“Comment la connaissez-vous ?”
“Le fait que je sois née ici ne veut pas dire que je ne sais rien de votre monde. Avez-vous entendu parler du “Royaume de l’Esprit” ou de La Source de la Magie ?” répondit calmement Lan
Roland pensa immédiatement à la déclaration de Kabradhabi. Sa main qui s’apprêtait à ramasser la tasse cassée sur le sol s’arrêta net. Il se releva et chuchota à Lan :
“Est-elle dans le royaume de l’esprit ?”
“Bien sûr que non, mais elle y a laissé une marque. Quiconque a suffisamment de pouvoir laisse obligatoirement une marque dans le Royaume de l’Esprit.” Lan marqua une courte pause avant d’ajouter : “Je sais ce que vous allez me demander. Vous voulez savoir comment la ramener à la vie pour ensuite le faire par vous-même. Vous aimeriez également savoir comment mettre fin à la Bataille de la Divine Volonté. Cependant, je dois vous prévenir: nous n’avons pas beaucoup de temps”.
“Qu’est-ce que cela signifie ?”
“Les gens finiront par disparaître du Royaume des Esprits. Ce processus est irréversible. Même si vous connaissez la méthode, vous n‘aurez probablement pas assez de temps pour adapter l’action au plan, et encore ce n’est pas le pire des scénarios”.
“Et quel est-il ?”
“Le Monde des Rêves a pénétré l’esprit de Dieu et Il ne laissera pas les choses continuer ainsi”. “En d’autres termes, quand Dieu s’apercevra que rien ne pourrait remettre les choses sur les rails, il détruira les deux mondes. La situation est plus urgente encore que vous ne le pensez, c’est pourquoi j’ai décidé de vous convaincre”, expliqua lentement Lan. “Mon enfant, aidez-moi et vous vous rendrez un grand service.”
“Cela semble assez convaincant”, commenta Roland, sarcastique. “Mais vous venez de dire que la vérité était ce que j’étais en mesure de comprendre. En d’autres termes, vous pourriez me mentir en ce moment, y compris sur le fait que vous pouvez ramener Cendre à la vie.”
Lan poussa un profond soupir et s’adossa à sa chaise.
“Il est logique que vous pensiez ainsi et je ne veux pas vous donner de faux espoirs. Je l’ai fait parce que je veux que vous me fassiez confiance.”
Roland se tut.
Pour lui, c’était un choix difficile.
Lan avait de solides arguments. Le Roi, en effet, avait beaucoup entendu parler de la menace que représentaient les créatures magiques pour le Monde des Rêves. Il était certain qu’elles avaient pour but de détruire ce monde et étaient des “sous-fifres” de Dieu.
Malheureusement, Roland ne pouvait pas lui faire entièrement confiance sans avoir lui-même vérifié la véracité de cette information. Toutes les informations que Lan venait de lui communiquer concernant le danger potentiel que représentait ce Dieu n’étaient que sa version de l’histoire. Elle pouvait l’avoir totalement inventée, et le Roi ne voulait pas sauter sur une fausse conclusion en se basant sur des informations erronées.
Il n’avait cependant pas assez de temps pour vérifier ces informations.
Dans ces circonstances, il n’avait pas d’autre choix que de prendre le risque.
Roland ferma les yeux et se remémora les larmes de Tilly cette nuit-là. La perte douloureuse de Cendre avait terni la lumière dans ses yeux, comme si une pierre précieuse autrefois éblouissante était désormais recouverte d’un léger voile de poussière. Certains soutenaient qu’un tel changement était signe de maturité spirituelle et que ce n’était que lorsqu’on perdait quelque chose qu’il nous devenait précieux. Roland rejetait cette théorie qu’il jugeait totalement absurde. Une personne mûre ne se permettrait jamais de perdre ce qu’elle aimait et ne se laisserait certainement pas aller à la douleur.
S’il pouvait ramener Cendres à la vie, il ferait tout ce qu’il pourrait pour atteindre ce but.
Réprimant son enthousiasme, Roland se rassit et prit un air contrarié.
