Roland en fut stupéfait.

S’il se souvenait bien, le maître de Garcia s’appelait Lan. 

Ce qui signifiait-il que la personne qu’il avait rencontrée au Café de la Rose ce matin même était… morte ?

Comment était-ce possible ?

Même si Lan était liée par les règles du Monde des Rêves, elle était l’élève du Défenseur. Elle devait donc avoir la capacité de faire face aux Déchus.

La Cité du Prisme étant à l’origine une mine, la partie principale avait été construite sous terre. Elle était constamment gardée par les Éveillés. Comment les Déchus avaient-ils pu pénétrer dans la ville si facilement ?

“Tout d’abord, entrez “, lui dit le Roi après avoir réussi à la calmer. Plusieurs pensées se bousculaient dans sa tête, mais il y avait tant de choses que Roland ne comprenait pas

Garcia se leva faiblement, comme si toutes ses forces avaient disparu.

Roland mit Cléo dans sa chambre et offrit un verre de lait chaud à la jeune femme. Cette dernière retrouva peu à peu son calme. Si elle avait toujours les yeux dans le vague, au moins ne pleurait-elle plus.  

Le jeune homme s’aperçut alors qu’il y avait six messages non lus et une douzaine d’appels téléphoniques sur son téléphone. Il fit défiler les messages et se rendit compte qu’ils provenaient, pour la plupart, de Garcia. 

“Oh, désolé… Cléo a eu un brusque accès de fièvre, aussi ais-je dû me rendre à l’hôpital et j’ai laissé mon téléphone ici”, expliqua Roland, embarrassé. “Que s’est-il passé à la Cité du Prisme ? Comment avez-vous  su que votre maître avait été tué? “

Il fallut beaucoup de temps à Garcia pour retrouver sa voix. Après un silence qui sembla durer une éternité, la jeune femme lâcha de façon saccadée : 

“J’ai reçu un message… urgent de C02 vers midi, disant que quelque chose… était arrivé au quartier général. Il demandait le soutien de tous les martialiste disponibles”.

Roland se souvint que C02 était l’officier de liaison lors de la mission conjointe à laquelle il avait participé quelque temps auparavant. Comprenant enfin pourquoi Garcia l’avait appelé si souvent, il demanda: 

“Mais personnes n’est allé là-bas ?”

Garcia aurait dû se rendre immédiatement à la Cité du Prisme.

“Personne n’a pu le faire, en raison de l’expansion soudaine de l’Érosion dans la partie centrale du bâtiment”, marmonna-t-elle. “Personne ne sait comment c’est arrivé et la caméra de surveillance ne l’a pas filmé non plus. C02 m’a dit que le temps que l’Association réalise ce qui se passait , l’Érosion avait déjà coupé la Cité du Prisme en deux et perturbé toutes les connexions entre les étages supérieurs et inférieurs.”

“L’Érosion s’est étendue ?” Le cœur de Roland battait contre ses côtes, comme un oiseau frénétique. Si la Lune Sanglante était en fait le vide créé par l’Érosion, elle aurait dû pouvoir apparaître n’importe où, y compris dans la zone souterraine. Si l’émergence de la Lune Sanglante marquait le début de la Bataille de la Divine Volonté, alors l’expansion de l’Érosion pourrait-elle être une autre forme de Lune sanglante ?

“Quand s’est-elle manifestée ?”

“Vers 9 heures du matin”, lâcha Garcia avec un léger signe de tête.

Presque au même moment où il avait vu cette onde !

Le Monde des Rêves tentait-il de l’avertir que l’Érosion avait commencé ?

“Mais… qu’en est-il des Déchus ?”

“Ils… ils sont sortis de la clandestinité…”

Une demi-heure plus tard, Roland avait enfin une image complète de l’incident.

Constatant que l’Érosion avait atteint la partie centrale du bâtiment, l’Association martialiste avait immédiatement décidé d’envoyer des renforts. La Cité du Prisme s’était alors enfoncée dans le sol comme un marteau piqueur géant. Bien que solidement fortifiée, sa structure architecturale présentait plusieurs inconvénients. Il fallait, par exemple, entretenir constamment le système de ventilation pour s’assurer que les personnes des étages plus bas puissent respirer facilement. En outre, tous les éléments essentiels à la vie, comme l’eau et la nourriture, devaient être transportés du niveau supérieur vers le niveau inférieur. Par conséquent, l’interruption de l’approvisionnement par l’Erosion avait certainement mis en péril le personnel du palier secondaire.  

Le plus urgent pour l’association était désormais d’évaluer l’ampleur de l’Érosion et de reconnecter les niveaux supérieur et inférieur. Les architectes qui avaient construit la Cité du Prisme ayant anticipé une éventuelle déconnexion, ils avaient équipé la construction de sorties d’évacuation afin qu’en cas d’urgence,  les gens puissent, rapidement et de manière ordonnée, quitter les lieux. 

L ’Association Martialiste ayant compris que la perturbation était due à l’Érosion plutôt qu’à une attaque ennemie, elle avait rapidement annulé sa demande de renforts. Le Défenseur et ses étudiants étant tous dans le bâtiment, ce dont l’Association avait le plus besoin était d’une équipe d’ingénieurs et d’ambulanciers. Les martialiste n’étaient donc pas intervenus immédiatement. Ils attendaient les instructions.  

