau et nagea aussi vite qu’elle le pouvait vers la silhouette noire, tellement rapidement que l’eau éclaboussait autour d’elle.
En se rapprochant, elle aperçut plus clairement le “rocher” noir.
C’était en effet une montagne, mais au pied de la montagne ne se trouvait pas le port de la Région de l’Ouest mais une île plate. L’arrière de l’île semblait relié à une autre île encore plus vaste. Puisque l’autre île était si loin, elle ne pouvait pas la voir clairement.
Malgré cela rien que le fait de trouver ces îles lui redonnait de l’espoir.
Joanna se ressaisit et s’avança sur la plage.
Ce n’est qu’a ce moment qu’elle remarqua que cette île était probablement encore plus grande que la plus grande île des Fjords. À l’exception de cette montagne verdoyante, l’île était aussi plate qu’une crêpe et formait une gigantesque prairie.
Contrairement aux autres îles désertes qu’elle connaissait, cette île semblait protégée de l’érosion, des brises marines et des intempéries. De l’herbe poussait jusqu’au bord de l’océan et elle aperçut même quelques fleurs. Joanna ne comprenait pas comment une île isolée comme celle-ci, qui pouvait être facilement détruite par les vagues d’une tempête, pouvait être si vivante et pleine de vie. Alors que l’île était entourée par la brume, cela lui donnait l’impression qu’elle était dans un pays féerique.
Joanna transforma sa nageoire en jambes et marcha lentement vers le centre de l’île.
Petit à petit, elle aperçut des stèles de pierre. Au début, elle ne leur adressa aucune attention, mais peu après, elle remarqua que ces stèles, bien que de taille différente, étaient soigneusement disposées.
Plus elle était proche du centre de l’île, plus elle voyait des stèles. À la fin, les stèles formèrent divers cercles qui devenaient de plus en plus denses, comme s’ils encerclaient quelque chose.
Elle avait déjà vu une scène similaire auparavant…
Joanna s’accroupit devant l’une des stèles et l’étudia attentivement. Il y avait des motifs dessus, mais elle ne savait pas si c’était des dessins sans signification ou des messages qu’elle ne pouvait pas déchiffrer. À la surprise de Joanna, ces pierres semblaient assez vieilles, mais elles n’étaient pas du tout poussiéreuses comme si elles étaient nettoyées régulièrement.
Quelqu’un vivait-il sur cette île?
Après quelques minutes de marche, elle sentit un frisson la parcourir.
Devant elle se trouvait une immense fosse de plusieurs kilomètres de diamètre. La fosse était non seulement insondable, mais ses bords étaient également lisses. Apparemment, la fosse n’avait pas été causée par l’effondrement du sol. Les stèles encerclaient la fosse et formaient des anneaux autour d’elle.
Joanna pensa vaguement à quelque chose. Elle fixa le ciel et aperçut la Lune Sanglante à travers la brume. Pour une raison quelconque, elle sentait que la Lune Sanglante dans le ciel s’intégrerait parfaitement dans la fosse au sol. Ils semblaient presque identiques. Elle avait même une étrange impression que la Lune Sanglante remplissait totalement le trou si elle tombait à l’intérieur.
«Bonjour. » Juste à ce moment, une belle voix venant de derrière la surprit.
– «Ya », cria Joanna en reculant de quelques pas avant de s’effondrer contre une stèle.
La propriétaire de la voix semblait aussi avoir peur, car elle resta silencieuse un moment avant de demander timidement si elle allait bien
Joanna découvrit alors que c’était une très jolie jeune femme. Elle portait une robe blanche et avait de longs cheveux noirs tombant en cascade sur sa poitrine. Son comportement gracieux impressionna Joanna. La femme semblait un peu confuse. Pendant un moment, elle ne semblait pas savoir si elle devait s’avancer vers Joanna ou continuer à l’observer à distance.
«Ya, ya. »
Joanna voulait savoir qui elle était, mais elle ne pouvait que produire des sons inarticulés. Comme elle n’avait parlé à personne au cours des six derniers mois, elle avait de nouveau perdu la parole.
Comme par miracle, la femme sembla comprendre Joanna et lui répondit avec un sourire triste :
– «Moi, je ne suis qu’une gardienne piégée ici. »