“Je ne pourrai pas vous faire confiance tant que vous ne m’aurez pas dit comment vous comptez la ramener à la vie. “
“Cela n’entre pas en conflit avec ce pour quoi j’ai besoin de votre aide. En fait, c’est pratiquement la même chose”, expliqua doucement Lan. “Tout d’abord, vous devrez entrer dans le Royaume de l’Esprit des deux mondes simultanément. C’est une condition sine qua non si nous voulons avoir une chance de réussir.”
“Les deux mondes ? Attendez, vous voulez dire que la fameuse Source de la Magie existe bel et bien ?” demanda Roland, surpris.
“C’est exact. Ce n’est pas quelque chose d’intangible mais une entité physique. Rien à voir avec le vide créé par l’Érosion”, répondit Lan en hochant la tête. “En fait, c’est à l’extrémité nord du Pays de l’Aurore, et nous l’appelons le Pays de l’Abîme.
Le cœur de Roland manqua un battement. Il avait déjà entendu ce nom quelque part.
“Mais les Diables ont pris le contrôle du nord. Vous avez entendu parler d’eux, n’est-ce pas? Ce sont nos ennemis dans cette Bataille de Divine Volonté.”
“Je ne peux pas vous aider en quoi que ce soit concernant l’autre monde, Dieu m’ayant interdit d’interférer dans la Bataille de la Divine Volonté. Vous allez devoir trouver seul une issue”, répondit Lan sans sourcilier. “Battez-les et partez pour le Pays de l’Abîme Si vous échouez, ce sera la fin.”
C’était la raison pour laquelle cette femme lui avait expliqué que même s’il connaissait la méthode, il n’avait pas beaucoup de temps pour atteindre son but.
Roland réfléchit un moment :
“D’accord. D’une manière où d’une autre, j’avais bien l’intention d’éradiquer les Diables de la surface du Pays de l’Aurore. Mais comment accéder au Royaume de l’Esprit dans le Monde des Rêves ? Ce n’est pas un monde réel après tout, donc ce ne doit pas être si difficile, n’est-ce pas ?”
“Avant de vous répondre, je voudrais vous demander quelque chose”, lâcha Lan en regardant par la fenêtre. “Pensez-vous vraiment que ce monde soit fictif ?”
Durant un instant, Roland se raidit, les yeux rivés sur les gens dans la rue. Ils étaient beaucoup moins nombreux après l’heure de pointe. De nombreux vendeurs se reposaient, certains s’apprêtant à rentrer chez eux, satisfaits. D’autres lisaient le journal tout en fumant une cigarette.
Les étudiants et les jeunes travailleurs étaient tous partis. Les anciens, peu à peu, se dirigeaient vers les épiceries. En passant devant le Café de la Rose, ils jetaient des regards méprisants et échangeaient des murmures d’un air moqueur.
Roland savait que s’il sortait maintenant et se disputait avec eux, ces personnes âgées riposteraient farouchement. L’altercation verbale pouvait également attirer de nombreux curieux et il ne voulait certainement pas devenir le centre d’un spectacle improvisé.
Il avait du mal à admettre que ce monde soit réel.
“Comment définir la réalité ?” murmura Lan, discrètement. “Un être vivant doit-il nécessairement posséder un corps physique ? Si une entité possède une conscience et des émotions, n’est-ce pas suffisant pour qu’elle soit considérée comme vivante, même si c’est sous forme d’énergie ?”
“Eh bien, je suppose que si.”
“Alors, protégez ce monde. Une fois qu’il sera détruit, tout ici disparaîtra. Ce sera une perte bien plus grande que tout ce qui peut exister dans l’autre monde. Si vous perdez ce Monde des Rêves, vous serez exclu à jamais du Royaume de l’Esprit”, Répliqua Lan en se retournant
“L’entrée du Royaume de l’Esprit se trouve-t-elle dans cette ville ?”
“En ce moment précis, vous êtes dans le Royaume de l’Esprit”, le corrigea Lan. “C’est ici le Royaume de l’Esprit.”
Roland écarquilla des yeux.
S’il avait bien compris, son corps était encore à la Cité Sans Hiver et son esprit au Pays de l’Abîme au nord du continent, à des milliers de kilomètres de là ?