Chapitre 1244 – Évolution dans le temps

Depuis le pont, Zoé regardait la foule. Le “Roland” n’était pas assez grand pour accueillir 1 000 personnes. Après que tous les réfugiés soient montés à bord du navire, il n’y avait littéralement plus de place pour s’asseoir.

Pour la plupart des réfugiés, c’était la première fois qu’ils voyageaient par mer, il n’y avait donc rien d’étonnant à ce qu’ils se sentent nauséeux et étourdis mais l’environnement surpeuplé aggravait encore leur situation. Même ceux qui n’avaient que rarement le mal de mer sentaient leur estomac se tordre de manière fort inconfortable à la vue des autres passagers malades.

Zoé se réjouissait de ne rien ressentir.

“Les mortels sont si faibles…”, dit Carol derrière elle. “Je n’arrive pas à croire que nous étions comme eux.”

“Oui, c’est incroyable”, répondit Zoé avec un signe d’approbation.

Elle savait à quoi Carol faisait allusion.

Après avoir reçu les instructions pour soutenir l’armée, le capitaine avait immédiatement demandé l’aide des Sorcières du Châtiment Divin. La principal mission du “Roland” étant de localiser la mine de Pierre du Châtiment Divin, Zoé avait, de ce fait, tout pouvoir de décision sur la mission. Le Noyau Magique de la Civilisation Souterraine se trouvait désormais sur le navire et sa structure géante occupait presque tout le pont, ce qui ne laissait pas beaucoup de place pour les passagers. Zoé aurait même dû mettre sa mission en parenthèse pour éviter de faire courir des risques potentiels aux migrant.

A l’époque de l’Union, elle aurait catégoriquement refusé de fournir une assistance, car en ces temps, un Noyau Magique était, de son point de vue, bien plus précieux que de simples mortels. Elle aurait même choisi sans hésiter le Noyau Magique à une ville, alors que dire de l’accueil de réfugiés.

Après une brève discussion avec ses pairs, Zoé prit une décision qui l’étonna elle-même.

Elle expédia le Noyau Magique dans une autre ville portuaire et demanda aux soldats de Première Armée postés sur place de s’en occuper. Puis, à bord du “Roland”, elle se rendit au Port à l’Extrême Nord. Elle avait tout prévu, même le pire cas de figure: si jamais elle ne revenait pas à temps, la Première Armée prendrait le Noyau Magique et l’acheminerait jusqu’à la Cité Sans Hiver.

“Mais ce n’est pas grave”, dit Carol en haussant les épaules avec un grand sourire. “Pour être honnête, je pensais que vous refuseriez la demande. J’étais terriblement partagée moi aussi.”

“J’espère qu’ils ne décevront pas Sa Majesté”, dit Zoé, l’air sombre.

Qu’est-ce qui les avait fait changer ainsi? En voyant le nombre de réfugié, Zoé fouilla dans ses souvenirs et se souvint de la Première Armée qui avait combattu férocement les Diables sur les ruines de la Ville Sainte, des infirmières qui l’avaient soignée à l’hôpital, des gens ordinaires du Monde des Rêves qui ne ressemblaient en rien aux sorcières ainsi que de Roland Wimbledon…

“Je l’espère. Nous avons pris beaucoup de risques en venant dans cette région couverte de Brume Rouge”, dit Carol en tapotant l’épaule de Zoé “Quoi qu’il en soit, nous avons accompli notre mission. Ce que je veux maintenant, c’est rentrer immédiatement à la Cité sans Hiver et manger une fondue chinoise bien épicée. Oh, j’en ai l’eau à la bouche…”, déclara Carol en se dirigeant vers le pont

Zoé entendit son estomac protester. Heureusement que Carol avait fermé la porte au bon moment: elle ne s’en aperçut donc pas.

Zoé se vida l’esprit et regarda la sinistre Brume Rouge au loin.

La Bataille de la Divine Volonté, qui avait fait faire de nombreux cauchemar à l’Union, était de retour et bien plus tôt qu’ils ne l’avaient prévu. Par ailleurs, les Diables avaient fait de grands progrès, mais malgré cette avalanche de mauvaises nouvelles, Zoé se sentait en paix.

Cette fois, elles n’étaient plus seules à se battre.

Hackzord se tenait au-dessus de la ville qu’il venait d’occuper.

Il n’y avait ni fumée, ni bâtiment en ruine. La plupart des habitations étaient intactes, comme si la bataille n’avait jamais eu lieu.

Les êtres humains n’avaient guère résisté. Ils étaient encore plus faibles que quatre cents ans auparavant. S’il n’avait pas eu une telle confiance en Ursrook, il aurait pu croire qu’il s’agissait du territoire ennemi du Royaume de la Mer du Ciel et non de celui des êtres humains.

En une semaine, leur armée avait parcouru plusieurs centaines de kilomètre et construit des avant-postes dans chacune des villes qui n’étaient pas encore imprégnées de Brume Rouge. Force fut à Hackzord d’attribuer le mérite de cette opération rapide à l’Humanité. D’après ses subordonnés, ils n’avaient décapité qu’une centaine de personnes devant le seigneur effrayé et les nobles, capitulant, ils avaient même accepté de leur fournir le ravitaillement dont ils auraient besoin.