Malheureusement, quelque chose d’inattendu s’était produit.

Alors que tout le monde empruntait les canaux d’évacuation, Lan et son équipe, à la sortie n° 04, avaient soudain été attaqués par des Déchus.

Peu de temps après quelqu’un remarqua que bon nombre d’entre eux étaient des collègues du niveau inférieur. 

C’était une nouvelle épouvantable et plutôt choquante. Nul ne savait ce qui s’était passé dans cette partie inférieure du bâtiment après la catastrophe, excepté que le groupe de monstres aux noyaux déchus était à l’origine de simples membres du personnel ou des martialistes.

La plupart des personnes présentes dans la partie inférieure de la Cité du Prisme étaient l’élite de l’Association. Quant à savoir ce qui les avait poussés, en une demi-journée, à devenir des traîtres, cela restait un mystère. Néanmoins, au moment où ils avaient choisi de fusionner avec les noyaux déchus, ils avaient définitivement perdu toute humanité. Si Roland lui-même était stupéfait de la tournure qu’avaient pris les événements, que dire de l’équipe de secours présente sur place.

C’était précisément pourquoi Lan et son groupe avaient été pris au dépourvu. 

L’équipe étant inférieure en nombre et en force, c’était un miracle si quelques personnes avaient réussi à s’échapper. Hélas, ce n’était pas le cas de Lan, leur chef, attaquée par des Déchus alors qu’elle tentait de fermer une porte de cloisonnement. 

Garcia s’étant remise à sangloter, Roland lui tendit un autre verre de lait. Après un moment d’hésitation, il lui posa la question qui le préoccupait le plus. Ce n’était certes pas le bon moment, mais il devait connaître la réponse.

Roland prit une profonde inspiration : 

“Toutes ces informations proviennent de rapports qu’ont faits les survivants au quartier général, n’est-ce pas ? Quelqu’un les a-t-il vraiment vus tuer Lan ?”

Si elle n’avait pas été aussi perturbée et dévastée, Garcia aurait riposté avec férocité. 

“Mon maître… mon maître a bloqué l’interrupteur qui contrôle la porte… Puis elle a été mise en pièces par ces abominations …”, répondit-elle d’une voix rauque. “Beaucoup de membres de son équipe l’ont vu…” 

Sa voix s’éteignit en un sanglot étouffé.

“… Je suis désolé”, lâcha Roland.

Qu’arrivait-il lorsqu’une personne mourait dans le Monde des Rêves? Retournait-elle au Royaume de l’Esprit ou disparaissait-elle complètement ? Si tout ou presque,  dans ce royaume, était sous le contrôle de Dieu, aucun des deux n’aurait une fin heureuse . De plus sans la protection du Monde des Rêves, Lan, en tant que traître, serait sévèrement punie.

Roland avait une très bonne raison de soupçonner Dieu, car cette attaque semblait viser Lan.

Malheureusement elle n’était pas la seule: il entendait bien détruire le Monde des Rêves.

la voix de Lan résonnait encore dans sa tête:

“Si vous perdez ce Monde des Rêves, vous serez exclu à jamais du Royaume de l’Esprit.” 

De toute évidence, une Bataille de la Divine Volonté se préparait dans le Monde des Rêves également. Mais cette fois, ce n’était ni les Diables ni les créatures du Royaume Ciel Mer qu’il allait devoir affronter.

C’était Dieu en personne. 

“Tenez bon…”

Elle entendait des bruits forts, parfois éloignés, parfois étrangement proches…

Que s’était-il passé ?

Elle ressentait une douleur atroce. Visiblement, sa jambe était en lambeau. Jamais encore elle n’avait subi de blessures aussi graves, pas même lors de la cérémonie de mise à niveau.

Durant une fraction de seconde, elle pensa à la mort.

“Ah, je suis en train de mourir”, fut la première pensée qui traversa son esprit embrumé. Son corps se refroidissait dangereusement, son esprit s’éloignait. Elle avait même du mal à se concentrer.

“Tenez bon…”

La voix se rapprochait.

Y avait-il quelqu’un ?

Étrange… elle avait déjà entendu cette voix quelque part.

“Elle est ici et encore en vie. Quelqu’un peut-il m’aider à enlever cette fichue pierre ?”

“Elle est gravement blessée. Vite !”

“Un, deux, trois !”

Tout à coup, elle sentit le poids qui pesait sur elle s’alléger et on la transporta dans un merveilleux lit douillet.

“Accrochez-vous. Vous allez vous en sortir”, lui dit quelqu’un penché sur elle. “L’Association a fait venir les meilleurs médecins et le meilleur matériel médical. Vous irez bien une fois à l’hôpital !”

“L’Érosion s’est-elle étendue ?”

“Au fait, vous venez de la péninsule de Cargarde, non ? Quel est votre nom ?”

“Mon… mon nom ?”

“Oui, vous vous en souvenez ?”

Rassemblant toutes ses forces, elle répondit: 

“… Valkries.”

(NTDPour rappel Valkries = un des seigneurs Diables auquel le roi a confié la mission d’en apprendre plus sur l’évolution des humains)