Tout comme lors de la Première Bataille de la Divine Volonté.

La nouvelle comme quoi ils avaient brûlé le château des Reflets de Neige s’était déjà répandue comme une traînée de poudre, créant une immense pression sur les autres seigneurs.

Grâce aux nombreuses villes conquises, Hackzord recevait de plus en plus d’informations de la part des habitants. Mais Il ne parvenait toujours pas à comprendre pourquoi l’Humanité, qui était unie à l’époque de l’Union, était à nouveau dispersée ni pourquoi le territoire humain, aussi petit soit-il, était encore divisé en quatre royaumes qui ne communiquaient jamais entre eux. L’Union, qui autrefois dominait le continent, avait disparu.

Qu’avaient accompli les hommes au cours des 400 dernières années ?

Selon lui, les Quatre Royaumes ne pouvait pas être faibles à ce point, puisque les humains avaient tué son commandant.

Ne connaissaient-ils pas l’importance du travail d’équipe ?

Quoi qu’il en fût, Hackzord était soulagé.

Il avait mené à bien le plan concernant le Front Occidental, bien qu’il ait connu quelques contretemps. Il avait réussi à activer la Tour des Naissances, comme son Seigneur lui avait ordonné.

D’une certaine manière, il était beaucoup plus fiable que le vantard ” Conquérant Sanglant ” et l’irresponsable Masque. Lui au moins avait tenu promesse.

Par une série de portes de distorsion, Hackzord retourna jusqu’à la faille.

C’était le dernier bastion du Pays de l’Aube, et Hackzord avait décidé de nommer cette future ville “Sky”de façon à ce que tout le clan mémorise bien son nom.

À ce moment précis, son garde lui fit parvenir le rapport sur les derniers événements.

Hackzord parcouru rapidement le document et constata qu’un grand nombre de réfugiés commençait à fuir vers le Royaume de l’Éternel Hiver. Il n’y aurait pas prêté attention si ces gens avaient été des réfugiés normaux, car la plupart d’entre eux mouraient en chemin.

Cependant cette campagne, qu’il avait personnellement organisée et soigneusement planifiée, devait être parfaite. Il avait même envoyé des troupes vers les réfugiés qui se dirigeaient vers le Royaume de Wolfheart dans le sud, par voie maritime ou terrestre. Mais ceux-ci avaient dû faire face à une résistance farouche, très semblable à celle qu’Usrook mentionnait dans sa lettre.

Bien que plusieurs unités dirigées par l’Evolué aient remporté la victoire, elles n’avaient pas réussi à arrêter la totalité des réfugiés. Il lui fallait davantage de troupes. C’était également l’un des inconvénients de l’érection de la Tour de Naissance dans la zone montagneuse. Sans les portes de distorsion, les Diables Juniors et les Diables Inférieurs ne pouvaient pas se rendre seuls sur le territoire des hommes.

Hackzord fronça ses sourcils et demanda :

“Où est Cauchemar ?”

“Son Excellence dort encore dans l’étang de la Brume Rouge.”

“Bon sang! Voilà dix jours qu’elle y est. J’espère qu’elle n’est pas perdue dans le Royaume de l’Esprit”, se dit Hackzord.

Il fit apparaître la Porte de la Distorsion et descendit directement vers le fond de la faille.

Valkries était toujours dans sa position d’origine: assise jambes croisées dans l’étang, l’air assez détendue. Rien n’indiquait qu’elle soit dévorée par le Royaume de l’Esprit, excepté le fait qu’elle y était depuis un temps exceptionnellement long.

Si la personne qui lui faisait face avait été le Conquérant Sanglant, Hackzord lui aurait donné une gifle pour le réveiller. Il ne se souciait pas du fait que cette action puisse causer des dommages à la mémoire de ce dernier, mais il n’osait pas faire la même chose à Cauchemar.

Pourquoi a-t-il fallu qu’elle choisisse précisément ce moment pour explorer le Royaume de l’Esprit ?!

Hackzord était un peu perturbé par ces réfugiés en fuite. Son instinct lui disait que quelque chose de louche était en train de se passer, mais il était bien incapable d’expliquer la situation à son Souverain. Le Roi ayant déjà envoyé deux Seigneurs du conseil sur le Front Occidental, il était fort peu probable qu’il en envoie un autre simplement pour s’occuper de ces insectes. Les autres Seigneurs du conseil se moqueraient certainement de lui s’il en réclamait un de plus. Mais à la vérité, il avait utilisé tous les moyens à sa disposition pour mener à bien cette opération, mission dont les Seigneurs du conseil ne se souciaient guère. Ils avaient simplement agi de leur propre chef et n’avaient qu’apporté une aide mineure lors la bataille. Par conséquent, en l’absence d’un Seigneur du Conseil fiable sur le Front Occidental pour commander correctement les troupes, l’armée ne pourrait mener à bien cette expédition.

Si seulement Cauchemar l’avait aidé à poursuivre ces réfugiés, il ne serait pas dans une situation aussi embarrassante et difficile.

Hackzord jeta un oeil à l’endormie et quitta l’Étang de Brume Rouge.

De toute évidence, il allait devoir gérer seul le Front Occidental.